Les stratégies de représentation du pouvoir médicéen entre discours officiel et connivence littéraire

Par Raphaëlle Meugé-Monville
Publication en ligne le 23 décembre 2024

Résumé

Before acceding to political responsibility, young Lorenzo de’ Medici had cultural obligations which had to convey a certain image of power particularly during elaborate public celebrations. The brigata - a group of young noblemen gathered around the most prominent heir - played an important part in civic rituals. In the specific case of Lorenzo the Magnificent, the festivities organized by his brigata offered a fantasized and seductive image of power to the other members of the Florentine oligarchy. The Medici were in fact trying to assert their preeminence in Florence through cultural and artistic prestige, without offending the city’s oligarchic and republican sensibility. In this context, Lorenzo’s chivalric courtship towards Lucrezia Donati actively participated to this strategy by magnifying the public image of the young heir. This episode was broadcast by various artistic media in order to target specific audiences and create a coherent and efficient story in which Lorenzo played the part of the perfect courtly lover. However, there is another interpretation of this love affair. Idealized in public festivities, this episode becomes a literary amusement in private letters exchanged within young Lorenzo’s brigata. Intimacy with the future ruler and friendly writing allow to slightly undermine the official version of a perfectly conventional courtly love. The use of literary irony, secret language, double meanings and popular language tend to subvert the mythical image widely conveyed. By examining the different versions of the same story, this paper aims at bringing light on the characteristics of this specific literary and artistic sensibility in which young Lorenzo has grown both as a poet and as a statesman.

La jeunesse de Laurent de Médicis est marquée, comme pour tout aristocrate florentin, par des obligations d’ordre culturel, avant d’être directement politiques, destinées à promouvoir une certaine image du pouvoir. Cette représentativité passe par des formes de sociabilité typiquement florentines comme les brigate, groupes de jeunes aristocrates fédérés autour de l’héritier le plus en vue. Dans le cas spécifique de Laurent le Magnifique, la brigata devient le lieu de projection d’une image fantasmée et féerique du pouvoir, capable d’exercer un certain ascendant sur les autres membres de l’oligarchie à Florence. Le vecteur principal de cette mise en scène sont les amours de Laurent de Médicis avec Lucrezia Donati, courtisée chastement, selon un code courtois et chevaleresque tout à fait apte à magnifier les Médicis dans le but de faire oublier leur noblesse récente. La mise en place de ce storytelling suit une véritable stratégie avec une attention à la cohérence du récit qui se décline selon les supports artistiques (productions iconographiques et littéraires) et les publics visés. Toutefois, on observe un dédoublement de ce discours amoureux : idéalisé d’une part, il devient l’objet d’échanges amusés dans la correspondance privée que les membres de la brigata entretenaient avec le jeune Laurent. Dans ces lettres, l’intimité avec le futur seigneur permet de libérer la parole et de mettre à distance, par le jeu et l’ironie, la version officielle, en fissurant l’image mythique que le pouvoir veut donner de lui-même. L’écriture amicale devient ainsi le lieu d’élaboration et d’expression d’une poétique singulière qui marque les années de formation littéraire de Laurent de Médicis. Cet article se propose d’étudier les différentes versions d’une même histoire, afin de saisir les caractéristiques culturelles de chaque narration ainsi que leurs fonctions pour le pouvoir ; image publique et image privée participant, chacune à sa manière, à la construction de l’ethos médicéen.

Mots-Clés

Texte intégral

1Dans la seconde moitié du XVe siècle, l’assemblée, aussi ludique que littéraire, qu’est la brigade1 du jeune Laurent de Médicis2 développe une inventivité poétique singulière liée à sa structure amicale. Un tel processus créatif, caractérisé par sa dimension confidentielle et intime, ne devient compréhensible qu’à partir du moment où les échanges privés sont mis en relation avec un discours et des représentations publics. La brigade se trouve en effet prise entre des activités publiques3, attendues de la part d’un groupe comme celui-ci, faisant pleinement partie de la vie de la communauté municipale, et des activités d’ordre privé. Il s’agira donc d’étudier la façon dont les relations entre discours public et discours privé et, plus spécifiquement, entre les festivités et les représentations artistiques et littéraires officielles d’une part, et l’écriture épistolaire amicale d’autre part, mettent au jour une poétique commune et propre à la brigade de Laurent de Médicis. Ces écrits permettent de saisir un certain jeu entre image publique et image privée, notamment autour des amours du jeune Laurent avec sa dame, Lucrezia Donati (1447-1501)4. Cette histoire d’amour, dont la part de fantasme et de rêve est importante5, occupa beaucoup les membres de la brigade, au point de devenir, par certains aspects, un véritable divertissement collectif propre à fédérer le petit groupe. Les lettres échangées à ce propos témoignent, comme nous le verrons, d’une liberté de ton qui n’était pas admise à l’extérieur du groupe et qui venait fortement nuancer l’image d’un amour chaste et courtois que revêtait cette histoire aux yeux des Florentins, pour qui elle était avant tout un prétexte de plus pour admirer Laurent, un espace de projection féerique qui devait magnifier l’image du jeune héritier. Il apparait en effet qu’au sein d’une sensibilité partagée dans la Florence médicéenne des années 1460-1470, la narration d’une même histoire subit des modifications significatives selon le public auquel elle s’adresse, bien qu’elle émane des mêmes cercles proches du pouvoir. Se crée alors une forme de double discours autour de la figure de Laurent de Médicis, où l’amitié est à l’origine d’une licence littéraire inédite et savoureuse.

1. Le rôle officiel de la brigata

2La brigade menée par Laurent de Médicis ou brigata laurenziana (active de 1460 à 1475 environ) désigne un groupe d’aristocrates, issus des grandes familles florentines alliées de la famille Médicis qui accompagnaient les sorties publiques et les divertissements privés du très jeune Laurent. La brigade de Laurent présente des caractéristiques propres à toute brigade de l’époque. Il s’agit d’une forme de sociabilité ancienne, typiquement florentine6, désignant une assemblée restreinte liée par des relations personnelles et amicales. Le rôle public des brigades était d’organiser des spectacles chevaleresques et courtois – comme des bals, des parades, des joutes et autres tournois – où l’aristocratie se donnait à voir, représentée par ces groupes de jeunes gens richement vêtus qui incarnaient les liens fantasmés de cette noblesse florentine avec la chevalerie, ou, en tout cas, avec une noblesse féodale des plus anciennes7. On comprend dès lors que dans ces spectacles s’opérait une superposition importante entre politique et divertissement8. Cette dynamique s’illustre par exemple avec l’une des premières sorties publiques du tout jeune Laurent de Médicis en tant que futur seigneur de la ville, justement en compagnie de sa brigade9, pour accueillir le tout aussi jeune duc de Milan, Galeazzo Maria Sforza, ainsi que le pape Pie II, tous deux en visite à Florence au printemps 145910. Il était de coutume à Florence d’honorer les visiteurs puissants lors de festivités publiques. Des rimailleurs anonymes y trouvaient une source d’inspiration de circonstance. C’est ainsi que nous sont parvenus plusieurs témoignages sur les festivités de l’année 145911. Nous pouvons en particulier citer un poème anonyme qui relate en détail le déroulement des fêtes. Le document a été édité par Guglielmo Volpi sous le titre Ricordi di Firenze dell’anno 145912. L’auteur y décrit longuement les brigades de jeunes florentins qui organisent et participent aux festivités chevaleresques, notamment celle menée dans un premier temps par Domenico di Piero della Luna, dont les compagnons sont destri e arditi come Lancilotto13. Ce parallèle est éloquent car il explicite le jeu de référence autour de ces fêtes ainsi que le rôle politique qu’elles revêtaient : pour une ville comme Florence, dont la fortune provenait des activités marchandes de quelques grandes familles, dont les Médicis – banquiers avant d’être seigneurs –, ces représentations étaient l’occasion de s’anoblir, de s’élever au même rang que les autres cours italiennes qui pouvaient se prévaloir d’une noblesse ancienne. L’imaginaire chevaleresque dans lequel baignaient les brigades s’inscrivait dans une stratégie politique consciente qui visait à créer l’illusion d’un héritage ancien. Cette dimension explique toute l’importance qu’il y avait pour le jeune Laurent à prendre part à ces représentations dès son plus jeune âge. Il n’a que dix ans quand il apparaît à la fin du cortège de 1459, suivi du char d’amour orné de nombreux Cupidons. En dépit de cela, il est déjà décrit comme maître de cette cérémonie puisque les adolescents des grandes familles florentines l’ont choisi comme signore en lui réservant la place d’honneur pour clore la marche, et ce rôle de seigneur de brigade anticipe son véritable statut de prochain seigneur de la ville. Les vers qui suivent permettent de bien saisir la part de représentation politique propre à ces évènements :

Poi venne un giovanetto assai virile,
Giovan di tempo e vecchio di sapere,
E tiene ancora di boce puerile.
Costui per più cagioni ha gran potere,
Perciò che la sua casa molto puote,
E questo chiaro si puote vedere,
Figliuol di Piero e di Cosmo nipote14;

3L’apparition de Laurent dans le poème annonce d’emblée son excellence hors du commun : on lui attribue pour commencer la qualité chevaleresque par excellence, la virilité, qui dit tout à la fois sa grandeur et sa vaillance ; il est ensuite défini selon le topos du puer senex qui vient superposer une qualité antique à ses atouts de chevalier. On pourrait aller jusqu’à lire dans cette comparaison une allusion littéraire prestigieuse à Iulus (Ascagne)15, fils d’Énée, que Virgile qualifie de la même manière dans l’Énéide, ce qui renforcerait encore l’aura du personnage, Iulus étant de la même manière l’héritier pressenti d’un pouvoir à vocation impériale. Enfin, il est inscrit dans le lignage des Médicis, présentés comme une véritable dynastie dont l’auteur souligne la puissance et le pouvoir. Un pouvoir dont la transmission de Cosme à Laurent est symbolisée par la rime entre « puote » et « nipote ». Ce premier éloge, peut-être un peu trop monarchique, est bien vite nuancé dans les vers suivants par l’idée que le statut de seigneur de Laurent n’est pas uniquement un privilège de sang mais qu’il lui est conféré par les autres membres de l’oligarchie florentine :

Però questi gentili il fan signore,
Avendo inteso del tinor le note.
Ond’egli, come savio a tal tinore,
Volle mostrare a tutta quella gente
Ch’eran suggetti tutti a un signore.
Per chiarir meglio tutto il convenente,
Con gran triunfo fe’ venir Cupido,
Che ferisce i cuor gentil sì dolcemente.

[...]

Ora si muove quel garzon verace
Su n’un cavallo ornato a meraviglia ;
Tutta la gente guarda quel che face.
Due stelle chiare avea sotto le ciglia
E l’ suo vestir valea molto tesoro
La gente d’ammirazion tutta bisbiglia.
Il suo vestir passa tutti coloro
Di cui abbiam parlato gran vantaggio
E ben dimostra esser signor di loro.
Sì come giovane prudente e saggio
Mosse il triumfo dello Iddio d’amore,
Armeggiando il menò per quel viaggio.
Con loro andava sì come signore
Con grande compagnia di sergenti
E tanti lumi ch’era uno stupore.
Di ben servirlo tutti eran contenti16

[...]

4La description du cortège mené par Laurent résonne comme une opération de politique intérieure qui cohabite ici avec la spectacularisation du pouvoir local dans un but diplomatique. En effet, son statut de seigneur de la brigade le rattache d’abord à la classe oligarchique et si Laurent est qualifié de signore à trois reprises, cette appellation ne correspond pas toujours au même statut. Le premier vers de l’extrait (« Però questi gentili il fan signore »), décrivant son statut de seigneur des autres jeunes gentilshommes qui composent sa brigade, suggère l’élection de Laurent par ses camarades, ce qui vient rétablir une forme d’égalité après la célébration de la dynastie médicéenne. Les « gentili » sont les autres nobles membres du cortège qui l’élisent comme leur maître : il est le plus noble parmi les nobles. Laurent est d’ailleurs le plus richement vêtu et son élégance dépasse celle des autres membres du cortège, ce qui prouve sa primauté, pour notre auteur anonyme. Le terme « gentili » est intéressant car il fait appel à l’imaginaire poétique stilnoviste qui associe noblesse de sang et noblesse d’âme et d’esprit : les acolytes de Laurent se distinguent donc également par leurs qualités chevaleresques. Tout cela donne l’image d’une communauté qui partage, incarne et perpétue les valeurs courtoises. Ainsi le poème décrit précisément la soumission de cette communauté à l’amour au moment où retentit le son (« il tinore delle note ») fait par le char en l’honneur de Cupidon. Les « cuor gentil » reconnaissent ainsi la puissance de l’amour à laquelle Laurent lui-même se soumet. Cet assujettissement volontaire et commun à l’amour permet de rétablir une forme d’égalité au sein de cette assemblée. Une telle mise en scène qui exalte l’amour selon les codes courtois va nous permettre de comprendre l’importance du corteggiamento de Lucrezia par Laurent. L’épisode en question alimente et soutient toutes ces représentations et la brigade laurentienne se devait de cultiver ce récit chevaleresque, ce qu’elle fit certainement, mais selon les modalités particulières que nous verrons par la suite. Au terme de cette mise en scène, Laurent accueille dans sa demeure ses autres nobles compagnons pour le traditionnel banquet partagé in brigata :

E quel giovane valoroso e saggio
Fece tornare tutti al porto fino,
Cioè al suo albergo adorno e snello
E ciascun si posò al suo dimino.
E sì come signor comandò quello
Che lì venisse vino e confezioni
E facesson collezione al suo ostello17.

5Le devoir d’accueillir ses compagnons dans sa demeure pour les repas revient au seigneur conformément à la hiérarchie des brigades. En réalité, ce statut de seigneur de brigade est l’occasion de construire et d’annoncer son statut de seigneur de la ville et les autres occurrences du mot « signore » sont bien plus connotées politiquement. Par exemple, la plus grande préciosité de son vêtement par rapport aux autres jeunes gens décrits précédemment est interprétée comme un signe de supériorité politique : « E ben dimostra esser signor di loro » ; tout comme la formulation « sì come signor » semble indiquer que les manières du jeune Laurent se conforment déjà à ce que l’on attend d’un seigneur qui reçoit en sa demeure. On voit bien ici comment se superposent enjeux politiques et divertissement, et comment la brigade menée par Laurent devient un objet quasiment symbolique qui le propulse à la tête d’une communauté plus vaste, celle de la ville de Florence.

6La dimension publique et représentative n’occupe cependant qu’une partie du temps libre des brigades, le reste étant dicté par les liens intimes entre les membres qui se réunissent régulièrement dans la sphère privée. Ces réunions pouvaient prendre différentes formes, allant de la pratique de la chasse, à l’organisation de banquets en passant par la récitation poétique collective. La dimension privée est peut-être particulièrement importante pour la brigade de Laurent dans la mesure où elle est le terrain privilégié d’élaboration d’une poétique commune dont on peut saisir les contours en l’insérant dans un jeu de représentation artistique et poétique plus vaste. C’est toute l’imbrication entre l’une et l’autre des fonctions attribuées à la brigade qui permet de saisir l’originalité du ton qui se déploie entre les camarades de la brigade laurentienne. L’hypothèse qui sous-tend cette affirmation est que la poétique propre à la brigata laurenziana se forge grâce au dialogue ludique qu’elle semble entretenir avec l’idéologie officielle décrite plus haut.

2. La célébration publique des amours de Laurent le Magnifique

7Un des épisodes les plus riches pour l’élaboration de cette poétique concerne les amours de Laurent de Médicis et Lucrezia Donati, une des jeunes femmes les plus en vue de Florence, descendante de la célèbre et déjà mythifiée, Piccarda Donati, que Dante évoque au chant III du Paradis18. Dans la sphère publique, cette histoire se décline selon un code courtois tout à fait classique : Lucrezia, mariée à Niccolò Ardinghelli est courtisée chastement par Laurent à grand renfort de bals, de tournois et de joutes lors desquels les participants, membres de la brigade, arborent les couleurs de la dame. Ces mises en scène s’inscrivent dans la droite ligne de la stratégie de représentation décrite par le poème cité plus haut19. Il se trouve que les représentations iconographiques que l’on peut rattacher à ce contexte abondent dans ce sens. L’iconographie est tout entière du côté de la narration officielle, sa dimension publique d’une part et le langage immédiatement compréhensible et accessible pour un large public d’autre part, en font un médium indispensable à la diffusion et à la cristallisation de l’imaginaire chevaleresque et courtois dans la Florence médicéenne des années 1460-1470.

8La première image qui peut nous aider à illustrer cette version des faits est une gravure décorative sur cuivre où seraient représentés Lucrezia et Laurent, dont la réalisation se situe entre 1465 et 1480.

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Fig. 1. Baccio Baldini, Jeune homme et jeune fille soutenant une sphère, 1470-1475, Paris, BNF (estampe, 14,4 cm de diamètre)

9Il s’agit de l’œuvre du graveur florentin Baccio Baldini20. L’image représente un couple de jeunes gens richement vêtus qui se tiennent l’un en face de l’autre, debout, leurs pieds posés sur deux rochers aux parois escarpées où l’on décèle quelques pousses d’herbe et de fleurs. Les deux personnages font la même taille et sont séparés par un cercle correspondant sans doute à une partie susceptible de rester vide en fonction du support auquel l’image était destinée21. La composition s’organise autour de ce cercle vide avec, à gauche, la figure masculine et, à droite, la figure féminine. Leur tête dépasse au-dessus de ce cercle et ils semblent se regarder dans les yeux. En bas du cercle se trouve une tête d’ange ailée, tandis qu’en haut, le cercle est surmonté par une sphère armillaire que la figure masculine effleure de sa main gauche et la figure féminine de sa main droite. De l’autre main, les personnages tiennent, chacun par une extrémité, une fine et légère banderole qui se déploie entre eux où l’on peut lire la devise suivante : « Amor vuol fé e dove fé non v’è amor non può22 ». L’inscription, placée symboliquement sur la banderole qui unit les deux figures, est une explicitation de la dimension courtoise de la scène : il s’agit d’une représentation allégorique de la fidélité des amants l’un envers l’autre. La préciosité des vêtements, la beauté idéalisée des deux jeunes gens, ainsi que leurs attitudes gracieuses et les ornements dont ils sont entourés, tout concourt à donner une image à la fois chaste et fastueuse de l’idylle amoureuse. La manche de la figure masculine est brodée d’un anneau renfermant trois plumes. Ce symbole correspond à une des armes (ou imprese) de Laurent de Médicis et permet donc d’identifier les deux personnages23. La devise constitue également une importante clé d’identification, comme nous le verrons plus bas.

10La deuxième image qui participe de cette sublimation des amours de Laurent le Magnifique est un grand panneau de Botticelli représentant une allégorie de la Force pour le Tribunal de Commerce de Florence, datant de 1470.

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Fig. 2. Sandro Botticelli, La Fortezza, 1470, Florence, Galerie des Offices (tempera sur bois, 167 x 87 cm)

11Il s’insère dans une série de sept panneaux représentant les vertus cardinales et théologales, tous les autres ayant été peints par Piero Pollaiolo24. Or il se pourrait que le visage de la figure extrêmement gracieuse soit celui de Lucrezia Donati25. Si le tableau n’évoque pas directement le corteggiamento qui nous intéresse, il est néanmoins significatif que la figure de la dame de Laurent ait pu servir de modèle à Botticelli dans cette peinture allégorique26. La mise en relief de la beauté de la jeune femme, insérée dans une construction architecturale qui constitue une référence aux qualités morales nécessaires au pouvoir judiciaire, devait participer à la mythification de la dame du Magnifique. La solennité qui se dégage d’une telle représentation participe donc indirectement à une forme de récit sacré des amours de Laurent qui devait exercer un certain ascendant charismatique sur la population. Bien que le caractère allégorique garantisse la chasteté et la vertu de cette figure, la volupté n’est pas absente du tableau : le mouvement et la coloration des joues lui confèrent une vitalité chaleureuse absente des autres vertus peintes par Pollaiolo. Or cette dialectique entre incarnation et allégorie résonne parfaitement avec les exigences du corteggiamento laurentien. Il n’est pas anodin que Botticelli ait pu choisir précisément les traits de Lucrezia Donati pour son allégorie, étant donné la sensibilité du peintre pour une conception néoplatonicienne de l’amour qu’il développera abondamment dans ses tableaux postérieurs mais dont celui-ci possède déjà le lyrisme et l’idéalisme27.

12Cette narration magnifiée se retrouve également dans la poésie pour ainsi dire officielle, c’est-à-dire encomiastique ou de circonstance, liée à des évènements précis de la vie des Médicis. Nous évoquions plus haut les tournois comme élément clé du réinvestissement par le pouvoir médicéen du vocabulaire chevaleresque. Ainsi, la joute organisée par la brigade en 1469, remportée par Laurent, est célébrée par Luigi Pulci dans un poème entièrement voué à la glorification de la famille des Médicis. Le poème de Pulci intitulé La Giostra reprend la narration des amours du Magnifique qui, selon la légende, seraient à l’origine même de cette épreuve guerrière, sorte de preuve d’amour de Laurent envers sa dame28. Dès lors il apparait tout à fait logique que le poème reprenne la devise que l’on trouve sur la gravure :

Ma certo il Laür mio, sempre costante,
non volle esser ingrato al suo signore ;
e, perché egli avea scritto in adamante
quello atto degno di celeste honore,
si ricordò come gentile amante,
d’un detto antico, che « vuol fede Amore »29 ;
e preparava già l’armi leggiadre;
ma nol consente il suo famoso padre30.

13On remarque l’omniprésence du champ lexical courtois et galant31 dont le style correspond tout à fait à l’idéalisme lyrique repéré dans les exemples iconographiques. Du fait du « detto antico », la poésie résonne comme une explicitation de la gravure qui, elle, est une parfaite illustration de ce pacte amoureux. En se répondant ainsi, les deux réalisations rendent particulièrement efficace ce récit légendaire dont la transposition nous permet d’apprécier la diffusion.

14Ces représentations s’attachent, par leurs moyens propres, à rendre sensible la fidélité des amants l’un à l’autre. Il est important d’insister ici sur la diffusion de ces représentations vouées à circuler largement au sein de la population : en un sens nous avons affaire ici à des supports pouvant aisément atteindre les masses, ou du moins une classe – puisque ce récit était avant tout destiné à séduire l’ensemble de la classe oligarchique. Nous pouvons rappeler brièvement que la gravure était facilement reproductible et devait sans doute orner de petits objets tels que les bossoli da spezie, c’est-à-dire de petites boites qui servaient de don galant entre jeunes nobles32. Quant au tableau de Botticelli, il était exposé dans un lieu public, le Tribunale di Mercanzia, c’est-à-dire la cour de justice qui exerçait sa juridiction sur les corporations marchandes de Florence. Il s’agissait donc d’un lieu clé du pouvoir de la cité, fréquenté par cette classe essentielle à l’exercice du pouvoir médicéen. Pour ce qui est du poème, il est plus délicat de se prononcer sur sa circulation au sein de la population, néanmoins il s’agit d’une commande du pouvoir pour célébrer un évènement public, voire grand public puisque la joute était en elle-même un véritable spectacle destiné à la population florentine. Ces représentations devaient être immédiatement compréhensibles dans un but éminemment politique. On peut d’ailleurs apprécier l’engouement de l’aristocratie florentine pour la mise en scène de cette histoire d’amour, et sa pénétration dans la population, grâce à la correspondance de Alessandra Macinghi (1408-1471), mariée à un membre de la famille Strozzi, une des familles marchandes les plus fortunées et influentes à Florence dans cette deuxième moitié du XVe siècle. La dame florentine s’intéresse visiblement à ce feuilleton amoureux au point d’informer son fils des dernières nouveautés de l’affaire dans une lettre relativement célèbre33 où elle décrit un bal donné par la brigade de Laurent le 3 février 1466 dans la sala del papa à l’intérieur du couvent de l’église de Santa Maria Novella :

Ricordami ora di dirti, che Niccolò Ardingelli ti potrà pagare ; che si dice ha vinto bene otto mila fiorini. Doverra'lo avere sentito alla tornata delle galee. La donna sua è qua, e gode; che s’ha fatto di nuovo un vedistire’ con una livrea, e suvvi poche perle, ma grosse e belle: e cosi si fece a dì 3, a suo stanza, un ballo nella sala del Papa a Santa Maria Novella; che l'ordinorono Lorenzo di Piero. E fu lui con una brigata di giovani vestiti della livrea di lei, cioppette pagonazze ricamate di belle perle. E Lorenzo è quegli che portano bruno colla livrea delle perle, e di gran pregio! Sicché fanno festa della vincita di tanti danari34.

15On voit bien dans cette lettre la fascination qu’exercent les jeunes amants, notamment à travers la description admirative et précise des vêtements et des ornements dont ils sont parés (« di gran pregio ! » prend soin de souligner Alessandra Macinghi). Le respect des codes de l’amour courtois s’incarne dans le code vestimentaire puisque la brigade de Laurent arbore les couleurs de Lucrezia : « vestiti della livrea di lei ». Dans cette lettre aux allures de matinée proustienne – mêlée de préoccupation toute florentine pour l’ampleur des dépenses – se lit toute l’efficacité de cette stratégie du pouvoir visant à renforcer l’ascendant des Médicis sur les autres familles florentines au moyen de tout un arsenal de représentations et de festivités dans lequel les amours de Laurent et Lucrezia sont l’agent de l’image sublimée que les puissants souhaitent donner d’eux-mêmes. Cependant, c’est seulement en mettant en relation cette version des faits avec une production beaucoup plus confidentielle, interne à la brigade, que nous pouvons comprendre véritablement à quel point ce discours est le fruit d’une construction consciente qui trouve sa raison d’être avant tout dans l’autoreprésentation du pouvoir et bien moins dans la réalité des sentiments.

3. Connivence et distance ironique dans la correspondance privée

16À ce storytelling officiel (c’est-à-dire un macro-récit structurant l'image personnelle de Laurent à des fins de représentation politique) se superpose une autre interprétation du corteggiamento, propre aux membres de la brigade et qui n’avait pas vocation à circuler en dehors du cercle intime. Sur l’imaginaire courtois va bien vite venir se greffer un rire grivois qui révèle la légèreté caractéristique de cette assemblée. La relation entre Laurent et Lucrezia sert ainsi de prétexte à de nombreuses activités de la brigade et aux échanges entre les amis au point de devenir un des éléments fédérateurs de ce petit cercle. Plus précisément, ces échanges privés, par le jeu qu’ils instaurent avec la version officielle, sont le lieu d’élaboration d’un vocabulaire poétique commun, voué à cultiver la complicité entre Laurent et ses compagnons. Ce vocabulaire se caractérise par une mise à distance ironique de tout l’imaginaire courtois, fissuré par un langage d’inspiration populaire.

17Deux épisodes liés à des absences de Laurent de Florence nous permettent d’apprécier la teneur de ces échanges, grâce aux lettres qu’il reçoit de la part de ses compagnons. Le premier épisode remonte au mois d’avril 1465 lorsque Laurent est envoyé par son père Pierre en mission diplomatique à Milan, auprès de la cour Sforza. Comme l’écrit Luigi Pulci dans une lettre du 27 avril, l’absence de Laurent pèse à la brigade : « Caro mio Lorenzo, tu ci lasciasti sì sconsolati nel tuo partire ch’io non credo ancora poter sostenere la penna a scriverti questa lettera35 ». L’emploi de la première personne du pluriel fait sans doute référence au groupe de la brigade dans lequel Pulci s’inclut, tout en mettant en avant un rapport privilégié avec Laurent à travers l’emploi, immédiatement après, de la première personne, renforcée par le io qui fait émerger Pulci du groupe36. Le ton élégiaque laisse place ensuite à une lettre pleine de doubles sens et de sous-entendus dans un style jargonnant, difficilement déchiffrable par d’autres que les amis de la brigade37. On peut légitimement imaginer que ces lettres prolongent le ton de conversations joyeuses qui se tenaient lors des réunions intimes. Toutefois, elles sont aussi le lieu d’une élaboration écrite, donc peut-être plus consciente et travaillée et surtout permettant des jeux de mots et un véritable plaisir du texte qui sont les caractéristiques propres de la poétique des textes que l’on peut rattacher à ce contexte de la brigata laurenziana38. Parmi ces échanges, une lettre attire particulièrement notre attention, celle de Braccio Martelli, envoyée le même jour que celle de Pulci. Avec le même ton de regret et de tristesse dans laquelle l’éloignement de Laurent plonge les compagnons de la brigade, Braccio revient sur les joyeuses réunions qui continuent malgré l’absence de Laurent, avec comme fil rouge l’attente de Lucrezia Donati. La première phrase de la lettre annonce clairement les intentions du correspondant :

Benché io conosca, caro mio Lorenzo, che il narrarti quello che è seguito dipoi la partita tua sarà, da una parte, uno darti, anzi accrescerti, passione del non ti ci essere trovato, niente di manco, da altra parte, desiderando io dimostrarti l'opera nostra non meno in tua absenzia che in presenzia, anzi molto più, essere stata per te, ho più tosto voluto per questa lettera darti qualche amaro piacere che tacere questa nostra felicità; alla perfezione della quale certo niente è mancato, excepto la tua da noi, e da ÷ ancora, molto desiderata presenzia39.

18On peut d’ores et déjà affirmer que le symbole ÷ désigne Lucrezia Donati40. Cet usage d’un langage codé, qui se poursuivra tout au long de la lettre, puisqu’à chaque nom correspond un numéro ou un symbole41, est déjà le signe d’une confidentialité extrême, qui ne devait être comprise que par celui à qui la lettre est destinée. Le but de la lettre est donc de rendre Laurent envieux des soirées qu’il est contraint de rater et on peut déceler une forme de malin plaisir dans la description des réjouissances de la brigade, qui sonne également comme un programme poétique : « Or quivi quello che seguì, non che io giovene indocto et inexperto sanza alcuna facultà di scrivere, ma il fonte d’eloquenzia Giovanni Boccaccio, divino narratore di simili cose, non sarebbe abbastanzia42 ». Cette citation révèle une tout autre sensibilité par rapport à celle que nous avons décrite auparavant puisqu’à la rhétorique courtoise se substitue le modèle littéraire de Boccace. Bien qu’il ne cite pas d’œuvre en particulier, on peut penser que Braccio se réfère ici plutôt au Boccace du Décaméron dont le seul nom suffit à rendre l’idée de propos lestes et de personnages espiègles plongés dans une atmosphère joyeuse et licencieuse, ce qui correspond précisément au ton et aux évènements de la lettre. En effet, peu après, Braccio évoque la consommation du mariage entre Lucrezia et Niccolò Ardinghelli (désigné par le numéro 4), dans un passage entièrement codé qui rend encore plus savoureuse la description obscène qu’il contient :

Io non posso lasciare indietro alcune parole di .16. lequali a me in questa forma usò dire: *Non credere a* .6. *che* .4. *si sia indugiato che le luia sieno aperte, ché sono sei dì già che detto*. 4 . *le aperse sciarpello a* ÷, et *io gli fe’ la guardia* et *sai che*.4. *ha un cazzo che pare uno corno di bue*. Et ista sunt verba .16., et illi *imputes*43.

19On peut apprécier à quel point cette liberté de ton et ce plaisir grivois apparaissent distants du corteggiamento chaste et idéalisé mis en scène dans la sphère publique. La lettre entière peut être lue comme un renversement complet de la sensibilité culturelle et du langage utilisé dans la diffusion massive du récit de cet amour. Elle est davantage le prétexte à des amusements, à un jeu qui semble répondre à toute la mythification publique, et la légèreté avec laquelle Braccio se permet de parler de l’amante présumée de Laurent est révélatrice de la dimension instrumentale et facétieuse qu’avait cette histoire aux yeux de la brigade. Enfin, les éléments clés de la poétique de cette lettre se retrouvent dans de nombreux échanges de la période, comme le langage codé par exemple qui est une constante des lettres de la brigade44, de même que ce plaisir des mots et la veine parodique se retrouvent en particulier chez Luigi Pulci, qui est finalement le seul membre de la brigade (à part Laurent lui-même) à avoir une véritable activité littéraire, et qui commence précisément dans ces années la rédaction de son œuvre maîtresse, le Morgante45. Un dernier passage de cette lettre nous semble particulièrement révélateur de cette poétique. Braccio dresse une liste suggestive et toujours codée des mets dégustés et des danses pratiquées pendant ces fêtes : « non domandare se la cosa passò bene! non *arrosto*, non *carbonata*, non *gioiosa*, non *chirintana*, non denique *cornamusa*, si lasciò indrieto46 ». Il se dégage de ce passage une esthétique proche de celle exprimée par Pulci, par exemple dans le crédo de Margutte qui résonne avec cet extrait pour son caractère hétéroclite, comique et technique. Plusieurs éléments nous permettent de saisir l’inspiration pulcienne de ce passage : le plaisir de la liste faite de mots rares empruntés aux lexiques spécialisés de la musique, de la danse et des techniques culinaires, l’usage facétieux du latin qui semble vouloir donner un semblant de dignité à ce répertoire en parodiant les discours savants, l’impression chaotique et joyeuse qui se dégage de l’énumération par laquelle Braccio rend présente aux yeux et aux oreilles de Laurent l’allégresse de cette soirée. On peut enfin remarquer que Braccio commence par intégrer son interlocuteur dans sa lettre grâce à une question rhétorique dont la formulation rappelle le style canterino : « non domandar se la cosa passò bene ! ». Cette formule achève d’inscrire la lettre dans une culture populaire particulièrement distante de la production encomiastique officielle.

20Le deuxième épisode, sur lequel nous voudrions terminer, se déroule lors d’une autre mission diplomatique de Laurent, cette fois envoyé à Rome en 1466 pour discuter de l’exploitation de gisements miniers dans les territoires du pape. L’informateur de Laurent est Sigismondo della Stufa, un autre membre de la brigade qui recourt lui aussi à un langage codé en masquant l’identité de Lucrezia sous le terme « l’amico », ce qui détermine l’emploi du masculin pour parler de Lucrezia tout au long de la lettre. Il pourrait s’agir d’un code interne à la brigade puisque le même terme revient sous la plume de Bernardo Rucellai47 :

Io ti so dire che l’amico gonfiò bene quando io gli dissi come tu mandavi a scusare del non havere havuto tempo a scrivergli e si turbò tutto e tolsemi la lettera di mano per vedere se era di tua mano ; di poi disse : « fatti con Dio », sanza dirmi altro per allora. La medicina operò bene, ma era una altra in corpo che lo fa ire 100 miglia per hora e non può rigettare argomento che e’ si faccia, in modo ne dubito forte della salute sua. E mi pare mille anni che tu torni e intenderai cose assai48.

21L’interprétation de cette partie nécessiterait de plus amples développements. À première vue, nous remarquons la dimension topique de la saynète amoureuse jouée autour de la lettre, ainsi que la description des effets physiques de l’amour, comparée à une medicina. Or cette physiologie de la passion amoureuse pourrait s’avérer moins métaphorique qu’il n’y parait puisque les termes employés sont empruntés à un vocabulaire médical cru, non sans rapport avec le bas corporel49. La trivialité est moins immédiatement perceptible dans la suite de la lettre où Sigismondo della Stufa semble convoquer un imaginaire pétrarquien et stilnoviste lorsqu’il relate sa rencontre avec la jeune femme devant l’église de Santa Maria Annunziata, la veille de la fête de l’Annonciation :

Io ti prometto che e’ non ci si vede nulla in nessuno luogo: né a Santo Miniato, né a Fiesole, né a santo Gaggio. Ma bene è vero che la vigilia della Donna lo riscontrai sul lastrico de’ Servi, che pareva confesso e tutto contrito de’ sua peccati sanza fuco alcuno, che non vedesti mai sì bella cosa, con quella vesta nera et il capo velato, con que’ suavi passi che pare che le pietre e le mur gli faccino riverenzia quando va per la via. Io non voglio dir più avanti, per non ti fare peccare in questi dì santi. E se tu vuoi sentirne novella, torna 50

22Cette rencontre est tout entière décrite dans un style qui imite, en prose, les vers du Canzoniere de Pétrarque et, en particulier, sa rencontre avec Laura, le vendredi saint pendant le carême. Le rythme régulier et ample de cette lettre, les multiples négations qui visent à faire ressentir l’incomparable beauté de la dame, son air chaste et vertueux, ses cheveux voilés sont autant d’éléments qui rappellent la description de Laura par le poète. Toutefois, on perçoit aussi dans cette lettre une forme d’amusement, de maniement ironique de ces codes littéraires. En effet, Lucrezia, d’après Sigismondo, ne s’est rendue dans aucune église de la ville pour accomplir sa pénitence, si grande était sa douleur causée par l’absence de Laurent. Elle apparaît cependant « confess[a] e tutt[a] contrit[a] de’ sua peccati » tout comme si elle avait accompli à la perfection son parcours de pénitence en se rendant dans les lieux saints énumérés par Sigismondo. Les effets visibles de la douleur qui se lisent sur le visage de la dame ne seraient pas causés par une repentance bien accomplie mais résulteraient bien du séjour prolongé de Laurent loin de Florence. De même, le voile qu’elle arbore pourrait être lu comme le signe du deuil dans lequel la plonge le départ de Laurent. On voit donc ici la façon dont les éléments traditionnels sont exagérés et détournés. Il ne s’agit pas de faire de Lucrezia la parfaite pénitente (à l’inverse de Béatrice ou de Laura dont la piété ne faisait aucun doute) mais bien d’insister sur son attachement à Laurent, d’exagérer sa douleur pour jouer avec les attentes du destinataire, d’entretenir plaisamment cette histoire et plaider pour un retour rapide de Laurent à Florence51. L’exagération est particulièrement lisible dans l’avant-dernière phrase de l’extrait cité (« pare che le pietre e le mur gli faccino riverenzia quando va per la via ») où la description hyperbolique de la beauté de la dame a quelque chose de ludique et ne peut pas être lue comme une reprise sérieuse des topoï, ici poussés au paroxysme. Enfin, le ton badin de la toute dernière phrase, qui frôle d’ailleurs l’impiété, achève de briser toute ambigüité sur la chasteté présumée de cet amour, mettant encore plus à distance les figures féminines idéalisées de la tradition pétrarquiste et stilnoviste. Or ce maniement amusé des références poétiques toscanes fait pleinement partie de la poétique des œuvres qu’écrivent Laurent et Pulci à cette même période52. L’exemple de Sigismondo della Stufa n’est sans doute pas moins subversif que celui de Braccio Martelli et il nous éclaire tout autant sur les fonctions que revêtait l’évocation de cette histoire d’amour dans les échanges privés. Il s’agissait avant tout d’un inside joke qui servait de prétexte à ces jeux d’écriture et entretenait la connivence entre les membres de la brigade53.

23Ainsi, ces exemples montrent comment l’histoire d’amour de Laurent avec Lucrezia Donati, si elle se décline selon un modèle courtois des plus classiques grâce à des représentations qui visent un large public, est également contaminée par une tradition littéraire différente, capable de subvertir cette image chaste dans un contexte privé et de renverser l’image des divertissements que l’on attendait de ces jeunes Florentins, assimilés à de preux chevaliers. C’est précisément en étudiant la transposition, l’adaptation de ce récit de la sphère publique à la sphère privée que l’on peut apprécier le changement de poétique et de langage que cela implique avec, d’une part, une production littéraire ou iconographique immédiatement compréhensible, accessible au plus grand nombre, destinée à circuler si ce n’est massivement du moins au sein de l’élite oligarchique, et d’autre part, un langage codé, destiné à n’être compris que par quelques happy few, qui développe un jeu subtil de mise à distance des topoï courtois exhibés comme tels.

24Pour conclure, en étudiant les multiples visages de cet épisode, nous avons voulu saisir, dans le décalage entre parole publique et parole privée, quelques-uns des éléments qui composent l’identité poétique de la brigade laurentienne, à savoir un langage complice fondé sur des références littéraires communes, maniées avec ironie. La connivence interne, mêlée à la distanciation ironique, permet de comprendre que cette assemblée est à la fois une émanation et une remise en question du contexte artistique et politique au sein duquel elle se forge. Cette plurivocité est avant tout un témoignage parlant du fonctionnement de la rhétorique du pouvoir politique et de l’importance de sa mise en scène par les arts. Dans cette phase pré-laurentienne du pouvoir médicéen, cette rhétorique est destinée à un public bien particulier, que ce soit à travers des supports littéraires et artistiques destinés à séduire l’élite florentine ou bien à travers un langage plus confidentiel voué à entretenir une complicité au sein de la brigade : il s’agit finalement de fédérer la classe oligarchique autour des Médicis et de la figure de Laurent en particulier. Le vocabulaire chevaleresque et courtois employé ici est hérité d’une culture communale assurément oligarchique, apte à magnifier le jeune Laurent, issu de ce monde, primus inter pares, mais qui ne se situe pas au-dessus de ses pairs. La structure de brigade montre bien cette dynamique puisque si Laurent est au centre de l’attention de ses amis, ces derniers s’adressent à lui avec une liberté de ton qui laisse transparaitre une forme d’égalité de statut entre eux. Or cet équilibre va bientôt être renversé puisque la maturité politique de Laurent passera par l’affirmation d’un pouvoir seigneurial dont les dimensions culturelles se scindent, pour ainsi dire, en deux pôles : d’un côté un raffinement élitiste réservé à quelques personnages choisis et de l’autre un langage exclusivement populaire destiné à entretenir un lien direct entre le seigneur et son peuple. On assiste alors à la disparition d’un langage intermédiaire54 où pouvaient se côtoyer esthétique courtisane et goût populaire, ce qui constituait l’identité poétique de la brigade laurentienne. Ce paradigme culturel varie selon les nécessités politiques en s’adaptant, grâce au maniement habile des arts, à la nature du public qu’il convient de séduire. Il nous semble ainsi que nos exemples montrent, en germe, les ambiguïtés et la versatilité du programme culturel laurentien qui s’adapte aussi bien à la qualité des temps qu’aux ambitions médicéennes.

Notes

1  Nous traduisons le terme italien brigata par le français « brigade » bien qu’il donne une connotation militaire absente du terme italien tel qu’il est utilisé à l’époque. En italien et dans le contexte qui nous occupe, une brigata désigne une forme de sociabilité règlementée et, de façon générique, une « réunion de personnes (pour converser et se divertir) ; assemblée amicale, compagnie, groupe. » (S. Battaglia, Grande dizionario della lingua italiana, vol. 2, Turin, UTET, 1961, p. 377, c’est nous qui traduisons).

2 Peu d’études ont été consacrées entièrement à la brigade laurentienne. Toutefois, cette assemblée est mentionnée presque systématiquement lorsqu’il s’agit de décrire la jeunesse de Laurent de Médicis. Le portrait le plus complet de la brigade laurentienne se trouve dans A. Rochon, La jeunesse de Laurent des Médicis (1449-1478), Les Belles Lettres, 1963. La sociabilité dans laquelle s’inscrivent les jeunes années de Laurent de Médicis est également décrite par G. Busi, Lorenzo de’ Medici. Una vita da magnifico, Milan, Mondadori, 2016, en particulier p. 15-108. Sur certaines des activités oisives de la brigade, nous renvoyons à R. Comanducci, ‟Svaghi in villa” della brigata medicea, dans La Valtiberina. Lorenzo e i Medici, G. Renzi (dir.), Florence, Leo S. Olschki Editore, 1995, p. 63-78. Pour un regard d’ensemble sur la jeunesse « seigneuriale » de Laurent, voir I. Walter, Lorenzo il Magnifico e il suo tempo, R. Zapperi (trad.), Rome, Donzelli, 2005. Le chapitre IV, « Un’allegra brigata » est consacré à la brigade laurentienne p. 59-73. Sur les activités littéraires de la brigade, nous renvoyons à P. Orvieto, « Angelo Poliziano “compare” della brigata laurenziana », dans Lettere Italiane, vol. 25, n° 3, juillet-septembre 1973, p. 301-318.

3 Pour une description générale et précise du fonctionnement des brigades à l’époque de Laurent de Médicis et de leur rôle festif et politique, nous renvoyons à L. Ricciardi, Col senno, col tesoro e con la lancia : riti e giochi cavallereschi nella Firenze del Magnifico Lorenzo, Florence, Le Lettere, 1992.

4 Nous connaissons peu de choses sur la vie de Lucrezia Donati mais quelques éléments sont recensés dans A. Rochon, op. cit., p. 94-97. Les circonstances du choix de Lucrezia Donati par Laurent et les évènements qui y sont liés sont bien retracés par I. Walter et R. Zapperi dans le chapitre « Lorenzo de’ Medici e Lucrezia Donati », dans Il ritratto dell’amata. Storie d’amore da Petrarca a Tiziano, Milan, Donzelli, 2006, p. 21-30. C. Dempsey explore en détail le rôle allégorique de l’amour au sein de la culture laurentienne et son incarnation dans la figure de Lucrezia Donati dans The Portrayal of Love : Botticelli’s Primavera and humanist culture at the time of Lorenzo the Magnificent, Princeton, Princeton University Press, 1992. Sur Lucrezia en particulier, nous renvoyons au chapitre III : « Poetry as History. Lucrezia Donati, Luigi Pulci’s “Da poi che ‘l Lauro”, and Some Poems by Lorenzo de’ Medici », p. 79-113.

5 La rencontre avec Lucrezia est racontée a posteriori par Laurent de Médicis dans le Commento de’ mei sonetti dans Lorenzo de’ Medici, Opere, T. Zanato (éd.), Turin, Einaudi, 1992, p. 607-608. La critique reconnait le contexte autobiographique de cette rencontre tout en précisant qu’il s’agit d’une reconstruction littéraire grâce à laquelle Laurent se rattache à la tradition stilnoviste. Sur la lecture pétrarquiste des amours de Laurent et Lucrezia, voir I. Walter et R. Zapperi, op. cit., p. 29-30. Sur le contexte littéraire du Commento, voir T. Zanato, Saggio sul commento di Lorenzo de’ Medici, Florence, Leo S. Olschki, 1979, p. 207-208. Sur l’évolution des goûts littéraires de Laurent en lien avec sa position de pouvoir à Florence, nous renvoyons à M. Martelli, Letteratura fiorentina del Quattrocento. Il filtro degli anni Sessanta, Florence, Le Lettere, 1996.

6 Sur la structure sociale de Florence à la Renaissance et ses différentes formes de sociabilité, voir R. C. Trexler, Public Life in Renaissance Florence, New York, Cornell University Press, 1980.

7 Sur le prestige de la chevalerie à Florence, nous renvoyons à G. Salvemini, « La dignità cavalleresca nel Comune di Firenze e altri scritti », dans Scritti di storia medievale, E. Sestan (dir.), Milan, Feltrinelli, 1972, p. 99-203. Pour une perspective d’ensemble concernant la question de la chevalerie à Florence, voir F. Cardini, L’acciar de’ cavalieri : studi sulla cavalleria nel mondo toscano e italico (XII-XV), Florence, Le Lettere, 1997 et R. Davidsohn, Storia di Firenze, vol. IV, I primordi della civiltà fiorentina, E. Dupré-Theseider (trad.), Florence, Sansoni, 1977. Sur les liens entre les brigades et la chevalerie, voir L. Ricci, op. cit, en particulier le chapitre IV « Un sodalizio cavalleresco : la brigata », p. 71-83.

8 Pour un cadre d’ensemble sur les fêtes florentines et leur rôle politique au temps de Laurent de Médicis, nous renvoyons à P. Ventrone, « Feste e spettacoli nella Firenze di Lorenzo il Magnifico », dans Le Tems Revient – ‘l Tempo si Rinnova, Feste e spettacoli nella Firenze di Lorenzo il Magnifico, catalogue de l’exposition au Palazzo Medici Ricciardi (8 avril – 30 juin 1992), Cinsello Balsamo, Florence, Silvana editoriale, 1992, p. 21-53. Voir également N. Carew-Reid, Les fêtes florentines au temps de Lorenzo il Magnifico, Florence, L. S. Olschki, 1995. Pour un cadre historique complet, voir M. Plaisance, Florence. Fêtes, spectacles et politique à l’époque de la Renaissance, Rome, Vecchiarelli editore, 2008. Sur le rôle spécifique de la brigade laurentienne dans cette société festive, voir P. Orvieto, « Carnevale e feste del tempo di Lorenzo de' Medici », dans Passare il tempo. La letteratura del gioco e dell'intrattenimento dal XII al XVI secolo, vol. 1, Actes du colloque de Plaisance (10-14 septembre 1995), Rome, Salerno editrice, 1993, p. 161-188.

9 Il est difficile d’établir une liste précise de l’ensemble des jeunes gens qui accompagnaient Laurent lors de cette première sortie publique. Il s’agit certainement de jeunes hommes de la même génération que Laurent, appartenant à l’aristocratie florentine. On peut penser que la physionomie de la brigade évolue entre cette première sortie où Laurent n’a que dix ans et son entourage intime lors de sa première jeunesse quelques années plus tard (vers 1465), au moment où la brigade devient également un cercle de divertissement littéraire où Laurent fait ses premières armes poétiques. Néanmoins, une certaine continuité n’est pas à exclure complètement puisque la plupart des membres identifiables de la brigade laurentienne est issue du même monde que Laurent. Dans les années 1465-1470 la brigade comptait sans doute les membres suivants : Braccio Martelli (1442-1513), Dionigi Pucci (1442-1494), Pietro Alamanni (1434-1519), Bernardo Rucellai (1448-1514), Guglielmo de’ Pazzi (1437-1516), Sigismondo della Stufa (1454-1525), Giovanfrancesco Ventura (1442-1478), Luigi Pulci (1432-1482) dont on se doit de souligner cependant le décalage générationnel avec Laurent et les autres membres identifiés de la brigade. On peut faire l’hypothèse que d’autres personnages gravitaient autour de ce noyau. La structure exacte de la brigade laurentienne n’a pas encore été établie avec certitude par la critique.

10 Sur la politique de Florence et les relations des Médicis avec le pape et avec la cour Sforza, voir N. Rubinstein, The Government of Florence under the Medici : 1434 to 1494, Oxford, Warburg studies, 1997. Les festivités liées à cet évènement sont décrites par L. Ricciardi, op. cit., dans le chapitre VII « Le feste dell’aprile 1459 », p. 129-160. Le rôle spécifiquement politique des festivités de l’année 1459 est étudié par T. Picquet dans « Les rites festifs florentins de la Renaissance », dans Cahiers d’études romanes n°18, 2008, p. 55-73.

11 Les festivités organisées à cette occasion sont décrites dans deux poèmes anonymes du XVe siècle : Ricordi di Firenze dell’anno 1459 et Terze rime in lode di Cosimo de’ Medici e de’ figli e dell’onoranza fatta l’anno 1458 [il s’agit du calendrier florentin mais la date est bien 1459] al figl.° del duca di Milano e al papa nella loro venuta a Firenze. D’auteur anonyme, le manuscrit du premier poème est conservé dans la bibliothèque nationale de Florence : Codice Magliabecchiano 24, Cl. XXV. Il a ensuite été publié dans Ricordi di Firenze dell’anno 1459, G. Volpi (éd.), Rerum italicum scriptorum, vol. XXVII, Città di Castello-S. Lapi, 1907. Le second poème est également anonyme et il est conservé à la bibliothèque nationale de Florence : Codice Magliabecchiano 1121, Cl. VII. De nombreux passages du texte sont retranscrits dans G. Volpi, Le feste di Firenze del 1459: notizie di un poemetto del secolo XV, Pistoia, Pagnini, 1902. Il a été étudié et retranscrit par N. Newbigin dans « Le onoranze di Firenze dell’anno 1459. Poema anonimo », dans Letteratura italiana antica, n°12, 2011, p. 17-81.

12 Sur ce poème, voir aussi L. Ricciardi, op. cit. p. 152-160 et T. Picquet, art. cit., p. 68-69.

13 Ricordi di Firenze dell’anno 1459, op. cit., p. 29 : « habiles et hardis comme Lancelot », c’est nous qui traduisons.

14 Ibid., p. 30 : « Vint ensuite un jeune homme très viril, / son âge est jeune mais son savoir ancien, / sa voix est encore enfantine. / Si son pouvoir est grand pour maintes raisons, / c’est parce que sa famille peut beaucoup. / Et cela clairement peut se voir : / Il est le fils de Pierre et le petit-fils de Côme. » (sauf mention contraire, c’est nous qui traduisons l’ensemble des citations intégrées dans le corps du texte).

15 Cette comparaison est un topos de la poésie encomiastique en l’honneur de Laurent, que ce soit chez les frères Pulci ou chez Ange Politien. Sur la fortune de Virgile dans la poésie du Quattrocento, nous renvoyons à V. Zabughin, Vergilio nel Rinascimento italiano da Dante a Torquato Tasso : fortuna, studi, imitazioni, traduzione e parodie, iconografia, S. Carrai et A. Cavarzere (dir.) Università degli studi di Trento, Dipartimento di scienze filologiche e storiche, 2000.

16 Ibid., p. 30-32. « Ainsi ces gentilshommes le proclament seigneur / puisqu’ils avaient entendu l’harmonie des notes [faites par le char de la procession]. / C’est alors que le jeune homme, avisé de ce ban, / voulut montrer à l’ensemble de ces gens, / qu’ils étaient tous assujettis à un même seigneur [c’est-à-dire à l’Amour]. / Pour en éclairer tous les détails, / dans un grand triomphe, il fit venir Cupidon / qui blesse avec tant de douceur les cœurs nobles. […] À présent s’avance l’honnête garçon, / sur son cheval merveilleusement orné. / Tous observent ses gestes. / Ses yeux étaient deux étoiles brillantes sous ses cils / et son vêtement valait un grand trésor, / la foule murmure pleine d’admiration. / Son vêtement dépasse de beaucoup / tous ceux dont nous avons parlé, / démontrant par là qu’il est leur seigneur. / Le jeune homme, puisqu’il est prudent et sage, / lança la marche du char du dieu Amour ; / en jouant de ses armes, il conduisit les autres dans ce voyage. / Tel un seigneur il s’avançait avec eux / avec d’une foule de serviteurs, / et tant de lumières que c’était merveille à voir. / Chacun est heureux de bien le servir. […] »

17  Ibid., p. 31. « Ce jeune homme sage et valeureux / conduisit la foule jusqu’à un beau port, / à savoir sa demeure, avec élégance et agilité. / Chacun s’installa selon son envie. / Tel un seigneur il ordonna / qu’on apporte du vin et des friandises, / afin qu’on puisse se restaurer en son hôtel. »

18 Dante, Paradiso, A. M. Chiavacci (éd.), Oscar Mondadori, Milan, 2018 p. 85-99. Une telle descendance mythique servant à anoblir Lucrezia est exploitée dans la production poétique encomiastique des frères Pulci. Luca Pulci dans la première Pistola dit de Lucrezia qu’elle est «nuova luce rinata di Piccarda» (v. 104), et dans la Giostra, Luigi rappelle que Lucrezia est née «dal nobil sangue di Piccarda» (octave VII).

19 Les liens entre mise en scène amoureuse et mise en scène chevaleresque sont étudiés dans le chapitre intitulé « La ‘dama’ ovvero l’idealizzazione cavalleresca della donna nella cerimonialità degli anni Sessanta : Marietta degli Strozzi e Lucrezia Donati Ardinghelli. », dans G. Lazzi et P. Ventrone, Simonetta Vespucci. La nascita della Venere fiorentina, Florence, Edizioni Polistampa, 2007, p. 17-27.

20 Pour l’insertion de la gravure dans les productions artistiques de l’époque, voir A. Warburg, The renewal of pagan Antiquity: contributions to the cultural history of the European Renaissance, D. Britt (trad.), Los Angeles, Getty research institute for the history of art and the humanitites, 1999, en particulier le chapitre « On Imprese Amorose in the Earliest Florentine Engravings. », p. 169-183. Il s’agit de la première identification formelle de cette image avec Lucrezia Donati et Laurent de Médicis. Baccio Baldini aurait réalisé une série de 24 gravures, dont celle-ci, pour décorer les couvercles de petites boîtes. L’image est également reproduite dans L. Ricciardi, op. cit., p. 229 (fig. 24) ; dans C. Dempsey, op. cit. p. 17 ; dans I. Walter, op. cit., (fig. 10) ; dans G. Lazzi et P. Ventrone, op. cit. (fig 8).

21 A. Warburg : « The impressions of each image were intended to be used on different occasions, as is shown by the circular blanks or unmarked escutcheons », op. cit., p. 169. 

22 Nous transcrivons la devise, écrite de la manière suivante : « AMOR .VVOL FE EDOVE. FE. NONNE. AMOR NONPVO ». Nous la traduisons ainsi : « L’Amour exige la constance, là où la constance n’est pas, l’amour ne peut pas être ».

23 Nous reprenons ici l’analyse d’A. Warburg qui affirme cette identification : « His wide, embroidered sleeve, which he sports almost like a shield, bears the device of a ring with three ostrich feathers that is known to history as the personal impresa of Lorenzo il Magnifico », op. cit., p. 172.

24 Sur l’histoire de cette série et les relations entre Pollaiolo et Botticelli, voir J. Mesnil, « Les figures de vertus de la Mercanzia. Piero Pollaiolo et Botticelli », dans Miscelanea d’arte, mars 1933, p. 43-46 et Id., « Botticelli, les Pollaioli et Verrocchio », dans Rivista d’arte, n°3, janvier 1905, p. 4-12.

25 Nous reprenons ici l’analyse développée par C. Dempsey (op. cit., p. 136.) qui rapproche le visage de ce tableau du portrait de Lucrezia peint par Verrocchio sur commande de Laurent, aujourd’hui perdu mais reconnaissable dans des esquisses : « The same face appears, almost in a reversal of Verrocchio’s cartoon, in an abstract, allegorical context in Botticelli’s remarkably Verrochio-like Fortitude in the Uffizi. ».

26 J. Mesnil, en retraçant l’histoire de la commande de ce panneau, affirme que ce dernier avait été confié à Botticelli sur intervention des Médicis par l’intermédiaire de Tommaso Soderini, ce qui viendrait confirmer l’idée d’un lien particulier entre ce premier tableau de Botticelli et les Médicis. Voir J. Mesnil, art. cit. et J. Mesnil, « Connaissons-nous Botticelli ? », dans Gazette des Beaux-Arts, juillet 1930, p. 86.

27 Sur l’interprétation néoplatonicienne des tableaux de Botticelli, voir E. H. Gombrich, « Botticelli's Mythologies. A study in the neoplatonic symbolism of his circle », dans Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, n°8, 1945, p. 7-60. Sur les rapports personnels et artistiques de Botticelli avec le monde médicéen et en particulier avec Laurent dans les années 1470-1480, voir A. Chastel, « Botticelli et la dramaturgie sensible », dans Art et humanisme à Florence au temps de Laurent le Magnifique, Presses Universitaires de France, 1959, p. 379-386. Voir également C. Dempsey « Sandro Botticelli and Poliziano. Humanist Learning and the Vernacular », dans The Early Renaissance and Vernacular Culture, Cambridge, Harvard University Press, 2012, p. 67-115.

28 La huitième octave du poème est dédiée à la légende selon laquelle Lucrezia aurait offert une guirlande de violettes à Laurent en lui demandant de la porter en signe d’amour lors du prochain tournoi. Voir Luigi Pulci, Morgante e opere minori, A. Greco (éd), Turin, UTET, 2004, p. 1323.

29 A. Warbug (op. cit., p. 172) lit déjà la devise de la gravure à la lumière des vers de Pulci et considère ce rapprochement comme la clé permettant d’asseoir avec certitude l’identification des figures de la gravure avec Laurent de Médicis et Lucrezia Donati.

30 Ibid., p. 1324. Nous reprenons ici la traduction de P. Sarrazin : « Mais mon Laurier certainement, toujours constant, / ne veut être infidèle à son seigneur ; / et parce qu’il avait gravé sur diamant / ce fait méritant les honneurs du ciel, / celui-ci se souvint, comme un gentil amant, / d’un vieux dicton, ‘l’Amour veut la constance’ ; / et déjà préparait armements somptueux ; / mais s’y est opposé le sien père fameux. », dans Luigi Pulci, La joute et autres œuvres poétiques, augmentées de diverses pièces composées dans le cercle des Médicis, P. Sarrazin (trad.), Turnhout, Brepols, 2007, p. 7.

31 Soulignons que Laurent se soumet à l’amour personnifié par l’expression « suo signore » qui rappelle le lexique employé dans le Ricordo, tout comme la tournure stilnoviste « gentile amante ».

32 Nous reprenons ici les analyses d’A. Warburg: « These tondi are, in fact, ideally suited, in shape and in size, to be stuck to the lids of the little spice boxes (bossoli da spezie) that the well-bred suitor was wont to present to the lady of his heart. The printed tondi could thus take the place of paintings on the lids of these little love gifts. » Op. cit., p. 169. L. Ricciardi parle de « scatoline-dono », op. cit., p. 229.

33 La lettre est abondamment citée dans la critique et notamment par A. Warburg (op. cit., p. 173) pour montrer que l’histoire d’amour de Laurent et Lucrezia était de notoriété publique et que son caractère courtois la rendait acceptable aux yeux des Florentins malgré la condition de femme mariée de Lucrezia.

34 Alessandra Macinghi degli Strozzi, Lettere di una gentildonna fiorentina del secolo XV ai figliuoli esuli, C. Guasti (éd.), Florence, Sansoni Editore, 1877, p. 575. Traduction : « Je me souviens maintenant de te dire que Niccolò Ardinghelli pourra te rendre ton argent ; on dit en effet qu’il a gagné au moins huit mille florins. Tu dois en avoir entendu parler au retour des galées [grands bateaux de commerce]. Sa femme est ici et elle jouit de la vie. Elle s’est faite faire une nouvelle robe de sa livrée. Elle est ornée de peu de perles, mais elles sont grosses et belles. Ainsi, c’est à sa demande que le jour 3, dans la salle du pape de l’église Santa Maria Novella, on donna un bal, organisé par Laurent, fils de Pierre [de Médicis]. Il était présent, accompagné d’une brigade de jeunes hommes qui portaient la livrée de Lucrezia : de courtes tuniques d’un bleu violacé, avec de jolies perles brodées dessus. Laurent était celui qui portait un habit sombre, toujours orné des perles de la livrée. Celles-ci étaient d’une très grande valeur ! Voilà comment ils célèbrent les grandes sommes qu’ils ont gagnées. »

35 Luigi Pulci, op. cit., p. 1209 : « Mon cher Laurent, tu nous as laissés dans une telle tristesse en nous quittant que je ne crois pas avoir la force ne serait-ce de soutenir ma plume pour t’écrire cette lettre ».

36 La revendication d’un rapport d’amitié privilégié avec Laurent de Médicis est une constante des lettres de Pulci, en particulier pendant les années 1465-1470. Sur l’importance de Pulci au sein de la brigade et ses rapports étroits avec les Médicis ainsi que son attachement à Laurent, nous renvoyons à P. Orvieto, Pulci. Luigi e una famiglia di poeti, Rome, Salerno editrice, 2017 et à S. S. Nigro, Pulci e la cultura medicea, Bari, Laterza, 1972.

37 On peut lire dans I. Del Lungo, Gli amori del Magnifico Lorenzo, Bologne, Nicola Zanichelli, 1923, p. 24-25, l’affirmation suivante en ce qui concerne le langage employé dans ces échanges : « qui comincia il gergo ; non tanto, è da credere, peculiare allo scrivente, sia pure da lui poeta più vivacemente atteggiato, quanto abituale a quelle giovanili brigate ». Cet ouvrage est entièrement consacré aux amours de Laurent et Lucrezia et, malgré son ancienneté, recense de nombreuses et précieuses sources.

38 Sur les années de formation littéraire de Laurent au sein de cette assemblée, voir la « Nota introduttiva » à l’Uccellagione di starne dans Lorenzo de’ Medici, Tutte le opere, P. Orvieto (éd.), Salerno, Roma, 1992, p. 651.

39 Cette lettre se trouve dans l’Archivio Mediceo avanti il principato, filza XXII, document 28, carta 29 recto. Elle a été transcrite intégralement et les passages codés ont été déchiffrés par I. Del Lungo, op. cit., p. 33-42 (l’extrait rapporté se trouve au début de la lettre p. 33-34). Certains passages de la lettre sont également cités par Giulio Busi, op. cit., p. 39-40 et par A. Rochon, op. cit., p. 125 (note 308). Le récent article de Judith Bryce éclaire avec précision le contexte culturel et les pratiques sociales dans lesquels s’insère la lettre : J. Bryce, The Donati-Ardinghelli Wedding of 1465: A Closer Reading of Braccio Martelli’s Letter of April 27 to Lorenzo de’ Medici, Renaissance Quarterly, vol. LXXVII, n.1, p. 26-58. Traduction : « Bien que je sache, mon cher Laurent, qu’en te racontant ce qui a suivi ton départ, je te ferai d’un côté éprouver, voire j’augmenterai, la peine causée par ton absence ; néanmoins, je désire d’un autre côté te montrer que nous œuvrons en ta faveur, non moins en ton absence qu’en ta présence, et même bien davantage. J’ai donc préféré, par cette lettre, te donner quelque plaisir amer plutôt que de taire notre bonheur, à la perfection duquel rien ne manquait, si ce n’est ta présence, tant désirée par nous et par ÷. »

40 Cette identification est proposée en premier lieu par I. Del Lungo (op. cit.) et elle est reprise depuis par ceux qui se sont intéressés à cette lettre de Braccio Martelli (notamment G. Busi, op. cit et A. Rochon, op. cit.)

41 Tous les symboles sont loin d’avoir été élucidés mais nous pouvons tout de même affirmer que Costanza Donati, la sœur de Lucrezia, courtisée par Braccio Martelli lui-même est reconnaissable sous le symbole suivant : □. Les hommes, eux, sont désignés par des numéros et le 4 correspond à Niccolò Ardinghelli (le mari de Lucrezia).

42 Archivio Mediceo avanti il principato, filza XXII, document 28, feuille 29 recto. Traduction : « À présent, la suite ne saurait être racontée non seulement par moi-même, jeune homme sans savoir et sans expérience, et sans aucun talent littéraire, mais même Giovanni Boccaccio, modèle d’éloquence et divin narrateur de pareilles choses, ne serait pas à la hauteur ».

43 Ibid. Nous retranscrivons, en le déchiffrant, le passage qui est codé dans le manuscrit. Avec quelques légères modifications, le déchiffrage est celui proposé par I. Del Lungo op. cit., p. 35. Le passage le plus obscène est omis dans la retranscription de I. Del Lungo mais cité par G. Busi, op. cit., p. 39 et par A. Rochon, op. cit., p. 125. Traduction : « Je ne saurais taire les paroles de 16. qui s’adressa à moi en ces termes : ‘Ne crois pas à ce que dit 6. à propos de 4. qui aurait retardé l’ouverture des réjouissances [‘luia’ est une abréviation toscane de ‘alleluia’ et l’expression ‘chiudere le luia’ signifie suspendre les chants religieux pendant une période déterminée de l’année. Au sens figuré, l’expression peut vouloir dire ‘fermer un passage’. Ici elle est utilisée dans un sens détourné pour filer la métaphore sexuelle de la consommation du mariage et donc de la perte de la virginité de Lucrezia] car cela fait déjà six jours que 4. les a ouvertes en grand à ÷ et moi je montais la garde, et sais-tu que 4. a une verge qui a l’air d’une corne de bœuf ? Voilà les mots de 16. et c’est à lui que tu dois les imputer. »

44 Précisons qu’il ne s’agit pas d’un même code adopté et répété par les différents membres du groupe, mais plutôt d’un goût partagé et prononcé pour le langage chiffré qui se décline en fonction de chaque interlocuteur. Or nous pensons que ce penchant est avant tout l’expression d’une sensibilité littéraire spécifique qui permet de rattacher la brigade à une certaine tradition littéraire florentine.

45 Sur les caractéristiques de cette poétique, nous renvoyons à P. Orvieto, Pulci medievale. Studio sulla poesia volgare fiorentina del Quattrocento, Rome, Salerno editirce, 1978.

46 Archivio Mediceo avanti il principato, filza XXII, document 28, feuille 29 recto. Ici aussi nous suivons la retranscription d’I. Del Lungo. Traduction : « Ne me demande pas si la chose fut appréciable ! Ni le rôti, ni les côtelettes de porc, ni les danses, ni les instruments de musique ne furent laissés pour compte. »

47 Nous reprenons ici l’analyse de R. M. Comanducci qui écrit à propos de cet emploi chez Bernardo Rucellai « possiamo ben supporre che questo sia semplicemente un piccolo accorgimento adottato per non rivelare apertamente il nome di colei che era oggetto dell’amore di Lorenzo, ovvero Lucrezia Donati », dans R. M. Comanducci, op. cit, p. 74. (Trad : nous pouvons supposer qu’il s’agit simplement d’une petite astuce employée pour ne pas révéler ouvertement le nom de celle qui était l’objet de l’amour de Laurent, à savoir Lucrezia Donati).

48 Archivio Mediceo Avanti il Principato filza XX, document 198. Nous retranscrivons ici la première partie inédite de la lettre. La deuxième partie a été retranscrite et publiée par I. Del Lungo, op. cit., p. 45. Cette même partie est citée par I. Walter, op. cit., p. 70. Signalons que la collocation donnée par Del Lungo n’est plus d’actualité. Traduction : « Je peux te dire que l’ami se mit à enfler fortement lorsque je lui dis que tu m’envoyais t’excuser de ne pas avoir eu le temps de lui écrire, tout troublé, il me prit la lettre des mains pour voir si elle était de ta main. Il me dit ensuite : ‘Va-t’en et que Dieu soit avec toi !’, sans rien me dire de plus pour le moment. Le médicament [le terme est probablement employé dans un sens métaphorique pour désigner la passion amoureuse tout en filant une métaphore médicale] fit son effet mais son corps en contenait un autre qui provoque chez lui une grande agitation que l’on ne peut expulser [l’expression ‘rigettare argomento’ semble filer la métaphore médicale qui devient ici légèrement obscène puisque ‘argomento’ peut avoir le sens de laxatif] d’aucune manière, c’est pourquoi je doute fort de sa santé. J’attends ton retour avec impatience, tu entendras bien des choses. »

49 Aussi bien medicina que argomento peuvent avoir le sens de « purgatif, laxatif ou lavement » qui introduisent de potentiels doubles-sens obscènes dans la lettre. La pleine élucidation de ces termes dans le contexte de la lettre nécessiterait encore des approfondissements.

50 Archivio Mediceo Avanti il Principato filza XX, document 198. Nous suivons en la modifiant légèrement la transcription proposée par I. Del Lungo, op. cit., p. 45. Traduction : « Je te promets qu’il ne se montre en aucun lieu, ni à San Miniato, ni à Fiesole, ni à Santo Gaggio. Mais il est vrai que je l’ai rencontré, la veille de la fête de la Vierge, dans la rue de’ Servi. Il semblait venir de confesse, tout contrit qu’il était par ses péchés et sans aucune ardeur. On ne vit jamais rien d’aussi beau. Vêtu de noir et la tête voilée, la douceur de sa marche était telle qu’on eût dit que les pierres et les murs s’inclinaient sur son passage. Je ne veux pas écrire davantage pour ne pas t’induire au péché en ces jours saints. Et si tu veux entendre d’autres nouvelles, reviens. »

51 Comme Braccio Martelli et comme Pulci, Sigismondo se plaint de l’absence de Laurent et multiplie les exhortations adressées à son ami pour qu’il rentre le plus tôt possible.

52 Pour ce qui est de Luigi Pulci, la canzone Da poi che ‘l lauro qu’il envoie à Laurent dans sa lettre du 22 mars 1466 est sans doute l’opération littéraire la plus complexe mais aussi la plus fine autour des amours de Laurent. Le raffinement du texte de Pulci n’empêche pas de déceler toute l’ironie du poète dans la reprise de nombreux topoï de la poésie amoureuse, pétrarquienne et stilnoviste, ainsi que des références classiques et mythologiques. Nous pouvons également citer les deux poèmes la Nencia da Barberino de Laurent et la Beca da Dicomano de Pulci qui sont tous deux des parodies de la poésie amoureuse.

53 Plusieurs autres lettres envoyées à Laurent en 1466 relèvent selon nous de cette écriture de la connivence où l’évocation de Lucrezia est mise au service de jeux de réécriture qui révèlent la complicité littéraire entre les membres de la brigade laurentienne. Nous pensons en particulier à celle de Bernardo Rucellai du 13 mars 1466 (Archivio Mediceo avanti il principato, filza XXIII, carta 19) et à celle de Braccio Martelli du 21 avril 1466 (Archivio Mediceo avanti il principato, filza XX, carta 208). Elles sont toutes deux citées par A. Rochon, op. cit., p. 163 (notes 28 et 29).

54 Nous pensons ici au terme italien interclassista employé par P. Orvieto dans ses études sur Pulci. Voir P. Orvieto, op. cit., p. 9 et suivantes.

Pour citer ce document

Par Raphaëlle Meugé-Monville, «Les stratégies de représentation du pouvoir médicéen entre discours officiel et connivence littéraire», Cahiers FoReLLIS - Formes et Représentations en Linguistique, Littérature et dans les arts de l'Image et de la Scène [En ligne], Revue électronique, Italie : médialités, intermédialités, transmédialités, mis à jour le : 23/12/2024, URL : https://cahiersforell.edel.univ-poitiers.fr:443/cahiersforell/index.php?id=1446.

Quelques mots à propos de :  Raphaëlle Meugé-Monville

Normalienne (ENS de Lyon), agrégée d’italien, Raphaëlle Meugé-Monville est doctorante à l’Université Sorbonne Nouvelle sous la direction de Matteo Residori, en cotutelle avec l’ENS de Pise, sous la direction de Stefano Carrai. Ses recherches doctorales portent sur le poète Luigi florentin Pulci. Également boursière de l’École Française de Rome, R. Meugé-Monville a participé à plusieurs manifestations scientifiques en France et en Italie.

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