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LA NOTION DE CYCLE THÉÂTRAL DANS L’ORESTIE D’ESCHYLE : RITUALITÉS ET STRUCTURES PRÉ-DRAMATIQUES
Par Michel Briand
Publication en ligne le 08 septembre 2016
Table des matières
Texte intégral
1 Deux questions fondamentales peuvent se poser à propos de la notion de cycle théâtral dans la tragédie attique classique, telle que nous pouvons en deviner ou reconstruire les enjeux esthétiques, éthiques, culturels ou politiques, à la fois mis en pratique et théorisés anciennement :
2 - d’une part, que peut nous indiquer à ce sujet l’histoire des mots et notions élaborés par la poétique ancienne, d’Aristote aux commentateurs byzantins ? Cela fera l’objet d’une première synthèse, à propos des notions de kuklos, kuklikos, trilogia, trias, tetralogia, étudiés si possible d’abord en termes grecs indigènes et non reformulés, voire minéralisés, par les interprètes modernes1.
3 - d’autre part, qu’est-ce que donne à voir à ce sujet l’Orestie d’Eschyle, seul exemple à nous parvenu d’une trilogie (liée) grecque ancienne, mais sans le drame satyrique qui complétait ce « cycle » tragique ? L’analyse devra porter à la fois sur la structure (dramatique, mais pas seulement) du texte et sur son cadre historique et anthropologique, en même temps que sur ses conditions de production, énonciation et réception possibles.
4 De ce fait, comme c’est souvent le cas quand un antiquisant traite une question qui intéresse d’abord les théoriciens de la littérature ou du spectacle modernes et contemporains, on propose un double décentrement, impliqué par l’altérité radicale, mêlée de similitudes claires, que constitue pour nous l’Antiquité classique, éloignée et proche à la fois dans le temps et d’un point de vue culturel :
5 - un décentrement temporel : l’Orestie est étudiée ici en deçà de l’analyse aristotélicienne de la tragédie attique, centrée sur Sophocle et la tragédie simple, autonome, et constitutivement non épique et non lyrique. Au point de rejoindre des analyses an-aristotéliciennes modernes, de Nietzsche à Castellucci, qui tendent à distinguer le tragique moderne (post-schellingien) et la tragédie eschyléenne2.
6 - un décentrement anthropologique : l’Orestie est d’abord un rite d’institution collective (la nouvelle justice, humaine, démocratique et patriarcale), doublé de la mise en spectacle d’un rite de passage individuel (l’éphébie subvertie d’Oreste). Sur le plan énonciatif, cette ritualité fonde en partie ses effets pragmatiques sur l’alternance, voire l’hybridation réciproque, du mélique (« lyrique » en critique post-alexandrine3) et de l’épique dialogué (mimétique), transposé en rythme iambique. Également fondamentaux sont tous les effets spectaculaires qu’Aristote met de côté au début de sa Poétique, avec ce qu’il appelle l’opsis, et donc tous les phénomènes de réception visuelle ou sonore et d’empathie kinesthésique propres à distinguer, au moins en termes d’intensité et de physicalité, une réception théâtrale d’une lecture littéraire ainsi qu’une katharsis incarnée de son équivalent textuel4.
CYCLE, TÉTRALOGIE, TRILOGIE : ESCHYLE AU MIROIR D’ARISTOTE ET APRÈS
Figures critiques et cognitives du cycle et du cyclique
7 La notion de cycle, en littérature, repose sur un transfert conceptuel, une métaphore au sens aristotélicien (et donc cognitif) du terme, du domaine de la géométrie, où kuklos désigne une figure, le cercle, à celui de la poétique, où il désigne un genre, les « vers épiques »5. Si l’on observe les catégories grecques indigènes, le genre épique, désigné au neutre pluriel, ta epê, se définit, par la scansion dactylique attribuée à Homère ou Hésiode, quelle que soit la visée des poèmes, narrative, hymnique, didactique, théologique, en s’opposant au genre mélique, ta melê, chanté, en dispositif choral ou monodique et désigné comme « lyrique » seulement à partir des commentaires et archivages d’époque alexandrine puis impériale. Au théâtre, la poésie iambique, d’abord typiquement satirique, chez Archiloque par exemple, et au rythme, selon les contemporains, proche de la conversation vernaculaire, est marquée comme moins poétique, plus prosaïque, et donc plus appropriée au dialogue, du fait aussi que, dans la tragédie attique, la langue des chœurs, marquée par exemple par les dorismes de son hypotexte mélique, diffère de la langue des épisodes, plus mimétiques que performatifs.
8 Aristote évoque la poésie cyclique épique d’abord à propos de l’interrogation scientifique, au départ dans le domaine particulier de la géométrie, et du raisonnement dialectique et paralogique, non mathématique, fondé sur la polysémie et l’ambiguïté, en particulier du second terme d’un syllogisme (majeure : tout cercle est une figure ; mineure : les poèmes épiques sont un cercle (ou les vers épiques sont circulaires/cycliques) ; conclusion : les poèmes épiques sont une figure, un skhêma). En quoi ces vers sont-ils cycliques ? Selon les critiques, ils commencent et finissent par le même mot, ils se répètent, en structure annulaire, ou bien, selon une interprétation devenue dominante, ils font partie des poèmes cycliques : dans ce dernier cas, le Cycle est un genre, épique, produit par un ensemble d’auteurs qui traitent une matière analogue, traditionnelle, selon la diction homérique :
Dans les Mathématiques, le paralogisme n’est pas aussi commun, parce que c’est toujours dans le moyen terme que réside l’ambiguïté ; le majeur, en effet, est affirmé de la totalité du moyen, et ce dernier, à son tour, de la totalité du mineur (le prédicat lui-même jamais affecté de la note tout) ; et < dans les Mathématiques >, on peut en quelque sorte voir ces moyens termes par l’esprit, tandis que, dans la Dialectique, l’ambiguïté nous échappe. Par exemple : tout cercle est- il une figure ? (Ἆρα πᾶς κύκλος σχῆμα ;)En le traçant, on le voit clairement. Mais si on ajoute : les vers épiques sont-ils des cercles ? (τὰἔπη κύκλος ;)il est manifeste qu’il n’en est rien. (Aristote, Organon IV, Les seconds analytiques, 77b16-37, tr. J. Tricot, Vrin, 1995)
9Dans sa Rhétorique, Aristote renvoie aussi à un Cycle épique qu’aurait non pas composé mais résumé, au passé, comme dans la narration d’un plaidoyer criminel, un certain Phaüllos, par ailleurs inconnu : les éditeurs/traducteurs récents du texte en français discutent d’ailleurs du sens, Chiron explicitant un possessif réfléchi, Wartelle non, l’un faisant de Phaüllos même du résumé, l’autre celui même du Cycle. Au-delà de la variété thématique et auctoriale, entre reprise, variation et polyphonie, c’est en tout cas l’ampleur qui caractérise le Cycle épique, dont l’histoire peut être réduite à un contenu minimal. De plus, l’épopée cyclique remplit encore bien ici son rôle autorisé d’encyclopédie générale, source de références et d’exemples (paradeigma), banque de données topiques et argumentatives.
En défense, la narration est plus courte. Car les points de contestation sont ou bien que le fait n’a pas eu lieu, ou qu’il n’a pas causé de dommage, ou qu’il n’était pas injuste, ou qu’il n’y a pas à s’attarder sur les points d’accord, à moins qu’il n’y ait quelque raison particulière de le faire, par exemple que, si l’acte a été effectivement commis, il n’est pas injuste. En outre, il faut présenter comme accompli tout ce qui ne provoque pas pitié ou indignation quand on le raconte au présent. Exemple, le récit d’Alcinoos : adressé à Pénélope, il tient en soixante vers. C’est aussi de cette manière que Phaüllos a composé son Cycle (ou trad. A. Wartelle, C.U.F., 1973 : le résumé du Cycle fait par Phaÿllos). Même chose pour le prologue de l’Oenée. (Παράδειγμα· ὁἈλκίνου ἀπόλογος, ὅτε πρὸς τὴν Πηνελόπην ἐν ἑξήκοντα ἔπεσιν πεποίηται· καὶὡς Φάϋλλος τὸν Κύκλον, καὶὁἐν τῷ Οἰνεῖ πρόλογος). Aristote, Rhétorique III, 1417a 8-15 (tr. P. Chiron, GF, 2007)
10L’adjectif kuklikos caractérise ainsi un genre épique, dont le style et la thématique, qualifiés d’homériques, construisent comme un ensemble d’oeuvres apparentées, des récits surtout liés à la guerre de Troie (Chants Cypriaques, Éthiopide, Iliade, Petite Iliade, Sac de Troie, Odyssée, Nostoi, Télégonie) ou à Thèbes (Geste d’Œdipe, Thébaïde, Épigones), attribués soit à Homère soit à des contemporains ou successeurs immédiats dont nous n’avons conservé que des fragments (Panyassi, Stasinos, Agias de Trézène, Hégésias, Arctinos de Milet, Engammon de Cyrène, Leschès de Pyrrha6…). Cet ensemble poétique est le vaste hypotexte d’un grand nombre de tragédies attiques classiques mais sa constitution en cycle semble plutôt un artefact qui résulte, sous sa structure ensuite canonique, des méthodes critiques des commentateurs post-aristotéliciens, des Alexandrins aux Byzantins, en passant par Proclos, dont la Chrestomathie nous en donne, au Ve siècle. de notre ère, un résumé détaillé. Autrement dit, la notion de cycle épique est bien ultérieure aux oeuvres ainsi désignées, comme le montre son emploi chez les scholiastes ou dans les Deipnosophistes d’Athénée (IIe-IIIe siècle.) : l‘expression hoi kuklikoi désigne « les poètes du cycle épique », par exemple dans les scholies homériques comme Schol. Il. 3,242…, ou encore les « auteurs cycliques », de tel ou tel ensemble épique, comme la Thébaïde, hê Thêbaïs, Athénée 11, 465e, de même que l’expression ho epikos kuklos désigne encore l’épopée chez Athénée (7,277e) ou Proclos (p. 319b). Par ailleurs, cependan, chez ces mêmes critiques, on peut désigner comme « cycle » un ensemble de récits historiques crétois (GDI 5187.9), de légendes mythologiques (le cycle légendaire de Dionysios Scytobrachion, encore chez Athénée 11,481e et dans les scholies à l’Odyssée 2,120), voire d’épigrammes, dans la Souda7. Ce dernier emploi générique assez rare, correspondant à la notion de recueil, ignore d’ailleurs paradoxalement un sens bien attesté par une épigramme de Callimaque, où la poésie cyclique, constituée d‘épopées de grande ampleur, se dote de connotations négatives, et devient développée, « lourde » ou « publique, connue de tous, conventionnelle, conformiste », par opposition à l’intense densité et à l’originalité, autoproclamées, des nouvelles formes brèves hellénistiques, en particulier celle de l’épigramme littéraire8 :
Je hais le poème cyclique (Ἐχθαίρω τὸ ποίημα τὸ κυκλικόν, successeurs d’Homère ?) ; je ne veux pas du chemin où se traînent les pas de la foule ; j’ai horreur de l’amant qui s’offre à tous ; je ne bois pas à la source commune ; tout ce qui est public me répugne. Lysanias, oui, beau, tu es beau. Mais avant que l’écho l’ait bien dit, quelqu’un réplique : « Beau pour un autre ! » (Callimaque Épigramme 27, tr. É. Cahen, 1940)
11L’essentiel se passe donc dans la transition progressive de l’époque classique aux temps hellénistiques, que représente bien Aristote, philosophe du IVe siècle et précepteur d’Alexandre, lui qui construit la tragédie du Ve siècle par rapport à l’épopée antérieure, en en ignorant délibérément les conditions de production spectaculaire, intéressé qu’il est, au premier chef, par le texte et l’intrigue, désignée comme muthos9. Ajoutons que cette conception plutôt abstraite du théâtre, devenu d’abord objet d’analyse littéraire et de spéculation philosophique, prépare aussi l’évolution moderne du concept de tragique, en particulier, avec d’autres influences, dans l’idéalisme allemand de la fin du XVIIIe siècle comme dans la philologie classique telle que, née vers la même époque, elle a pu se développer avec un Wilamowitz-Moellendorff10. On sait comment Nietzsche s’opposa fermement, pour diverses raisons, à ces conceptions-là, quand par exemple, surtout à propos d’Eschyle, dans Le drame musical grec, il développe la notion de « joie tragique », dionysiaque, car intimement liée au devenir autre et multiple et à l’anéantissement. L’opposition dionysiaque/apollinien, telle que la construit la Naissance de la tragédie, n’est évidemment pas non plus une catégorie antique, tous les historiens, mythologues et anthropologues récents l’ont bien montré, mais au moins elle tient à nouveau compte des aspects d’abord performatifs et rituels de la tragédie grecque ancienne, ni fondamentalement textuelle (et épique), ni d’ailleurs « tragique » (simplement funèbre) ou « psychologique », mais musicale, chorégraphique11…
12 On achèvera ce premier point de méthode et terminologie par une parenthèse rapide sur kuklos et la tragédie dans la Rhétorique d’Aristote. D’une part, l’image du cercle ne renvoie pas particulièrement au cycle épique, mais principalement, comme d’usage en grec et à propos de questions oratoires, elle permet de figurer par exemple, au datif singulier, une situation d’énonciation spectaculaire (l’orateur Cydias demande aux Athéniens assemblés d’imaginer des observateurs grecs « en cercle », autour d’eux, « comme des témoins oculaires » de leur décision, en 1384b34), l’idée d’exhaustivité (à propos d’un éloge qui évoque les qualités de l’homme honoré, « en cercle », soit « complètement », en 1367b29), ou encore une syntaxe trop sinueuse (« la quantité des détours trompe », φενακίζει… τὸ κύκλ̀ῶι πολὺ ὄν, en 1407a36) et une argumentation dissimulatrice et ambiguë (des orateurs qui « tournent autour du pot et se répandent en exordes », en 1415b24). Cet échantillon aléatoire et réduit d’occurrences tend au moins à montrer que la notion de « cycle », dénotée en grec par le terme kuklos, issu de la langue courante, non technique, peut conserver des connotations concrètes, surtout spatiales, temporelles et affectives, dont la transcription en langue moderne, par exemple dans le français cycle, perd en grande partie la force figurale, surtout à cause de son étymologie grecque, savante, et son opposition avec les termes courants, plus directement imagés, que sont cercle, rond, ronde, tour, roue, courbe… On sait que le même phénomène caractérise l’évolution de termes devenus abstraits comme muthos, theoria ou idea, qui loin de signifier d’abord « mythe », « theorie » ou « idée », dénotent en premier lieu les notions de « parole », « vision, contemplation » ou « aspect, apparence »12. De quoi rendre plus sensible et sensorielle la philosophie platonicienne, par exemple. Enfin, on voit que les sèmes connotatifs de kuklos peuvent être autant négatifs que positifs : cohésion, cohérence, complétude, communauté, partage, visibilité, régularité, puissance, d’une part, et sinuosité, précarité, dissimulation, excès de longueur, entropie, de l’autre. Ce qu’en retour on pourra reverser aux définitions modernes et contemporaines du cycle théâtral.
13Cette richesse sémantique de la figure du « cercle » rejoint l’ambiguïté stylistique, pour lui profondément rhétorique, et non poétique, que le Stagirite pense observer, dans sa Rhétorique, de manière en fait anachronique et peut-être inadéquate à l’énonciation théâtrale classique13, à propos des plus anciens auteurs de tragédie qui, selon lui, étaient à la fois acteurs dans leurs propres œuvres et experts rhétoriciens : ainsi en 1403b23, sur l’action oratoire (« En effet, en matière de tragédie et de rhapsodie, cette préoccupation est intervenue tardivement, car les poètes, au départ, jouaient eux-mêmes leurs tragédies. Or il est clair que cette dimension intéresse la rhétorique tout comme la poétique »), et en 1404a30 (sur les effets de style linguistique et encore l’évolution des tragiques). Nous y reviendrons plus loin à propos de l’Orestie et de sa réception moderne, où la notion de « cycle » joue un rôle parfois paradoxal, selon qu’on tire la poésie tragique du côté de la ritualité ou de la rhétorique, deux modalités spectaculaires qui, au Ve siècle, partagent pragmatique et texte, mais en font des objets bien différents.
Autour des notions de « tétralogie » et « trilogie »
14 La notion de tétralogie (tetralogia, ensemble de quatre discours) est aussi attestée tardivement comme modèle de composition théâtrale (quatre drames dont un drame satyrique), pour la première fois chez l’historien de la philosophie, Diogène Laërce, au IIIe siècle. de notre ère :
Ainsi la philosophie eut le sort de la tragédie. Le chœur autrefois jouait à lui seul tout le drame. Thespis inventa ensuite un acteur pour reposer le chœur, Eschyle en créa un second, Sophocle un troisième, et le genre fut fixé. De même, la physique fut d’abord toute la philosophie, Socrate y ajouta la morale, Platon la dialectique, et par ces trois objets, la philosophie prit sa forme définitive. Selon Thrasylle, Platon composait ses dialogues sur le modèle des tétralogies tragiques (comme les auteurs tragiques concouraient par quatre drames aux Dionysies, aux Lénéennes, aux Panathénées, à la fête des marmites), le quatrième drame étant un drame satyrique : ces quatre drames formaient ce qu’on appelait une tétralogie). (Diogène Laërce, Vies, doctrines et sentences des philosophes illustres, 3,57, tr. R. Genaille, GF, 1965)
15La notion de tétralogie avait donc été appliquée aux dialogues de Platon, par le grammairien et commentateur (et astrologue) Thrasyllos, au Ier siècle., qui les répartissait en neuf tétralogies liées (en mettant à part la République et les Lois), selon un thème commun (p. ex. la vie du philosophe : Euthyphron ou de la piété, Apologie de Socrate, Criton ou de ce qu’il faut faire, Phédon ou de l’âme) : dans ces tétralogies philosophiques, mais dialoguées et donc « théâtrales », que relie le personnage de Socrate14, chaque texte correspond à un genre particulier, moral, logique, péirastique, maieutique, anatreptique, ou politique… Le rythme 4, souvent réorganisé en 3 (+ 1), apparaît d’ailleurs comme une figure universelle, puisqu’il permet aussi à d’autres critiques de mettre en forme, d’une façon définitive, l’évolution du nombre d’acteurs dans les tragédies classiques ou celle des parties de la philosophie (physique, éthique, dialectique…). Deux fragments d’Aristote, issus de scholies aux Grenouilles et aux Oiseaux d’Aristophane, montrent que le prototype de la tétralogie tragique est bien l’Orestie d’Eschyle, quand on lui adjoint le drame satyrique Protée, même si d’autres œuvres du même type sont signalées, comme la Pandiônide de Philoclès (tragique du Ve siècle, neveu d’Eschyle) : ce sont là deux cas exemplaires, dont l’un nous a été transmis aux trois quarts, d’une tétralogie liée, où les trois tragédies traitent, chronologiquement, une thématique développée (les malheurs des Atrides chez Eschyle) et où le drame satirique concerne un point apparenté : Protée, en référence au récit homodiégétique de Ménélas dans le chant III de l’Odyssée, renvoie aux Nostoi (retours de la guerre de Troie)dont Agamemnon et Ulysse sont parmi les héros les plus frappants. Il semble que ni Sophocle ni Euripide n’étaient les auteurs de tétralogies liées et que c’est à ces tragédies autonomes, même si chaque poète en présentait trois à la suite, avant un drame satyrique, aux concours des Dionysies, que s’intéresse surtout Aristote dans sa Poétique, alors que dans ses trois catalogues de Didascalies, perdus, il s’intéresse plus au sujet, aux objectifs et aux circonstances de la création des pièces qu’à la structure interne de leur texte :
De l’Orestie : les didascalies rapportent que la tétralogie de l’Orestie comprenait l’Agamemnon, les Choéphores, les Euménides, le drame satyrique Protée" (Aristote, fr. 618 Rose, schol. Aristoph. Ran. 1124)
Sur le tragique Philoclès, surnommé "la huppe", qui, dans sa tétralogie sur Pandiôn (père d’Érechthée, Procné et Philomèle), aurait plagié Sophocle. D’après les didascalies d’Aristote. (Aristote fr. 619 Rose, schol. Aristoph. Av. 281)
16La situation est analogue pour la notion de trilogie, relative aux dialogues philosophiques de Platon, classés par le grammairien alexandrin Aristophane de Byzance en groupes de trois, d’après Diogène Laërce (3.61), ou aux tragédies classiques, dans une scholie ancienne aux Grenouilles d’Aristophane, dont on connaît le statut particlier, celui d’une des premières œuvres développées de critique théâtrale, en particulier dans le long agôn qui y oppose Eschyle et Euripide (Schol. Aristoph. Ran. 1155, citant les savants alexandrins Aristarque de Samos et Apollonios de Rhodes)15. On note que cette notion de tétralogie/trilogie liée s’apparente à la notion de cycle épique, par un effet de succession transitive entre poèmes distincts mais reliés thématiquement, mais qu’elle s’en distingue par le fait que les poèmes cycliques sont d’auteurs différents et peuvent donner lieu à une réception isolée, voire à de multiples lectures : les tétralogies théâtrales n’étaient représentées qu’une fois et le texte que nous en avons n’est que la trace, déjà archéologique pour Aristote, d’une performance, mixte de ritualité mélique (musicale au sens polysémiotique grec) et de mimèse iambique, comme on l’a indiqué, plus haut, en introduction. Les tétralogies ou trilogies sont ainsi à la fois proches, pour les Anciens, de la notion de cycle, mais distinctes.
Aristote sur Eschyle : jeux de structure et théorie du récit
17Pour en finir avec le rôle déterminant qu’a joué Aristote dans notre réception moderne d’Eschyle et des notions de cycle, trilogie et tétralogie, il reste à voir encore quelques passages, surtout dans la Poétique16, où le philosophe étudie le premier des grands tragiques, nommé trois fois seulement, contre sept fois Euripide et neuf fois Sophocle. Rappelons d’abord qu’au Ve siècle les Grandes Dionysies donnaient aussi lieu à des concours de dithyrambes, chants en l’honneur de Dionysos (comme chez les poètes de la mélique chorale, Pindare ou Bacchylide), dont le genre ne s’était donc pas dissous dans le nouveau genre tragique, de même qu’aux Petites Dionysies les chants phalliques, carnavalesques, se produisaient encore, malgré l’invention de la comédie ancienne. Et pour Aristote, Eschyle, plus qu’un fondateur, vient à la suite d’une évolution générique déjà complexe et fait figure plutôt d’innovateur, par exemple en inventant le deuxième acteur, qui permet le développement du dialogue :
Lorsque la tragédie et la comédie furent apparues, chaque poète fut entraîné par sa nature propre vers l’une ou l’autre sorte de poésie : les uns devinrent auteurs de comédies (κωμῳδοποιοὶ) et non plus de poèmes iambiques, les autres de tragédies (τραγῳδοδιδάσκαλοι) et non plus d’épopées (ἀντὶ τῶν ἐπῶν) ; car ces deux formes ont plus d’élévation et de dignité que les précédentes. Quant à examiner si la tragédie a dès maintenant atteint la perfection dans ses différentes espèces (τοῖς εἴδεσιν), trancher la chose en elle-même et par rapport au théâtre (πρὸς τὰ θέατρα), est une autre question. Quoi qu’il en soit, elle est née, au début, de l’improvisation (αὐτοσχεδιαστικὴ) (la tragédie elle-même et tout aussi bien la comédie : l’une vient de ceux qui conduisaient le dithyrambe (ἀπὸ τῶν ἐξαρχόντων τὸν διθύραμβον), l’autre de ceux qui conduisaient les chants phalliques (ἀπὸ τῶν τὰ φαλλικὰ) qui sont encore en usage aujourd’hui dans nombre de cités) ; puis la tragédie s’épanouit (ηὐξήθη) peu à peu, les auteurs développant tout ce qui se faisait jour en elle ; enfin, après de multiples transformations, elle se fixa lorsqu’elle eut atteint sa pleine nature. Le premier, Eschyle porta d’un à deux le nombre des acteurs ; il diminua la partie du chœur et donna le premier rôle au dialogue (καὶ τὰ τοῦ χοροῦ ἠλάττωσε καὶ τὸν λόγον πρωταγωνιστὴν παρεσκεύασεν).
18Suivant le commentaire de J. Lallot & R. Dupont-Roc (p. 173), il n’est pas certain qu’Aristote, sur ce point souvent remis en cause par les historiens, conçoive une évolution ternaire (dithyrambe – drame satyrique – tragédie) ou une convergence entre drame satyrique et dithyrambe (une sorte de dithyrambe satyrique), sous la forme synthétique de la tragédie. On voit, malgré de multiples troubles de la perspective, que la tétralogie n’est pas issue d’une trilogie à laquelle on aurait ajouté un drame satyrique mais que la trilogie tragique peut être vue comme une expansion (vers l’avant) du drame satyrique, suivant une évolution différente de celle de la comédie (qui est non pas une expansion mais une évolution du drame satyrique, d’abord défini par son chœur dionysiaque). Ce que confirme à la fois le fait que le drame satyrique peut être un prolongement de la tragédie, dont il dévoile des aspects complémentaires, par un autre effet de distanciation, que les tragédies d’Eschyle ne sont pas toujours, contrairement à celles de Sophocle et d’Euripide, soumises à un dénouement tragique, au sens moderne, et qu’elles sont aussi, sur le plan spectaculaire et linguistique, plus dialogiques qu’on ne pense souvent, et donc parfois mêmes satyriques (violemment ironiques, voire comiques, grotesques…)17. Au lieu de 3 + 1, disons donc 1 + 3.
19Reliant le drame satyrique (et le dithyrambe) à la première tragédie, c’est le rôle du choeur, réduit chez Euripide, qui permet à Aristote de critiquer ce dernier, comme moins « tragique » qu’un Sophocle (et donc qu’un Eschyle ?), qui laisse au choeur son rôle de personnage participant à l’action d’ensemble. En ce sens, Euripide, et surtout Agathon, est plus épique, dans sa recherche des actions multiples (polymythiques), d’ailleurs impossible, sans excès de dramatisation, dans l’étendue réduite d’une tragédie non intégrée à une trilogie liée. Autrement dit, si la notion de cycle est d’application d‘abord épique, c’est aussi parce qu’elle permet de rendre compte d’une action mimétique multiple et déployée sur la longue durée et dans un espace ample et varié, alors que le tragique, pour Aristote, implique, sinon les fameuses « unités » (néo-)classiques, du moins une concentration de l’action. Et l’application de la notion de cycle au théâtre tragique permettrait alors une complexification de l’action et une variation efficace du temps et de l’espace scéniques, tout en maintenant une unité thématique et structurelle : c’est en tout cas la double contrainte que semble presque réaliser la trilogie eschyléenne, anticipant en cela partiellement certaines conceptions modernes ou contemporaines du cycle théâtral. Et d’une autre manière aussi le théâtre d’Euripide, au moins d’un point de vue moderne, mais à l’intérieur d’une seule pièce, telle Médée, riche en péripéties, épisodes et suspens, ce que nous appelons désormais « coups de théâtre », alors qu’en fait cette narrativisation du tragique le soumet, pour Aristote, à l’épique, chap. 18, 56a 10-25 :
Il faut garder en mémoire ce que j’ai déjà dit à plusieurs reprises et ne pas donner à la tragédie une structure d’épopée (ἐποιικὸν σύστημα) ; j’appelle structure d’épopée celle à plusieurs histoires (πολύμυθον) – comme si, par exemple, on faisait une tragédie avec l’histoire de l’Iliade dans sa totalité (ὅλον… μῦθον) ; en effet l’étendue de l’épopée permet aux parties (τὰ μέρη) de recevoir l’ampleur qui convient (τὸ πρέπον μέγεθος), mais dans les drames le résultat est loin d’être ce qu’on escomptait. La preuve, c’est que tous les poètes qui veulent traiter le sac de Troie tout entier au lieu de le traiter par parties (κατὰ μέρος) comme Euripide, ou la légende de Niobé tout entière au lieu de faire comme Eschyle, échouent ou font mauvaise figure dans les concours (κακῶς ἀγωνίζονται) ; et d’ailleurs ce fut la seule cause de l’échec d’Agathon. Au contraire, avec les coups de théâtre et les actions simples (ἐν δὲ ταῖς περιπετείαις καὶ ἐν τοῖς ἁπλοῖς πράγμασι), les auteurs cherchent à atteindre leur but par l’effet de surprise (ὧν βούλονται θαυμαστῶν), car c’est cela qui est tragique et qui éveille le sens de l’humain (φιλάνθρωπον). Cela se produit lorsqu’un héros, habile mais méchant, comme Sisyphe, est trompé, ou lorsqu’un héros, courageux mais injuste, est vaincu. Comme le dit Agathon, cela est vraisemblable (εἰκός) ; car il est vraisemblable que beaucoup de choses se produisent aussi contre le vraisemblable (παρὰ τὸ εἰκός). Le chœur doit être considéré comme l’un des acteurs (ἕνα δεῖ ὑπολαβεῖν τῶν ὑποκριτῶν) ; il doit faire partie de l’ensemble (καὶ μόριον εἶναι τοῦ ὅλου) et participer à l’action (συναγωνίζεσθαι), non comme chez Euripide mais comme chez Sophocle.
20Enfin, contrairement à ce qu’en fera le classicisme, surtout français, l’unité d’action dont il est aussi question ici est une cohérence organique, définie par opposition à la chronique d’une époque, gardant trace de multiples actions. Suivant aussi une lecture possible du fameux chapitre 9 de la Poétique, surtout en 51a 36 – 51b 10, où Aristote distingue l’historia (« chronique »), qui traite du particulier,et la poiêis, épique ou tragique, qui, traitant du général (de l’ordre du vraisemblable ou du nécessaire), « est plus philosophique et plus noble ». Ainsi ensuite, au chap. 23, 59a 17-28, à propos de l’unité dramatique :
Venons-en à l’art de représenter par le récit en vers (περὶ δὲ τῆς διηγηματικῆς καὶ ἐν μέτρῳ μιμητικῆς) . Il est bien clair que, comme dans la tragédie, les histoires doivent être construites (συνιστάναι) en forme de drame et être centrées sur une action une qui forme un tout et va jusqu’à son terme, avec un commencement, un milieu et une fin, pour que, semblables à un être vivant un et qui forme un tout (καὶ περὶ μίαν πρᾶξιν ὅλην καὶ τελείαν ἔχουσαν ἀρχὴν καὶ μέσα καὶ τέλος), elles produisent le plaisir qui leur est propre ; leur structure ne doit pas être semblable à celle des chroniques (μὴ ὁμοίας ταῖς ἱστορίαις τὰς συνθέσεις εἶναι) qui sont nécessairement l’exposé (δήλωσιν), non d’une action une, mais d’une période unique avec tous les événements qui se sont produits dans son cours, affectant un seul ou plusieurs hommes et entretenant les uns avec les autres des relations contingentes (ὡς ἔτυχεν) ; car c’est dans la même période qu’eurent lieu la bataille de Salamine et la bataille des Carthaginois en Sicile, qui ne tendaient en rien vers le même terme ; et il se peut même que dans des périodes consécutives se produisent l’un après l’autre deux événements qui n’aboutissent en rien à un terme un (ἐξ ὧν ἓν οὐδὲν γίνεται τέλος).
21Et le rythme ternaire, à visée téléologique, explicité par Aristote, comme typique du drame qui se développe dans une pièce unique, commencement – milieu – fin, est une structure temporelle applicable à la tragédie en tant que drame trilogique (dans une seule pièce mais aussi dans trois tragédies liées) mais à bien d’autres pratiques sociales, en particulier rituelles : ce qui est renforcé par le fait que les religions de l’Antiquité sont des « religions de la fête », et la tragédie attique une festivité rituelle18. Surtout si on lui adjoint l’organisation binaire, définie ailleurs par le philosophe, qui fait suivre le « nouement » (desis), possiblement organisé en deux étapes (suivant Théophraste, protase et épitase), par le « dénouement » (lusis) ou la « catastrophe ». Dans un cas, simplement 1+1+1, dans l’autre (1+1)+1, soit 2+1. Et, qu’elle soit rituelle ou dramatique, cette structuration implique la mise en spectacle d’une modification radicale (pour les personnages, l’initié ou le public) : contrairement à ce que dit parfois une narratologie scolaire, l’état final n’est pas ici un retour à l’état initial, bien au contraire ; si l’on voulait reprendre une image circulaire, on pourrait parler de spirale, alliant cycle et progression, la tragédie étant alors en elle-même un passage, difficile, progressif, souvent indirect, mais d’autant plus avéré19. En Grèce classique, la conception dominante du temps n’est pas proprement cyclique, fondée sur un éternel retour, contrairement à une certaine doxa, plus juste en ce qui concerne le monde archaïque, où la notion de progrès existe cependant déjà, même dans la Théogonie d’Hésiode, par exemple : l’image du cercle représente plus souvent « non plus la régularité du mouvement circulaire, mais le caractère infaillible de ses effets »20.
JEUX DE STRUCTURE TEXTUELLE ET PRAGMATIQUES DU CYCLE TRAGIQUE
Rythmes généraux de l‘Orestie
22 Le second temps de cette analyse, plus bref, est consacré concrètement à la structure même de l’Orestie, telle qu’elle nous a été transmise, c’est-à-dire sans sa source satyrique et sous forme textuelle, c’est-à-dire en demande de reconstruction spectaculaire, fatalement hypothétique : d’abord pour l’organisation rythmique d’ensemble, ensuite pour les effets de structure impliqués par les transitions entre les trois composantes de la trilogie, enfin, en synthèse, pour ce qu’en fait, à nouveau au-delà et en-deçà du texte, le théâtre post-dramatique contemporain, notamment Romeo Castellucci, rejoignant ainsi quelque chose qu’on se permet de désigner ici comme pré-dramatique, en tout cas pré-aristotélicien. Un exemple très significatif, car fermement graphique, est celui de l’étude menée par Lutz Käpel21, d’un point de vue strictement dramatique, dont les résultats semblent cependant transposables dans une perspective plus pragmatique, voire anthropologique22.
23 Le premier point significatif concerne l’organisation macrostructurale de l’Orestie en flux montant – descendant, similaire à celui d’une pièce autonome23 : desis« nouement » (l’Agamemnon et les deux tiers des Choéphores, jusqu’à la mort de Clytemnestre, qui devient ainsi l’événement principal de la trilogie)et lusis « dénouement »(la suite et fin des Choéphores et les Euménides). Ce rythme général est renforcé par l‘’organisation analogue de chacun des trois éléments de la trilogie, avec des effets de tuilage, selon lesquels la desis de l’Agamemnon commence avant son prologue, comme hors scène mais accessible à la phantasia des spectateurs (par le discours du veilleur annonçant le retour du roi et la longue entrée du choeur évoquant notamment le sacrifice d’Iphigénie et ses conséquences déjà réalisées ou encore possibles) ; la desis des Choéphores, à la fin de l’Agamemnon (dans le débat entre le Coryphée, Clytemnestre et Égisthe, surtout à propos d’Oreste, qui pourrait revenir…), et la première des Euménides dès la fin des Choéphores (le dialogue entre Oreste et le Coryphée, avec l’apparition des Érynies maternelles). Dans ce dernier cas, l’organisation trilogique de la geste des Atrides, d’ampleur plus épique, sur trois générations, que l’Orestie, dont le titre indique bien qu’elle se concentre sur un personnage et un événement (l’assasinat de Clytemnestre, et non celui d’Agamemnon), est explicite, dans la bouche du coryphée, Choéphores 1063-1075. Mais qu’il s’agisse des Atrides ou du seul Oreste, la figure du cycle est opérante, comme si chaque cycle individuel s’intégrait dans le cycle d’ensemble, familial, et que le cycle orestien visait à marquer la fin, heureuse au moins pour le protagoniste et ses hôtes athéniens, de celui des Atrides24 :
v. 1063-1075 : Bonne chance. Qu’un dieu propice veille sur toi/et te préserve jusqu’à des jours meilleurs./ Voilà donc dans le palais de nos rois/la troisième tempête/dont le souffle vient d’éclater :/ d’abord des enfants dévorés,/ les tristes malheurs de Thyeste/puis la peine royale que souffrit un guerrier/égorgé dans son bain,/ lui, le chef de l’armée achéenne./ Maintenant voici la troisième – pour nous sauver/ou pour nous perdre ? Où donc va s’accomplir, / où va cesser/et s’endormir enfin la furie de la ruine ?
24Chaque desis commence ainsi à peu près en même temps que la lusis de la pièce antérieure, et les événements principaux sont la mort d’Agamemnon, celle de Clytemnestre, la libération d’Oreste et, enfin, la seconde lusis des Euménides qui est aussi la lusis générale de l’Orestie, la fondation rituelle des nouvelles justice et religion athéniennes, figurées notamment par le changement de nom et la métamorphose des déesses vengeresses du choeur et leur procession vers l’intérieur de la terre. Fondamentale est alors la structuration des Euménides en deux deseis et luseis, liée à une accélération de l’action,et, en conséquence, l’analogie structurelle (aussi à cause du même tempo lent) de l’Agamemnon et des Choéphores. La trilogie se construit en deux temps : les deux premières pièces, centrées chacune sur un meurtre, et la troisième, sur un substitut rituel au châtiment encouru par le protagoniste, Oreste, dans le cadre d’une justice ancestrale, archaïque, et sur la mise en place d’une autre justice, humaine, individuelle et démocratique, en particulier l‘Aréopage. Enfin, ce qui définit l’ensemble comme un cycle, c’est aussi, en dernier lieu, la construction d’un avant l‘Orestie (épico-mythologique, sur les Atrides) et d’un après, satyrique dans la représentation tétralogique (et le Protée perdu)25, et historique, dans les institutions judiciaires de la démocratie athénienne, en particulier l’Aréopage. C’est évidemment cette double référence qui relie la cité athénienne, et le public rassemblé aux Dionysies, à son passé mythologique, ainsi qu’à l’avenir glorieux et paisible ainsi promu, dans l’actualité telle que l’idéalise le théâtre, en en faisant le récit optimiste de la fondation (sous l’égide d’Athéna, fille de Zeus, et donc de l’ensemble des nouveaux dieux) : là aussi le jeu avec le temps et la structure du spectacle est très contourné, en ce qu’il dialogue avec le temps et la structure du destin de la cité, en cela politique : le concours qui a couronné cette tétralogie a lieu en 458, juste après une réforme importante de l’Aréopage par Ephialtès, et l’association du présent au passé, lointaine et proche, est d’autant plus efficace, sur un double plan, idéologique et rituel26.
Débuts et fins transitionnelles
25D’autres lieux stratégiques, sur le plan dramatique, comme sur le plan rituel, sont le début et la fin de chacune des trois pièces, détaillés ci-dessous. Chaque prologue résume ce qui précède, chaque parodos ou entrée du choeurprépare la suite, mais, nous l’avons vu, suivant Käpel, ces effets proleptiques/analeptiques peuvent pénétrer beaucoup plus loin au cœur de chaque pièce, les liant ainsi plus fermement encore. Un autre facteur de cohésion est l’alternance, qui parcourt toute la trilogie, entre les épisodes, d’inspiration épique, et les passages méliques (assumés par le chœur ou un personnage) : cette collaboration pragmatique entre choeur et protagonistes est particulièrement accomplie par le dernier épisode des Euménides qui entremêle les voix d’Athéna et du chœur divin, avant le cortège qui clôt l’ensemble. Or Aristote, et la tradition qui se réclame de lui, s’intéressant d’abord à l’intrigue et au drame, et faisant du chœur un spectateur idéal inclus, observe surtout les épisodes, qu’il est dès lors fondamental de distinguer de l’épopée (et du cycle épique, d’abord diégétique), comme on l’a vu dans la première partie de cette étude, et cela alors que l’histoire du genre théâtral le ramène toujours à la poésie dite « lyrique », en particulier au dithyrambe, et aux fonctions actives du chœur, non seulement personnage, dans une intrigue, mais aussi, et surtout, acteur principal de l’énonciation rituelle et politique. Ce qui fait de l’Orestie un cycle théâtral c’est aussi que son dénouement général marque l’union spectaculaire (et l’apaisement) de ce que, faute de pouvoir y retrouver complètement l’apollinien et le dionysiaque niezschéens (même si l’image reste suggestive), on désignera (trop) simplement comme les systèmes religieux anciens (puissances chthoniennes, violentes, hybrides, plutôt de l’ordre du féminin et du familial) et nouveaux (autour de Zeus, puissances olympiennes, harmonieuses, anthropomorphiques, plutôt de l’ordre du masculin et du politique). Avec une nuance importante, assez logique face à une dichotomie qui pourrait être grossière : Eschyle est souvent plus subtil et ambigu que l’image qu’en donne par exemple Aristophane dans les Grenouilles, et la cohésion énonciative de l’ensemble de l’Orestie, rythmée par cette alternance qui est à la fois résolue en dernier lieu et orientée vers une fin ouverte ne fait pas de la trilogie une seule pièce : chaque fois, le chœur est différent, vieillards argiens, captives, Érynies/Euménides, et donc ses relations avec les protagonistes, eux aussi différents selon les pièces, et donc avec le dénouement ultime. Enfin, Athènes n’est pas toujours la cité uniment heureuse et paisible qu’évoquent ces derniers vers, même si en 458, juste après les guerres médiques, on peut imaginer que la démocratie puisse produire ce type de disours triomphant : il y a dans ces proclamations chantées quelque chose de plus apotropaïque que simplement documentaire, n’en déplaise à quelques tenants du « miracle » grec ou athénien.
26On résume ici, pour rappel et observation, les six passages concernés, soit le début et la fin de chaque pièce, qui permettent à la trilogie de fonctionner comme une sorte de cycle, à la fois cohérent et dynamique, selon une « tenségrité » qui rend à mon avis préférable que les trois pièces soient représentées, encore maintenant, à la suite l’une de l’autre, comme aux concours dionysiaques. Une analyse beaucoup plus détaillée de ces zones stratégiques du texte (et sans doute de la dramaturgie qui en rendrait compte) serait utile, en échos multiples d’une pièce à l’autre, par exemple pour l’emploi des temps et modes verbaux (parfait, aoriste, présent, futur) et l’expression de la déploration, du souhait ou de la crainte, mais on peut déceler là déjà de quoi percevoir les effets de cycle évoqués ici depuis le début.
27Agamemnon
28- début : prologue (monologue du guetteur, 1-39) et parodos des vieillards argiens (40-263) :
v. 1-11 : Ô dieux, délivrez-moi de mon épreuve,/ depuis un an que je veille, couché/la tête sur les coudes comme un chien sur le toit des Atrides/à contempler le cortège nocturne des astres,/ messagers pour les mortels de l’hiver ou de l’été,/ maîtres brillants qui se distinguent dans le ciel,/ quand déclinent ou se lèvent leurs constellations/et que je guette comme aujourd’hui la réponse d’une torche/et son message en flammes surgi de Troie/pour annoncer sa chute – puisque tels sont les ordres d’une femme au cœur d’homme et tel est son espoir.
29- fin : 6e épisode/exodos (trilogue Égisthe – Clytemnestre – Coryphée)
v. 1670-3 : É. – Sache-le, tu me payeras la rançon de ta folie./ Co. – Courage, pavane-toi, pauvre coq auprès de sa poule./ Cl. – Ne prends pas garde à leurs aboiements insensés./ Toi et moi, maîtres de ce palais, nous y mettrons bon ordre.
30Choéphores
31- début : prologue (monologue d’Oreste, 1-21) et parodos (Électre et chœur des captives, 22-83) :
v. 1-3 : Hermès infernal, toi qui veilles sur la puissance paternelle,/ sois mon sauveur, sois mon allié, je t’en conjure,/ puisque me voici de retour dans ce pays/…
32- fin : 4e épisode/exodos (dialogue/mélodrame, 972-1075), v. 1063-1075, déjà cités plus haut
33Euménides
34- début : prologue (monologue de la Pythie, 1-63, dialogue Apollon – Oreste, 64-93, fantôme de Clytemnestre, 94-139, parodos, 140-177) :
v. 1-8 : Parmi les dieux, ma prière salue d’abord la plus ancienne/et la première prophétesse, la Terre. Et puis Thémis, qui fut après sa mère la seconde à s’asseoir sur ce siège/prophétique, selon un vieux récit. Et la troisième à l’obtenir/ d’elle, sans violence et de son plein gré,/ fut encore une Titanide, Phoïbè fille de la Terre/qui l’accorde en présent de naissance/à Phoïbos avec un nom tiré du sien.
35- fin : épirrhème (dialogue mélique Athéna-chœur, v. 916-1031) et exodos (d’une manière originale : cortège athénien, et non chœur des Érynies, v. 1032-1047) :
v. 1032-1047 : Ô vous qui tenez tant à vos honneurs,/ vous, de la Nuit puissantes filles sans enfants,/ suivez notre cortège bienveillant –/ et que les citoyens observent le silence –// vers l’antre souterrain où vous attendent/vos antiques honneurs, les sacrifices/que notre vénération vous réserve –/ et que le peuple entier observe le silence.
Loyales au pays et favorables,/ marchez, suivez notre chemin, ô Vénérables/que réjouit le feu dévorant de nos torches./ – Et maintenant, hurlez de joie sur notre chant :// la paix, pour le bonheur de nos foyers,/ règne en la cité de Pallas – Zeus qui voit tout/et la déesse du destin en sont d’accord./ Et maintenant, hurlez de joie sur notre chant -
Une reformulation post-dramatique
36Avant de conclure provisoirement, il a paru intéressant d’évoquer l’« écrivain de plateau » contemporain27 qu’est Romeo Castelluci et son analyse, finalement pré-aristotélicienne, de l’Orestie, dont il a présenté une version post-dramatique, essentiellement visuelle et sonore, en 1992, intitulée Orestea (et sous-titrée « d’après Eschyle »), à laquelle il semble importer d’associer la création multiforme intitulée Tragedia Endogonidia, de 2002 à 2004, dont les onze épisodes distincts étaient élaborés et présentés sur autant de scènes différentes (du centre de la Socìetas Raffaello Sanzio, à Cesena, jusqu’à Avignon, Berlin, Bruxelles, Bergen…, et finalement de nouveau Cesena), selon un système parfaitement représentatif de ce que pourrait être un « cycle théâtral » contemporain . On retiendra notamment deux points, dans ce que Castellucci donne à voir et à entendre sur scène comme dans ses commentaires publiés28, où le théâtre grec ancien, associé à, par exemple, Artaud, forme une référence primordiale.
37 D’une part, le caractère pré-tragique et non-narratif de la tragédie, en particulier eschyléenne, et l’opposition entre le chœur, facteur de cohérence, d’harmonie tendue et d’identification collective à la fois dans la célébration et la déploration, et les multiples personnages mythiques, à la violence fondamentale, variable, contradictoire. Aristote aurait probablement qualifié (peut-être condamné) cette conception du théâtre tragique comme a-poétique (quand Castellucci le considère plutôt comme non-rhétorique), mais on peut aussi bien le considérer comme profondément poétique, si on ne restreint pas la poiêsis à l’écriture et à la lecture d’un texte et qu’on l’étend, comme l’impliquent l’étymologie et les premiers emplois du terme, artisanaux et plastiques, à l’ensemble d’une production artistique intermédiale, où texte, musique, lumière ou danse collaborent indissociablement, comme dans ce que les Grecs d’époque archaïque et classique appelaient mousikê, art de toutes les Muses, ensemble. C’est la confrontation et la fertilisation réciproque de l’archaïque et du contemporain, comme du pré- et du post-dramatique, qui se jouent ici, au delà des analogies simplement classiques et modernes d’un théâtre textuel :
p. 55-56 : Les mots de L’Orestie sont la forme, les valves insensibles et belles qui contiennent la timidité du gastéropode mythique, de cet étrange être abyssal à la pensée continue, qui moins on le touche, mieux il se porte. Je trouve vaines et insupportables toutes les tentatives de rendre l’empreinte du coquillage vivante. Rendre un texte tragique « contemporain » est un faux, d’autant plus pathétique que ce sont les poètes qui le font. Ceci traduit une intention missionnaire chez celui qui le réalise ; une tentative de « reconstruire le véritable esprit de la tragédie » dans le contemporain. Comme si la tragédie était une intrigue à jouer dans les hautes sphères de la poésie. Mais nous savons tous parfaitement que la tragédie n’est pas de la poésie ! Le noyau de la tragédie n’est pas tragique : il est pré-tragique, et se soustrait continuellement à lui-même comme l’œil de la limace. Les noms, à nouveau, veulent essuyer ce qu’il y a de muqueux et de rythmé dans la figure. La puissance nucléaire de la tragédie consiste, comme quelqu’un l’a fait remarquer, dans ce qu’elle nie : le silence du héros, et les figures de fable qui sont peu nombreuses et effrayantes. Le Chœur de la tragédie attique manque de nerf. En effet, c’est le contrepoint castré et civilisé du héros. (Les Pélerins de la matière, p. 55-56)
38D’autre part, la nécessité critique et esthétique de l’intégration de la trilogie tragique dans le système général de la tétralogie, qui modifie le fonctionnement de la katharsis, fondée sur le rire rituel, par son orientation comique, précisément satyrique, c’est-à-dire avec un chœur constitué de satyres, comme dans le Cyclope d’Euripide, seule pièce du genre conservée intégralement. Comme indiqué au début de cette étude, c’est le 1 du drame satyrique qui oriente le 3 de la trilogie précédente, dont le véritable dénouement peut être celui de la fête parodique finale, comme par exemple aussi toute la fin des Guêpes d’Aristophane, plus que la résolution pacifique des Euménides, dont le cortège va visiblement vers une célébration à laquelle nous n’avons plus accès, celle du Protée, figure exemplaire du mélange et de la métamorphose :
Depuis le final des Euménides je me retourne en arrière et je regarde, en la dépassant, le début de la trilogie. Que dire, ensuite, du drame satirique (sic) manquant à la tétralogie la plus achevée ? Que dire du Protée perdu ? Que dire de cette comédie qui aurait contrebalancé, en termes de véritable poids, une trilogie tragique tout entière ? Est-ce là que je me situe ? De mon point de vue, probablement ; d’où le sous-titre une comédie organique ? ; d’où je regarde tout à l’envers, vers la grandeur de Clytemnestre. Walter Benjamin en premier s’interrogea sur la substance de cette quatrième partie énigmatique : une comédie a le poids de trois tragédies. Peut-être faut-il rechercher dans le fait d’une décharge de la frustration, due à la solution manquée du drame du héros. Benjamin appelle ce fait « non liquet ». Le rire de la comédie aurait un but libérateur face à la présumée catharsis. La catharsis est, comme on le sait, une invention d’Aristote. Il n’y a qu’une résolution apparente. Le tragique se poursuit ainsi pour se dissiper sous forme névrotique dans le rire. C’est la comédie son unique catharsis. (Les Pélerins de la matière, p. 60)
ÉPILOGUE UTOPIQUE : POUR UN RENOUVEAU CYCLIQUE D’ESCHYLE ET D’AUTRES
39En construisant du même geste la notion de cycle épique (diégèse étendue, polymythique) et celle de tragédie classique (surtout sophocléenne, mimétique, autonome, non intégrée dans une tri-/tétra-logie liée, par exemple Œdipe-Roi, Antigone et Œdipe à Colone, composées à trois dates différentes), Aristote, avec les scholiastes et commentateurs qui s’inspirent de lui, repousse dans les origines du genre tragique la composition tri-/tétra-logique liée, typique d’Eschyle, ainsi que la transgénéricité satyrico-tragique, proprement dionysiaque. L’invention moderne et contemporaine de cycles théâtraux liés, distincts d’une pièce en plusieurs actes, surtout munie d’entractes, en associant variété modale (pathétique et grotesque, par exemple) et implications politiques/éthiques (y compris du public et des figurants), peut aider le spectacle vivant à dépasser la mise en scène dramatique, fondée sur le traitement visuel, sonore, etc, du texte, pour construire une nouvelle liturgie cruelle et distanciée à la fois, équivalant post-dramatique de la pré-dramatique et festive Orestie, tout de même avec le texte, peut-être, ou du moins du texte, mais nécessairement dans un flux radical de sensations fortes de tout ordre. Cette utopie cyclique peut aussi se réaliser par la variation répétitive, reliant diverses pièces représentées en des lieux et des temps différents, et l’ensemble des pièces d’Eschyle pourrait être le matériau d’un tel cycle, où les variations sur Électre, chez Eschyle, Sophocle et Euripide…
Notes
1 Voir C. Calame, « Mythe et rite en Grèce : des catégories indigènes ? », Kernos n° 4, p. 179-204.
2 Sur la réception du théâtre antique et sur le rôle qu’y ont joué les diverses lectures modernes d’Aristote, ainsi que les perspectives, littéraires, anthropologiques ou philosophiques, on renvoie surtout aux deux points de vue différents mais complémentaires de F. DUPONT, Aristote ou le vampire du théâtre occidental, Aubier, Libelles, 2007, et W. MARX, Le tombeau d’Oedipe. Pour une tragédie sans tragique (Paradoxe, Éd. de Minuit, 2012). Au moment des journées d’études sur le « cycle théâtral » dont ce volume rend compte et au moment de la rédaction de cet article, je ne connaissais pas cette dernière analyse, remarquable : il est vrai que certains antiquisants, surtout quand ils sont intéressés par l’anthropologie et la théorie littéraire, distinguent depuis très longtemps « tragédie » et « tragique » et voient en Aristote (et dans les lectures abstraites qu’en ont faites beaucoup de modernes) un cas très particulier de ce qu’on peut dire, dès l’Antiquité, de la tragédie grecque classique. Voir ainsi N. LORAUX, La voix endeuillée. Essai sur la tragédie grecque, Gallimard, 1999.
3 À propos de diverses questions particulières et pour des analyses et références plus détaillées, on se permet de renvoyer à divers travaux antérieurs plus complets. Par exemple sur la distinction « mélique » / « lyrique », voir M. BRIAND, « Les épinicies de Pindare sont-elles lyriques ? ou Du trouble dans les genres poétiques anciens », in D. Moncond’huy & H. Scepi, Le genre de travers : littérature et transgénéricité, La Licorne, PU de Rennes, 2008b, p. 21-42, et les importants travaux de C. Calame sur cette question comme sur celle, plus générale, de l’énonciation poétique (épique, hymnique, chorale, tragique, comique …), depuis C. CALAME, Les Chœurs de jeunes filles en Grèce archaïque. vol. I, Morphologie, fonction religieuse et sociale ; vol. II, Alcman, Roma, 1977 et Le récit en Grèce ancienne, Belin, L’Antiquité au Présent, 2000, à, par exemple C. CALAME, « The Tragic Choral Group : Dramatic Roles and Social Functions », dans R. Bushnell (ed.), A Companion to Tragedy, Oxford UP, 2005, p. 215-233, et « Choral Forms in Aristophanic Comedy : Musical Mimesis and Dramatic Performance in Classical Athens », dans P. Murray et P. Wilson, Music and the Muses. The Culture of Mousike in the Classical Athenian City, Oxford UP, 2004, p. 157-184. Sur la conjonction des approches anthropologique et pragmatique dans l’analyse d’événements poétiques/musicaux issus de l’Antiquité classique ou de cultures dites traditionnelles ou populaires, voir aussi C. CALAME, F. DUPONT, B. LORTAT-JACOB et M. MANCA (dir.), La voix actée. Pour une nouvelle ethnopoétique, Éditions Kimé, 2010. Voir aussi M. BRIAND, « Les épinicies de Pindare et de Bacchylide comme rites de passage : pragmatique et poétique de la fête et de la fiction méliques », dans P. Hameau (dir.) avec la collab. de C. Abry et F. Létoublon, Les rites de passage. De la Grèce d’Homère à notre XXIe siècle, Grenoble, Musée Dauphinois, 2010, p. 91-100.
4 Voir W. MARX, « La véritable catharsis aristotélicienne. Pour une lecture philologique et physiologique de la Poétique », Poétique 166, 2011, p. 131-154, et M. BRIAND, « Light and Vision in Pindar’s Olympian Odes : Interplays of Imagination and Performance », , The Look of Lyric. Prodeedings of the network for the Study of Archaic and Classical Greek Song, vol. 1, A. Lardinois, R. P. Martin et A.-E. Peponi (eds.), à paraître en 2012.
5 Sur la métaphore conceptuelle, voir M. Briand, ibid., et les apports des cognitive poetics, par exemple à partir de G. LAKOFF et M. JOHNSON, Metaphors we live by, Univ. of Chicago Press, 2003 (1980) (trad. fr. Les métaphores dans la vie quotidienne, trad. Michel de Fornel, Minuit, 1986).
6 M. DAVIES, The Greek Epic Cycle, Bristol Classical Press, 1989, et J. S. BURGESS, The tradition of the Trojan war in Homer and the Epic Cycle, The Johns Hopkins UP, Baltimore, 2001.
7 On met à part l’expression kuklikê ekdosis, Schol. Od. 7,115, 16,195, 17,25 …, souvent comprise comme « vulgate », littéralement « édition cyclique / du cycle » la plus communément reçue et diffusée, qui, d’une certaine façon, s’approche de l’emploi callimachéen « traditionnel, conventionnel », peut-être même « populaire ».
8 Voir entre autres A. CAMERON, Callimachus and His Critics, Princeton University Press, 1995, ou encore C. CUSSET, La Muse dans la bibliothèque. Réécriture et intertextualité dans la poésie alexandrine, CNRS, 1999.
9 Voir F. Dupont, op. cit., ainsi que, auparavant, F. DUPONT, L’invention de la littérature. De l’ivresse grecque au livre latin, Éd. La Découverte, 1994.
10 Voir M. DIXSAUT (dir.), Querelle autour de la naissance de la tragédie. Nietzsche, Ritschl, Rohde, Wilamowitz, Vrin, 1995.
11 Voir entre autres C. DUMOULIÉ, Nietzsche et Artaud : Pour une éthique de la cruauté, P.U.F., 1992 ; M. KESSLER, L’esthétique de Nietzsche, P.U.F., 1998 ; et É. BLONDEL, Nietzsche, le corps et la culture : la philosophie comme généalogie philologique, L’Harmattan, 2006.
12 Voir M. BRIAND, "Dance and theôria in Greek antiquity : Homer, Plato and Lucian of Samosate, beyond the distinction practice - theory", Proceedings of the SDHS 2007 Symposium (Re-Thinking Practice and Theory / Repenser la pratique et la théorie), Pantin, Centre National de la Danse, 2007, p. 318-323.
13 On peut mettre à part Euripide, considéré comme le plus sophiste / philosophe des trois grands tragiques, mais justement pas l’un des plus anciens. Voir J. ASSAËL, Euripide, philosophe et poète tragique, Collection d’Études Classiques, Namur, 2001.
14 Voir L. ROSSETTI, Le dialogue socratique, encre marine, Les Belles Lettres, 2011.
15 On notera le rôle fondamental joué, sur ces questions comme sur d’autres, par la philologie et la critique anciennes, comme intermédiaire et filtre : voir M. BRIAND, « La danse et la philologie : à partir du mouvement strophique dans les scholies anciennes à Pindare », S. David, C. Daude, E. Geny & C. Muckensturm-Poulle (eds.), Traduire les scholies de Pindare ... I De la traduction au commentaire : problèmes de méthode, avec une préface de Cl. Calame, Dialogues d’histoire ancienne, Supplément 2, PU de Franche-Comté, 2009a, 93-106. Ce domaine d’études, sur la réception et l’étude anciennes de la tragédie, est en plein développement : voir, par exemple, R. MEIJERING, Literary and rhetorical theories in Greek scholia, Forster, Groningen, 1987 ; A. BILLAULT et C.MAUDUIT (éd.), Lectures antiques de la tragédie grecque, Lyon, 2001 ; Eleanor DICKEY, Ancient Greek Scholarship : A guide to finding, reading and understanding scholia, Oxford UP, 2007.
16 On prend ici comme édition et traduction de référence celle de J. LALLOT et R. DUPONT-ROC, Poétique, publiée en 1981, aux éditions du Seuil, dans la collection « Poétique « , qui a su notamment valider définitivement, pour mimêsis, le sens de « représentation », et non d’ « imitation », faisant de l’aristotélisme théâtral moderne une longue parenthèse de mésinterprétation du texte aristotélicien même.
17 P. YZIQUEL, « Le drame satyrique eschyléen », p. 1-22, et A. MOREAU, « Le drame satyrique eschyléen est-il "mauvais genre" ?" », p. 39-62, Cahiers du GITA n° 14, D’un genre à l’autre, Montpellier, 2001.
18 F. JESI, La fête et la machine mythologique, Mix, 2008.
19 J.-P. MIQUEL, Propos sur la tragédie. Essai, Actes Sud, Un endroit où aller, 1988, p. 18 : « La tragédie est un passage. Un passage que tout homme rêve d’accomplir ; en dépassant précisément la mort et le bonheur pour déboucher sur la conscience et la liberté ».
20 J. de ROMILLY, « Cycles et cercles chez les auteurs grecs de l’époque classique », p. 111-127, Tragédies grecques au fil des ans, Les Belles Lettres, 1995.
21 Lutz KÄPEL, Die Konstruktion der Handlung in der Orestie des Aischylos : die Makrostruktur des « Plot » als Sinnträger in der Darstellung des Geschlechter fluchs, Zetemata 99, Beck, München, 1998.
22 On pense aussi au cadre général des performance studies, applicable à la tragédie ancienne, tel que l’ont établi par exemple, en interrogeant la relation théâtre / rituel, R. SCHECHNER, Performance Theory, London - New York, Routledge, 2003 (1988) ou V. TURNER, The Anthropology of Performance, Performing Arts Journal Press, New York, 1986.
23 Selon un schéma parfaitement classique : on peut penser à la trilogie filmique de Peter Jackson Le Seigneur des Anneaux (La communauté de l’anneau, Les deux tours et Le retour du roi), où la figure du cercle / cycle informe la narration d’ensemble, l’organisation de l’espace (la Terre du Milieu) et la symbolique fondamentale (la guerre de l’anneau). Voir C. DELATTRE, Le cycle de l’anneau. De Minos à Tolkien, Antiquité au Présent, Belin, 2009.
24 On donne ici la traduction D. Loayza, GF, 2001, comme dans toute la suite de l’article.
25 Paul Claudel s’est chargé de composer en 1913 sa version développée, typiquement burlesque, de Protée, après avoir traduit, comme on sait, la trilogie eschyléenne, ainsi heureusement complétée. Une nouvelle version, modifiée, paraît ensuite en 1926. L’influence de l’Hélène d’Euripide est assez claire, même si Claudel situe les retrouvailles d’Hélène et Ménélas à Naxos et non en Égypte (comme c’est aussi le cas dans le chant IV de l’Odyssée).
26 La version des Euménides présentée par Olivier Py, au Théâtre de l’Odéon, en 2008 me semble assez juste, sur ce point, y compris quand le chant final du chœur, en l’honneur de la paix, est ponctué de cloches anachroniques, pour tout dire très catholiques. Le problème dans ce cas est toujours la double contrainte de la reconstruction et de l’actualisation combinées.
27 L’expression est inspirée de B. TACKELS, Les Castellucci. Écrivains de plateau I, Besançon, Les Solitaires Intempestifs, 2005, auquel on renvoie notamment pour l’introduction, p. 11-21, le chap. 1 Socìetas Raffaello Sanzio, l’art de la peste, p. 25-45, et, au chap. II.3, l’entretien « Autour de la Tragedia Endogonidia, Marseille, sept. 2004 », p. 80-91.
28 Voir Cl. & R. CASTELLUCCI, Les Pèlerins de la matière. Théorie et praxis du théâtre (Écrits de la Socìetas Raffaello Sanzio), tr. K. Espinosa, Les Solitaires Intempestifs, Besançon, 2001.