Didactique des langues et recherches sur le bi/plurilinguisme

Par Marinette MATTHEY
Publication en ligne le 13 septembre 2018

Texte intégral

1Le thème général du colloque étant placé sous la bannière des questions d’épistémologie, et l’épistémologie consistant avant tout, comme l’a rappelé Claude Germain lors de la synthèse du colloque, à débattre des présupposés qui orientent souvent de manière implicite nos actions de chercheurs et de producteurs de discours scientifique, il me parait salutaire de commencer par énumérer quelques-uns des présupposés théoriques (mais aussi philosophiques et idéologiques) qui m’animent (I), qui contextualiseront (du moins je l’espère) les quelques topiques que j’énumèrerai (II) et qui me semblent appeler une réponse de la didactique (III), ce qui nous conduira à répondre à deux des questions posées comme cadrage de notre atelier (IV) :

2La didactique d’une langue particulière peut-elle s’inscrire dans la didactique des langues en général ?

3Certains savoirs ou concepts développés actuellement en didactique des langues peuvent-ils intéresser la didactique du français ?

4La toile de fond de cette communication est constituée par les recherches socio- et psycholinguistiques sur le bilinguisme et l’acquisition, menées depuis une vingtaine d’années, notamment à Neuchâtel et à Bâle (ch).

1. Quelques présupposés

5Par présupposés, j’entends ici à la fois les croyances, les savoirs/savoir-faire et les valeurs qui orientent nos actions de chercheur et de producteur de discours... Il s’agit donc d’un véritable (mais léger) examen de conscience !

6Tout d’abord, qui parle ? Il est de bon ton lorsqu’on est invité en tant que linguiste (ou psychologue, ou sociologue...) s’intéressant aux processus de construction de connaissances de commencer ses interventions par « je ne suis pas didacticien mais... ». Cette précaution oratoire contribue à faire exister le champ de la didactique, mais il n’est pas sûr qu’elle clarifie vraiment le statut de cette discipline. Ainsi, et quitte à agacer quelque peu les « vrais » didacticiens, je dirai que comme je m’intéresse aux processus de construction de connaissances linguistiques, je me sens de facto un peu didacticienne, même si je préfère dire que mon domaine de spécialité est la linguistique de l’acquisition.

7Et maintenant, qu’est-ce que je fais ? Mes actes s’inscrivent dans une finalité ultime d’action sur la réalité et non simplement de description de celle-ci : la didactique est pour moi avant tout un moyen d’aider à réduire les inégalités scolaires qui frappent une grande partie des élèves, et parmi eux les élèves issus de la migration. La didactique des langues ne pourra bien sûr pas effacer les inégalités sociales, mais elle peut contribuer à combler, ne serait-ce qu’un peu, ces inégalités. De toute façon, point n’est besoin d’espérer pour entreprendre...

8Mes croyances et mon système de valeurs font que je crois à l’efficacité du discours sur l’évolution des représentations : en diffusant largement les résultats des recherches sur le plurilinguisme1, tant dans ses aspects sociaux que psycholinguistiques : en mettant en place des activités de valorisation des connaissances développées dans nos projets de recherche, on contribue à créer les conditions qui permettront l’avènement de nouvelles pratiques didactiques dans les classes.

9Didactique... j’ai déjà utilisé ce mot de nombreuses fois dans les lignes ci-dessus, il est peut-être temps d’expliciter également ce que j’entends par ce terme. Pour moi, didactique renvoie parfois à des pratiques d’enseignement et parfois à l’analyse des activités d’enseignement / apprentissage. Conformément à ma logique d’action, je ne conçois pas cette double référence comme une source de confusion grave, qu’il faut à tout prix éviter pour assister à l’avènement tant attendu d’un nouveau champ scientifique, celui de la didactique, discipline « académiquement pure », enfin débarrassée des attentes et des pressions que la société fait peser sur elle. Je considère au contraire que ce lien entre activités de recherches et « problèmes sociaux » en général est une chance... ne serait-ce que parce que cela donne du travail aux didacticiens ! (chance que les physiciens spécialistes de la relativité ou les linguistes générativistes n’ont pas, par exemple). Ainsi, les deux sens de didactique restent liés pour moi, non pas parce que je confonds activité prescriptive (ce qu’il faut bien appeler les injonctions faites aux enseignants) et descriptive (comment décrire une situation d’enseignement / apprentissage ? Comment observer la construction des connaissances ? Comment font les enseignants pour aider les élèves à apprendre ? etc.), mais parce que je crois que l’activité descriptive n’aurait pas de sens sans la finalité pratique qui est d’améliorer les processus de transmission et de construction de savoirs dans un contexte donné.

10Répondre aux questions énoncées ci-dessus ne peut se faire sans connaissances académiques diverses, connaissances qui constituent une paire de lunettes théorique orientant les choix méthodologiques. Dans ma formation universitaire neuchâteloise, j’ai été sensible à une exigence soulevée tant par mes professeur(es) de linguistique que de psychologie et d’ethnologie. Cette exigence constitue encore aujourd’hui le matériau de ma paire de lunettes... Elle concerne justement la nécessité de commencer par décrire la réalité qu’on observe et de l’interpréter ensuite en étant conscient que le point de vue de l’observateur ne se confond pas avec celui des acteurs (point de vue étique vs point de vue émique). Les connaissances théoriques développées en sciences humaines doivent pouvoir rendre compte de la réalité en intégrant le point de vue des acteurs qui la construisent. Cette exigence conduit naturellement à s’intéresser aux représentations des acteurs et elle contribue aussi à relativiser la perspective injonctive de la didactique, car elle souligne le fait que le chercheur n’est ni à la place de l’enseignant, ni à celle de l’élève. Elle pousse aussi à adopter des méthodes empiriques telles que l’analyse conversationnelle ou l’analyse de discours.

11Ce balayage de présupposés effectué, venons-en maintenant à quelques topiques récurrents et actuels en didactique des langues.

2. Quelques topiques en didactique des langues

2.1 Didactique de L1 et de L2

12Depuis une trentaine d’années au moins, l’apprentissage de la langue maternelle et des langues secondes à l’école fait l’objet de remarques portant sur la coordination de leurs enseignements. D’une certaine manière, cette coordination apparait comme un vœu pieux émis par la plupart des enseignants, des formateurs et des didacticiens, mais qui se révèle peu suivi de pratiques effectives sur le terrain scolaire. En Suisse romande, on a même pu constater une contradiction certaine entre les déclarations d’intention et la mise en place de nouveaux moyens d’enseignement. Ainsi, alors que E. Roulet (1980) publie un ouvrage dans lequel il présente un cadre théorique pour rapprocher les pédagogies des langues maternelle et secondes (et en particulier l’allemand), une réforme de l’enseignement du français (cf. son ouvrage fondateur Maitrise du français, Besson et al. 1979) installe les bases d’une description grammaticale et d’un métalangage pour le français qui ne s’interroge en aucune manière sur les relais possibles avec l’allemand, pourtant obligatoire pour tous les élèves.

13Ainsi, malgré les injonctions répétées, les innovations didactiques ayant comme objectif de mieux faire prendre conscience aux élèves des principes généraux du fonctionnement des langues et du langage, derrière la variété des manifestations linguistiques et langagières, sont plutôt rares (la récente perspective développée par le courant « Éveil au langage » cf. Candelier ici-même) permet toutefois de remettre l'ouvrage de la didactique coordonnée sur le métier). Il en va de même des principes didactiques permettant de développer de manière équilibrée le répertoire linguistique des apprenants, c’est-à-dire à la fois les compétences orales et écrites dans la langue de l’école (qui peut être langue première ou seconde pour les élèves), dans la ou les langues secondes enseignées par l’école, et, le cas échéant, dans la langue d’origine des élèves.

2.2 La notion de répertoire linguistique

14La notion de répertoire met l’accent sur le tout idiosyncrasique que forment les savoirs et les savoir-faire linguistiques. Même s’ils sont composites, formés de différentes langues dans lesquelles les compétences du locuteur sont inégales, ces savoirs et savoir-faire linguistiques forment une connaissance originale, sur laquelle une didactique des langues cohérente devrait pouvoir s’appuyer pour amener l’apprenant à développer son répertoire de manière satisfaisante pour lui et pour le système éducatif dans lequel il est enrôlé. Force nous est de constater que les pratiques actuelles en la matière reposent encore sur des représentations linguistiques qui n’intègrent pas cette notion de répertoire unique, singulier et inégal, mais qui postulent, au contraire, que langue seconde et langue première constituent des univers distincts, voire cloisonnés (attention au mélange !). On pourrait s’attendre à ce que cette différence de nature postulée entre L1 et L2 soit relayée par un modèle de compétence dans la L2 qui soit bien différent de celui de la L1, mais il n’en est rien : l'objectif ultime de l'enseignement / apprentissage est bien la compétence idéalisée du natif et non celle d’un alloglotte (ou allophone, autrement dit un locuteur qui s'exprime dans une langue seconde, dans laquelle ses connaissances sont plus ou moins lacunaires). Ces deux aspects – cloisonnement des langues et survalorisation de la norme standard – ne créent pas des conditions idéales pour l’apprentissage des langues en milieu institutionnel.

2.3 Critique de la notion de langue maternelle

15Dans le cadre des recherches sur le bilinguisme, Lüdi & Py (1986) plaident en faveur de l’abandon de la notion de langue maternelle. Cette notion est en effet révélatrice de l’idéologie monolingue2 qui caractérise nos représentations et elle ne cadre pas avec les faits décrits par les approches sociolinguistiques et psycholinguistiques du bilinguisme. S’il est déjà délicat de qualifier de « maternelle » la langue d’origine des enfants de migrants, il est encore plus problématique d’étiqueter ainsi la langue de l’école pour les enfants alloglottes. La langue de l’école n’a pas non plus le même statut que les L2 apprises à l’école par les enfants monolingues. Ainsi, l’opposition entre didactique de la langue maternelle et didactique des langues secondes apparait de plus en plus grossière et de moins en moins adaptée à capter la réalité linguistique des écoles d’aujourd’hui. Tout laisse à penser d’ailleurs que les mouvements migratoires des pays pauvres vers les pays riches constituent un phénomène non transitoire, qui pourrait même s’intensifier. Une redéfinition du statut des différentes langues s’impose donc et elle implique une réflexion sérieuse sur la mise en œuvre d’une didactique intégrée, empêchant, dans la mesure de ces moyens, qu’une sur-sélection scolaire affecte les élèves alloglottes.

2.4 Langues et sélection scolaire

16Certains indicateurs de l’enseignement en Suisse montrent bien, en effet, à quel point la sélection se renforce pour les élèves qui parlent dans leur famille une autre langue que celle de l’école. La diversité culturelle dans les classes n’a cessé de se renforcer au cours des deux dernières décennies : la part des classes de l’école obligatoire considérées comme très hétérogènes (au moins 30 % d'élèves de langue ou de nationalité étrangère) a passé de 20 % en 1980 à 34 % en 1998 (Indicateurs de l'enseignement en Suisse, Office fédéral de la statistique 1999). Ainsi, plus d'un tiers des classes sont aujourd'hui très hétérogènes3 mais c'est dans les filières à exigences élémentaires ou dans celles dispensant un enseignement spécialisé pour élèves rencontrant de grandes difficultés d'apprentissage que l'hétérogénéité a le plus progressé : la proportion de ces classes a plus que doublé (passant de 22 % à 52 %)... Autrement dit, il apparait que la sélection scolaire est devenue beaucoup plus sévère à l’égard des élèves de nationalité ou de langue étrangères.

17Certes, ces différences statistiques ne s’expliquent pas uniquement par l’augmentation de l’hétérogénéité linguistique : les parents des enfants étrangers ou parlant une autre langue ont en moyenne un niveau de formation plus bas et l’effet « classe socioprofessionnelle » ne doit pas être confondu avec les aspects purement linguistiques. Il n’en reste pas moins que ces chiffres traduisent aussi une incapacité de l’institution scolaire suisse à réagir de manière adéquate à un afflux d’élèves non francophones (ou non germanophones, ou non italophones), incapacité qui se traduit par un renforcement de la sélection scolaire pour les élèves alloglottes. Comment ne pas penser qu’une didactique des langues s’appuyant sur des connaissances scientifiques en matière de bilinguisme et d’acquisition des langues a un rôle important à jouer pour contrer cette sournoise ghettoïsation scolaire ?

3. Quelques pistes

18Les nouvelles pistes didactiques me semblent passer par un changement de pratiques et de représentations liées à l’enseignement et à l’apprentissage des langues. Quelques notions issues des travaux sur le bilinguisme et sur l’acquisition des langues « en milieu naturel » peuvent aider à cette transformation.

3.1 Vers une idéologie plurilingue

19Par idéologie plurilingue, nous voulons parler d’une vision de la réalité qui considère que les situations linguistiquement hétérogènes à l’école doivent être traitées dans des cadres adéquats, et non assimilées « par défaut » aux situations homogènes. Les travaux évoqués ci-dessus4 ont permis de montrer, entre autres, à quel point les représentations de la langue, et surtout en milieu francophone, sont marquées par une vision monolingue du langage, qui hypertrophie les composantes normatives des représentations. Les pratiques d’enseignement et d’évaluation dans l’institution scolaire sont forcément normatives, mais quand elles consistent à juger les compétences linguistiques d’un répertoire bi ou plurilingue à la même aune que celles issues d’un répertoire monolingue, elles augmentent la sélection scolaire, même si c’est au nom de l’équité : « l’évaluation doit être la même pour tout le monde » disent en effet certains enseignants, par souci d’équité envers les élèves monolingues en difficulté.

20Diversifier les modes d’évaluation linguistiques afin de tenir compte des statuts respectifs des langues du répertoire de l’apprenant signifie adopter une perspective (ou une idéologie) plurilingue sur l’ensemble des apprentissages linguistiques. Cette perspective est mieux adaptée à une population scolaire de plus en plus hétérogène, elle conduit à repenser le statut de la langue de l’école en tenant mieux compte du profil linguistique des apprenants.

3.2 L’apprenant : un bilingue en devenir

21La rencontre des recherches sur le bilinguisme et les questions de didactique des langues ont engendré une vision originale de l’apprenant comme un bilingue en devenir. L’apprentissage des langues à l’école est ainsi envisagé comme un cas particulier de construction d’un répertoire plurilingue (et non seulement bilingue car la grande majorité de la population scolaire apprend au moins deux langues secondes à l’école). Il ne s’agit plus dès lors de considérer que le modèle de compétence pour l’apprenant de langue X est un locuteur natif de la langue X, mais de donner à l’apprenant les moyens de devenir un alloglotte compétent dans les situations où X est la langue de communication, et où des interlocuteurs, de différents niveaux de compétence dans cette langue, interagissent. Sans oublier qu'au sein de telles situations, l'alloglotte trouve des opportunités pour développer ses compétences dans la langue X. Les modèles d’apprentissage par immersion et la généralisation des échanges linguistiques contribuent à renforcer cette image de l’apprenant comme acteur principal de la construction de son répertoire plurilingue. Acteur principal ne signifiant pas solitaire, puisque c’est bien dans le cadre d’échanges conversationnels, à l’intérieur et à l’extérieur de la salle de classe, qu’il construit son répertoire.

3.3 La classe : un milieu plurilingue-exolingue

22Les travaux sur le bilinguisme (et de manière plus générale sur les situations de communication plurilingues) effectués en Suisse ont permis d'aboutir à une typologie des situations de communication qui se schématise sous la forme de deux axes (cf. par exemple de Pietro 1988) :

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23L'axe unilingue-plurilingue rend compte du nombre de langues effectivement présentes dans la communication. L'axe endolingue-exolingue exprime le degré de partage du ou de ces code(s) par les interlocuteurs.

24Les quatre situations délimitées sont idéalisées dans un but heuristique :

25(1) endolingue-unilingue,se caractérise par la présence d'une seule langue et une asymétrie linguistique minimum entre les locuteurs. C'est en fait la situation envisagée par Jakobson dans son célèbre schéma de la communication. Les trois autres sont en revanche toutes liées, d'une manière ou d'une autre, aux situations de communication effectivement ou potentiellement plurilingues :

26(2) exolingue-unilingue rend compte des situations qui réunissent un ou des alloglottes communiquant avec un ou des locuteur(s) plus compétent(s), uniquement dans la langue de ce(s) dernier(s) :

27(3) exolingue-plurilingue renvoie aux situations où, à l'inverse de la précédente, une deuxième, voire une troisième langue (etc.) fait partie du répertoire linguistique des interlocuteurs, mais de manière inégalement partagée :

28(4) endolingue-plurilingue caractérise les situations de communication où plusieurs langues également partagées font partie du répertoire commun des interlocuteurs. C'est dans cette situation qu'on voit apparaitre le parler bilingue (Lüdi & Py 1986), pratique linguistique caractéristique des locuteurs bilingues entre eux, qui présente des phénomènes de code-switching et de code-mixing.

29Dans la classe, chaque élève se trouve au moins quelques heures par semaine dans une situation exolingue-plurilingue où il est alloglotte, étant entendu que certains élèves sont plus alloglottes que d’autres puisque même la langue « maternelle » du lieu est seconde pour eux ! Idéalement, tous les élèves devraient aussi pouvoir expérimenter le rôle complémentaire du locuteur linguistiquement plus compétent dans une conversation, dans la langue de l'école mais aussi dans les langues de la migration. Cet idéal est difficilement atteignable pour toutes les langues mais en faire entrer dans l’école au moins certaines ne parait tout de même pas relever de l’utopie la plus irréaliste (cf. à ce propos Gajo & Matthey 1998). Cette conception de la classe comme milieu plurilingue-exolingue, régi institutionnellement par un contrat didactique5et favorisant de ce fait les séquences potentiellement acquisitionnelles (de Pietro, Matthey & Py 1989)6 parait à première vue davantage adaptée à la didactique des L2. Elle peut néanmoins aider à redéfinir la didactique de L1, dans la mesure où elle permet de faire une place explicite aux autres langues présentes dans la classe, où elle reconnait l’existence de répertoires linguistiques hétérogènes, où elle permet d’envisager, par exemple, qu’on encourage l’apprenant à recourir à l’ensemble de son répertoire linguistique lorsqu’il rencontre des difficultés de communication.

30Les réflexions, souvent entendues dans le milieu enseignant, sur les dangers du mélange de langues, sur la nécessité de bien maitriser une langue avant d’en apprendre une deuxième, etc. reflètent encore l’idéologie monolingue dominante, très éloignée de notre conception de la classe milieu plurilingue-exolingue.

4. Conclusion en forme d’objectif

31Après cette brève évocation des pistes didactiques issues des travaux sur le bilinguisme et l’apprentissage des langues en milieu naturel, il me semble possible de répondre oui aux questions initialement posées... En ce qui concerne la didactique du français, première langue de l’école, comme celle des L2 de l’école, deux objectifs mériteraient – à mon sens – d’être poursuivis :

321. Accroitre l’efficacité de l’école au niveau de l’utilisation des langues comme outils de communication. Cet objectif concerne à la fois la langue de l’école (notamment dans sa dimension écrite) et les langues apprises à l’école.

332. Améliorer la réflexion sur l’objet « langue », c’est-à-dire sur les phénomènes langagiers et sur le fonctionnement des langues en général.

34Ces deux objectifs requièrent un réel décloisonnement, tant au niveau des disciplines que de la gestion de l’horaire scolaire. Le premier concerne aussi l’éducation bilingue, l’immersion et les échanges, en résumé tout un ensemble de pratiques d’enseignement et d’apprentissage linguistiques, qui impliquent un redécoupage des heures consacrées à l’enseignement des langues. La dotation hebdomadaire, cloisonnée en disciplines distinctes, n’est guère favorable en effet à la mise en place de stratégies d’apprentissage débouchant sur une réelle acquisition fonctionnelle des langues. Le deuxième objectif concerne plus spécifiquement les démarches d’Éveil aux langues et au langage (cf. Candelier ici même) qui ne consistent pas en une discipline nouvelle, mais en un regard porté sur de nombreuses disciplines scolaires, qui fait davantage de place aux sciences du langage : regard porté sur les langues, bien sûr, à travers la réflexion grammaticale au sens large, mais également sur la géographie (à travers les noms de lieu), sur l’histoire (à travers l’évolution des langues), sur les mathématiques (à travers les différents systèmes de numération), etc. Notons enfin que cette perspective nouvelle favorise, au sein de l’école, l’émergence de connaissances à propos des langues plus en rapport avec l’état des savoirs scientifiques de notre époque que ceux qui y sont actuellement construits.

Notes

1 Encore un présupposé qu’il vaut mieux expliciter : bilinguisme et plurilinguisme sont largement synonymes dans le courant de recherches dont je vais parler. Les deux termes s’opposent à monolinguisme par la distinction entre répertoire monolingue (une seule langue) vs répertoire plurilingue (plus d’une langue).

2 On trouve également l’expression idéologie unilinguiste ou unilingue ou encore monolinguistique.

3 Cette hétérogénéité linguistique n’est pas répartie de manière égale sur le territoire de la Confédération : à Genève (centre urbain francophone), 78 % des classes de l’école obligatoire sont très hétérogènes, alors que dans le canton d’Obwald (région de montagne germanophone), la part de ces classes n’atteint que 3 %.

4 On trouvera une synthèse du modèle « Bâle-Neuchâtel », ainsi qu’une importante bibliographie, dans Matthey & de Pietro 1997.

5 La notion de contrat didactique a été introduite initialement en didactique des mathématiques par Brousseau (1980 : 181), qui l’a défini comme « ces habitudes (spécifiques) du maitre attendues par l’élève et ces comportements de l’élève attendus par le maitre ». Dans le contexte des situations de communication exolingue, la notion renvoie aux types d’interaction dans lesquelles le locuteur plus compétent adopte un comportement de « maitre », par exemple en reformulant souvent les énoncés ou en corrigeant ceux de son interlocuteur, et l’alloglotte un comportement d’« élève », par exemple en répétant les données linguistiques fournies par son interlocuteur ou en lui demandant un jugement normatif sur telle ou telle forme employée. (Cf. Matthey 1996).

6 La notion de SPA renvoie aux évènements langagiers qui apparaissent notamment dans les situations de communication exolingue-plurilingue ou unilingue, régie par un contrat didactique. Il s’agit des « [...] séquences [qui] articulent deux mouvements complémentaires : un mouvement d’autostructuration, par lequel l’apprenant enchaine de son propre chef deux ou plusieurs énoncés, chacun constituant une étape dans la formulation d’un message, et un mouvement d’hétérostructuration, par lequel le [locuteur plus compétent] intervient dans le déroulement du premier mouvement de manière à le prolonger ou à le réorienter vers une norme linguistique qu’il considère comme acceptable. » (Py 1990, p. 83).

Pour citer ce document

Par Marinette MATTHEY, «Didactique des langues et recherches sur le bi/plurilinguisme», Cahiers FoReLLIS - Formes et Représentations en Linguistique, Littérature et dans les arts de l'Image et de la Scène [En ligne], Revue papier (Archives 1993-2001), Questions d'épistémologie en didactique du français, AXE 3 : REPÈRES DANS LES RECHERCHES CONTEMPORAINES ET TENDANCES PROSPECTIVES, mis à jour le : 13/09/2018, URL : https://cahiersforell.edel.univ-poitiers.fr:443/cahiersforell/index.php?id=622.

Quelques mots à propos de :  Marinette MATTHEY

Maitre-assistante à l’Institut de linguistique (Centre de linguistique appliquée) de l’université de Neuchâtel. Ses travaux portent notamment sur les pratiques langagières plurilingues, sur les représentations du contact de langues et sur l’acquisition-apprentissage des L2. Elle fait partie de l’équipe suisse Evlang (cf. M. Candelier). Elle a notamment publié : Apprentissage d’une langue et interaction verbale (Berne, Lang, 1996), elle a dirigé Les langues et leurs images (Lausanne, Neuchâtel : ...