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Nudité et intermédialité : La Noia d’Alberto Moravia et la rhétorique visuelle de Damiano Damiani
Par Diego Pellizzari
Publication en ligne le 23 décembre 2024
Résumé
The article explores the movie version of Alberto Moravia's La Noia (1960) directed by Damiano Damiani in 1963. The research looks at the adaptation from the particular viewpoint of nudity characterisation. The connotations and methods of nudity representation are investigated by analysing the strategies used by the director to compensate for the impossibility of exhibiting the body, in relation with the multimedia implemented in his movie through painting, photography, and music. Especially the medium of painting is investigated, as it is closely linked to the qualification of the main characters and the representation of the relationship among art, eros, and reality.
Cet article s’intéresse à la transposition cinématographique de La Noia, roman d’Alberto Moravia (1960), qu’a réalisée Damiano Damiani en 1963, sous l’angle spécifique du traitement de la nudité. Les connotations et les modalités de représentation du corps dévoilé sont envisagées à l’aune des stratégies adoptées par le réalisateur pour compenser l’impossibilité d’une exhibition directe, et en relation avec le traitement plurimédial qu’il met en œuvre dans son film, ayant recours à la peinture, à la photographie et à la musique. L’analyse se penche sur la peinture avec une attention particulière, car ce médium est strictement lié à la caractérisation des personnages principaux et à la représentation des rapports entre art, éros et réalité.
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Nudité et intermédialité : La Noia d’Alberto Moravia et la rhétorique visuelle de Damiano Damiani (version PDF) (application/pdf – 2,3M)
Texte intégral
1. Le nu, hors de sa zone de confort
1Il s’agit, dans ce travail, de comparer La Noia, roman d’Alberto Moravia daté de 1960, et la version cinématographique qu’en a tirée Damiano Damiani trois ans plus tard. Nous nous penchons donc sur une opération intermédiale des plus classiques : la transposition d’une œuvre littéraire à l’écran. Pour ce faire, nous allons cependant aborder la chose sous un angle particulier, celui de la représentation de la nudité, c’est-à-dire d’un objet qui, dans sa canonisation artistique, n’appartient pas au domaine de la littérature ou du cinéma, mais plutôt à celui de la sculpture, de la peinture et, plus récemment, de la photographie.
2C’est en effet grâce au burin et au pinceau que la nudité humaine devient, dès la Préhistoire, un sujet fondamental de représentation, une forme d’art à part entière, d’après Kenneth Clark, que l’on a l’habitude d’appeler le nu, et qui reçoit, depuis l’Antiquité grecque, une codification iconographique idéalisante qui se renouvelle à travers les siècles1. L’étude de l’anatomie et la reproduction du corps humain constituent d’ailleurs une étape d’apprentissage incontournable pour les peintres et les sculpteurs de toutes les époques. Nous ne pouvons pas en dire autant pour la littérature, ni pour le cinéma, domaines au sein desquels la nudité occupe une place plus limitée. Bien qu’elle soit présente depuis Homère – que l’on pense au cadavre d’Hector défiguré par Achille dans l’Iliade (XX, 376-404) ou à la célèbre rencontre d’Ulysse et Nausicaa dans l’Odyssée (VI, 127-222) – et que beaucoup de réalisateurs, notamment les plus novateurs, l’aient fortement valorisée2, force est de constater que, si l’on considère la capacité qu’a la nudité à occuper durablement le temps de la représentation ou à s’imposer comme sujet autosuffisant, la différence entre la peinture et la sculpture d’une part, et la littérature et le cinéma de l’autre, est saisissante. Sauf exceptions ou spécificités liées au genre (l’érotisme, la pornographie), on ne représente sur la page et à l’écran que des scènes de nudité, des moments ponctuels et bien circonscrits.
3La raison de cette différence n’est pas à chercher du côté des obstacles de nature médiale, si on entend par là des entraves ou des insuffisances intrinsèques à ces deux formes de langages. Le cinéma appartient au régime visuel autant que la peinture ou la sculpture, et rien n’empêche à la littérature de dépeindre efficacement un corps dévoilé par le biais de mots. Bien au contraire, c’est justement la puissance des mots et de l’image-mouvement (selon la formule de Gilles Deleuze) qui pourrait constituer une difficulté (une limite « par excès » paradoxalement, à la mise en scène de la nudité), comme en témoigne le fait que l’accusation d’outrage à la pudeur a historiquement affecté beaucoup plus la littérature et la production filmique que la peinture et la sculpture. Cette puissance expressive s’avère immédiatement évidente pour le cinéma, qui, comme la photographie, en raison de sa prise directe des corps réels, faits d’une chair bien vivante, prend toujours le risque de choquer ou de déranger, s’il n’adopte pas une série de mesures visant à « anoblir » son sujet comme la dissimulation des organes génitaux, l’exhibition de corps propres et lisses, un usage avisé de la lumière et de l’obscurité, des postures élégantes ; autant de conventions qui coïncident d’ailleurs en partie avec celles de la peinture académique. La littérature, quant à elle, garantit un très fort degré de mise à distance médiale – les mots ne sont pas des images, et la parole n’est pas l’objet mais un substitut de l’objet –, mais, d’un autre côté, elle peut tout dire et tout nommer : elle peut se glisser dans les replis les plus intimes d’un corps, scruter les sensations qu’un nu produit sur qui le contemple, elle peut verbaliser ce qui resterait implicite dans une image, mobiliser n’importe quel fantasme, convoquer les cinq sens. Il faut reconnaître que cette distance se révèle être, en effet, un prodigieux moyen expressif, car elle permet de mettre en scène ce qu’il serait difficile à exécuter dans un tableau d’un point de vue technique, ou trop violent pour être montré à l’écran.
4La présence limitée du nu au cinéma et en littérature n’est donc pas liée à un problème d’efficacité langagière, comme ce pourrait être le cas pour la musique, mais au fait que nous avons affaire à des procédés principalement narratifs, dont les sujets de prédilection sont des actions qui se déroulent dans le temps quand les corps, eux, se déploient dans l’espace. Lessing, dans sa définition classique des frontières entre les arts de la narration et ceux de la monstration3, reformule de manière implicite l’une des idées centrales de la Poétique d’Aristote, pour qui ce que nous appelons aujourd’hui littérature se définit d’abord, précisément, comme une imitation d’actions. Or, les actions que nous effectuons sans vêtements, à moins d’être adeptes du naturisme, ne sont pas légion.
5Reste que dans l’art elles peuvent être extrêmement significatives, car la nudité, en plus de constituer un défi de représentation, peut véhiculer une grande quantité de valeurs qui ressortissent aux aspects les plus intimes de la vie humaine4. Surtout, le critère quantitatif n’est pas nécessairement, en soi, un bon indice. Dans un récit comme Mademoiselle Else d’Arthur Schnitzler (1924), si le moment du dévoilement du protagoniste féminin n’occupe que deux pages, il devient le point focal de la trame, l’horizon vers lequel convergent toutes les lignes : victime d’un chantage – le vicomte Von Dorsday accepte de donner à la jeune femme l’argent dont elle a besoin pour sauver son père d’une arrestation imminente, à condition qu’elle se dénude devant lui –, Else doit décider si elle cède ou non à son maître-chanteur, et c’est autour de cette décision que se structure la seconde moitié de la nouvelle, au gré du flux de conscience du personnage. Le coup de théâtre, à tout le moins inattendu — Else laisse tomber sa robe dans le salon de l’hôtel où elle est logée, devant Dorsday et toute la bonne société qui l’entoure —, est le point culminant de ce processus, l’acmé émotionnel de l’histoire, dont l’épaisseur symbolique mêle humiliation et désir de dénonciation, fantaisie illusoire d’une renaissance et perception menaçante d’une mort sociale. Dans un film comme Capri Revolution de Mario Martone (2018), qui relate les vicissitudes d’une colonie de jeunes contestataires qui se sont installés à Capri peu avant la Grande Guerre, les scènes de nudité intégrales sont brèves et bien circonscrites, mais outre qu’elles sont extrêmement marquantes – surtout l’éblouissante séquence chorégraphique en pleine forêt, dans laquelle les jeunes gens courent et s’enlacent –, elles manifestent de la façon la plus éclatante qui soit les lignes de force axiologiques du récit. Le moment où la protagoniste, une jeune bergère native de l'île et initialement extérieure à ce groupe de nouveaux venus, dépasse la phase de voyeurisme et se déshabille elle-même, marque sa sortie du monde patriarcal et oppressif de sa famille, et l’entrée dans le monde libérateur de la colonie. Les corps débarrassés de tout habit, exposés au soleil et au regard des autres, livrés à la danse et au contact avec les éléments naturels, expriment puissamment ce désir de révolution et de transformation de la société qui constitue le centre thématique du film.
6En somme, si l’on se borne à mesurer l’importance de la nudité en termes quantitatifs, le principe de vraisemblance fait que dans la littérature et le cinéma, elle reste l’affaire de quelques moments bien délimités, une apparition ponctuelle, aussi intense que fugace, rarement réitérée. Mais si l’on raisonne en termes qualitatifs, ce même caractère fugace peut être, paradoxalement, le signe d’une prégnance sémantique spéciale, qu’il n’est pas judicieux de dilapider mais qu’il convient au contraire d’administrer avec sagesse pour produire un effet puissant, celui d’un coup de fouet, d’un éclair soudain dans l’esprit du lecteur-spectateur. Le moment du nu est un moment où l’on franchit une limite, où l’on change de régime d’intensité, et où quelque chose de radical se manifeste.
7La Noia de Moravia, pour en venir à notre sujet, figure parmi ces textes qui présentent une nudité prégnante tant du point de vue quantitatif que qualitatif, à l’instar de Teorema de Pasolini (1968) ou de Scuola di nudo de Walter Siti (1994). On ne dénombre pas moins d’une dizaine de scènes de nu d’une certaine extension, et l’importance thématique que revêt, par ailleurs, le dévoilement du corps dans l’œuvre de Moravia n’est plus à démontrer5. Comme nous l’avons dit, en nous penchant sur une version cinématographique de ce roman, nous nous plaçons dans le cadre d’une transposition intermédiale ; cependant, en choisissant de limiter l’analyse au traitement de la nudité, la chose se complexifie et mérite quelques précisions supplémentaires. En effet, la nudité littéraire et filmique présente souvent des phénomènes d’emprunt, de thématisation et d’émulation relatifs à ces arts visuels plus anciens, qui ont fait du corps dévoilé l’un de leurs sujets préférés. Ce n’est pas un hasard si deux des personnages principaux de La Noia – Dino et son voisin de palier Mauro Balestrieri – sont peintres, et si Cecilia, celle dont ils sont tous deux tombés amoureux, est leur modèle. Comme dans L’œuvre d’Émile Zola (1886) ou dans La bella estate de Cesare Pavese (1940), ou encore, dans le film La belle noiseuse de Jacques Rivette (1991), le monde de la peinture est l’un des plus propices à la mise en scène du regard prolongé et attentif qui se pose sur le corps nu, à travers les rapports parfois malsains qui se tissent entre l’artiste et ses modèles, dans un climat de sensualité tamisée et de sublimation créative. Chacune des œuvres citées constitue un exemple de ce que certains théoriciens de l’intermédialité nomment la « référence intermédiale6 », c’est-à-dire la présence d’un médium dans un autre médium, dans un état d’homogénéité sémiotique (le roman évoque la peinture à travers la parole, le film à travers l’œil de la caméra). Chez Moravia et Damiani, la référence à la peinture demeure toujours explicite et porte sur le contenu, mais n’implique que sporadiquement une volonté d’imitation formelle du support pictural – ce qui nous amènerait à parler d’ekphrasis ou d’hybridation.
2. Valeurs de la nudité dans La Noia de Moravia
8Ce cadre théorique posé, rappelons en quelques mots l’histoire du roman. Le problème de départ de cette méditation philosophique est l’étrangeté au monde. À travers la figure de Dino, Moravia se penche sur l’incapacité à avoir un rapport quelconque avec la réalité, un sentiment qu’il appelle ennui, lequel oscille entre l’indifférence et la répulsion vis-à-vis de cette dernière. C’est une version moderne et existentialiste d’un sentiment qui a une longue histoire dans notre culture, de Lucrèce à Pascal, de Leopardi à Baudelaire. Dino voit dans sa richesse la racine du mal : il appartient à une famille aisée, ce que sa mère, qui administre le patrimoine familial, n’a de cesse de lui rappeler, l’entraînant dans une dynamique de chantage subtil afin de le garder auprès d’elle. Surtout, la mère de Dino incarne son asservissement à une condition apparemment enviable, mais en réalité vide et insensée, dans laquelle le rapport entre les moyens (l’argent) et les fins (les rapports humains) est inversé, comme l’illustre la parodie de la parabole du fils prodigue qu’il raconte pendant un repas7. Dino n’a rien à désirer car il n’a jamais été confronté à la sensation de manque et à la conquête personnelle de quoi que ce soit : tout lui est déjà donné, et donné par le biais de l’argent. Un cadre de vie préfabriqué lui est imposé, qui, d’ailleurs, n’est pas associé à des aspirations nobles, mais à l’accumulation de capital comme fin en soi. Il essaye alors de se mettre en condition de désirer quelque chose en vivant comme s’il était pauvre : il abandonne la luxueuse villa de sa mère, sur la via Appia, et s’installe dans un studio au centre de Rome, qui fait aussi office d’atelier de peinture. Mais il s’agit d’une mise en scène, et il le sait : c’est un riche qui joue au pauvre. Bien résolu à être un artiste, il ne parvient à peindre que des tableaux abstraits, et c’est, pour ainsi dire, par une page blanche, que débute le roman : Dino déchire une toile et décide d’interrompre son activité car, n’entretenant aucune espèce de lien avec la réalité, il n’est pas inspiré. Les femmes et le sexe ne l’intéressent pas davantage. Le médium de la peinture, et notamment l’image de la toile blanche, ne sont rien d’autre que la traduction artistique de son incapacité à trouver du sens aux choses.
9C’est la jalousie qui fait évoluer cette situation et marque un tournant dans l’histoire. Piqué par la curiosité, Dino entame une liaison avec Cecilia, la jeune femme qui était le modèle et l’amante du vieux peintre Balestrieri, lequel meurt au début du roman alors qu’il faisait l’amour avec elle. Tant que celle-ci se trouve sous sa coupe, il n’éprouve rien pour elle et continue de s’ennuyer, si bien qu’il prend la décision de la quitter. Mais au moment même où il s’apprête à le lui annoncer, il découvre que Cecilia le trompe avec un autre homme. La sensation douloureuse de ne pas la posséder le saisit alors et suscite en lui, de façon instantanée, le désir urgent de la garder près de lui, selon des mécanismes splendidement décrits par Proust (l’amour de Swann pour Odette, mais aussi du narrateur de la Recherche pour Albertine) et théorisés par René Girard8. Cecilia lui avoue bientôt, sans sourciller, qu’elle entretient une liaison avec un autre homme, et semble parfaitement à l’aise avec l’idée d’avoir plusieurs amants en même temps. Dino ne supporte pas la situation, et la sensation d’être privé de la pleine possession de Cecilia le pousse à utiliser l’argent qu’il méprisait tant pour la retenir auprès de lui. Sorti finalement de l’ennui, il souhaite y retourner pour avoir la paix. En vain… Le sentiment d'impuissance de Dino va de pair avec l'affirmation d'une pulsion de destruction. Dans un moment d’exaspération, il en vient à serrer ses poings autour du cou de Cecilia : « En la tuant, je l’aurais arrachée à tout ce qui la rendait insaisissable, et je l’aurais enfermée dans la prison définitive de la mort9 ». Mais c’est contre lui-même qu’il détourne, ensuite, son agressivité, se lançant avec sa voiture contre un mur.
10Quant à la nudité (et au rôle qu'elle joue), ses connotations varient à chacune de ses apparitions dans La Noia, mais, du point de vue syntagmatique, elle dessine une parabole claire, qui va du très peu d’intérêt que Dino montre pour Cecilia à son contraire. Il passe en effet du refus de la voir nue (chapitre 2) à l’observation détachée, presque clinique, de ses formes, puis à la tentative de rendre son corps attirant à travers une expérience sadique et humiliante (chapitre 3). Ensuite, la jalousie vient renverser la situation : Dino perçoit soudain le pouvoir érotique de la jeune femme (chapitre 5) et essaye de l’emprisonner, de la transformer en une possession sûre et définitive, en lui proposant de se marier avec lui (chapitre 9). L’échec de cette tentative débouche ironiquement sur la mise à nu de Dino, déshabillé par la jeune femme. Mais pour passer du syntagme au paradigme, c’est précisément autour du rapport du sujet avec la réalité, et en particulier du rapport que Dino tisse avec ce qu’il appelle sa possession, que se manifeste le nu, lié aux moyens censés permettre une telle appropriation : l’art, le sexe et l’argent. Dans la mesure où le narrateur établit une équivalence explicite entre Cecilia et la réalité, comme si la jeune fille était une espèce de figure allégorique, sur son corps nu s’exerce cette triple aspiration (frustrée) à la possession. Voici un exemple pour chacune de ces trois sphères.
111) L’art. Dans le deuxième chapitre, lors d’une scène onirique, Dino rêve qu’il peint un nu féminin d’après nature : il a un modèle devant les yeux, qui le regarde d’un air moqueur. À la fin de son travail il se rend compte que sa toile est blanche : aucune trace de ce qu’il a soigneusement peint n’est restée. C’est là qu’intervient Balestrieri, le voisin d’atelier, peintre de piètre qualité mais qui, lui, réussit à reproduire le modèle sans difficulté. Pris d’un accès de colère, Dino lacère sa toile de plusieurs coups de couteau, mais il s’aperçoit avec horreur que c’est le corps de la fille qui est couvert de coupures sanguinolentes (trouvaille qui fait penser au dénouement du Portrait de Dorian Gray). En conséquence, quand Cecilia offre de poser pour lui et se présente à lui nue sous une serviette, il refuse et fait par ailleurs le lien entre ennui, incapacité à peindre et désintérêt érotique.
122) Le sexe. Dans le cinquième chapitre, lorsque la jalousie se met en marche et que Dino commence à trouver désirable cette nudité qui, jusqu’alors, lui avait semblé indifférente (sinon comme objet de contemplation), au déshabillage rituel de Cecilia suit une scène érotique, dans laquelle se manifeste pour la première fois la tentative de possession à travers une manipulation du corps non dénuée de violence, qui recèle le désir d’une fusion imaginaire, d’une absorption fantasmée :
J’avais beau la malmener, la serrer, la mordre et la pénétrer, je ne possédais pas Cecilia et elle était ailleurs, je ne sais où. Je finis par m’écrouler, épuisé, mais encore plein de rage, sortant de son sexe comme on sort d’une blessure inutile10.
13Dino devient bientôt conscient que la coïncidence de la possession physique et de la possession réelle est une illusion toute masculine, mais il n’a de cesse de réitérer sa tentative de s’approprier Cecilia par la pénétration de son corps « toujours avec l’idée illusoire d’effacer, en la prenant, son autonomie et son mystère11 ».
143) L’argent. Dans le neuvième chapitre, Dino supplie Cecilia de ne pas partir pour Ponza avec Luciani, l’autre garçon qu’elle fréquente, et lui propose de lui offrir tout l’argent qu’il faudrait pour recouvrir la totalité de son corps. Allongée nue sur le lit de la mère de Dino, Cecilia se prête volontiers à ce jeu, qui trouve son inspiration dans le mythe de Danaé, mis en abyme par un tableau accroché juste au-dessus du lit, où l’on voit la princesse d’Argos recevant la pluie d’or de Zeus12. Cependant, à cette tentative, vaine, de brider la volonté et le corps de Cecilia à travers l’argent, parfaitement illustrée par le contact des billets de banque sur la peau de la jeune femme — une sorte d’embaumement qui vise à l’envelopper et à figer ses mouvements —, succède, de nouveau, la tentative, tout aussi vaine, de possession à travers le sexe, qui dévoile à Dino la vérité : « je me dis qu’en réalité, dans notre rapport, c’était elle qui me possédait et moi qui étais possédé, bien que la nature, pour parvenir à ses fins, veuille nous faire croire le contraire, à elle et à moi13 ».
15Dans ces trois exemples, le nu incarne de la façon la plus claire qui soit les dimensions matérialistes — érotique et économique — des rapports de pouvoir, et celle esthétique des rapports entre art et réalité, faisant siens certains aspects de la pensée magique (l’appropriation de l’âme à travers le portrait). Il surgit également à des moments où la vérité semble se révéler, où le protagoniste, suite à la frustration de ses désirs, est poussé à s’interroger toujours plus profondément sur le sens de ce qu’il vit, comme si dans le corps de Cecilia s’actualisait la traditionnelle allégorie de la Nuda Veritas.
16Le fait de conférer au nu cette valeur philosophique vient de loin et trouve ses racines dans la métaphore antique du dévoilement, mais aussi dans l’idée médiévale du corps humain comme microcosme reflétant tout l’univers, et dans le statut scientifique auquel le nu accède au cours de la Renaissance, grâce à trois disciplines – l’étude des proportions, l’anatomie et la physiognomonie – qui en font un objet-synthèse de la connaissance sur l’homme, aussi bien matérielle que morale14. Pour Sade, le discours philosophique ne peut naître que de l’élimination du vêtement, objet conventionnel et variable qui occulte la vérité, et, bien plus près de nous, François Jullien soutient que le nu à proprement parler (le nu abstrait, hors de toute situation spatio-temporelle, investi d’une valeur exemplaire et universalisante) est un produit culturel exclusivement occidental, parce qu’il est le reflet de notre tradition philosophique qui s’est construite, depuis les Grecs, sur la volonté de définir l’essence des choses, l’essence de l’homme, en particulier15.
17Cela dit, que Moravia mobilise volontiers cet objet si spécial qu’est le nu dans ses enquêtes sur la nature des relations humaines ne doit pas nous surprendre. Loin de se réduire à un élément qui accompagne automatiquement la représentation du sexe, c’est un nu existentialiste que Moravia nous met sous les yeux.
3. Synecdoques, allusions et similitudes contre l’ellipse
18Venons-en aux questions intermédiales qui entrent en jeu dans le passage du roman au film. Sur un plan général, le film de Damiani, qui connut à sa sortie un grand succès et un large consensus critique, reste très proche de son modèle : le scénario est presque entièrement constitué d’un matériel linguistique tiré du roman, que Damiani, Tonino Guerra et Ugo Liberatore essayèrent de « respecter presque à la lettre16 », selon les mots du réalisateur. Moravia lui-même est intervenu, à l’occasion, dans l’écriture des dialogues. Ceci dit, inutile de rappeler que toute adaptation s’inscrit dans une virtualité ouverte et qu’elle ne peut pas ne pas donner lieu à une sélection et à des transformations. Le concept même de conformité ou de fidélité strictu sensu est illusoire17, et Moravia lui-même le rejetait. Parmi les variations que le film opère, deux méritent d’être signalées : d’abord, une forte réduction de la dimension proprement philosophique, qui, dans le roman, passe par le flux ininterrompu de la pensée de Dino18. Ensuite, le dénouement a été modifié par l’ajout de deux séquences : dans la première, Dino exprime sa volonté de renouer les liens avec sa mère que l’argent a distendus ; dans la seconde, il trouve la force de rompre avec Cecilia, qui, rentrée de vacances, lui raconte comment elle a trompé Luciani avec un troisième et nouvel amant. Nous sommes d’avis, comme d’autres, que ces modifications aboutissent à une banalisation du propos de Moravia, et à une concession moralisatrice faite au sens commun19 : plus qu’un personnage existentiellement tourmenté, Dino risque d’apparaître comme un jeune homme oisif, qui, dès qu’il est rongé par la jalousie, en oublie ses méditations existentielles ; outre le côté bon garçon, la fin exagère l’absence de scrupules qui caractérise Cecilia, et détonne avec la situation pleine d’ambivalence laissée ouverte par le roman. Cette réadaptation du dénouement risque, en somme, de laisser au spectateur l’impression que le fils prodigue, en proie à l’ennui d’abord, puis à la souffrance, se rapproche de sa mère après avoir rompu définitivement avec une méchante fille dénuée de principes.
19Le thème de la nudité est lui aussi soumis à ce régime que nous qualifierons de réductionniste. Le film ne garde qu’une partie des nombreuses scènes du roman, d’ailleurs très pudiquement filmées. Des trois que nous avons évoquées plus haut pour mettre en évidence le lien entre nudité et possession, seule la troisième – celle où Cecilia se transforme en une Danaé recouverte de billets de banque – est conservée telle quelle par Damiani (fig. 1), tandis que les séquences érotiques sont, elles, profondément remaniées, et le rêve de Dino en peintre impuissant est tout bonnement supprimé.
Fig. 1. Dino recouvre Cecilia de billets de banque pour la convaincre de rester avec lui.
20Ce traitement réductionniste affaiblit la capacité qu’a le corps d’incarner les thèmes centraux de La Noia, à l’inverse de ce qui se produit, par exemple, dans Le Mépris de Jean-Luc Godard, un film qui date de la même année que celui de Damiani, et qui transpose à l’écran un autre roman de Moravia, Il Disprezzo (1954). Des motivations qui peuvent aller de la peur de s’exposer aux foudres de la censure, du souhait de ne pas choquer un public qu’il espérait vaste, aux limites imposées par l’actrice ou quelque autre raison esthétique, ont pu dicter les choix du réalisateur italien. Mais la contrainte aiguise l’imagination : ces ellipses, qui se trouvent à la base du travail d’adaptation de Damiani, obligent le réalisateur à trouver d’autres manières d’évoquer la nudité du corps de Cecilia et sa vitalité érotique. L’interdit donne lieu à des stratégies de contournement, qui génèrent toute une rhétorique de l’allusion et du déplacement.
21En effet, dans le roman, Cecilia s’exhibe sans aucune pudeur, son corps (ses seins en particulier) se libère des vêtements avec assurance et exubérance, et il est contemplé par Dino de haut en bas, dans son entièreté. Si la nudité intégrale est écartée par Damiani, elle peut être suggérée par le biais de la synecdoque. Dans les moments qui précèdent ou qui suivent l’amour (l’acte sexuel est lui aussi, a fortiori, évacué par l’ellipse), la nudité de Cecilia est signifiée par son décolleté, ses jambes et son dos (fig. 2 et 3). Il revient au spectateur de faire preuve d’imagination et de compléter les parties manquantes.
Fig. 2. Les jambes de Cecilia, nue, après qu’elle a fait l'amour avec Dino dans la voiture de ce dernier.
Fig. 3. Dino et Cecilia s'étudient mutuellement dans l'atelier du jeune peintre.
22Comme on le voit sur la figure 3, c’est un procédé analogue qui se fait jour pour Dino, quoique synecdochique d’une autre manière, puisque ce dernier, à la différence de Cecilia, n’est jamais entièrement nu, comme c’est le cas dans le roman20. Si, avec Cecilia, le réalisateur crée une tension envers la nudité à travers le hors-champ, l’obscurité ou encore des objets qui entravent la vision, avec Dino, il la crée à travers le voilage partiel de son corps, ou pour le dire mieux, le dévoilement de l’une de ses parties — le torse où, dit-on, réside par excellence la beauté virile21.
23Outre la synecdoque, Damiani réussit à créer une tension à l’endroit de la nudité à travers différentes modalités d’allusion. Au dénudement rituel de Cecilia dans le roman, répond dans le film une scène en extérieur qui joue sur les codes du strip-tease : la jeune femme danse sensuellement devant Dino sur la musique d’une chanson qui parle d’amour — Che m’importa del mondo de Rita Pavone, sortie la même année que le film (1963) —, soulevant légèrement sa robe, avant de rejoindre son amant et de l’embrasser avec fougue. La tension érotique de cette scène, qui ne provient pas du roman, est accrue par une touche d’exhibitionnisme puisque le couple s’apprête à faire l’amour dans un jardin public. « Tu n’as pas peur qu’on nous voie ? », demande Dino, et Cecilia lui répond : « Ça rend la chose plus belle encore ». Une manière, peut-être, de compenser la perte de stimulation des sens qu’une représentation directe de la nudité aurait garantie ; c’est dans la même direction que va l’attitude subtilement aguicheuse du personnage, totalement absente du roman, où sa démarche vis-à-vis de sa propre nudité est banalement fonctionnelle : quand elle arrive chez Dino, elle se déshabille et jette ses vêtements sans aucune recherche de séduction.
24De plus, aux éléments visuels et verbaux, s’ajoute un autre médium : la musique. Le réalisateur exploite les possibilités plurimédiales du cinéma, et la chanson qui accompagne la danse sensuelle de Cecilia que l’on vient d’évoquer est fredonnée par la fille dès la première fois qu’elle se dévêt, pour devenir ensuite la bande-son des rencontres amoureuses qui ont lieu dans l’atelier et, plus précisément, des moments qui précèdent l’acte sexuel. Che m’importa del mondo contient une déclaration d’amour gaie, simple et naïve, connotée d’insouciance et de légèreté : elle nous livre le point de vue de Cecilia, qui, au début de son histoire avec Dino, s’abandonne complètement à ses sentiments ; nous pouvons la considérer comme une émanation de son intériorité. En revanche, pour Dino, la chanson prendra un air vaguement menaçant dès lors que l’assaille la sensation que Cecilia le trompe.
25La façon dont Damiani remanie un motif particulièrement explicite et récurrent dans le livre mérite également d’être analysée : l’habitude de Cecilia de rester allongée sur le dos les jambes écartées après l’amour, que Dino oppose, au début du sixième chapitre, à la stupéfiante inexpressivité verbale de la jeune femme. Elle ne s’exprime en effet pour ainsi dire que par le sexe :
Si bien que, souvent, lorsque je la regardais à côté de moi sur le canapé, sur le dos, les jambes ouvertes, après avoir fait l’amour, je ne pouvais m’empêcher de comparer la fente horizontale de sa bouche avec celle, verticale, de son sexe, et de remarquer, émerveillé, à quel point la seconde était plus expressive que la première22.
26Cette image, qui rappelle vaguement L’origine du monde de Gustave Courbet et dont une transposition directe sur l’écran est bien sûr impossible pour Damiani, trouve dans le film une reformulation sous forme de similitude : le corps de Cecilia est « comparé » à un gros tronc d’arbre qui gît sur la plage à côté d’elle, et dont les contours rappellent les deux jambes écartées (fig. 4 et 5, qui constituent le début et la fin d’un travelling, respectivement, qui se déplace de droite à gauche).
Fig. 4. Point de vue de Dino, qui fixe Cecilia, allongée sur le littoral romain.
Fig. 5. Puis son regard se déplace, sur le même plan, sur un tronc dont la forme rappelle la posture de la jeune femme.
27À plusieurs reprises dans le roman, Dino s’interroge sur l’étonnante inexpressivité de son amante. Le portrait qu’il dresse d’elle est celui d’une espèce d’animal, d’un élément naturel dont la conscience ne s’est jamais éveillée, et qui ne s’exprime qu’à travers la force élémentaire de l’éros. L’analogie avec cette souche l’assimile à un objet inerte dont l’existence est aussi gratuite et inintéressante que celle d’une pierre, ou de la méduse que Dino trouve échouée sur le rivage. Un corps absurde qui ne signifie rien pour le personnage envahi par l’ennui, qui n’exerce aucune attraction, et inspire, à la limite, la nausée – au sens existentiel du terme.
4. Pictor in fabula
28Une autre stratégie de compensation de l’ellipse de la nudité réside dans l’intégration de la peinture dans le film, laquelle nous permet d’observer le phénomène par lequel un médium est incorporé à un autre médium, qui en modifie tant la manifestation visible que la signification.
29Les tableaux qui représentent Cecilia nue apparaissent à trois reprises dans le film, qui correspondent aux visites furtives de Dino dans l’atelier de son voisin de palier, l’autre peintre — et ancien amant de Cecilia — Balestrieri. Comme on l’a dit, ce personnage, qui meurt au début du roman, est une sorte de double existentiellement « positif » de Dino parce qu’il parvient à peindre et à aimer. Dino décide d’entamer une relation avec Cecilia justement pour suivre ses pas, car la force dévastatrice de l’expérience érotique qui a tué le vieil homme constitue pour Dino, inconsciemment, une possibilité de sortie de l’ennui pleine d’attrait. Il conçoit sa relation avec la jeune femme comme une répétition de ce qui s’est déjà produit entre elle et Balestrieri, raison pour laquelle il l’accable de questions tout au long du roman sur ce dernier et sur leurs rapports. C’est elle, en effet, qui l’a rendu fou d’amour, jusqu’à le faire mourir, elle qui, sous des dehors insignifiants, a un pouvoir que Dino peine à deviner et qui lui sera peu à peu révélé. Ce pouvoir, on l’a dit, c’est une indépendance absolue, la capacité de ne se lier véritablement à personne, l’absence d’une vraie profondeur affective. Cecilia transmet involontairement à ses amants la sensation humiliante d’être totalement précaires et non indispensables, leur infligeant une blessure narcissique qui exacerbe ce sentiment de solitude dont tous les individus tentent de se défendre en tissant des liens affectifs stables. Et c’est précisément vis-à-vis de l’exploration du personnage de Cecilia qu’entre en jeu la peinture.
30Dans le roman, lors de sa première visite, Dino constate que l’atelier de Balestrieri est tapissé de grands nus féminins « aux formes excessives et aux attitudes peu naturelles23 », accroupis, les mains derrière la nuque, « de manière à mettre en évidence le plus possible leurs seins et leurs flancs, deux parties du corps féminin qui avaient, semble-t-il, la prédilection de Balestrieri24 ». Les dernières toiles du vieil érotomane représentent Cecilia, mais Dino ne la reconnaît pas, de prime abord, car l’image qu’il s’est faite d’elle ne correspond pas au corps exposé sur les murs. Mais ces œuvres révèlent un aspect fondamental de Cecilia : son attitude provocante, signe extérieur d’un érotisme débordant. Son corps double est la marque d’une force vitale, presque bestiale, qui se manifeste en elle spontanément, et qui cohabite avec une immaturité et une inconscience fondamentale. Ce n’est pas par hasard si c’est justement lors de cette première visite que Dino et Cecilia, venue récupérer ses affaires, se parlent, et que se met en place une tension entre les deux, érotique pour elle, intellectuelle pour lui, aussi bien dans le roman que dans le film. Les tableaux sont l’extériorisation, muette et multipliée, de Cecilia, laquelle peut exposer sa beauté en indiquant elle-même ses portraits, dans le lieu où pareille beauté a abouti à la mort d’un homme.
31Mais les œuvres de Balestrieri sont médiocres, d’après Dino, parce qu’elles constituent une transcription trop directe de son amour pour les femmes, un transfert banal de la vie dans l’art. Elles le sont non pas en raison de l’impéritie de son auteur, mais parce qu’elles pèchent par excès de mimétisme. Balestrieri, en effet,
quoique très mauvais peintre, était cependant un peintre très soigneux, et même minutieux jusqu’à la pédanterie. Il était clair qu’il ne se fiait pas à l’inspiration et qu’il travaillait un peu comme les maîtres anciens, par glacis successifs, revenant à plusieurs reprises sur certains détails, jusqu’à ce qu’il soit totalement certain d’en avoir épuisé les possibilités. Le résultat, hélas, était ce naturalisme photographique, léché et scrupuleux, propre aux tableaux qui sont exhibés dans les prétendues expositions des galeries d’art les plus commerciales. Mais il était évident, d’autre part, que c’étaient tous des tableaux parfaits, bien que d’une perfection immonde, propre à la pornographie25.
32Dans le cas de Balestrieri l’amour des femmes et leur représentation se mêlent indistinctement : pinceau et phallus semblent être interchangeables. Cecilia raconte : « Il me faisait poser, puis il cessait de peindre et voulait faire l’amour : et ainsi de suite toute la journée 26 ».
33Or, le roman ne peut évidemment pas nous donner à voir les tableaux en question : la parole peut les évoquer, de façon très détaillée même, mais elle ne peut pas transposer exactement sur la page les images que Moravia avait en tête. Il y a là une limite indépassable du langage qui, d’ailleurs, laisse au lecteur la liberté d’élaborer visuellement les instructions du texte à sa guise. À l’inverse, passant du régime verbal-descriptif au régime visuel-monstratif, le médium cinématographique implique de créer pour le film de véritables objets, dont les figures 6 et 7 nous montrent deux exemples27.
Fig. 6. Cecilia en regard de l’un de ses portraits, que le spectateur découvre lors de la première visite de Dino à l’atelier de Balestrieri.
Fig. 7. Deux portraits de Cecilia, que Dino regarde avec inquiétude lors de sa deuxième visite à l’atelier de Balestrieri.
34Indépendamment de l’appréciation esthétique que l’on peut en faire, les tableaux que l’on voit dans le film ne correspondent pas à ceux que décrit Moravia (c’est-à-dire des tableaux hyperréalistes, presque pornographiques). Le texte parle de « velature » et de vieux maîtres, une allusion très probable aux grands peintres de la Renaissance italienne, quelque chose qui pourrait ressembler à Léda et le Cygne de Léonard de Vinci, et que nous devons imaginer dans un style très réaliste et dans des positions propres à rendre l’effet obscène. Les tableaux de Damiani, en revanche, changent de registre et tendent vers une plus grande sobriété et une légère sublimation (la figure 6, par exemple, nous montre Cecilia dépeinte dans une posture opposée à celles qui sont décrites dans le roman). De manière cohérente, ce qui, dans le texte, est défini comme « naturalismo fotografico » et « pornografia », est transposé, dans le film, dans un autre médium, la photographie justement. Damiani transforme le petit calepin dans lequel se trouve la liste des numéros de téléphone des amantes-modèles qui ont posé pour Balestrieri (et que, dans le roman, Dino découvre pendant sa deuxième visite à l’atelier du vieux peintre28), en une sorte de collection grivoise (fig. 8), un album que l’on peut considérer comme une version visuelle du célèbre catalogue de Don Juan.
Fig. 8. Plan subjectif de Dino, qui découvre l’album photographique de Balestrieri lors de sa première visite à son atelier. Les coulures de peinture blanche font crûment allusion au désir sexuel du vieux peintre.
35C’est donc la photographie, par sa proximité avec la chair et son niveau de médiation moins prononcé, qui se charge de connotations triviales : la mise en scène est souvent provocante, les filles ont des regards et une attitude sensuels, qu'aucune élaboration picturale ne vient adoucir ou styliser. De plus, la photographie réussit plus directement que la peinture à évoquer le moment de la prise de vue, à nous projeter dans la situation concrète dans laquelle Balestrieri promène son appareil photo sur les filles nues qui se trouvent devant lui.
36Une forme de censure s’opère cependant grâce à la remédialisation, c'est-à-dire au fait que les photographies nous parviennent à travers l’œil de la caméra : Damiani s’attarde à peine sur les portraits des modèles, qu’il filme par le biais de zooms abruptes et de transitions soudaines. Cela ne va pas sans une sorte de contradiction car le spectateur voit les photographies à travers les plans subjectifs de Dino, qui les observe avec lenteur, curiosité et délectation. Sous la pression des bienséances, l’instance auctoriale empêche les spectateurs de faire exactement ce que fait Dino, jouir pleinement de la vue des filles dévêtues.
37Hormis ce petit court-circuit, reste que, dans l’œuvre de Damiani, la transposition du « naturalismo fotografico » évoqué par Moravia dans le médium photographique contribue à reconfigurer le nu pictural, lequel se place sur un registre plus élevé par rapport au roman ; libre de revêtir d'autres connotations, la peinture confère une vision plus opaque et énigmatique de Cecilia.
38Dans la troisième et dernière visite de Dino à l’atelier de Balestrieri, plus qu’à aucun autre moment du film, le réalisateur exploite une ressource médiale proprement cinématographique : la possibilité de faire apparaître simultanément, dans le même plan, plusieurs images codifiées en tant que telles – dans notre cas, des peintures. Si l’on veut encore utiliser les figures de style pour nommer ce que l’on voit à l’écran, c’est l’accumulation qu’il faut évoquer cette fois. Dans le roman, une sensation de surabondance est donnée d’emblée, lors de la première visite : les murs de la maison de Balestrieri sont couverts des nus de Cecilia et d’autres modèles, bien ordonnés. Dans le film, en revanche, la première visite est une lente découverte et les tableaux sont exposés avec discrétion (certains enveloppés dans du papier journal). Le film innove donc en construisant un crescendo, et lors de la troisième visite, les tableaux (qui représentent tous Cecilia, comme le déclare Assunta, la veuve de Balestrieri, venue les décrocher), s’amoncellent dans l’arrière-plan en guise de mise en scène (fig. 9).
Fig. 9. La veuve de Balestrieri, vue par Dino, entasse les portraits de Cecilia dans l’atelier de son mari.
Fig. 10. Assunta Balestrieri raconte à Dino que son mari était totalement obsédé par Cecilia.
39Un effet de multiplication du corps, des regards et des gestes de Cecilia est à l’œuvre, plusieurs versions de la jeune femme, plusieurs masques et attitudes témoignent de son pouvoir et entrent en dialogue avec les mots et les actions des autres personnages filmés dans le même plan. Dans la figure 10 par exemple, Damiani réalise une parfaite antithèse entre la veuve, habillée en noir, les cheveux attachés, penchée vers la gauche, et la jeune amante nue, qui, penchée vers la droite derrière elle, prend la pose classique d’une Vénus anadyomène, les cheveux flottant sensuellement au vent.
40Cette puissance chorale des peintures, qui reste beaucoup plus implicite dans le roman, est amplifiée par un nouveau réarrangement de la trame : Damiani fait en effet de la troisième visite de Dino le terme de la parabole sentimentale, et assigne à un tableau précis le rôle de faire naître une prise de conscience foudroyante et fatale, qui provoquera chez le personnage une recherche désespérée de la jeune femme, puis sa tentative de suicide. Dans le roman, en revanche, c’est la scène de Danaé qui marque le point de non-retour dans les rapports entre les deux amants, et qui concourt au désespoir de Dino, tandis que la troisième visite à l’atelier est mise en avant, dans le huitième chapitre, quand le jeune homme nourrit encore des espoirs.
41Le tableau qui provoque sa douloureuse prise de conscience, révélé non sans malice par Assunta, qui lui propose de l’acquérir « comme souvenir », montre une Cecilia qui chevauche triomphalement Balestrieri, lui aussi nu cette fois ; mais il s’agit d’une nudité d’humiliation, celle de l’esclave obéissant et dépourvu de toute dignité (fig. 11).
Fig. 11. Assunta offre à Dino un tableau représentant un jeu érotique auquel son mari se livrait avec Cecilia.
Fig. 12. Hans Baldung Grien, Aristote et Phyllis, gravure sur bois, 1513, Germanisches Nationalmuseum, Nuremberg. Cette image, dans laquelle l’artiste a opté pour la nudité complète des deux personnages, pourrait être à la fois le modèle de Moravia et celui de Damiani.
42D’après la veuve, il s’agit d’un jeu érotique auquel les deux amants s’adonnaient, et dans le roman, elle précise qu’il ne faut pas y voir un aveu de soumission de la part du peintre ; mais tout nous autorise à penser le contraire, surtout dans le film, où cette précision est éliminée, et la réaction de Dino est celle d’un homme en proie à une panique non dissimulée. Le tableau est le miroir de son propre destin : le pouvoir est tout entier dans les mains de Cecilia, elle qui domine la situation et qui peut le quitter quand elle veut (en ce sens, l’offre d’Assunta d’acheter le tableau « comme souvenir » sonne comme une menace). En outre, le modèle iconographique sous-jacent à l’image mise en scène par Damiani est celui d’Aristote et de Phyllis, très représenté pendant le Moyen Âge et la Renaissance (fig. 12) et basé sur une légende médiévale très populaire selon laquelle le vieux philosophe, qui prônait la retenue des passions à son élève Alexandre le Grand, se laisse séduire par la jeune et vindicative Phyllis, qui le soumet et le ridiculise jusqu’au point de le monter comme un cheval29.
43L’anagnorisis de soi-même, qui produit chez Dino un effet tragique d’arti manthano (« ce n’est que maintenant que je comprends »), déclenche l’événement pathétique et mène l’histoire à la catastrophe. La scène des tableaux, qui, dans le roman, se déploie en un long dialogue avec Assunta, à laquelle Dino essaye encore de soutirer des informations sur les rapports entre Cecilia et Balestrieri, s’interrompt dans le film avec un éclat de rire de la veuve, dans une atmosphère d’issue fatale. La vision de ces nudités correspond au dévoilement de la vérité, et la vérité est intolérable. D’ailleurs, l’association proleptique entre contemplation des tableaux et sensation d’une fatalité imminente avait déjà été suggérée, par un effet de montage, pendant la première visite de l’atelier, quand Dino avait découvert l’un des nus de Cecilia, et que la jeune femme était apparue juste après, comme par magie ; comme si les peintures contenaient un destin déjà écrit.
44La peinture est illusion, une surface qui essaye d’évoquer la profondeur ; les mécanismes de projection qui président à la passion inspirée par Cecilia, et dont Balestrieri et Dino sont les victimes, projettent une profondeur là où il n’y a que surface. Le véritable Don Juan de l’histoire, c’est elle, quoique sans en avoir conscience, et la peinture, en ce sens, est un médium qui lui convient parfaitement : la superficialité impénétrable et séduisante de Cecilia et la surface mystérieuse et muette de ses portraits se font écho. La nudité ajoute à tout cela une couche symbolique : elle fait comprendre à celui qui regarde le corps de Cecilia que « tout est là », dans cette surface objective et indépassable ; il n’y a plus rien à enlever, on ne peut pas aller au-delà de la peau, et il est inutile de maltraiter et de pénétrer ce corps pour en tirer une contrepartie affective. C’est un véritable monstrum qu’a inventé Moravia, un esprit amputé d’une psychologie complexe et de la capacité d’associer les causes et les effets. Moins un personnage qu’une allégorie, l’allégorie — épouvantablement nue et charnelle — de la neutralité affective, de l’empathie introuvable, l’incarnation d’un instinct sexuel bestial30.
5. Nudité métaphysique ?
45Pour conclure, il est un nu, dans le roman de Moravia et dans le film de Damiani, que nous n’avons pas encore défini comme tel : la toile blanche (fig. 13). Dino déclare qu’elle est la seule œuvre qu’il puisse honnêtement signer, car elle traduit son incapacité à interagir avec le monde. La toile nue est, nous le savons, le corrélat objectif de son rapport à la réalité, de son néant existentiel.
Fig. 13. La toile blanche nous fait face dans l’atelier de Dino.
46Il est remarquable que, dans un passage du roman, très court, mais d’une densité figurale extraordinaire, la toile blanche apparaisse associée à l’un des rares moments où Moravia attire l’attention sur la nudité de Dino, étendu seul sur le canapé après avoir fait l’amour avec Cecilia :
Je réfléchissais précisément dans le sens que l’on donne littéralement à ce mot, c’est-à-dire que je me contemplais dans le miroir obscur de ma conscience, nu et étendu, inerte sur le canapé, je contemplais le chevalet avec sa toile blanche à côté de la fenêtre, l’atelier et toutes les choses qui s’y trouvaient. Puis une pensée précise s’insinua dans ce monde objectif et mort ; à savoir qu’après le second coït, Cecilia était devenue plus fuyante que jamais, et donc plus réelle…31
47L’association entre la nudité de Dino et la toile vierge est créée dans un contexte où toute la réalité autour du personnage est perçue comme « objective et morte » et où le cogito se regarde et (se) réfléchit presque de l’extérieur – un effet-miroir dans ce moment d’arrêt particulier qui suit la petite mort. Ce moment foudroyant et hautement poétique, que nous pouvons appeler de « nudité ontologique ou métaphysique », marque un temps d’hésitation et de vide : le temps d’un instant, toute la réalité est nue, tout est sur le même plan d’opacité, d’énigme, comme si un « blanc » gnoséologique s’étalait sur toute chose, avant de laisser la place à une pensée précise qui se met en mouvement. Aussi pourrait-on imaginer que Damiani nous ait offert une brève séquence dans laquelle Dino regarderait nu sa toile nue, sous une lumière blanche ou opaque : une nudité qui n’aurait rien eu à voir avec l’éros, mais qui aurait figé ce moment absolu d’indétermination, d’où il faut repartir pour essayer de donner un sens à la réalité.
Notes
1 K. Clark, The nude. A History of Ideal Art, Londres, John Murray, 1956. Nous ne nous arrêterons pas sur la différence, faite par l’auteur, entre nu et nudité (à ce sujet, voir D. Pellizzari, « Nu(dité)s littéraires. Lecture croisée de Walter Siti et de Michel Houellebecq », Revue de Littérature Comparée, n° 373, janvier-mars 2020, p. 73-92).
2 Voir A. Bergala, J. Déniel, P. Leboutte (dir.), Une Encyclopédie du nu au cinéma, Crisnée, Yellow Now, 1994.
3 G. E. Lessing, Laocoon, ou des frontières de la peinture et de la poésie, Hermann, 1990 [1766], voir en particulier les chapitres XV et XVI.
4 Il suffit, pour s’en convaincre, de consulter le livre de Christophe Colera, La nudité. Pratiques et significations, Édition du Cygne, 2008, qui essaie de mettre au jour une typologie générale de la nudité de nature socio-anthropologique.
5 Selon M. A. Bazzocchi, « il nudo è una costante stilistica di Moravia, come lo sono le ninfee per Monet o i clown per il primo Picasso » (« le nu est une constante stylistique de Moravia, comme le sont les nymphéas pour Monet ou les clowns pour la première période de Picasso »), Corpi che parlano. Il nudo nella letteratura italiana del Novecento, Milan, Mondadori, 2005, p. 34.
6 W. Wolf, « (Inter)mediality and the Study of Literature », Comparative Literature and Culture, vol. 13 n° 3, 2011, p. 5. Voir aussi I. Rajewski, « Le terme d’intermédialité en ébullition : 25 ans de débat », dans C. Fischer (dir.), Intermédialités, SFLGC, 2015, p. 35-36.
7 A. Moravia, La Noia [1960], éd. Alessandra Grandelis, Milan, Bompiani, 2017, chapitre 1, p. 35. Pour une analyse du rôle de la mère dans le roman et dans le film de Damiani, voir L. Corchia, « La figura della madre nei romanzi di Moravia e nelle trasposizioni cinematografiche », dans The Lab’s Quarterly / Il Trimestrale del Laboratorio, 2015, 4, p. 38-67.
8 R. Girard, Mensonge romantique et vérité romanesque, Grasset, 1961.
9 A. Moravia, op. cit., p. 268 : « Uccidendola l’avrei strappata a tutto ciò che la rendeva inafferrabile e l’avrei chiusa nella prigione definitiva della morte ». Tout au long de l’article, c’est nous qui traduisons.
10 A. Moravia, op. cit., p. 134 : « per quanto la malmenassi, la stringessi, la mordessi e la penetrassi, io non possedevo Cecilia e lei era altrove, chissà dove. Alla fine ricaddi stremato ma tuttora rabbioso, uscendo dal suo sesso come da una ferita inutile ».
11 Ibid., p. 185 : « sempre con l’illusoria idea di cancellare, prendendola, la sua autonomia e il suo mistero ».
12 Sur cette scène qui trivialise le mythe et revêt une dimension économique, voir M. Lombardi, « Davanti a un quadro di Danae : Alberto Moravia, la noia e la pittura », dans Porti di Magnin. Magnin Littéraire, n° 68, avril 2009, p. 56-66.
13 A. Moravia, op. cit., p. 267 : « mi dissi che in realtà, nel nostro rapporto, era lei a possedermi ed io a essere posseduto, benché la natura, per i suoi fini, illudesse me e lei del contrario ».
14 É. Seris, « Le nu, une invention des théoriciens de l’art humanistes ? », Studi Rinascimentali, n° 17, 2019, p. 11-25.
15 F. Jullien, De l’essence ou du nu, Seuil, 2000.
16 Voir L. Corchia, op. cit., p. 59. Pour une introduction générale à l’œuvre de Damiani, voir A. Pezzotta, Regia Damiano Damiani, Pordenone, Cinemazero, 2004, et C. Uva (dir.), Damiano Damiani. Politica di un autore, Rome, Bulzoni, 2014.
17 Je renvoie aux considérations de M. Fusillo, « Diffractions intermédiales. L’effet rétroactif de la réception », dans C. Fischer, op. cit., p. 71 sq.
18 Le passage de la focalisation interne romanesque à la représentation filmique, le plus souvent externe et objective, ne constitue pas, en soi, une limite à l’expression de la réflexion : Cédric Kahn, qui a réalisé une autre version cinématographique de La Noia, en 1998, fait justement du protagoniste un professeur de philosophie logorrhéique. Mais il est indéniable que les longs raisonnements fonctionnent mieux sur la page qu’à l’écran, et que le choix fait par Damiani vise l’allègement et la fluidité.
19 L. Corchia, op. cit., p. 39 et 60-61.
20 A. Bergala, J. Déniel, P. Leboutte, op. cit., p. 7 : « Le nu cinématographique est dans 98% des cas un nu féminin. […] le cinéma a tenu dans le plus grand refoulement la question de la nudité masculine ».
21 Ces stratagèmes n’ont rien à voir, évidemment, avec le processus de morcellement du corps qui se fait jour dans le roman, et qui repose sur des exigences d’ordre analytique. Chez Moravia, l’observation des membres de Cecilia, l’un après l’autre, permet à Dino de comprendre qui elle est, ce que signifie sa double anatomie, de femme et d’enfant, et pourquoi cette fille à l’apparence insignifiante a pu conduire Balestrieri à la mort. Elle lui permet aussi d’examiner ses propres réactions, par exemple, de constater avec surprise qu’il a une érection bien qu’il ne ressente pas vraiment de désir. Sur le corps, la psychologie et le langage de Cecilia, voir M. A. Bazzocchi, op. cit., p. 34-58 et G. Turchetta, « Il corpo di Cecilia : femminilità, soggetto e realtà in La noia di Alberto Moravia », dans M.-C. Jullion, I. Bajini (dir.), Criando, n° 3 (Economie del corpo femminile dal XVI al XXI secolo in America Latina, Europa, Giappone), 2018, p. 115-129.
22 A. Moravia, op. cit., p. 140 : « Tanto che, sovente, guardandola mentre mi stava accanto sul divano, dopo l’amore, supina, con le gambe aperte, io non potevo fare a meno di confrontare la fenditura orizzontale della bocca con quella verticale del sesso e di notare, meravigliato, quanto la seconda fosse più espressiva della prima ».
23 A. Moravia, op. cit., p. 53 : « dalle forme eccessive e dagli atteggiamenti poco naturali ».
24 Ibid., p. 62 : « in maniera da dare la massima evidenza al seno e ai fianchi, due parti del corpo femminile che Balestrieri pareva prediligere ».
25 Ibid., p. 63 : « pur essendo un pessimo pittore, era tuttavia un pittore molto accurato, anzi, minuzioso fino alla pedanteria. Si vedeva che non si fidava dell’ispirazione e lavorava un po’ come i maestri antichi, per velature successive, tornando più e più volte su certi particolari, fino a quando non fosse stato del tutto sicuro di averne esaurito le possibilità. Il risultato, ahimè, era il particolare naturalismo fotografico, leccato e rifinito, dei quadri che si vedono esposti nelle cosiddette mostre d’arte delle gallerie più commerciali. Ma era evidente, d’altra parte, che erano tutti quadri perfetti, sia pure della laida perfezione che è propria della pornografia ».
26 « mi faceva posare, poi smetteva di dipingere e voleva far l’amore: così tutto il giorno », ibid., p. 75.
27 D’ailleurs le réalisateur lui aussi était peintre, voir S. Damiani, G. Costanzo (dir.), Damiano Damiani regista pittore, Catalogo della mostra, Rome, Giafrasi Film, 2007.
28 A. Moravia, op. cit., p. 118.
29 Voir P. Marsili, « Réception et diffusion iconographique du conte d’Aristote et Phyllis en Europe depuis le Moyen Âge », dans Amour, mariage et transgressions au Moyen Âge, Göppingen, 1984, p. 239-269.
30 Ce n’est pas un hasard si, dans le texte, la nudité agit en ce sens, à un niveau métaphorique notamment : la chambre de Cecilia « était nue et sordide, mais d’une nudité naturelle et presque sauvage, telle qu’on l’observe dans les lieux, les recoins ou les grottes, dans lesquels vivent les bêtes féroces. Une nudité, pour le dire en un mot, plus de tanière que de maison pauvre » (era nuda e squallida, ma di una nudità e di uno squallore naturali e quasi ferini, quali si notano nei luoghi, anfratti o grotte, in cui abitano le bestie selvatiche. Una nudità, per dirla in una parola sola, non tanto di casa povera quanto di tana), A. Moravia, op. cit., p. 149.
31 Ibid., p. 137 : « Riflettevo proprio nel senso che si dà letteralmente alla parola, ossia contemplavo nello specchio oscuro della mia coscienza me stesso disteso nudo e inerte sul divano, il cavalletto con la tela bianca presso il finestrone, lo studio e tutte le cose che conteneva. Poi un pensiero preciso si insinuò in questo mondo oggettivo e morto; ed era che, dopo il secondo amplesso, Cecilia era restata più che mai sfuggente e dunque reale…».
Pour citer ce document
Quelques mots à propos de : Diego Pellizzari
Diego Pellizzari est maître de langue à l'École Normale Supérieure de Lyon. Ancien élève de l’École Normale Supérieure de Pise, docteur en Mémoire culturelle et tradition européenne, il travaille sur la réception de l’Antiquité dans la littérature italienne des XIXe-XXe siècles et sur les rapports entre littérature et arts visuels. Il a publié des études sur Guido Gozzano, Curzio Malaparte, Dino Buzzati, Alberto Moravia et Walter Siti.
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