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Devenir femme à Naples : La vita bugiarda degli adulti (Elena Ferrante) du roman à l'écran
Par Valentina Timpani
Publication en ligne le 23 décembre 2024
Résumé
This article analyses the way the story told in the novel by Elena Ferrante La vita bugiarda degli adulti (2019) is expanded upon in the homonymous series adaptation directed by Edoardo de Angelis. The study focuses on the ability of audiovisual media to employ a network of media (music, cinema, photography, visual art, literature itself) to develop and enhance some cultural elements of the story, and to echo its main themes. The article concentrates also on the way the series relates to the setting, given the strong symbolic role played in the story by the city of Naples.
Cet article analyse comment l'histoire racontée dans le roman d'Elena Ferrante La vita bugiarda degli adulti (2019) est élaborée et transposée dans la série télévisée homonyme, réalisée par Edoardo de Angelis. L'étude se concentre sur la capacité du médium audiovisuel à utiliser un réseau de médias (la musique, le cinéma, la photographie, l'art visuel, la littérature elle-même) pour souligner certains traits culturels et pour faire résonner les principaux thèmes du récit. L'article se penche également sur la place de Naples dans la série, en analysant le rôle hautement symbolique que joue la ville.
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Devenir femme à Naples : La vita bugiarda degli adulti (Elena Ferrante) du roman à l'écran (version PDF) (application/pdf – 465k)
Texte intégral
1Cet article vise à analyser comment les principaux thèmes du roman d'Elena Ferrante La vita bugiarda degli adulti (2019) prennent forme dans la série télévisée du même nom, mise en scène par le réalisateur napolitain Edoardo De Angelis, produite par Fandango et distribuée internationalement par Netflix en janvier 2023. Notre objectif sera d’observer non seulement comment la série télévisée interagit avec le roman, en soulignant quel potentiel, et quelles limites possibles, le support audiovisuel fournit au récit en termes de transformation de l'histoire, mais aussi comment ce support se rapporte à d'autres médias, créant un réseau d’éléments suggestifs capables de plonger le lecteur dans l'atmosphère de l'histoire, et propres à ancrer celle-ci dans un contexte culturel fortement déterminé.
2La publication de La vita bugiarda degli adulti intervient à un moment important de la carrière d'Elena Ferrante. Bien que personne ne connaisse sa véritable identité1, l'écrivaine a en effet désormais atteint une notoriété mondiale grâce au succès international de la saga L'amica geniale, définitivement consolidé par la production italo-américaine de la série télévisée inspirée de la quadrilogie. En effet, le livre La vita bugiarda degli adulti est sorti entre la première saison de la série L’amica geniale (2018) et la deuxième (2020). Auparavant, un rapport intermédial s’était déjà établi entre la production littéraire d'Elena Ferrante et le cinéma, à travers la transposition audiovisuelle de ses deux premiers romans (L'amore molesto réalisé par Mario Martone en 1995 et I giorni dell'abbandono réalisé par Roberto Faenza en 2005), à la mise en scène desquels l'écrivaine n'a pas participé, si ce n'est à travers quelques suggestions fournies aux réalisateurs sous une forme épistolaire. En revanche, Ferrante a commencé à jouer un rôle actif dans la sérialisation de la saga de L'amica geniale en travaillant personnellement sur le scénario, avec Saverio Costanzo, Francesco Piccolo et Laura Paolucci.
3L’autrice a justifié à plusieurs reprises dans le passé sa décision de cacher son identité précisément par le refus d'un certain type d'intermédialité, à savoir celle qui relie un texte publié à la photo de son auteur. Il s'agit d'un processus qui rend particulièrement difficile, selon l'écrivaine, de détacher le roman de son auteur et de l'élément autobiographique qu’il contient accidentellement et inévitablement2. Ici, cependant, Ferrante soutient activement la sortie des limites de son médium de référence – la littérature – en devenant scénariste. Peut-être dès l'écriture de L'amica geniale, et d’une manière certaine avec La vita bugiarda degli adulti, l'écrivaine a adopté une approche transmédiale pour l’écriture de son roman, c'est-à-dire qu'elle a abordé l'écriture du texte en sachant qu'il deviendrait ensuite très probablement un produit audiovisuel, à l'élaboration duquel elle allait prendre elle-même une part active.
4Outre la rencontre entre différents moyens d'expression, il convient de prendre en considération la contamination entre la production artistique et les dynamiques de marché qui affectent l'industrie du divertissement3. Ferrante est devenue une marque de fabrique sur le marché international de l'édition et de l'audiovisuel, le symbole d'une certaine façon de raconter l'histoire des femmes et de l'Italie, en proposant toujours dans ses récits un point de vue féminin sur la réalité (à travers les yeux de protagonistes qui évoluent au fil de l’histoire et découvrent ou redécouvrent leur propre identité), et en situant le plus souvent ses récits dans la ville de Naples. L'accent mis sur cette ville joue assurément un rôle important dans le succès de l'écrivaine. De même, les adaptations des œuvres de Ferrante, ainsi que d'autres séries télévisées et films4, ont contribué à attirer l'attention internationale sur Naples, au point d'en faire le premier lieu de tournage d'Italie : un lieu où le cinéma fait désormais partie intégrante de la ville5. Dans l'imaginaire étranger, en particulier celui de l'Amérique du Nord, Naples revêt un attrait particulier en tant que symbole d'une modernité différente de celle des autres villes italiennes, mais surtout parce que l'attention récente portée aux périphéries du monde lui confère un rôle central en tant que ville incarnant différents statuts marginaux6.
5L'un des principaux ingrédients du succès des produits audiovisuels inspirés des œuvres de Ferrante est leur caractère glocal. En d'autres termes, d'une part, ses histoires sont caractérisées localement, c'est-à-dire qu'elles sont fortement représentatives d'un contexte géographique et culturel précis (Naples, le sud de l'Italie) ; d'autre part, ce sont des récits globaux parce que les expériences racontées transcendent les frontières géographiques, devenant ainsi des expériences universelles. Les spectateurs des œuvres de Ferrante, même s'ils n'appartiennent pas au contexte social décrit, reconnaissent dans leur propre expérience les récits et les perspectives que leur présente l'écrivaine, surtout en ce qui concerne l'expérience de grandir en tant que femme, en relation avec les inégalités de classe et de genre7.
1. Le roman
6Huitième et dernier roman de l’écrivaine, La vita bugiarda degli adulti (2023) raconte le coming of age de Giovanna, une jeune Napolitaine de douze ans qui vit avec sa famille dans le quartier du Vomero au début des années 1990. L'histoire se déroule pendant quatre années au cours desquelles la protagoniste traverse une période de crise et suit un itinéraire qui l'amènera à rencontrer lentement le monde des adultes et à y entrer. La crise de Giovanna commence lorsqu'elle entend son père, Andrea, parler de la ressemblance entre elle et sa tante, Vittoria (la sœur d’Andrea). Vittoria, personnage tabou et figure sombre de la famille, est décrite par son frère comme « una donna nella quale [...] combaciavano alla perfezione la bruttezza e la malvagità8 ». En commençant à rechercher sa tante, Giovanna entame un lent processus de détachement par rapport à sa famille, qui coïncide avec la découverte et l'exploration de certains quartiers de Naples qu'elle n'avait jamais fréquentés. La protagoniste découvre en effet une facette de la vie de ses parents complètement différente de celle qu'elle connaissait : ils ne sont plus le couple aimant, fidèle et parfait que Giovanna croyait, mais ils cachent des secrets et des infidélités. Ainsi, Andrea entretient depuis des années une relation clandestine avec Costanza, une chère amie de la famille : il quittera la maison pour aller vivre avec cette femme et ses filles, Ida et Angela, des amies proches de Giovanna. Cet abandon est annoncé dans l’incipit, au moment même où Andrea commente la ressemblance entre Giovanna et Vittoria, ce qui souligne d'emblée l'importance fondamentale de ces deux événements et la possibilité d’un lien de conséquence entre l’un et l’autre : « Due anni prima di andarsene di casa mio padre disse a mia madre che ero molto brutta9 ». A partir de là, le parcours de Giovanna évoluera entre une réévaluation complète de ses parents (surtout de son père), la déconstruction et la reconstruction de son idée de la famille (avec la dévalorisation de l'image de son père et sa nouvelle relation avec sa tante), l'exploration de la sexualité et son premier amour. Forte de ces nouvelles expériences, Giovanna apprend à connaître l'ambiguïté et la complexité des personnes et des choses, à comprendre les expériences des membres de sa famille, la ligne ténue, ou peut-être inexistante, qui sépare les bons des mauvais comportements.
1.1 Se libérer du regard masculin : le pouvoir du récit et la désacralisation du sexe
7Comme tous les récits d'Elena Ferrante, celui de Giovanna raconte l'histoire d'une femme qui se découvre. Dans son cas, ce changement lui donne la possibilité et l'obligation de se décentrer pour remettre en question sa vision des choses et la perception de sa propre identité.
8Cette nouvelle perspective est influencée par sa rencontre avec sa tante, en écho à une dynamique déjà présente dans le premier roman de l’autrice, L'Amore Molesto10. Le changement de Giovanna passe par l'abandon de la vision patriarcale de la réalité, dont la protagoniste se débarrasse au moment où elle cesse de vénérer son père. En mettant fin à cette adoration, Giovanna se débarrasse du filtre masculin dont son regard sur le monde avait hérité. Vittoria joue un rôle fondamental : dépeinte par Andrea comme la représentante de tout ce qu'une femme ne doit pas être (laide, pauvre, solitaire, ignorante, vulgaire), elle fascine sa nièce dès leur première rencontre : « mi sembrò di una bellezza così insopportabile che considerarla brutta diventava una necessità11 ». La tante endosse en effet le rôle de la sorcière12, qui envoûte sa nièce et devient la représentante d'un monde inversé13, incarnant un exemple de résistance à un monde fait par les hommes et pour les hommes. Pour Vittoria, Giovanna n'est pas Giovanna, elle est « Giannina » : la femme révèle à la protagoniste une partie de ses origines avec laquelle elle n'était jamais entrée en contact, lui montrant la possibilité d'être une autre version d'elle-même14. Vittoria raconte l'histoire de son point de vue, diamétralement opposé à celui d'Andrea ; sa version des faits accompagne Giovanna dans la découverte d'une nouvelle réalité et d'une nouvelle image de son père. Vittoria possède le pouvoir de raconter, un pouvoir qui lie le personnage fictif à l'écrivaine réelle ; en parlant de son écriture, Ferrante affirme en effet15 :
C’è stato però sempre, fin da ragazzina, un potere che mi affascinava, anche se ampiamente colonizzato dagli uomini: il potere di raccontare. [...] è il potere di ordinare il reale secondo una nostra impronta e in questo non è molto distante dal potere politico.
9Cependant Vittoria n'oriente pas Giovanna vers une libération féministe de son corps : ce personnage correspond en effet à une phase de transition et non à un point d'arrivée dans la construction de la personnalité de Giovanna. À la fin de l'histoire, la jeune fille abandonne elle aussi le modèle de sa tante, pour devenir enfin elle-même. Ce processus dialectique de construction de la personnalité est illustré par le rapport de la protagoniste à la sexualité : le choix d'avoir son premier rapport sexuel avec un homme qu'elle n'aime pas symbolise en effet non seulement le dépassement définitif de la « gentille petite fille » que Giovanna était au début du livre, mais aussi une émancipation par rapport à l'éducation à la féminité que sa tante lui a offerte. Sa tante utilise le sexe comme un instrument d’attaque et de défense ; c’est une arme dont elle s’empare, et qui représente le seul pouvoir qu'une femme comme elle possède dans un monde dominé par les hommes et qui doit donc être conservée précieusement :
questa qui – mi toccò delicatamente per una frazione di secondo tra le gambe – questa qui, te l'ho detto mille volte, tienitela cara. Valuta i pro e i contro, prima di darla, se no non vai da nessuna parte. Anzi sentimi bene: se so che l'hai sprecata, lo dico a tuo padre e insieme ti uccidiamo di mazzate16.
10En observant l’approche des jeunes filles du livre, on peut assister à une désacralisation, une déromantisation et une dépatriarcalisation de l'initiation au sexe : Giovanna et ses amies vivent ce moment comme un rite de passage inévitable et désagréable à subir le plus tôt possible, sans passion et sans sentiments (« almeno ti sei tolta il pensiero », dit Giovanna à son amie Ida17). À la fin de l'histoire, Giovanna devient une femme à sa manière en allant à l'encontre des conseils de sa tante et en quittant, au moins momentanément, Naples.
2. La transposition en série télévisée
11La série télévisée, comme tous les romans de Ferrante, est à mi-chemin entre une œuvre engagée – en raison de l'analyse introspective et des messages d’une certaine manière politiques qui caractérisent l'histoire – et un produit pop, conçu pour être apprécié à grande échelle : rappelons en effet que la série est distribuée par Netflix.
12La transposition audiovisuelle reste assez fidèle au roman dans le déroulement de l'intrigue, dans les dialogues et dans la subdivision de l'histoire en épisodes, qui suit grosso modo celle des sept grands chapitres du livre. Dans le roman, la narratrice est homodiégétique, mais le lecteur est amené à douter de sa fiabilité, à la fois parce que son récit est souvent influencé par son émotivité18 et parce qu'elle admet qu'elle ne se souvient pas exactement du déroulement des événements19 ou rapporte des dialogues dont elle dira plus tard qu'ils sont faux20. Dans la série, ce dispositif est traduit par le recours à la voix off de Giovanna, qui vient ajouter à la mise en scène de l’histoire et des dialogues. Mais c’est surtout l’exploitation de ressources intermédiales propres au médium audiovisuel qu’il nous semble pertinent de relever et d’analyser.
2.1 Références artistiques et contexte culturel
13Dans la série, certaines références à l'art visuel, au cinéma et à la musique sont fondamentales pour la reconstruction du contexte culturel dans lequel se déroule l’histoire, c'est-à-dire pour la reconstitution de l'atmosphère de la Naples des années 1990 que Giovanna évoque dans ses souvenirs. Il est possible de remarquer l'utilisation de l'art visuel à cet égard dans le premier épisode, dans lequel l'image d'une célèbre installation est proposée : La montagna di sale de Mimmo Paladino, l'un des représentants de la trans-avant-garde italienne. L'œuvre consiste en un amas de béton, dans lequel sont insérés trente chevaux de bois, et elle a été exposée en 1995 sur la Piazza del Plebiscito. Cette image est un symbole des changements esthétiques que la ville subissait sous la direction du maire Antonio Bassolino, qui a entrepris de vider les places des voitures et d'y introduire de l'art contemporain afin de sensibiliser les gens à ce type d'expression artistique et, en même temps, de récupérer et de réévaluer l'importance culturelle de la ville21.
14En ce qui concerne le cinéma, dans le cinquième épisode, la référence à un symbole de la culture napolitaine constitue une sorte de mise en abyme du spectacle audiovisuel, propre à la série. En effet, alors qu’on ne relève pas, dans le livre, quelque référence explicite à un film particulier, on voit dans la série Giovanna, Angela, Giuliana et Tonino au cinéma en train de regarder le film Scusate il ritardo de Massimo Troisi, un célèbre acteur napolitain dont la renommée s'est surtout développée à la fin des années 1980 et au début des années 1990.
15Dans la restitution du contexte culturel des années 1990 à Naples, la musique a, parmi les divers médias, probablement le rôle le plus important. Elle est présente dès le début du premier épisode, intitulé Bellezza, accompagnant l'apparition d'un des éléments fondamentaux de l'histoire : le bracelet de Vittoria, qui symbolise son influence grandissante sur Giovanna. En effet, on voit le bijou flotter sous l'eau et Giovanna, dans une atmosphère onirique et sur les notes de la chanson Nun te scurdà du groupe Almamegretta, nager de plus en plus profondément pour tenter de le récupérer. La série reconnaît ainsi la place centrale que Ferrante, reprenant un motif présent dans plusieurs œuvres de la littérature italienne (de L'Orlando Furioso de Ludovico Ariosto à Menzogna e Sortilegio d'Elsa Morante22), donne à cet objet, en tant qu'incarnation des thèmes qui traversent l'histoire. Le « bracelet maléfique » passe de poignet en poignet parmi les femmes de l'histoire, traçant un fil conducteur entre les très différents personnages féminins qui souhaitent le posséder, et qui le revendiquent tout en essayant plusieurs fois de s'en débarrasser. L'objet semble représenter pour elles l'idée d'être aimées et il apparaît aussi comme un symbole de la malhonnêteté des personnages masculins, du réseau de mensonges et de secrets de la famille de Giovanna. Le bracelet choisi dans la série télévisée ne correspond pas exactement aux caractéristiques de celui décrit dans le roman23, mais il conserve ses traits les plus essentiels : la préciosité et la couleur rouge des rubis.
16Dès les premières minutes, on comprend que la musique jouera un rôle important dans la série, d'une part en soulignant les thèmes de l'histoire, et d'autre part en caractérisant culturellement le récit, comme le souligne le réalisateur (Edoardo de Angelis) :
Ovviamente bisogna che ogni canzone sia intrecciata sempre al senso del racconto, [...] abbiamo voluto restituire un’identità degli anni Novanta che passasse per quei brani da strada che in un baleno diventarono mainstream24 .
17La chanson qui ouvre la série est probablement l'exemple le plus important de la façon dont la bande sonore de la série fait écho aux thèmes de l'histoire. Les paroles de cette chanson en font un hymne féministe qui revendique l'existence d'une identité féminine indépendante des rôles sociaux patriarcaux que les femmes sont appelées à assumer :
Mamma, puttana, o brutta copia 'e n'omm,
avesse voluto e cchiù int a chesta parte 'e munno
apprezzata no p' 'e mascule sgravate
no p' 'e chisto cuorpo bello
no p' 'e mazzate che aggio dato
sulamente pecché femmena so' stata
e nu catenaccio o cor nun me l'aggio maje nzerrato25.
18La chanson renvoie à la fois au parcours de Giovanna et à celui de Vittoria : elle évoque, d’une part, dans les premiers vers, la découverte de la sexualité et de l’amour26 qui caractérise l’émancipation de la jeune fille, et elle dessine, d’autre part, une figure féminine dans laquelle on peut reconnaître sa tante, qui ne s'est pas mariée mais a connu des amours clandestines27. Les allusions à la personnalité peu conventionnelle de Vittoria trouvent un écho dans le choix de la musique à la fin de l'épisode : Giovanna et Vittoria dansent sur les notes de Non, je ne regrette rien d'Édith Piaf, marquant ainsi le début de leur nouvelle relation.
19La chanson Nun te scurdà caractérise la série sur le plan culturel, d'une part parce qu'elle donne immédiatement une connotation géographique à l'histoire en étant écrite et chantée en napolitain, et d'autre part en raison du rôle qu’Almamegretta a joué dans l'histoire culturelle de la ville28. En effet, le groupe a occupé une place déterminante dans la scène underground napolitaine des années 1990, devenant le symbole d'une sous-culture jeune et politiquement engagée qui cultivait ses racines napolitaines autant qu'elle embrassait les influences étrangères. Et c'est à cette sous-culture que la Giovanna de la série semble vouloir se rattacher : contrairement à la protagoniste du livre qui, au départ, s'habille encore comme une enfant, et dont l’apparence se métamorphose au cours de l'histoire29, la protagoniste de la série a environ deux ans de plus et possède déjà un style défini, qui fait clairement référence à la culture grunge importée des États-Unis au début des années 1990.
20Ainsi, nous trouvons une référence culturelle fondamentale dans l'introduction d'une scène qui n'a pas d'équivalent dans le texte-source : au milieu du premier épisode, Giovanna et Angela, au lieu d'aller à l'école un matin, descendent avec une amie du Vomero vers le centre historique de Naples, à l'Officina 99, un célèbre « centre social » napolitain situé dans le quartier de Poggioreale. C'est là que les jeunes filles assistent à une représentation du groupe musical qui a le plus représenté la Naples underground des années 1990 : le 99 posse.
21En écoutant le concert, Angela se dispute avec une fille qui l'accuse d'être « fasciste30 » en raison de son apparence qui trahit son appartenance à la bourgeoisie napolitaine. Le thème de l’orientation politique des familles bourgeoises de Giovanna et d'Angela, souvent évoqué dans le texte de Ferrante, prend forme dans la série à travers un certain nombre de références visuelles et musicales. Andrea et son ami Mariano se considèrent comme des intellectuels communistes qui se soucient néanmoins de maintenir leur position sociale et de se tenir à l'écart des classes sociales les plus pauvres. C'est particulièrement vrai pour le père de Giovanna, qui a réussi une véritable ascension sociale en reniant ses humbles racines et en coupant les ponts avec sa famille d'origine. Ce contraste apparaît très clairement dans la scène du premier épisode où Andrea attend Giovanna devant la maison de Vittoria, dans sa voiture ; il semble à la fois à l'aise dans ce monde et complètement déplacé : malgré le fait que pour passer le temps en attendant sa fille, l'homme se mette à lire le journal L'Unità31, il n'hésite pas à répondre grossièrement à un pauvre homme qui s'approche de lui pour lui demander de lui offrir un café. La scène (épisode 3) où Mariano danse en écoutant la chanson des partisans Fischia il vento dans sa riche maison de Posillipo et salue ensuite ses amis d'un « buonasera compagni32 » est également significative à cet égard ; Giovanna exprime ouvertement sa déception face à l'incohérence entre leur discours sur la justice sociale et le style de vie de riches conservateurs qu'ils mènent, faisant de cette hypocrisie une partie de la découverte de la vie mensongère que mènent les adultes qui l'entourent. Un autre ajout de la série au roman, dans cette direction, se trouve dans le cinquième épisode, lorsque tous les personnages participent à un festival ouvertement communiste, rappelant explicitement les fêtes de l'Unità (équivalent italien des fêtes de L’Humanité), qui, de l'après-guerre aux années 1990, ont été un événement clé pour la gauche italienne.
22Pourtant, la série manque l'occasion d'exploiter un moment musical important dont Vittoria est protagoniste. Dans le roman, elle apparaît en proie à une sorte de transe tandis qu’elle joue de l’accordéon: Vittoria est décrite comme une figure diabolique, comme sous l'emprise d'une possession, évoquant indirectement les femmes touchées par le tarentisme :
è bruttissima. In quel momento era proprio vero, Vittoria mentre suonava storceva la faccia come una diavola, e anche se era brava e i parrocchiani la applaudivano, dava uno spettacolo respingente. Agitava le spalle, arricciava le labbra, corrugava la fronte, tendeva il busto all'indietro così tanto che pareva averlo molto più lungo delle gambe, spalancate come non bisogna tenerle33.
23Dans le troisième épisode, on voit certes rapidement Vittoria poser l'accordéon sur ses genoux, mais sans la dimension démoniaque associée à la transe du personnage dans le roman.
2.2 Monter et descendre à Naples
24En ce qui concerne le rôle central de Naples dans l'histoire, l'adaptation en série du roman tire parti de la possibilité qu'offre le médium audiovisuel de montrer les décors hautement symboliques évoqués dans le roman. C'est ainsi que le spectateur est confronté au contraste saisissant entre les merveilleuses vues sur le golfe depuis la riche maison de Costanza à Posillipo et la dégradation et la pauvreté du quartier où vit Vittoria, en passant par l'atmosphère rassurante du quartier résidentiel de Giovanna.
25La découverte par la protagoniste du monde des adultes, des secrets de sa famille et enfin d'elle-même passe par l'exploration d'une grande partie de Naples que la jeune fille ne connaît pas. La correspondance symbolique entre les lieux de la ville et la vie de Giovanna est telle que lorsque tout s'écroule, elle craint, dans un passage clé du roman fidèlement reproduit dans la série, l'effondrement physique de la ville et de l'ordre dans lequel elle s'est toujours déplacée : « tutto sarebbe franato. San Giacomo dei Capri sarebbe ruzzolata sul Vomero e il Vomero sull'intera città, e l'intera città sarebbe affogata in mare34 ». L'une des premières informations que nous avons sur Giovanna dans le roman concerne le lieu même où elle est née et a grandi : Via San Giacomo dei Capri, dans le Vomero, un célèbre quartier bourgeois de la partie haute de la ville. C'est la protagoniste elle-même qui nous parle de sa relation avec Naples, du fait qu'une grande partie de la ville lui est totalement inconnue et de la distance, littérale et métaphorique, qui la sépare du quartier d'origine de son père :
lo spazio dentro cui risiedevano i parenti di mio padre era indefinito, senza nome. Avevo un'unica certezza: per andare da loro bisognava calare giù, più giù, sempre più giù, nel fondo del fondo di Napoli, e il viaggio era così lungo che mi pareva, in quelle circostanze, che noi e i parenti di mio padre abitassimo in due città diverse35.
26Ainsi, la série nous montre dès les premières scènes la Naples haute, l'étude par Giovanna de la carte des lieux qu'elle ne connaît pas, la découverte à travers ses yeux du Pascone36, le quartier pauvre où vit sa tante. Giovanna vit dans un quartier qui constitue une exception dans la géographie sociale de la ville : le Vomero, dans sa normalité, est un quartier détaché du centre historique de Naples parce qu'il est en dehors de l'excentricité de la ville napolitaine. C'est une sorte de zone de confort, une ville haute qui se sent beaucoup plus éloignée culturellement de la ville basse qu'elle ne l'est géographiquement37.
27À Naples, on monte et on descend, et ce mouvement physique devient la métaphore du parcours de Giovanna et des autres personnages de l'histoire. La jeune fille est en effet contrainte de descendre de son monde protégé pour se perdre dans les méandres de la Naples inconnue, effectuant ainsi le mouvement inverse de celui de son père qui, au contraire, est "monté" des quartiers les plus pauvres vers les quartiers aisés de Naples. La série ne manque pas l'occasion de faire prendre corps à ce mouvement, qui est par exemple bien mis en valeur dans des scènes comme celle du premier épisode où Giovanna descend sur une mobylette avec Angela et une amie de l'école du Vomero vers le centre social de Poggioreale, ou comme la scène du quatrième épisode où Giovanna monte dans un ascenseur pour rejoindre son père sur une belle terrasse panoramique38.
28En découvrant la ville basse, Giovanna perd son innocence et commence à entrer en relation avec toutes les couches de la société. Naples est un labyrinthe, un condensé de mystères, de secrets, de différentes façons d'exister et de différentes significations du monde. À travers sa relation avec sa tante, par exemple, Giovanna entre en contact avec la religion et avec un aspect séculaire de la culture napolitaine : le culte des morts. Dans la topographie du récit, le cimetière de Poggioreale – l'un des plus grands d'Europe – revêt une importance symbolique non négligeable, et la série reproduit fidèlement la réalité du lieu en montrant Vittoria et Giovanna se rendre en voiture à la tombe d'Enzo, passer entre les tombes et acheter des fleurs à apporter au défunt. Vittoria, qui est appelée « la veuve » dans le roman, introduit officiellement Giovanna dans sa vie quand elle la "présente" à son amant décédé, Enzo (c'est-à-dire à la photo d'Enzo sur sa tombe), mettant ainsi en scène un type de rituel courant dans la culture napolitaine, selon lequel l'entrée dans la famille se fait par la connaissance des défunts39.
29Giovanna, qui a grandi dans l'athéisme, découvre cet aspect religieux de l’identité napolitaine par l'intermédiaire de Vittoria, qui l'emmène avec elle à l'église. Le roman fait allusion aux différences dans l'utilisation des lieux sacrés qui sont emblématiques de la spécificité de statut social des personnages : le bâtiment où Vittoria emmène Giovanna n'est pas l'une des belles églises du centre-ville que son père lui a montrées, mais une « chiesa grigiobianca fuori, tenebrosa dentro40 ». La série illustre cet aspect du roman en utilisant l'architecture comme support : La casa del portuale, une œuvre brutaliste des années 1970, conçue par Aldo Loris Rossi et aujourd'hui en état de délabrement, se voit ainsi transformée en église. Le bâtiment contribue à la création de l'esthétique qui sert de toile de fond et de symbole du mode de vie de Vittoria et de ses habitants, de leur pauvreté, mais aussi d'une manière d'aborder les choses – en l'occurrence la foi – qui se concentre uniquement sur la substance et non sur la forme41.
2.3 Photographies
30Dès le roman, il est possible de constater une relation intermédiale importante entre la littérature et les images, en particulier les photographies, qui se traduit par le phénomène de l’ekphrasis. La photographie est un moyen de connaissance pour Giovanna lorsque, au début du roman, elle cherche dans les vieilles photos de ses parents une image de sa tante. Elle découvre que son père a tenté d'effacer sa sœur, littéralement et métaphoriquement, en dessinant des rectangles noirs sur son visage, comme s'il s'agissait de « cercueils ». Dans la série, la photo avec les visages couverts d'Enzo et de Vittoria reproduit avec précision celle décrite dans le roman, et, après le moment où Giovanna tente de gratter l'encre, et de révéler ainsi le visage de sa tante, s’ensuit une très courte scène montrant Vittoria en chair et en os, ce qui dévoile partiellement son visage.
31De même, les jeunes Giovanna, Ida et Angela, parce qu’elles sont déçues par leurs parents, et parce qu’elles sont attirées par le fantasme d’un acte sacrilège, semblent être saisies par une sorte de pulsion transgressive et iconoclaste lorsqu'elles prétendent vouloir cracher ou uriner sur les photographies de leurs parents42. A la fin de ce dialogue (repris presque in extenso dans la série), Ida envisage de mettre en récit cette scène fantasmée : à l’intérieur du roman, puis du roman à la série, l’image et la parole ne cessent de s’inspirer l’une et l’autre.
32La photographie a aussi le pouvoir d'évoquer la présence de ceux qui ne sont plus là, comme avec la photo d'Enzo au cimetière43. La série restitue fidèlement cette scène, en montrant dans le deuxième épisode Vittoria nettoyer soigneusement la photo d'Enzo sur la tombe, avant de s'en servir pour entamer une véritable conversation avec le défunt. Une autre photo d'Enzo est mentionnée dans le roman, qui trône dans la maison de Margherita et réunit dans le souvenir les deux femmes qui l'ont aimé44 ; la même photo effraie le personnage de Corrado (un des fils d’Enzo), qui veut s'en débarrasser dès le départ de Vittoria45.
33On peut constater dès les premières scènes que dans la série les photographies jouent le même rôle prépondérant qu’elles ont dans le roman. Nous pensons par exemple aux plans montrant des photographies de parents de Giovanna dans sa chambre : ces images, qui représentent un couple heureux et une famille parfaite, véhiculent l'image de la vie que Giovanna croyait réelle, de la vie mensongère de ses parents. L’acte de poser est aussi clairement montré dans le quatrième épisode, dans un moment où on voit Andrea prendre une photo d'Ida, Angela, Costanza et Giovanna autour du gâteau d'anniversaire de la plus jeune : les femmes sourient pour tenter de cacher dans les souvenirs du futur le malaise qui est fortement présent dans leur vie à ce moment-là. Giovanna semble être la seule à ne pas pouvoir et à ne pas vouloir participer à ce simulacre.
2.4 La relation avec le roman et la littérature
34Dans La vita bugiarda degli adulti, l'écrivaine, comme dans une grande partie de sa production littéraire, joue sur l'ambiguïté entre réalité et fiction, avec l'idée que l'histoire racontée est réelle et que l'un des personnages du roman serait Ferrante elle-même. Comme dans ses autres romans, étant donné l'anonymat de l'écrivaine, on peut imaginer que ce texte raconte une histoire réellement vécue par Ferrante et qu'Ida, dans ce cas, n'est autre que l'écrivaine en tant que jeune femme46. Le personnage nous est présenté dès le début comme celui d'une jeune fille qui aime écrire, et c'est précisément elle, vers la fin du texte47, qui lit à Giovanna un récit inspiré de leur histoire. Dans la série, l'histoire devient une sorte de vrai livre qu'Ida laisse sur la vespa de Giovanna et sur lequel on lit le titre « La vita bugiarda degli adulti », faisant allusion à la possibilité qu'il s'agisse du roman d'où est tirée la série que nous regardons.
35Les livres sont bien présents dans l'histoire, en particulier dans la maison et la vie de Giovanna. Dans le roman, il y a plusieurs références intertextuelles liées principalement aux lectures de la protagoniste, parfois explicites, comme pour les Évangiles48 ou Tom Jones de Henry Fielding49, parfois implicites comme avec À la recherche du temps perdu de Marcel Proust (« un libro difficile che stavo leggendo da mesi, non finiva mai, raccontava la ricerca del tempo perduto50»).
36Dans la série, les allusions à la littérature servent principalement à caractériser les personnages : Giovanna est une lycéenne italienne typique qui répond aux questions en classe sur I Malavoglia de Verga, tout comme la personnalité d'Andrea est encadrée par les livres qu'il a sur ses étagères (nous apercevons quelques livres de psychanalyse et des livres sur le communisme). Plus intéressante est la référence explicite, à travers le cadrage du livre, à L'insoutenable légèreté de l'être de Milan Kundera, que nous voyons pendant que Corrado et Giovanna parlent de la quantité de livres dans la maison de la jeune fille : les thèmes du roman de Kundera (amour, liaisons, trahison, entre autres) semblent faire écho à ceux de l'histoire que nous regardons, dans une référence croisée continue entre un livre et un autre et entre un médium et un autre.
Conclusion : quelles sont les limites et les possibilités de l’adaptation en série de La vita bugiarda degli adulti ?
37Nous avons vu que l'adaptation en série permet de développer certains aspects du roman de Ferrante, notamment en ce qui concerne la caractérisation culturelle et géographique de l'histoire. Naples, qui joue déjà dans le roman un rôle beaucoup plus important que celui d'un simple cadre géographique, devient encore plus présente dans la série télévisée à travers les références culturelles qui caractérisent l'histoire et les personnages. Cependant, même si La vita bugiarda degli adulti s'éloigne des représentations les plus stéréotypées de Naples comme toile de fond des luttes entre les différentes factions du crime organisé (le fameux « paradis habité par les diables »51), on peut se demander dans quelle mesure Elena Ferrante et Edoardo De Angelis, d'abord avec le roman, puis avec la série télévisée, tentent de donner une vision authentique et complexe de la ville et ne surfent pas plutôt sur la vague du grand succès que connaît Naples aux yeux du public international. L'histoire de Giovanna, qui vit dans une ville qui semble, comme sa vie, sur le point de s'effondrer à tout moment, répond à un autre type de représentation stéréotypée de Naples, qui, selon certains, la rend si à la mode et irrésistible de nos jours : une ville sauvage dans laquelle la pauvreté devient un élément pittoresque et, surtout, une ville qui semble toujours vivre à la veille de sa destruction52. L'adaptation en série télévisée rend cette représentation fétichisée et exotisée de Naples encore plus facile à vendre par le biais d'un médium qui touche un public plus large que celui de la littérature.
38Cela étant, pour les mêmes raisons, alors que d’un côté les représentations et les thèmes féministes abordés dans le roman risquent d’être traités de manière plus superficielle, de l’autre, la série télévisée inspirée du roman de Ferrante, en tant que médium largement consommé et grâce à la célébrité du nom qui l’accompagne, a la possibilité et l'avantage de faire passer certaines idées et représentations d'un public plus restreint et plus élitiste à un public beaucoup plus large.
Notes
1 L’identité d’Elena Ferrante (c’est un pseudonyme) n’étant pas connue, on ne peut pas exclure tout à fait qu’il s’agisse d’un auteur masculin, ou encore d’un collectif. Néanmoins, l’hypothèse d’une seule et même autrice est considérée comme la plus probable. Voir Antonio Lamorte, « Chi è Elena Ferrante, il mistero dell’identità della scrittrice letta in tutto il mondo », URL : https://www.unita.it/2023/05/15/chi-e-elena-ferrante-il-mistero-dellidentita-della-scrittrice-letta-in-tutto-il-mondo/, consulté le 23/07/2024.
2 Cf. Elena Ferrante, La Frantumaglia, Roma, Edizioni e/o, 2016, p. 56 : « I media, specialmente quando connettono foto dell’autore a libro, performance mediatica dello scrittore a copertina dell’opera, vanno proprio in direzione opposta. Aboliscono la distanza tra autore e libro, fanno in modo che l’uno si spenda a favore dell’altro, impastano il primo con i materiali del secondo e viceversa ». Notre traduction : « Les médias, surtout lorsqu'ils associent la photo de l'auteur au livre, la performance médiatique de l'écrivain à la couverture de l'œuvre, vont dans une direction tout à fait opposée. Ils abolissent la distance entre l'auteur et le livre, de sorte que l'un soit mis au service de l'autre, mêlant le premier aux matériaux du second et vice versa ».
3 Voir Elisabetta Abignente, « Transmedialità, autorialità nuovi media. Alcune considerazioni su Oltre l'adattamento? » dans SigMa journal of comparative literature, theatre and performing arts, vol. 5, 2021, p. 587 - 615.
4 Nous pensons à la série Gomorra, mais aussi à des films comme Napoli Velata (2017) de Ferzan Özpetek ou È stato la mano di Dio (2021) de Paolo Sorrentino, ainsi qu'à la série plus récente Mare Fuori, conçue par Cristina Farina (diffusée depuis 2020 et encore en production).
5 Voir Peppe Fiore, « Partenosfera », dans The Passenger. Napoli, Milano, Iperborea, 2021, p. 137-151.
6 Voir Tiziana De Rogatis, « Elena Ferrante e il Made in Italy. La costruzione di un immaginario femminile e napoletano » dans Made in Italy e cultura. Indagine sull'identità italiana contemporanea, Palermo, Palumbo Editore, 2016, p. 288-317.
7 Voir Claudio Bisoni, Elisa Farinacci, « L’amica geniale: anatomia di una comunità interpretativa transnazionale » dans Cinergie – Il cinema e le altre arti, n° 18, 2020, p. 49-58.
8 Elena Ferrante, La vita bugiarda degli adulti, Roma, Edizioni e/o, 2019, p. 12. Traduction d’Elsa Damien (La vie mensongère des adultes, Paris, Gallimard, 2022, p. 15) : « une femme qui [...] alliait à la perfection laideur et propension au mal ».
9 Ibid, p. 9, et p. 11 pour la traduction française : « Deux ans avant qu’il ne quitte la maison, mon père dit à ma mère que j’étais très laide ».
10 Voir Isabella Pinto, Elena Ferrante. Poetiche e politiche della soggettività, Milano, Mimesis Edizioni, 2020, p. 21-25.
11 Elena Ferrante, La vita bugiarda degli adulti, op. cit., p. 44. Traduction française d’Elsa Damien (La vie mensongère des adultes, op. cit. p. 60) : « La beauté de Vittoria me sembla tellement insupportable que la considérer comme laide devint une nécessité. »
12 Non seulement Giovanna parle ouvertement de Vittoria comme d'une « tante sorcière » qui pratique des « arts magiques », mais elle implique également Margherita (la femme d'Enzo, l’amant de Vittoria) dans la référence à la sorcellerie, en parlant en fait de l'étrange lien de sorcellerie entre les deux femmes qui auraient dû être ennemies mais qui sont devenues unies après la disparition de leur homme. Cf. Elena Ferrante, La vita bugiarda degli adulti, op. cit., p. 86) : « mancò poco che non dessi alle due donne la capacità di volare per cieli notturni o di inventare pozioni magiche raccogliendo erbe fatate nel Bosco di Capodimonte ». Traduction d’Elsa Damien (La vie mensongère des adultes, op. cit. p. 117) : « je faillis en arriver à attribuer à Margherita et Vittoria la capacité de voler dans les cieux nocturnes et d’inventer des potions magiques avec des herbes ramassées dans le bois de Capodimonte ».
13 Voir Isabella Pinto, op. cit., p. 209-210.
14 Dans un flashback de la série télévisée, Giordana Marengo (l’actrice jouant Giovanna) interprète le rôle de Vittoria jeune, créant ainsi une juxtaposition des identités de la protagoniste et de sa tante.
15 Elena Ferrante, « Siamo noi le padrone della storia », texte publié sur le site web des éditions e/o (sans précision de date), URL : https://www.edizionieo.it/news/1754/elena-ferrante-siamo-noi-le-padrone-della-storia, consulté le 03/06/2023. Notre traduction : « Cependant, il y a toujours eu, même dans ma jeunesse, un pouvoir qui m'a fascinée, même s'il était largement colonisé par les hommes : le pouvoir de raconter. [...] c'est le pouvoir d'ordonner le réel selon notre propre empreinte et en cela il n'est pas très éloigné du pouvoir politique. »
16 Elena Ferrante, La vita bugiarda degli adulti, op. cit., p. 317. Traduction d’Elsa Damien (La vie mensongère des adultes, op. cit., p. 422) : « celle-là – et pendant une fraction de seconde, elle me toucha délicatement entre les jambes –, celle-là, je te l’ai dit mille fois, fais-y attention. Pèse bien le pour et le contre avant de la donner, sinon tu n’iras nulle part. Et puis, écoute-moi bien : si jamais j’apprends que tu l’as gâchée, je le dis à ton père, et tous les deux on viendra te casser la gueule. »
17 Ibid., p. 313, et p. 416 pour la traduction française : « Au moins, tu t’es enlevé ça de la tête. »
18 Par exemple, les mots de l’incipit (« mon père dit à ma mère que j’étais très laide ») ne correspondent pas à ce que le père de Giovanna a réellement dit à sa mère.
19 Voir par exemple Elena Ferrante, La vita bugiarda degli adulti, op. cit., p. 254 : « ora non ricordo che film proiettassero, forse mi verrà in mente in seguito » (traduction d’Elsa Damien, La vie mensongère des adultes, op. cit., p. 339 : « je ne me souviens plus quel film était projeté, cela me reviendra peut-être plus tard »).
20 Voir Elena Ferrante, La vita bugiarda degli adulti, op. cit., p. 299.
21 Voir Paolo Macri, « Sovrani repubblicani », dans The Passenger. Napoli, op. cit., p. 9-31.
22 Voir Isabella Pinto, op. cit., p. 212.
23 Elena Ferrante, La vita bugiarda degli adulti, op. cit., p. 104.
24 Martina Barone, « Quanta verità c'è nella Vita bugiarda degli adulti », Esquire, 9 janvier 2023 (URL : https://www.esquire.com/it/cultura/tv/a42354582/la-vita-bugiarda-degli-adulti-serie-tv-netflix/, consulté le 23/07/2024). Notre traduction : « Évidemment, chaque chanson doit toujours être imbriquée dans le sens de l'histoire, [...] nous avons voulu restaurer une identité des années 1990 qui passait par ces chansons de rue qui, en un clin d'œil, sont devenues mainstream. »
25 Notre traduction : « Mère, salope ou premier brouillon d'un homme / J'aurais voulu plus de cette partie du monde / Appréciée non pas pour les hommes qu'elle a accouchés / Non pas pour ce beau corps / Non pas pour les coups que j'ai mis / Seulement parce que j'ai été une femme / Et je n'ai jamais enfermé mon cœur avec un verrou. »
26 « 'E ssentevo quanno ero figliola / 'o cchiammavano ammore / chellu fuoco ca te nasce mpietto e ca maje se ne more / 'e ccumpagne parlavano zitto 'e sta cosa scurnosa / ca ne femmena 'a fa sulamente 'o mumento ca sposa » (notre traduction : « Je les entendais quand j'étais une jeune fille / ils l'appellaient amour / ce feu qui naît dans ta poitrine et qui jamais ne meurt / les copines parlaient tout bas de cette chose honteuse / qu'une femme fait seulement quand elle se marie »).
27 « E pur si sposa non song stata maje / saccio comme volle o sang, o cor sbatte forte assai ». Notre traduction : « Et même si je n'ai jamais été épouse / je sais comment le sang brûle et le cœur bat très fort ».
28 La chanson O bbuono e 'o malamente, qui figure dans le troisième épisode, est également une œuvre d'Almamegretta, dont le titre semble être une allusion claire à la remise en question par Giovanna de ses parents et du monde qu'elle a connu.
29 Elena Ferrante, La vita bugiarda degli adulti, op. cit., p. 136 : « Passai dal colore bianco o rosa al nero, neri gli occhi, nere le labbra, nero ogni capo d'abbigliamento ». Traduction d’Elsa Damien (La vie mensongère des adultes, op. cit., p. 118) : « Je passai du blanc et du rose au noir – yeux noirs, lèvres noires, tous mes vêtements noirs ».
30 Cette accusation est typique d'un certain discours de la gauche radicale qui établit un lien direct entre l'appartenance à la bourgeoisie et le fascisme.
31 À l’intention de lecteurs qui seraient peu familiers de la politique italienne, nous signalons qu’il s’agit du journal communiste italien historique fondé par Antonio Gramsci.
32 « Bonsoir camarades ».
33 Elena Ferrante, La vita bugiarda degli adulti, op. cit., p. 117. Traduction d’Elsa Damien (La vie mensongère des adultes, op. cit., p. 158) : « Elle est vraiment très moche. À ce moment-là, c’était vrai. Tandis que Vittoria jouait, ses traits se tordaient comme ceux d’une diablesse et, malgré son talent et les applaudissements des paroissiens, elle offrait un spectacle répugnant. Elle remuait les épaules, retroussait les lèvres, plissait le front et penchait tellement le buste en arrière qu’il semblait beaucoup plus long que ses jambes, qu’elle tenait très écartées, de manière inconvenante ». Une vague référence au neotarantismo subsiste, détachée de la figure de Vittoria, dans le choix de la chanson O ball r’e pezzient.
34 Elena Ferrante, La vita bugiarda degli adulti, op. cit., p.123. Traduction d’Elsa Damien (La vie mensongère des adultes, op. cit., p. 166) : « tout allait s’effondrer. San Giacomo dei Capri dégringolerait sur le Vomero, le Vomero sur la ville entière, et la ville entière finirait engloutie dans la mer ». Angoisse et pulsion de destruction s’ancrent ici à une vraie réalité géologique : la menace des tremblements de terre, comme celui, meurtrier, de 1980.
35 Ibid., p. 15, et p. 19 pour la traduction française : « L’espace où résidait la famille de mon père était indéfini et sans nom. Je n’avais qu’une seule et unique certitude : pour aller chez eux, il fallait descendre, descendre encore et encore, toujours plus loin, tout au fond de Naples, et ce trajet était tellement long qu’il me semblait, en de telles circonstances, que les parents de mon père et nous habitions deux villes différentes. »
36 Pascone est le nom imaginaire d'un quartier napolitain qui correspond en réalité à Poggioreale.
37 Voir Cristiano de Majo, « Vado a Napoli. Cos'è il Vomero e cosa sono i vomeresi », dans The Passenger. Napoli, op. cit., p. 67-80.
38 Cette scène est également très puissante en raison de sa relation avec la musique : comme pour représenter l'éloignement du monde que lui offre la musique, nous voyons Giovanna avec des écouteurs mais n'entendons aucun son ; ce n'est que lorsqu'elle les enlève que nous recommençons à entendre des bruits et de la musique, non pas celle qu'elle était en train d'écouter mais celle du bar où elle est assise avec son père.
39 Voir Carmen Barbieri, « Napoli Camposanto », dans The Passenger. Napoli, op. cit., p. 105-119.
40 Elena Ferrante, La vita bugiarda degli adulti, op. cit., p. 108. Traduction d’Elsa Damien (La vie mensongère des adultes, op. cit., p. 146) : « église gris-blanc à l’extérieur et ténébreuse à l’intérieur ».
41 Comme l’illustre ce dialogue entre Giovanna et Vittoria, dans la série . « – E questa è una chiesa ? – La gente che viene qua ha fede, perciò questa non è una chiesa, è una cattedrale. » (« – C’est ce truc là l’église ? – Les gens qui viennent ici, ils ont la foi, alors pour eux c’est pas une église ça, c’est une cathédrale » - traduction tirée de la version française de la série télévisée).
42 Elena Ferrante, La vita bugiarda degli adulti, op. cit., p. 155 : « “Sto leggendo un libro dove una ragazza sputa sulla foto di suo padre e lo fa anche una sua amica”. Chiese Angela: “Tu ci sputeresti sulla foto di tuo padre?” “E tu?” domandai a mia volta. “Io su quella di mia madre sì”. “Io no” disse Ida. Ci pensai un attimo, dissi: “Io su quella di mio padre ci piscerei”. L'ipotesi entusiasmò Angela: “Lo possiamo fare insieme”. “Se lo fate” disse Ida, “io vi guardo e vi scrivo”. “Che significa che ci scrivi?” chiesi. “Scrivo di voi che pisciate sulla foto di Andrea”. “Un racconto?” “Sì” ». En traduction française (nous reprenons la typographie propre à cette édition) : « Je suis en train de lire un roman où une fille crache sur la photo de son père, et une de ses amies fait la même chose. Angela demanda : — Toi, tu cracherais sur la photo de ton père ? — Et toi ? demandai-je à mon tour. — Sur celle de ma mère, oui. — Pas moi, intervint Ida. Je réfléchis un instant et déclarai : — Moi, je pisserais sur celle de mon père. Cette hypothèse enthousiasma Angela : — On n’a qu’à le faire ensemble. — Si vous le faites, dit Ida, moi je vous regarde et j’écris sur vous. — Comment ça, tu écris sur nous ? demandai-je. — J’écris sur vous qui pissez sur la photo d’Andrea. — Une histoire ? — Oui » (La vie mensongère des adultes, op. cit., p. 207).
43 Voir Elena Ferrante, La vita bugiarda degli adulti, op. cit., p. 67-68.
44 Ibid., p. 80.
45 Ibid., p. 318.
46 Voir Tiziana De Rogatis, « Elena Ferrante e il Made in Italy. La costruzione di un immaginario femminile e napoletano », art. cit., p. 295.
47 Voir Elena Ferrante, La vita bugiarda degli adulti, op. cit., p. 314.
48 Ibid., p. 189.
49 Ibid., p. 247.
50 Elena Ferrante, La vita bugiarda degli adulti, op. cit., p. 181. Traduction d’Elsa Damien (La vie mensongère des adultes, op. cit., p. 240) : « un livre difficile que je lisais depuis des mois, il était interminable et parlait de la recherche du temps perdu ».
51 Benedetto Croce, Un paradiso abitato da diavoli, Milano, Adelphi, 2006, p. 13.
52 Dans un essai sur une autre écrivaine napolitaine, Fabrizia Ramondino, la chercheuse Laura Rorato fait référence aux écrits des années 1920 d'Alfred Sohn-Rethel, qui parlait de la menace constante de la catastrophe symbolisée par la présence du Vésuve, et aux théories actuelles d'Iain Chambers sur la précarité de la ville, en relation également avec les caractéristiques physiques de l'un des éléments fondamentaux de la ville : le tuf (voir L. Rorato, « F. Ramondino, Caravaggio e i quartieri di Napoli », dans « Non sto quindi a Napoli sicura di casa ». Identità spazio e testualità in Fabrizia Ramondino, Perugia, Morlacchi Editore, 2023). On peut d’ailleurs penser à l’aspect apocalyptique de la ville dans Paisà (1946) de Rossellini et dans La pelle (1949) de Malaparte. En ce qui concerne un imaginaire plus immédiatement contemporain, voir Tobias Jones, « The city of imminent doom: why the coolest, edgiest tv shows and books are set in Naples », URL : https://www.theguardian.com/artanddesign/2023/sep/25/naples-hand-of-god-elena-ferrante-gomorrah-mixed-by-erry-paradise-devils, consulté le 23/07/2024.
Pour citer ce document
Quelques mots à propos de : Valentina Timpani
Valentina Timpani est doctorante à l’Université de Poitiers. Elle a enseigné en France dans le secondaire et le supérieur. Ses recherches portent sur la représentation littéraire de l’identité napolitaine, plus spécifiquement chez des autrices telles que Fabrizia Ramondino, Piera Ventre et Elena Ferrante (en s’intéressant également, pour cette dernière, aux adaptations audiovisuelles de son œuvre).
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