Maures et morisques chez Alemán et Cervantes

Par Monique MICHAUD
Publication en ligne le 20 juin 2013

Texte intégral

1. Rappel historique

1Le dimanche 2 janvier 1492, les Rois Catholiques Isabelle et Ferdinand reçoivent des mains de Boabdil, dernier roi de Grenade, les clefs qui leur ouvrent les portes de la ville. Pour les souverains de Castille et d’Aragon, c’est l’ultime épisode d’une guerre de reconquête longue de près de huit siècles pour bouter hors l’envahisseur musulman. Pour celui-ci, en dépit des capitulations de Santa Fe qui lui accordent le libre exercice de sa religion et le droit de conserver sa langue, ses coutumes et ses biens, cette défaite est plus qu’un de ces revers politico-militaires dont l’Histoire est semée; elle marque la première étape vers l’exclusion: après avoir aboli sa frontière intérieure, l’Espagne des Rois Catholiques et de leurs successeurs n’aura de cesse, à mesure qu’elle s’étendra territorialement, de se réformer idéologiquement1, chassant de son sein tout ce qui, de près ou de loin, échappe à cette uniformité dont on veut faire le ciment d’un État fort hétérogène du fait même de son histoire.

2Le juif et le musulman seront les premières victimes de cette politique.

3Dès le 31 mars 1492, les juifs sont sommés de choisir sous trois mois entre le baptême ou l’exil. Pour les mudéjares, ces musulmans d’Espagne désormais sujets des Rois Catholiques, l’heure de la tolérance est également révolue et leurs jours en Espagne sont comptés2. L’année 1526 marque – officiellement, du moins– la fin de la présence musulmane dans l’Espagne du roi catholique Charles Ier, souverain des royaumes de Castille et d’Aragon; elle marque aussi une pause dans la répression, l’em­pereur se faisant auprès du pape l’avocat des nouveaux convertis dont la foi chancelante est moins à imputer, selon lui, à leur malice qu’à une conversion forcée sans catéchèse appropriée3.

4Pour tous ces mudéjares devenus Morisques par le baptême s’ouvre donc une période de relative tranquillité qui repose sur un équilibre fragile oscillant entre une volonté d’assimilation et la tentation toujours renaissante de la répression4. Mais l'accalmie est de courte durée et la spirale infernale tourne de plus en plus vite: tandis que don Juan d’Autriche conduit les opérations militaires, le pouvoir royal répond, le 1ernovembre 1570, par la déportation de tous les Morisques de Grenade vers des zones de moindre turbulence où la population morisque est moins nombreuse (Castille, Estrémadure et Andalousie occidentale).

5Mais ni la répression ni le cortège de morts que la déportation laisse sur les chemins ne règlent le problème; bien au contraire: en déplaçant les populations, on a seulement déplacé celui-ci et, loin de réduire la fracture entre les communautés, on l’a aggravée, réveillant le vieil antagonisme qui opposait Morisques et vieux-chrétiens dans des régions où une coexistence pacifique l’avait suffisamment assoupi pour qu’il semblât évanoui; on a créé l’irréparable car, désormais, comme l’écrivent Antonio Domínguez Ortiz et Bernard Vincent:

tout Morisque devenait suspect et, réciproquement, tout chrétien était considéré par les Morisques comme un délateur potentiel. Dans de telles circonstances, d’un côté comme de l’autre, on ne croyait plus qu’aux solutions radicales.5

6Cette solution radicale qui s’impose à la fin au roi catholique Philippe III, c’est l’expulsion définitive de tous les Morisques –esclaves exceptés6. La mesure étant arrêtée le 30 janvier 1608 par le Conseil du Royaume unanime, elle fut imposée au nom des in­térêts supérieurs de la raison d’État7, à défaut de pouvoir l’être au nom des seuls intérêts supérieurs de la chrétienté. Comme la réalisation de l’opération était lourde et complexe à mettre en œuvre par les moyens en hommes et en matériels qu’elle exigeait et comme il fallait prévenir de possibles désordres, on décida de procéder par étapes. Puisque c’est en Aragon que les Morisques étaient concentrés en plus grand nombre, depuis la déportation de ceux de Grenade, on décida de commencer par là. Le premier décret d’expulsion fut en définitive promulgué à Valence le 27 sep­tembre 1609 – car il fallut aussi prendre le temps d’acheter de puissants intérêts8. Mais si elle ne les frappa pas tous dans le même instant, la peine fut la même pour tous et elle fut implacable: signée à Madrid, le 9 décembre 1609 par Philippe III, la loi qui déclarait sans distinction tous les Morisques coupables du crime de haute trahison envers Dieu et envers le roi9 les condam­nait de même, sans distinction aucune, au bannissement perpétuel dans les délais les plus brefs10. L’opération fut conduite avec la plus extrême rigueur par le comte de Salazar et avec une telle diligence qu’elle était pratiquement achevée en 1610, même si elle se poursuivit quelque trois années encore; l’expulsion, en octobre 1613, de 2 500 Morisques de Ricote dont la foi catholique était avérée et l’assimilation patente, en marqua un des derniers et plus funestes épisodes11.

2. « Maurophilie » littéraire

7Voilà brièvement rappelée l’histoire de cet affrontement fratricide et de son tragique dénouement. Rien de tout cela ne transparaît pourtant dans la littérature du temps; c’est même tout le contraire comme l’observe Georges Cirot dans une série d’articles judicieu­sement intitulés « La maurophilie littéraire en Espagne au XVIe siècle »12. De l’hostilité réciproque que se vouent vieux-chrétiens et Morisques13, dont l’affrontement polémique est minutieusement analysé par des études récentes14, aucune trace – et c’est bien là l’apparent paradoxe qui interroge les chercheurs.

8Marqué par le romancero de la guerre de frontière où rivalisent de vaillance musulmans et chrétiens et par le romancero mauresque, le goût mauresque s’affirme par ailleurs dans le roman mauresque – promis au bel avenir que l’on sait tant en Espagne qu’à l’étranger15–, qui vient à point renouveler le roman sentimental, lequel « sous sa forme chevaleresque subit à ce moment une éclipse»16: le Maure, nouvel Amadis, y apparaît alors comme un modèle de chevalerie et de galanterie.

9María Soledad Carrasco Urgoiti situe l’apogée de cette littérature mauresque entre les années 1591 et 1597 pour le roman-cero17, et la critique s’accorde à reconnaître dans l’histoire de L’Abencérage et la belle Jarifa la première nouvelle de ce genre en train de naître. Ce petit chef-d’œuvre entouré de mystère, dont on ne connaît ni l’auteur ni la date exacte – il nous est connu à partir de trois textes ayant reçu le privilège d’impression et pu­bliés entre 1551 et 1562 – et que Menéndez y Pelayo disait «écrit par une plume empruntée à l’aile d’un ange »18, appartient quant à lui à une époque antérieure à cet apogée du romancero mais il n’en diffère pas sensiblement pour l’essentiel puisque, sur fond de guerre de frontière, c’est une belle leçon de générosité et de loyauté aussi qui nous est donnée19. C'est aussi une histoire en tous points exemplaire où la paix l’emporte sur la guerre et où des ennemis, inspirés par une même vertu, parviennent à nouer, par-delà une foi différente, « una estrecha amistad que les duró toda la vida »20.

10La seconde histoire de goût mauresque, celle que G. Cirot et M. S. Carrasco Urgoiti considèrent comme le prototype du genre21, Guerras civiles de Granada de Ginés Pérez de Hita, dont la première partie, intitulée Historia de los bandos de Zegríes y Abencerrajes, caballeros de Granada, paraît en 1595, n’est pas moins exemplaire, même si M. S. Carrasco Urgoiti juge que son héros, le Maure Muza, n’atteint peut-être pas le haut idéal cheva-leresque représenté par Abindarráez22 et si à la « belle leçon de tolérance »23 qu’elle voyait dans la nouvelle de L’Abencérage a succédé une leçon où l’idéalisation poétique épouse le cours de l’histoire24. En effet, dans un livre où jeux de cannes et de bagues, tournois et combats singuliers tiennent une si large place, on voit à la fin le vaillant Muza, paré de toutes les vertus chevaleresques, presser le roi de Grenade, son frère, de livrer la cité au très miséri­cordieux roi Ferdinand afin d’éviter sa ruine et celle de ses habitants; puis, les Rois Catholiques ayant fait leur entrée dans la ville en liesse où les chants sacrés se mêlent au son des trompettes, des fifres et des tambours, les Maures alliés de Ferdinand, avec à leur tête Muza, se convertissent joyeux, le Roi Catholique unissant lui-même et comblant de présents les nouveaux baptisés que sont Muza et Celima25 – le soulèvement des Morisques grenadins qui fera l’objet de la deuxième partie de Guerras civiles de Granada est encore lointain.

11Ces deux textes sembleraient donc accréditer l’idée qu’il s’agit là d’une création « tendancieuse » comme le pressentait Georges Cirot lui-même en lisant L’Abencérage et non pas seulement de l’exploitation d’un « riche filon »26. Le roman mauresque espagnol – si tant est que l’on puisse généraliser – porterait donc en lui-même la réponse à l’apparent paradoxe qu’il représente en s’épanouissant à contre-courant de l’histoire nationale. Nous allons tenter maintenant d’en percer le secret en nous attachant à l’étude de deux auteurs, Mateo Alemán et Miguel de Cervantes, dont les œuvres maîtresses, Guzmán de Alfarache et Don Quijote de la Mancha, publiées au moment crucial où se scelle le destin des Morisques, à la charnière des XVIe et XVIIe siècles, semblent venues à point pour éclairer leur histoire: toutes deux consacrent en effet la faveur de ce goût mauresque dont nous venons de parler en incorporant plus ou moins artificiellement à leur matière des aventures de Maures et de Morisques dont nous allons essayer de saisir la finalité, sans leur demander toutefois de témoigner pour d’autres que pour elles-mêmes et pour leur auteur.

3. Belles Mauresques et bons Morisques chez Alemán et Cervantes

3. 1. Ozmín et Daraja

12La première de ces histoires, celle des deux amants Ozmín et Daraja, prend place à la fin du premier livre de Guzmán de Alfarache dontelle occupe tout le chapitre huit, de loin le plus long de l’œuvre puisqu’il comprend 1 750 lignes, soit une cinquantaine de pages sur les 350 qui correspondent aux vingt-huit chapitres qui forment les trois livres de la première partie dans l’édition Planeta.

13Publiée en 1599, elle n’évoque directement aucun de ces problèmes brûlants de l’heure, comme celui de ces Morisques déportés dans les mines d’Almadén entre 1569 et 161327 et que l’auteur, Mateo Alemán, qui y enquêta en qualité de juge visiteur avait pu rencontrer – tel ce Pedro Meduar qu’il interrogea en 158328. Le saint homme de prêtre, qui achève la lecture de son bréviaire29 et qui a déjà administré à Guzmán un long sermon sur le pardon des offenses tel que l’enseignent saint Matthieu et saint Luc dans leur évangile30, promet au Pícaro et au muletier avec lesquels il voyage le récit d’une histoire qui eut Séville pour cadre principal.

14L’histoire est assurément bien faite pour arracher le jeune pouilleux au cadre crasseux des auberges où il se fait voler et aux chemins pierreux où il se fait rosser; elle nous transporte plus d’un siècle en arrière, sur cette frontière où chrétiens et musulmans se font la guerre, dans cette Andalousie où vaillance et galanterie animent les cœurs chevaleresques et jusqu’en ce jardin où Ozmín retrouve Daraja dans le parfum des myrtes et des orangers et le chant de ces fontaines où flotte encore le souvenir d’Abindarráez et de la belle Jarifa qui s’y miraient hier.

15Entre les deux couples d’amants il y a, en vérité, plus d’un point commun: l’un comme l’autre sont frappés par la même infortune de se voir séparés au moment où l’union leur semblait promise, avant de pouvoir, au terme de douloureuses épreuves, goûter au milieu des leurs un bonheur longtemps différé, car la nouvelle d’Ozmín et Daraja, comme celle de l’Abencérage et la belle Jarifa est une belle histoire d’amour sur fond de guerre de Grenade où la constance des amants est récompensée à la fin; les combats et les pleurs n’en sont donc pas absents, pas plus que les tournois, les jeux de cannes et les courses de taureaux qui rappellent par ailleurs les Guerres civiles de Grenade de Ginés Pérez de Hita31.

16L’impression d’idéalisation est donc forte; elle l’est d’autant plus – comme on a pu le remarquer32 – que le contraste avec le contexte offert par le récit picaresque est plus accusé.

17Les héros sont parés de toutes les vertus; mieux: ils sont humains, ce qui les rend plus touchants et plus attachants encore.

18La beauté et la grâce de leur corps reflète celle de leur âme dont la noblesse répond à celle de leur sang, car tous deux sont de lignée royale; chez l’un comme chez l’autre, on trouve même constance et même fidélité et même courage dans l’épreuve, même si parfois les tourments de l’absence et la douleur de la séparation ont raison de leurs forces; cette faiblesse et cette souffrance ne les rendent en fait que plus aimables et plus grands face à un sort trop contraire, et cette humanité avec ses petites défaillances accrédite plus encore la grandeur de ces deux âmes parfai­tement accordées où sagesse et adresse, vaillance et prudence se répondent. Ozmín et Daraja sont d’autant plus idéalement humains qu’ils sont à la fois plus fragiles et plus forts – et ce n’est assurément pas le moindre mérite de Mateo Alemán que d’avoir su faire de cette nouvelle à la mauresque, en dépit des excès inhérents au genre chevaleresque, une histoire où passe un tel souffle de vie.

19Pour le reste, Ozmín aussi bien que Daraja ignorent le mal: s’il leur arrive de recourir à la ruse et au mensonge, c’est qu’il y va, sinon de leur vie, du moins de leur sécurité; mais ils sont étrangers à tous ces bas sentiments que l’on trouve ici et là chez les chrétiens qu’ils côtoient (la prévarication du capitaine qui arrête Ozmín; l’arrogance, la jalousie et la mesquinerie d’un don Rodrigo qui le fait chasser de la maison de son père, don Luis, sous le mauvais prétexte que sa présence auprès de Daraja nuit au projet des Rois Catholiques concernant la belle mauresque; la médisance de l’entourage de don Luis au sujet de Daraja; la bassesse des gens du peuple qui attaquent lâchement Ozmín et portent de faux témoignages contre lui).

20Mais cette histoire d’amour qui en rappelle d’autres n’est-elle pas finalement trop belle pour être honnête, avec son air de déjà vu et son dénouement précipité qui paraît quelque peu convenu (cette conversion que l’on refuse jusqu’au bout et que l’on accepte à la fin)? Le divertissement proposé par le bon père qui la raconte est-il aussi un divertissement littéraire pour un auteur s’amusant à broder sur un thème à la mode, sans intention de transcendance – la chose, à dire vrai, ne ressemble guère à Mateo Alemán – ou bien cette reine Isabelle qui rend à la fin la liberté et la jouissance de leurs biens aux deux prisonniers, sans rien exiger en retour33, a-t-elle entendu, comme nous, cette leçon de pardon évangélique que le saint homme de prêtre prêcha à Guzmán34?

21Laissons la question en suspens, laissons aussi nos deux amants qui, devenus par le baptême et le royal parrainage de leurs souverains un autre Ferdinand et une autre Isabelle, furent unis par les liens du mariage chrétien et donnèrent naissance à une noble lignée de Morisques qui reçut de ses parents l’usage d’une langue castillane si parfaite qu’ils ressemblaient à s’y méprendre à de vieux chrétiens35; voyons maintenant les deux autres histoires incluses dans Don Quichotte: elles nous apporteront, chemin faisant, des éléments de réponse.

3. 2. Le récit du captif

22La première est, elle aussi, un long récit – plus long encore que celui qui nous conte les amours d’Ozmín et de Daraja –, puisqu’il s’étend sur les chapitres trente-neuf à quarante-deux de la première partie publiée en janvier 1605 et couvre quelque 110 pages dans l’édition de Francisco Rodríguez Marín36, avec une amorce au chapitre trente-sept qui voit l’intrusion, dans l’auberge où sont réunis don Quichotte et Sancho, don Fernando, Cardenio et le curé, avec Luscinda et Dorotea ainsi que la famille de l’au­bergiste et Maritornes, de deux personnages qui attirent aussitôt tous les regards et font taire toutes les conversations. Leur habit parle d’abord pour eux: il a tout l’air d’un captif récemment échappé de quelque bagne; elle est vêtue à la mauresque et son ignorance du castillan semble bien indiquer qu’elle a de la Mauresque plus que l’habillement; à l’inquiétude qui gagne alors les occupants de l’auberge, son compagnon répond:

Mora es en el traje y en el cuerpo; pero en el alma es muy grande cristiana, porque tiene grandísimos deseos de serlo.

23Paroles rassurantes qui ne rassurent toutefois qu’à demi puisque le nouveau venu s’entend répliquer aussitôt :

Luego ¿ no es baptizada ? – replicó Luscinda.37

24D’emblée donc une série de différences s’impose par rapport à l’histoire d’Ozmín et Daraja.

25La perspective est ici inversée : on commence, pourrait-on dire, par le final qui réunit tous les personnages ; puis l’un des protagonistes, remontant aux origines de l’histoire, entreprend de raconter comment on en est arrivé là, avant que tous ensemble participent à l’heureux dénouement. Il faudra donc au narrateur un art consommé du récit pour tenir son public en haleine jusqu’au bout.

26Autre différence d’importance: ce n’est pas l’amour qui prime ici – il est tout au plus second si ce n’est secondaire comme l’observe très justement Francisco Márquez Villanueva38 –; ce qui importe avant toute chose, c’est le baptême et c’est la liberté: liberté pour le captif de se retrouver en terre chrétienne et liberté pour la Mauresque d’adorer le Dieu de son choix et non celui de ses pères.

27Ajoutons qu’il ne s’agit pas ici de prendre du recul par rapport à l’Histoire, pas plus d’ailleurs que de s’évader d’une quelconque manière des difficultés ordinaires du quotidien: la scène se passe à l’auberge où l’on manque de place et de lits pour accueillir les voyageurs; le contexte historique est également d’une brûlante actualité: révolte des Flandres avec exécution des comtes d’Egmont et de Horn, guerre contre le Turc, captivité à Constantinople et bagnes d’Alger pour les malheureux prisonniers; guerres de corsaires et piraterie qui rendent incertaine la traversée de la Méditerranée, c’est tout cela qui nous est conté par quelqu’un qui sait assurément de quoi il parle pour l’avoir vécu.

28Pourtant, par-delà les différences, il y a bien des similitudes.

29Non seulement le capitaine Rui Pérez de Viedma nous dit comment, alors qu’il était captif à Alger, il reçut un jour d’une blanche et mystérieuse main apparue à une fenêtre surplombant le bagne où il était enfermé une somme d’argent accompagnée d’un billet lui demandant de procéder à son rachat et d’enlever sa bienfaitrice que la Vierge pressait de devenir chrétienne et qui cherchait pour cela un gentilhomme chrétien en qui placer sa confiance; non seulement ce capitaine est noble et généreux à souhait, animé de l’unique volonté de servir Dieu et son roi et mettant en cela un courage qui n’a d’égal que son désintéressement, mais Zoraida – ainsi s’appelle la Mauresque qui ne veut plus aujourd’hui d’autre nom que celui de Marie – est belle, d’une beauté qui n’échappe à personne, pas même à ses semblables ainsi que Cervantes le souligne avec une pointe d’humour :

 [...] descubrió un rostro tan hermoso que Dorotea la tuvo por más hermosa que a Luscinda, y Luscinda por más hermosa que a Dorotea, y todos los circunstantes conocieron que si alguno se podría igualar a las dos, era el de la mora, y aun hubo algunos que le aventajaron en alguna cosa.39

30Belle, Zoraida l’est superlativement, non parce qu’elle le dit elle-même ou que son père le proclame, mais parce que c’est ainsi qu’elle apparaît à ce vieux captif recru d’épreuves après quelque vingt-deux années passées à sillonner les mers et à guerroyer sur tous les champs de bataille, et c’est ainsi qu’elle apparaît encore à tant de vice-rois qui voudraient l’épouser.

31A ce don de nature, elle en ajoute quelques autres: fille d’un richissime notable, elle peut puiser à loisir dans ses coffres sans qu’il y paraisse; il suffit donc de lui demander, elle donnera autant qu’il faudra pour racheter les captifs. Elle ne manque, par ailleurs, ni d’intelligence ni de cœur: elle sait habilement interroger le captif sur l’avancement du projet d’évasion, utilisant à cette fin un père qui se laisse abuser et devant qui elle sait jouer la comédie pour éviter de trahir son secret; mais à ce père, elle demeure très attachée, et affirmer le contraire comme le fait F. Márquez Villanueva40 serait nier l’évidence. Zoraida est une fille aimante, partagée entre deux pères – si l’on peut dire – : Agi Morato, le père qui l’a engendrée, et son Dieu, son père du Ciel qui l’appelle et dit que celui qui place l’amour de son père ou de sa mère avant le sien n’est pas digne de lui41. Dieu l’a appelée; animée d’une foi à déplacer les montagnes42, Zoraida répond à son appel: elle applique à la lettre le commandement divin; cela n’éteint pas en elle l’amour pour son père ainsi que le montrent et ses larmes et ses prières pour qu’on ne lui fasse aucun mal, son incapacité aussi de soutenir l’insupportable spectacle d’un parent bâillonné, et ce chagrin enfin quand elle le croit mort. Tout plaide donc en sa faveur et l’on ne saurait, sans faire violence au texte, l’associer – comme le fait F. Márquez Villanueva – à la Cava dont les amours funestes avec le roi don Rodrigue livrèrent l’Espagne à l’envahisseur musulman43. Il faut ici prêter attention au récit du captif et n’en rien retrancher :

[...] mas quiso nuestra buena suerte que llegamos a una cala que se hace al lado de un pequeño promontorio o cabo que de los moros es llamado el de la Cava Rumía, que en nuestra lengua quiere decir la mala mujer cristiana; y es tradición entre los moros que en aquel lugar está enterrada la Cava, por quien se perdió España, porque cava en su lengua quiere decir mujer mala, y rumía, cristiana; y aun tiene por mal agüero llegar allí a dar fondo cuando la necesidad les fuerza a ello, porque nunca le dan sin ella; puesto que para nosotros no fue abrigo de mala mujer, sino puerto seguro de nuestro remedio, según andaba alterada la mar.44

32Certes, la calanque où ils ont abordé a mauvaise réputation, mais ici le signe est inversé: ce n’est plus de « mauvais sort » qu’il s’agit mais d’un « heureux sort», « ce ne fut pas l’abri de la mauvaise femme mais le port sûr de notre salut», de sorte que, si rapprochement il y a, c’est pour mieux souligner l’opposition: Zoraida est à la Cava ce que la Vierge est à Ève, car Marie, la nouvelle Ève, porte la rédemption comme Zoraida porte le rachat du captif; en somme, il y a celle qui perd et il y a celle qui sauve; Zoraida est de celles-ci, elle, la fille bien-aimée de cet homme qui la supplie de revenir avec une tendresse45 qui a tôt fait de chasser les malédictions premières proférées dans l’égarement du désespoir46.

33Que veut donc nous dire cette belle histoire où le merveilleux le dispute à l’extraordinaire avec cette situation singulière où l’on voit une Mauresque payer la rançon de chrétiens prisonniers à Alger et susciter leur évasion, avec ces parents séparés depuis des années (ici, un oncle et son neveu; là, deux frères qui se retrouvent comme par enchantement dans une auberge? Sommes-nous encore dans le temps de l’histoire quand tous se pressent et s’empressent autour d’une belle Mauresque qui vient demander le baptême en Espagne, alors que tant de convertis, sincères ou non, sont inquiétés, déportés, asservis ou expulsés comme ces autres baptisés, ces descendants de convertis ou ces convertis eux-mêmes, les Morisques, comme ce Ricote et les siens dont nous faisons la connaissance dans la seconde histoire incluse dans Don Quichotte ? La loi serait-elle douce aux uns et dure aux autres47?

34Relevons encore, avant de passer à cette autre histoire, la belle figure de Maure que nous propose le récit du captif en la personne d’Agi Morato: quel père aimant que cet homme qui donnerait et ses biens et sa vie pour sauver sa fille; il est vrai que, quelque noble qu’elle soit, une telle attitude est somme toute naturelle; ce qui le paraît moins, en revanche, c’est la courtoisie qui habite Agi Morato et dont il ne se défait point lorsqu’il s’adresse au captif – un ennemi, pourtant – venu cueillir des herbes dans son jardin: avec quelle urbanité il lui parle et comme cela tranche sur la façon dont il traite les soldats turcs, ces «chiens » – des alliés de sa nation, pourtant –, descendus eux aussi dans son jardin; il l’invite à revenir autant que bon lui semblera et prie Allah de lui être favorable lorsqu’il regagnera son pays.

35Décidément, Cervantes ne semble pas manquer de tendresse pour les Maures; il n’en manque pas davantage pour leurs descendants restés en Espagne, si l’on en juge par une autre belle figure, celle de Ricote, et de sa famille infortunée dont nous découvrons l’histoire dans la seconde partie de Don Quijote.

3. 3. Ricote

36Ce n’est plus de Maures exactement qu’il s’agit ici mais de Morisques, et la sympathie à leur égard peut sembler plus surpre­nante encore venant d’un Espagnol qui écrit à l’heure même où ils sont frappés d’exclusion. La seconde partie de Don Quijote, paraît en effet en 1615, soit peu de temps après la loi d’expulsion pu­bliée en 1609 – c’est dire que l’auteur est occupé à y mettre la dernière main au moment où se déroulent les événements qui sont ici retracés, au moment où le processus d’expulsion touche à son terme avec le bannissement des derniers Morisques, ceux de la vallée de Ricote, dans la région de Murcie, qui donnèrent leur nom au héros de notre histoire. Nous ne sommes donc plus au temps lointain des Rois Catholiques, comme avec Ozmín et Daraja, mais en pleine actualité et au cœur de cette Castille pro­fonde où vivent des gens simples, tel Sancho Panza, le pseudo-écuyer d’un don Quichotte au cerveau troublé par la lecture des romans de chevalerie qui rêve de se couvrir de gloire contre les Maures.

37Pourtant, bien que le fil de l’Histoire serve encore de trame à l’aventure des personnages qui interviennent ici, les choses se passent comme si tout était fait pour qu’on en perde le sens, car tout finit bien – ou, du moins, tout le monde souhaite qu’il en soit ainsi: comme dans les deux récits précédents, ceux qui étaient séparés se retrouvent, ceux qui étaient retenus au loin sont de retour et l’on se prépare au mariage de dame beauté et de messire chevalier. Si donc l’histoire n’est pas oubliée, elle semble quelque peu arrangée. Voyons comment et pour cela examinons tour à tour chacun des deux volets qui composent le diptyque où l’Histoire de Ricote est retracée.

38Le premier tableau, qui occupe la quasi totalité du chapitre 54 de la seconde partie de Don Quichotte, représente la rencontre fortuite de Sancho Panza, le pseudo-gouverneur de l’île imagi­naire de Barataria, qui vient de se démettre de ses hautes fonctions, avec six pèlerins qui, appuyés sur leur bourdon, lui deman­dent l’aumône de quelques espèces sonnantes et trébuchantes. L’un d’eux reconnaît en Sancho son « cher ami », son « bon voisin »; ce « frère », c’est Ricote, le Morisque, qui tenait boutique en son village. L’ayant reconnu, Sancho lui jette les bras autour du cou sans l’ombre d’une hésitation et sans même prendre le temps de descendre de son grison; il ne songera qu’après à s’inquiéter de son imprudence et à lui rappeler en des termes qu’il n’ose préciser lui-même quel châtiment il encourt s’il vient à se faire prendre48. Mais la difficulté éprouvée par Sancho à recon­naître son ami dit assez que celui-ci est méconnaissable sous son déguisement; sauf délation de Sancho, Ricote ne risque donc pas grand-chose: comment un ami trahirait-il un ami? Bien à l’écart du chemin, la petite troupe fait donc tranquillement halte pour déjeuner. Tous mangent comme de bons chrétiens, arrosant du vin de leur gourde ce festin champêtre où Ricote n’est pas le dernier à sucer jusqu’à l’os ses morceaux de jambon. Si Ricote ne se différencie en rien par son comportement du vieux-chrétien que Sancho prétend être, il se montre également bien assimilé à la société castillane par la maîtrise de sa langue qu’il parle à la perfection avec l’accent le plus pur ainsi qu’il est précisé par deux fois49; cette intégration se manifeste encore par un attachement à l’Espagne si puissant qu’il force le malheureux à revenir – lui comme d’autres, d’ailleurs –, en dépit de tous les dangers, poussé qu’il est – poussés qu’ils sont – par cet amour de la patrie qu’il nous dit et nous redit de façon poignante50 car on ne peut douter ici, comme le fait G. Cirot51, ni de sa sincérité, ni de la sympathie de Cervantes à son égard. En effet, l’auteur s’efface ici, laissant la parole au personnage, à ce banni qui n’a plus voix au chapitre dans ce pays qui l’a chassé (a-t-on pris la mesure de cette audace qui saisit la douleur à sa source même dans le cœur de l’homme et transfère ainsi le problème du champ politique sur le terrain affectif où les larmes ont toujours raison?). Quant à la sin-cérité de l’amour de Ricote pour l’Espagne et son appartenance à la communauté nationale, elles apparaissent encore dans son discours qui est celui de l’idéologie dominante : « [...] no era bien criar la sierpe en el seno, teniendo los enemigos dentro de casa»52.

39Parfaitement intégré par sa langue et par ses mœurs, Ricote tient par ailleurs, de son propre aveu, « plus du chrétien que du Maure»53, et sa fille n’hésitera pas à le dire « discreto y cristiano»54. Pour le reste, il se montre prudent et sage, n’attendant pas la dernière heure pour trouver un refuge dans un lieu sûr où il puisse jouir de la liberté de conscience et grandir dans la foi55 – et non point, comme le pense F. Márquez Villanueva, pour que la divinité (indifféremment le Dieu des chrétiens ou celui de Mahomet) l’illumine et lui dise sous quelle loi il doit vivre56. S’il n’est pas paré de toutes les vertus, cet homme qui se dit riche et dont le nom même proclame la richesse, cet homme qui parle du trésor qu’il cacha avant son départ, est du moins tout le contraire d’un avare et d’un accapareur, lui qui propose à Sancho une somme de 200 écus s’il veut l’accompagner, lui qui offre de payer une rançon de 2 000 ducats pour libérer don Pedro Gregorio, le galant de sa fille resté captif à Alger, lui encore qui s’offre à verser celle de tous les chrétiens partis délivrer le malheureux s’ils venaient à être faits prisonniers à leur tour; lui enfin qui les récompense lorsqu’ils reviennent avec don Pedro Gregorio auquel il propose encore 1 000 écus. Assurément, cet homme-là ne mentait pas quand il disait avoir trouvé en sa fille le trésor le plus cher à ses yeux57. Assurément aussi cet homme-là n’est pas dangereux qui reconnaît la justice de la mesure d’expulsion qualifiée de « inspiración divina », de «gallarda resolución » dans le temps même où elle frappe en lui un innocent58. Non, vraiment, cet homme-là n’est pas dangereux; il est tout simplement malheureux, contrairement au sentiment de G.Cirot59; soumis à son roi et fidèle à sa foi (il est opposé à ce que sa femme et sa fille se rendent ailleurs qu’en terre d’Église où elles pourront vivre en chrétiennes), il apparaît en définitive plus comme une victime que comme une menace pour sa patrie.

40Quant à sa fille, Ana Félix, le second tableau va nous permettre de préciser l’image que nous en avait donnée le père. En effet, alors que nous avons quitté celui-ci au cœur de la Manche tandis qu’il partait à sa recherche, nous la découvrons, au chapitre 63, dans le port de Barcelone, la corde au cou et prête à être pendue à la vergue d’une galère au terme d’une brève course-poursuite qui a fait deux morts parmi les soldats chrétiens – ce qui lui valut cette condamnation en sa qualité de capitaine du bateau-pirate, car elle en est jugée responsable.

41Comme Daraja, comme Zoraida, elle est superlativement belle, elle est la plus belle, et la beauté de son corps n’a d’égale que celle de son âme qui est celle d’une parfaite chrétienne. Comme Zoraida, elle place la foi avant l’amour, une foi dans laquelle elle veut mourir à défaut de pouvoir vivre encore60, preuve qu’elle dit vrai lorsqu’elle se définit avant tout comme une « femme chrétienne»61 pour qui la vie à Alger fut un véritable « enfer »62. Il faut à ce propos revenir sur les premières paroles qu’elle prononce devant le vice-roi qui, ému par sa beauté, demande au général de différer son exécution afin de lui laisser le temps de conter son histoire :

De aquella nación más desdichada que prudente sobre quien ha llovido estos días un mar de desgracias, nací yo, de moriscos padres engendrada. En la corriente de su desventura fui yo por dos tíos míos llevada a Berbería, sin que me aprovechase decir que era cristiana, como en efecto lo soy, y no de las fingidas ni aparentes, sino de las verdaderas y católicas. No me valió con los que tenían a cargo nuestro miserable destierro decir esta verdad, ni mis tíos quisieron creerla; antes la tuvieron por mentira y por invención para quedarme en la tierra donde había nacido, y así, por fuerza, más que por grado, me trujeron consigo. Tuve una madre cristiana, y un padre discreto y cristiano ni más ni menos: mamé la fe católica en la leche : criéme con buenas costumbres; ni en la lengua ni en ellas jamás, a mi parecer, di señales de ser morisca.63

42On aura remarqué que dans ce discours en castillan – et en bon castillan – deux champs sémantiques se mêlent étroitement. L’un dit le malheur de ces êtres que l’on chasse (desdichada, desgracias, desventura, miserable); l’autre dit la foi sincère des persécutés (verdaderas y católicas, verdad, cristiana, discreta y cristiana, fe católica) et celle-ci est exprimée avec d’autant plus de force que son contraire est nié avec plus d’insistance (voir les négations répétées).

43Ainsi la fille, après le père, nous apparaît-elle comme une malheureuse victime arrachée par la force à cette communauté castillane dont elle partage la langue, les mœurs et la foi; qui pis est, elle est précipitée en « enfer » par la contrainte. La mort qui lui est promise, son innocence, sa jeunesse et sa beauté ne peuvent que disposer les cœurs en sa faveur, surtout quand, jailli de la foule, un vieux pèlerin se jette aux pieds de celle en qui il a reconnu sa fille: le tableau touchant qu’ils forment tous deux, douleur et malheur embrassés, ne peut qu’appeler la clémence du juge le plus rigoureux, comme ce général qui fait grâce à la fin, s’en remettant au ciel du soin de trancher les jours de la belle infortunée dont le nom retrouve enfin tout son sens:

[…] vivid, hermosa Ana Félix, los años de vida que os tiene determi-nados el cielo, y lleven la pena de su culpa los insolentes y atrevidos que la cometieron.64

44Justice étant ainsi rendue à l’innocence, chacun s’emploie à enlever au sérail où il est retenu prisonnier don Pedro Gregorio, le jeune et riche chrétien amoureux d’Ana Félix qui partit à sa suite lorsqu’elle dut quitter son village; le vice-roi et don Antonio s’efforçant, pour leur part, d’obtenir des autorités suprêmes la grâce de rester en Espagne pour une fille si chrétienne et un père dont tout laisse à penser que sa présence n’est pas de nature à troubler l’ordre public65.

45Avec ces rebondissements et ces retrouvailles surprenantes (Sancho rencontre Ricote, lequel retrouve sa fille – et Sancho se trouve précisément là par le plus grand de ces hasards qui font si bien les choses), avec ces situations extrêmes où la vie et la mort ne tiennent qu’à un fil – ou si l’on veut à une corde –, avec ces turqueries enfin et ces travestis et ces histoires quelque peu scabreuses (Ana Félix apparaît déguisée en homme sur un bateau de corsaires et le jeune et beau Pedro Gregorio est habillé en femme, sur « inspiration divine » d’Ana Félix, pour échapper à la lubricité du roi d’Alger lequel, saisi d’admiration en voyant une si charmante jeune fille, décide d’en faire présent au Grand Turc et de la placer en sûreté, jusqu’à son départ, chez des Mauresques de haute condition); avec toutes ces situations fantastiques, sommes-nous encore dans l’Histoire ou sommes-nous dans la fable?

46S’agit-il, de la part de Cervantes, d’une psychothérapie propo­sée à un lecteur traumatisé par l’expulsion des Morisques; la catharsis opère-t-elle à la fin, guérissant cette crise de conscience collective66 et purgeant l’Histoire de ses tragédies? Le soldat de Lépante a-t-il oublié la fougue des combats et le tertiaire de Saint-François qu’il fut à la fin de sa vie aurait-il oublié les engage­ments de sa foi? On peut en douter assurément et il n’est que de feuilleter son œuvre pour s’en convaincre.

4. Militance et tolérance

47Le conflit islamo-chrétien occupe et préoccupe Cervantes au point qu’il revient sous sa plume comme « une véritable obsession»67. Rien n’est plus faux que d’opposer un après à un avant: l’expulsion n’a rien changé pour lui quant au fond, contrairement à ce que pense G. Cirot qui croit pouvoir affirmer qu’à partir de 1610 « avec le Colloque des chiens, la seconde partie de Don Quichotte et le Persiles […] la maurophilie n’est plus qu’un souvenir »68. Cervantes n’est pas homme à tourner au vent de l’histoire; son discours et son propos sont les mêmes: si la forme change, le fond, lui, demeure; en réalité, théâtre, romans, nouvelles forment un tout dont on ne saurait opposer les parties entre elles.

48Ainsi, de ces défauts traditionnellement attribués aux Turcs par la littérature du temps69, qu’il s’agisse de la cruauté ou de la sodomie, trouve-t-on maintes représentations dans l’œuvre de Cervantes comme, par exemple, dans El trato de Argel, cette comedia composée vers le milieu des années 1580 qui évoque le martyre chrétien en terre d’islam. On y apprend qu’un prêtre chrétien fut lapidé et brûlé vif, on y voit des enfants arrachés à leurs parents et vendus sur le marché aux esclaves où les amateurs de jeunes garçons viennent chercher de quoi satisfaire leurs passions coupables. Los baños de Argel, une autre comedia écrite bien plus tard, présente des situations identiques. Elle s’ouvre sur une scène de razzia opérée par les Barbaresques sur la côte espagnole; les corsaires sont guidés par le renégat Yzuf, personnage sans foi ni loi qui foule aux pieds toutes les valeurs humaines puisque, non content d’avoir vendu son village avec oncle et neveu, il livre encore ce dernier à la convoitise du cadi. Après que le poignard vengeur d’un renégat repenti, Hazén, l’a envoyé à Sodome purger ses péchés, nous assistons au martyre du plus jeune des enfants demeuré inébranlable dans sa foi, cependant que de partout nous parviennent les échos de scènes où des chrétiens sont violentés, martyrisés ou massacrés.

49Ces scènes de pillage, nous les retrouvons encore au chapitre XI du livre III de Los trabajos de Persiles y Segismunda que Cervantes achève à la veille de sa mort, en 1616: on y voit, en effet, des Barbaresques qui opèrent une descente sur la côte valencienne et enlèvent en une nuit les habitants d’un village qui – à deux exceptions près – ont pactisé avec l’ennemi de l’Espagne, pensant trouver chez lui un sort plus favorable. C’est précisément à ceux qui ont choisi de rester vivre leur foi chrétienne en Espagne, à ces deux Morisques que sont Rafala et son oncle, le jadraque Jarife, que Cervantes donne la parole. Le discours du jadraque fait écho aux propos de deux autres créatures cervantines, le chien Berganza du Colloque des chiens et le Morisque Ricote dont nous avons parlé. Berganza qui, en bon chien qu’il est, s’y connaît en matière de « canaille »70 nous tient un langage qui ne s’élève guère au-dessus de la natte sur laquelle il est couché. Il dresse un violent réquisitoire contre les Morisques, ces mécréants et ces cupides qui se tuent à travailler pour gagner de l’argent et vont jusqu’à se priver du nécessaire pour ne pas dépenser, ces accapareurs qui croissent et se multiplient, car ils échappent à la guerre et n’entrent pas en religion. Le jadraque Jarife ne dit pas autre chose dans Persiles; ses propos sont la reprise exacte de ceux de Berganza, à cela près que les deux éléments constitutifs de cette partie du discours (les Hébreux et les Morisques) sont ici inversés, ainsi que le fera ressortir une lecture comparée:

Entre ellos no hay castidad, ni entran en religión ellos ni ellas: todos se casan, todos se multiplican, porque el vivir sobriamente aumenta las causas de la generación. No los consume la guerra, ni ejercicio que demasiadamente los trabaje; róbannos a pie quedo, y con los frutos de nuestras heredades, que nos revenden se hacen ricos. [...] De los doce hijos de Jacob que he oído decir que entraron en Egipto, cuando los sacó Moisén de aquel cautiverio salieron seiscientos mil varones, sin niños y mujeres: de aquí se podrá inferir lo que multi-plicarán las déstos, que, sin comparación, son en mayor número.71

Que si los pocos hebreos que pasaron a Egipto multiplicaron tanto que en su salida se contaron más de seiscientas familias, ¿qué se podrá temer de éstos, que son más holgadamente ? No los esquilman las religiones, no los entresacan las Indias, no los quitan las guerras; todos se casan, todos o los más, engendran, de donde se sigue y se infiere que su multiplicación y aumento ha de ser innumerable.72

50En bonne logique Berganza et le jadraque Jarife appellent de leurs vœux le seul remède qui vaille, après tant de tentatives vaines, pour mettre fin a tous ces maux: l’expulsion. Entre les deux discours il y a donc plus qu’une similitude de détail ainsi que nous l’allons voir.

51Revenons pour cela au Colloque des chiens et à ce passage où nos deux zélateurs de la foi que sont Cipión et Berganza s’entretiennent des Morisques. Pour évoquer leur présence malfaisante, Berganza recourt à une image: ils sont, dit-il, autant de serpents que l’Espagne nourrit en son sein73. Évoquant la prédiction de son grand-père, le jadraque de Persiles lui fait écho en disant à son tour:

Digo, pues, que este mi abuelo dejó dicho que, cerca de estos tiempos, reinaría en España un rey de casa de Austria, en cuyo ánimo cabría la dificultosa resolución de desterrar los moriscos de ella, bien así como el que arroja de su seno la serpiente que le está royendo las entrañas o bien así como quien aparta la neguilla del trigo, o escarda o arranca la mala hierba de los sembrados.74

52De tels propos ne sont pas sans rappeler également le discours de cet autre Morisque, Ricote, qui célébrait lui aussi la « gallarda resolución » du « gallardo decreto de este destierro » que le jadraque appelait de ses vœux; il reconnaît qu’il fut juste et sage d’ordonner l’expulsion des Morisques car, nous dit-il: « no era bien criar la sierpe en el seno, teniendo los enemigos dentro de casa»75.

53De telles reprises littérales sentent le discours tout fait et l’on peut de bonne foi se prendre à douter de la clarté des intentions de l’auteur ou bien encore lui imputer en propre ces idées tant il semble éprouver de plaisir à les dire et les redire76.

54Il est en effet troublant d’observer avec Roland Labarre77 que les tenants les plus zélés de l’expulsion ne parlent pas un autre langage. Ainsi en va-t-il de ce prêtre aragonais, Pedro Aznar Cardona qui, en 1612, dans un livre au titre évocateur, Expulsión justificada de los moriscos españoles, fait l’apologie de l’expulsion en des termes identiques à ceux de Berganza auxquels le jadraque donna l’écho que l’on sait; voyons plutôt:

Su intento era crecer y multiplicarse en número como las malas hierbas, y verdaderamente, que se habían dado tan buena maña en España que ya no cabían en sus barrios ni lugares antes ocupavan lo restante y lo contaminavan todo. […]Y multiplicavanse por estremo, porque ninguno dexava de contraer matrimonio, y porque ninguno seguia el estado annexo a esterelidad de generación carnal, ponién-dose frayle, ni clérigo, ni monja, ni avia continente alguno entre ellos hombres ni muger, señal clara de su aborrecimiento con la vida ho-nesta y casta. Todos se casavan, pobres y ricos, sanos y coxos, no reparando como los christianos viejos que si un padre de familias tie-ne cinco, o seys hijos, con casar dellos el primero, o la mayor dellas se contentan, procurando que los otros sean clerigos, o monjes, o frayles, o soldados, o tomen estado de beatas y continentes.78

55Voilà un discours bien propre, assurément, à fonder le jugement de ceux qui sont portés à croire que Cervantes fait l’apologie de l’expulsion des Morisques, lui qui, par trois fois, prête de semblables propos à ses personnages. Faut-il vraiment croire comme eux que Cervantes hurle avec les loups – ou, si l’on veut, avec les Berganza de tout poil – et faut-il alors instruire le procès en révision de son humanisme, comme inclinent à le penser Michel Moner et Roland Labarre79? Les belles paroles de tolérance qu’il met dans la bouche de Don Quichotte lorsque celui-ci dispense ses conseils au « gouverneur » Sancho Panza et lui recommande de ne pas accabler le malheureux déjà condamné à qui suffit la peine de son châtiment, son invitation à se montrer miséricordieux80, ne sont-elles que de pieuses paroles destinées à d’autres?

56Une chose au moins peut être établie avec certitude, c’est que l’expulsion des Morisques ne représente pas, à proprement parler, un tournant dans la vision que Cervantes nous propose du monde musulman avec lequel l’Espagne est confrontée car, si, comme nous venons de le voir, il n’y a pas un avant tout en rose et un après tout en noir – comment en irait-il autrement d’ailleurs quand toutes les œuvres traitant ce sujet sont écrites au retour d’une captivité à Alger de quelque cinq années? –, si donc les œuvres antérieures à l’expulsion ne sont pas frappées du sceau d’une « maurophilie » sans nuance, les œuvres postérieures à l’expulsion ne sont pas non plus dénuées de sympathie pour des personnages issus du monde musulman, y compris celles qui comme El trato de Argel et Los baños de Argel, écrites peu après que Cervantes fut rendu à la liberté, témoignent de l’esprit militant le plus authentique.

57C’est ainsi que l’on voit dans Persiles, à côté du jadraque Jarife qui fulmine des imprécations contre les siens, sa nièce, la belle Rafala, honteuse d’avoir pour père un Morisque qui conspire à perdre les voyageurs qu’il attire chez lui; elle les sauvera en leur révélant qu’une expédition est prévue pour la nuit même; après le départ des corsaires, nous la voyons apparaître, éclatante de foi et de beauté, comme Zoraida, une croix de roseau à la main.

58Elle n’est pas la seule à manifester ainsi sa foi dans un milieu hostile; il y a aussi, dans Los baños de Argel, Zahara, la belle Mauresque dont l’histoire annonce celle du captif et qui fait parvenir à don Lope l’or nécessaire à leur évasion vers une terre de chrétienté, car Zahara qui ne veut à la fin d’autre nom que celui de Marie est, elle aussi, chrétienne dans l’âme. Il y a également dans Los baños de Argel, Hazén, le renégat désireux de rentrer dans le giron de l’Église et scandalisé par la conduite d’Yzuf; il poignarde le traître et appelle de ses vœux le martyre afin de purger les offenses qu’il a faites au ciel; il mourra de façon exemplaire en confessant sa foi au Christ.

59On voit encore dans El trato de Argel, Pedro, un malheureux captif sur le point d’embrasser la foi de Mahomet dans l’espoir de recouvrer une liberté qu’il juge improbable de toute autre manière; Saavedra, un de ses compagnons, l’arrête au seuil du reniement en lui montrant la splendeur de la Loi chrétienne et la noirceur de la faute qu’il s’apprête à commettre.

60Toutes ces histoires que nous venons d’évoquer, qu’elles soient d’Alemán ou de Cervantes, sont donc en définitive des histoires exemplaires où la foi triomphe à la fin dans les cœurs les plus nobles. C’est assez dire qu’elles paraissent animées d’un esprit militant qui conspire à gagner les âmes à Dieu et à soumettre les esprits à la loi du roi catholique. Il faut toutefois y regarder de plus près et dépasser le sens littéral pour en saisir le message.

61Reprenons pour cela notre lecture du Colloque des chiens et rappelons-nous que la fable ici contée par Campuzano repose sur un postulat qui veut que les chiens Cipión et Berganza aient reçu le don de la parole, ce qui l’inscrit dans un registre burlesque où s’opère un renversement des valeurs comme l’a très justement observé F. Márquez Villanueva81, de sorte que dans ce monde à l’envers le positif s’inscrit en creux dans le négatif et, sous couleur d’exprimer le racisme ordinaire, on tente de promouvoir son contraire, car, dans la conscience collective du temps, ce n’est pas la seule argumentation de Berganza qui se trouve ainsi abolie; elle ruine avec elle celle de tous les chiens qui aboient avec lui, comme ce Pedro Aznar Cardona déjà cité dont les propos rendent un son curieusement semblable à ceux de notre Berganza82, preuve que celui-ci, s’il meurt de faim au service de son Morisque de maître, se nourrit au moins de l’air du temps.

62Que reproche en effet Berganza à la « canaille Morisque » outre son comportement hérétique qui tient en une quinzaine de mots? Essentiellement ceci: ils sont travailleurs, sobres et économes et particulièrement prolifiques. Autant dire que, pour l’Espagne de l’époque, cette population aussi nombreuse que laborieuse est une bénédiction car, si l’on en juge par les écrits des moralistes et des donneurs d’avis que sont les arbitristas comme le chanoine Miguel Giginta, le docteur Cristóbal Pérez de Herrera, l’avocat Martín Sánchez de Cellorigo ou bien encore Sancho de Moncada qui s’attachent tous à la réformation des mœurs dans l’intérêt bien compris de la « conservation » du royaume, le pays souffre cruellement d’une oisiveté très largement répandue dans le temps même où le manque d’actifs le contraint à faire appel à une main- d’œuvre étrangère et à acheter ailleurs, à prix d’or, ce qu’il ne produit pas lui-même.

63Si des voix s’élèvent pour déplorer la faute de ces bras dont l’Espagne a besoin et pour tenter d’y remédier, des voix s’élèvent aussi pour dire que l’expulsion fut dommageable à l’intérêt du pays. Ainsi, dans La conservación de monarquías y discursos políticos publié en 1626, Pedro Fernández de Navarrete, sans condamner une expulsion devenue inéluctable – à son sens – quoiqu’elle ne fût point inévitable à l’origine, écrit-il que l’expulsion des juifs et des Morisques fut la première cause du dépeuplement de l’Espagne83.

64Dans le contexte de la polémique qui se développe alors, les propos du jadraque Jarife de Persiles, s’ils sont prononcés sur le mode mineur, ont donc pour les contemporains une tout autre résonance:

Ven ya, ¡oh venturoso mozo y rey prudente !, y pon en ejecución el gallardo decreto de este destierro, sin que se te oponga el temor que ha de quedar esta tierra desierta y sin gente, y el de que no será bien la que en efecto está en ella bautizada; que, aunque éstos sean temores de consideración, el efecto de tan grande obra los hará vanos, mostrando la experiencia, dentro de poco tiempo, que con los nuevos cristianos viejos que esta tierra se poblare, se volverá a fertilizar y a poner en mucho mejor punto que ahora tiene. Tendrán sus señores, si no tantos y tan humildes vasallos, serán los que tuvieren católicos.84

65Cette allusion, quelque timide qu’elle soit – mais nous sommes au lendemain de l’expulsion des derniers Morisques et l’audace doit s’allier à la prudence si elle se veut efficace –, cette allusion donc annonce la franche déploration dont nous venons de parler.

66S’ils dénoncent l’oisiveté, les arbitristas font également le procès du train de vie somptuaire de leurs contemporains qui, avides de paraître, délaissent toute activité productive susceptible de nuire à l’image qu’ils entendent donner d’eux-mêmes et se ruinent en dépenses futiles, contrairement au Morisque économe et travailleur déchiré à belles dents par Berganza. À ceux qui déplorent que les morisques ne limitent pas une génération prolifique en venant grossir la population des couvents, Sancho de Moncada et Pedro Fernández de Navarrete répondent dans leurs Discours en affirmant que cette dernière n’est que trop nombreuse et que la misère tient bien trop souvent lieu de vocation.

67L’œuvre de Cervantes se situe donc au cœur de la polémique qui oppose les tenants de l’expulsion à leurs adversaires85.

68Contre l’expulsion des Morisques Cervantes prend franchement position avec un rare courage en mettant en scène des person­nages, et non des moindres, qui s’emploient à faire rapporter la mesure d’expulsion concernant Ricote et sa fille et qui, en attendant les résultats de leurs démarches, contreviennent à la loi du 9 décembre 1609, laquelle prescrit expressément la peine de mort sans autre forme de procès avec saisie de tous ses biens pour tout Morisque qui se risquerait à revenir et condamne également à la confiscation de tous ses biens quiconque oserait lui offrir asile et protection.

69En effet si, au début du récit de Ricote, le village assemblé –expression d’un mouvement d’opinion historiquement hostile à la mesure86 – se presse sur le passage d’une Ricota et de sa fille Ana Félix partant pour l’exil, et si tous manifestent dans les larmes et les embrassements le désir de les retenir, si l’aîné d’une riche maison marche sur leurs pas avec l’intention d’enlever la jeune fille et de la soustraire ainsi clandestinement aux rigueurs de la loi, le vice-roi en personne et don Antonio Moreno n’hésitent pas, quant à eux, à enfreindre cette loi au grand jour. Don Antonio offre, en effet, l’hospitalité de sa demeure à Ricote et à sa fille avec l’approbation du vice-roi qui lui recommande de les bien traiter avant d’étudier avec lui les moyens d’obtenir une mesure d’exception pour tous deux, car il pense comme lui qu’ils ne sont pas de nature à porter atteinte aux principes religieux et politiques sur lesquels la loi est fondée et ne devraient donc pas avoir à en supporter les rigueurs ; mieux encore : le vice-roi lui-même accueillera Ricote en sa maison, en attendant qu’il soit statué sur son sort et don Antonio proposera comme alternative à l’hospitalité qu’il offre à Ana Félix l’asile d’un monastère, cependant que don Pedro Gregorio partira retrouver les siens et réfléchir aux moyens de revenir chercher la jeune fille.

70Devant tant d’audace, on comprend le scepticisme de Ricote qui sait qu’il a tout à redouter de la loi et peu à espérer; on comprend aussi son éloge de la mesure jugé « invraisemblable » par A.Domínguez Ortiz et B. Vincent87 et les propos dithyrambiques qu’il tient sur le comte de Salazar qui a en charge l’exécution de la loi d’expulsion; F. Márquez Villanueva en explique très bien les raisons:

Si Cervantes fuera adverso a la política de exilio o abrigara reservas acerca de ella, sólo podía expresarlo en términos implícitos y, desde luego, tras pregonar su lealtad con ostentosa pompa verbal.88

71Rappelons, toutefois, que Ricota est un modèle de foi chrétienne et qu’à l’heure où, la corde au cou, elle se croit condamnée à une mort imminente, elle n’exprime qu’un seul vœu: mourir en chrétienne; rappelons encore que son père, Ricote, s’il se dit moins bon chrétien, manifeste néanmoins le désir sincère d’approfondir sa foi et se montre opposé à gagner une contrée où ne régnerait pas cette « liberté de conscience » favorable à l’épanouissement de la foi chrétienne de sa famille; rappelons enfin que père et fille sont parfaitement intégrés dans la société castillane, dont ils partagent et la langue et les mœurs et la foi; disons aussi qu’ils sont aimés de tous.

72S’il apparaît opposé à toute solution violente, Cervantes prône donc l’intégration dont il montre la réalisation en bonne voie d’achèvement à travers Ricote et les siens. Mateo Alemán ne fait pas autrement dans Ozmín et Daraja.

73En effet si Daraja reste indifférente à l’instante pression affectueuse d’un entourage qui l’invite à se convertir, si Ozmín reste sourd aux appels à la confession quand il marche vers la potence (d’ailleurs le musulman qu’il est pourrait-il faire autrement?) c’est moins, selon nous, par une « fidélité à la loi islamique » qui le rendrait indifférent à un au-delà chrétien comme le croit Michel Cavillac89, que parce que, pour Alemán comme Cervantes, la foi est d’abord réponse à un appel de Dieu. C’est Dieu qui appelle et éclaire de sa grâce, non la reine; à chacun de répondre librement à cet appel. C’est ce que feront Ozmín et Daraja quand, illuminés par le Ciel et libres de leur choix, sans aucune contrainte, ils demanderont le baptême, l’amour répondant à l’amour:

Ozmín quisiera responder por todas las coyunturas de su cuerpo, haciéndose lenguas con que rendir las gracias de tan alto beneficio y, diciendo que quería ser baptizado, pidió lo mismo en presencia de los reyes a su esposa. Daraja, que los ojos no había quitado de su esposo, teniéndolos vertiendo suaves lágrimas, volviéndolos entonces con ellas a los reyes, dijo que, pues la divina voluntad había sido darles verdadera luz trayéndolos a su conocimiento por tan ásperos caminos, estaba dispuesta de verdadero corazón a lo mesmo y a la obediencia de los reyes, sus señores, en cuyo amparo y reales manos ponía sus cosas.90

74Il ne faut voir ici ni « happy end “obligé” »91, ni dénouement forcé92. La seule force qui tienne, c’est la violence d’un Dieu d’amour, celle qui s’impose à Zoraida: instruite dans la foi chrétienne dès son enfance par une esclave, elle a choisi de répondre à l’appel de Lela Marién et d’aller vivre sa foi en terre de chrétienté, dût-elle rompre pour cela ses liens les plus chers en pays musulman et briser mille obstacles.

75Mais, si elle se fait violence à elle-même en s’arrachant à son père, Zoraida ne fera pas violence à celui-ci: elle ne cherchera pas à entraîner de gré ou de force Agi Morato en terre chrétienne – elle suppliera même qu’on le relâche en pays musulman – et elle ne cherchera pas davantage à le convaincre de partager sa foi; elle se contentera de prier le Seigneur d’adoucir sa peine93.

76Pour Alemán et Cervantes, c’est donc Daraja, Zoraida: même combat; loin de L’Abencérage où la foi de chacun était indifférente, tous deux conspirent à allier militance et tolérance et proposent comme alternative à la politique d’exclusion celle de l’intégration dans la foi dont Ana Félix présente le modèle achevé; Alemán choisit le passé, Cervantes opte pour l’actualité, mais tous deux ont le même objet, convaincre et non point contraindre. Pour cela, le mouvement doit partir d’en haut et toucher tour à tour chacun des acteurs de ce vaste drame.

77L’exemple, ici, vient de très haut: il vient de Dieu lui-même. A-t-on remarqué, en effet, que, par-delà leur diversité, tous les personnages appelés à la foi – aussi bien chez Alemán que chez Cervantes – ont en commun une beauté superlative, qu’il s’agisse de Daraja, de Zoraida ou d’Ana Félix et de Rafala ou bien encore des protagonistes masculins comme Ozmín et Mahamut, le jeune renégat de El amante liberal qui aspire à rentrer dans le gi­ron de l’Église ? Et cette beauté n’est pas une simple convention littéraire, pas plus d’ailleurs que l’union des amants séparés; s’ils empruntent à la tradition, Alemán et Cervantes l’utilisent à des fins qui ne sont pas de pur divertissement. Il faut, en effet, prêter attention à ce qu’écrit Cervantes dans Persiles à propos de la jeune Rafala « hermosa y mora »:

Salió a servirlos una hija suya, vestida en traje morisco, y en él tan hermosa, que las más gallardas cristianas tuvieran a ventura el parecerla: que en las gracias que Naturaleza reparte, tan bien suele favorecer a las bárbaras de Citia, como a las ciudadanas de Toledo94.

78Ce passage est à rapprocher d’un autre où le jadraque Jarife, parlant de sa foi, dit ceci:

Morisco soy, señores, y ojalá que negarlo pudiera; pero no por esto dejo de ser cristiano: que las divinas gracias las da Dios a quien él es servido, el cual tiene por costumbre, como vosotros mejor sabéis, de hacer salir su sol sobre los buenos y los malos, y llover sobre los justos y los injustos95.

79Dieu donc, comme dame Nature, ne fait acception de personne; cette beauté qui est donnée aux « barbares de Scythie comme aux habitantes de Tolède » est le signe que Dieu dispense sa grâce, sous tous les cieux et à tous les peuples – Morisques compris –, et elle a valeur de message qui prévient en leur faveur, comme nous le dit encore Cervantes dans le récit du captif:

Miróle el virrey, y viéndole tan hermoso y tan gallardo, y tan humilde, dándole en aquel instante una carta de recomendación su hermosura, le vino deseo de excusar su muerte.96

80Rejeter celui dont la beauté du corps reflète celle de l’âme, n’est-ce pas rejeter aussi le message d’un Dieu qui, comme le dit le jadraque, « fait pleuvoir sa grâce sur les justes et les in­justes»?

81La reine Isabelle, quant à elle, a compris le message – et il est clair que, pour Alemán, c’est un exemple à suivre – : elle accueille Daraja comme sa propre fille, sauve son amant d’une mort certaine et, abandonnant toute pression, aussi affectueuse soit-elle, elle offre à tous deux une liberté sans condition. Dieu a appelé, Dieu a choisi; Il fera le reste: les deux jeunes gens demanderont le baptême et l’histoire finira par un mariage chrétien.

82La critique a raison de voir là un « dénouement à la gloire de la tolérance d’Isabelle et de Ferdinand »97, mais il faut voir aussi que c’est plus la tolérance qui importe à Alemán que la gloire des Rois Catholiques qui n’est pour lui que le moyen de prêcher cette tolérance à ses contemporains.

83Cette tolérance dont des Espagnols font curieusement l’expérience en pays musulman et plus curieusement encore au fond d’un bagne algérien où ils sont retenus prisonniers98 est-elle im­possible chez eux ? Y a-t-il plus intolérant que les «barbares»? C’est ce que refusent de croire Alemán et Cervantes qui prônent la tolérance avec cette reine Isabelle qui ne contraint pas au baptême Ozmín et Daraja, avec Zoraida qui veut laisser son père à ses croyances sans renoncer aux siennes et avec ce père, Agi Morato, qui se montre si accueillant à l’étranger d’une autre religion; ils la prônent aussi avec le vice-roi qui veut faire obtenir un assouplissement de la loi en faveur de Ricote et des siens, et avec ces prêtres (celui qui conte à Guzmán l’histoire des amants Ozmín et Daraja, le curé qui joue les bons offices à la fin de l’histoire du captif et introduit l’infortuné capitaine et la belle Mauresque auprès du frère cadet du captif qui les embrasse tous deux). La tolérance, on la voit encore grandir dans ce village assemblé autour de la Ricota et de sa fille, avec Sancho – le voisin vieux-chrétien et fier de l’être qui, quoique peu porté sur les larmes, pleure lui aussi sur leur passage –, avec ces fils de famille – tous nobles, riches et beaux – qui rêvent de mêler leur sang à celui d’une belle Mauresque qu’elle ait nom Daraja ou Zoraida ou, fait plus troublant encore, qu’elle soit Morisque pros­crite par la loi comme la belle chrétienne Ana Félix. Enfin, cette tolérance, pour la faire régner, il faut la mettre dans le cœur du lecteur, c’est pourquoi toutes ces histoires sont de belles histoires dont les protagonistes appartiennent à une élite, élite du cœur et de la vertu et bien souvent aussi élite de la naissance et de l’argent99. C’est pourquoi encore ces personnages souffrent et pleurent, car il faut que pour eux notre pitié s’intéresse et que notre cœur batte au rythme du leur pour ces êtres qu’ils aiment et que nous aimons avec eux.

84Mais si Alemán et Cervantes partagent « la même compréhension et sympathie pour le fait morisque [qui] était propre à une minorité très cultivée et très réduite »100, s’ils n’ont qu’aversion pour une expulsion qui n’avait pas les faveurs de l’opinion101, s’ils souhaitent que l’histoire prenne un autre cours, s’ils montrent que l’on peut être Maure ou Morisque et bon chrétien, s’ils prônent la patience et la tolérance102 ils ne transigent pas sur la foi; c’est pourquoi toutes ces belles histoires sont aussi des histoires de conversion(s) heureuse(s)103, couronnée(s), qui plus est, par un mariage chrétien car, pour Alemán et Cervantes, il n’est de vrai bonheur que chrétien.

85Le thème mauresque cultivé par eux à contre-courant de l’histoire, loin de concourir à la falsification de celle-ci, comme l’a très bien montré F. Márquez Villanueva dans son étude sur Ricote104, traduit au contraire la volonté de restituer l’Histoire dans toute sa complexe vérité en utilisant les séductions de la fable pour promouvoir la conciliation de la militance et de la tolérance.

Notes

1 .P. Chaunu, L'Espagne de Charles Quint, Sedes, 1973, t. 2, « La Conjoncture d'un siècle. Ouverture et fermeture », p. 365-600.

2 .Le premier archevêque de Grenade, Hernando de Talavera, qui s’efforçait de les amener au baptême par la persuasion est remplacé par le cardinal Ximénez de Cisneros qui entend imposer la conversion par des méthodes aussi expéditives qu’au­toritaires(Voir R. de Zayas, Les Morisques et le racisme d'État, La Différence, 1992, p.218-220) auxquelles les mudéjares de l’Albaicín de Grenade répondent par la force tandis que d’autres foyers s’allument dans les régions d’Almería et de Ronda et dans d’autres encore, requérant une intervention armée conduite par Ferdinand en personne pour étouffer l’incendie. Les mutins, vaincus, déposent les armes et se convertissent en échange d’une promesse d’amnistie; ceux de leurs coreligionnaires qui étaient restés à l’écart du mouvement n’échapperont pas davantage à la conversion forcée: le 20 juillet 1501, un édit royal publié à Grenade et confirmé par une ordonnance promulguée à Séville le 12 février 1502 enjoint à tous les musulmans – captifs exceptés – âgés de 14 ans pour les hommes et de 12 ans pour les femmes de quitter définitivement les royaumes de Castille et de León avant le 30 avril, sous peine de mort (Novísima recopilación de las leyes de España,  libro XII, título II, ley III).  Pour échapper à l’exil, presque tous les mudéjares de la couronne de Castille se convertissent. Les musulmans de la couronne d'Aragon n’allaient jouir que d’un court répit, protégés qu’ils étaient par leurs puissants seigneurs; ceux de Valence furent contraints au baptême par le mouvement des Germanías (1521-1522) et leurs coreligionnaires des autres pays de la couronne d’Aragon furent obligés de se convertir par l’ordonnance du 8 décembre 1525.  

3 .« La conversión que assi se hizo no fue del todo voluntaria en muchos dellos, y después no han sido doctrinados, instruidos y enseñados en nuestra santa fe catholica». Cité par A. Domínguez Ortiz et B. Vincent, Historia de los moriscos. Vida y tragedia de una minoría , Madrid, Alianza editorial, 1989, p. 26.

4 .Durant quelque quarante années, pourtant, la première va l’emporter sur la seconde: l’envoi de missions et la création de paroisses s’employant à faire progresser la christianisation; mais celle-ci n’avance pas assez vite au gré des zélateurs de la foi toujours prompts à voir dans tout Morisque un apostat, cependant qu’aux yeux de beaucoup le « Maure », souvent différent par son vêtement, sa langue et ses coutumes, est perçu comme un étranger de l’intérieur et, pour tout dire – surtout là où il est en nombre – comme un ennemi potentiel prêt à faire alliance avec le Turc dont l’empire ne cesse de s’étendre et avec les Barbaresques dont les razzias répétées sèment la terreur parmi les populations côtières et sur tous ceux – voyageurs, marchands et soldats – qui ont à traverser une Méditerranée sur laquelle plane le péril ottoman et celui, tout proche et permanent et donc oh combien plus redouté encore des pirates et corsaires de tout poil. Faut-il s’étonner, dans ces conditions, si le Morisque inspire crainte et méfiance, voire la haine, et si, par voie de conséquence, il est l’objet de vexations, d’exactions et de spoliations, tant particulières que publiques, comme, par exemple, ce traitement discriminatoire devant l’impôt qui pèse sur lui plus que sur tout autre alors que la condition de chrétien lui garantissait au départ l’égalité qui revient à tout membre du corps du Christ? Faut-il s’étonner encore si l’impatience gagne certains esprits religieux et si le synode archidiocésain réuni à Grenade en 1565, rompant avec la ligne suivie jusqu’alors, réclame l’application de tous les textes concernant les Morisques depuis les années 1510 et tombés en désuétude ou simplement restés lettre morte pour quelque bonne raison? Faut-il s’étonner enfin si, l’assemblée de théologiens réunie à Madrid quelques mois plus tard reprenant dans ses conclusions (1erjanvier 1567) la plupart des vœux du synode de Grenade, les Morisques répondent dans la nuit de Noël 1568 par l’insurrection de l’Alpujarra et se donnent un roi, choisi parmi eux, Aben Humeya, puisque Philippe II, leur souverain, n’a su ni les comprendre ni les défendre?

5 .Op. cit., p. 57.

6 .Il aura fallu encore une quarantaine d’années depuis le soulèvement de l’Alpujarra – preuve que la mesure n’allait pas de soi et qu’elle suscita bien des tergiversations –, mais depuis que Philippe II avait fait la paix avec le roi de France à Vervins en 1598, le sort des Morisques semblait scellé, ainsi que le montrent les travaux des historiens (voir A. Domínguez Ortiz et B. Vincent, op. cit., p. 72), le roi d’Espagne n’ayant plus à craindre la réaction hostile de ses voisins auprès desquels ils cherchaient aide et protection. Et, si son successeur balança également, si la mesure fut différée quelque temps encore, c’est que l’on quêta en vain la bénédiction de Rome ou, à défaut, de l’Église d’Espagne, opposées toutes deux à une mesure à laquelle elles préféraient le lent mûrissement des âmes obtenu par une patiente catéchèse.

7 .Voir ibid., p. 171-172.

8 .Selon R. de Zayas (op. cit., p. 244), « Le duc de Lerma mit un an à “convain-cre”, c'est-à-dire acheter, les grands seigneurs valenciens » dont le duc de l'Infantado auquel « ses vassaux morisques […] rapportaient des revenus considérables».

9 .« […] proditores de crimen de lesa Majestad divina y humana » (Novísima recopilación de las leyes de España, libro III, título II, ley III).

10 .« Mandamos que todos los moriscos habitantes de estos reynos, así hombres como mugeres y niños, de qualquier condición que sean, así los nacidos en ellos como los extrangeros, fuera de los esclavos, dentro de treinta dias salgan destos reynos y límites de España, contados desde el dia de la publicacion de esta ley ; prohibiendo como prohibimos que no puedan volver a ellos, so pena de la vida y perdimiento de bienes, en que desde luego, incurran sin otro proceso ni sentencia » (Ibid.).

11 .Voir A. Domínguez Ortiz et B. Vincent, op. cit., p. 198-199.

12 .Bulletin hispanique, 40 (1938), p. 150-157 ; p. 280-296, 433-447 ; 41 (1939),
p. 65-85 ; 43 (1941), p. 265-289 ; 44 (1942), p. 96-102 ; 46 (1944), p. 5-25.

13 .Voir A. Domínguez Ortiz et B. Vincent, op. cit., p. 129-133.

14 .Voir L. Cardaillac, Moriscos y cristianos. Un enfrentamiento polémico (1492-1640), Madrid-Mexico-Buenos Aires, Fondo de cultura económica, 1979, et R. de Zayas, op. cit.

15 .Voir M. S. Carrasco Urgoiti, El moro de Granada en la literatura (Del siglo XV al XIX), Grenade, Université de Grenade, 1989, p. 47-113 [Archivum ; 10] (1re éd. ; Madrid, Revista de Occidente), 1956.

16 .G. Cirot, « op. cit. », Bulletin hispanique, 43 (1941), p. 288.

17 .Op. cit. , p. 50-51.

18 .« Escrito con pluma del ala de algún ángel ». Cité par G. Cirot, « op. cit. », Bulletin hispanique, 40 (1938), p. 287.

19 .Rappelons-en brièvement l’histoire. Rodrigo de Narváez qui reçut de son roi, pour prix de sa vaillance dans son combat contre les Maures, la charge de gouverneur d’Álora décide, afin de tenir éveillée l’ardeur guerrière de ses compagnons, de chercher le contact avec l’ennemi. Celui-ci se présente en la personne d’un beau cavalier, Abindarráez, insouciant du danger, qui s’avance en chantant, tout à son bonheur d’aller retrouver sa dame, la belle Jarifa. Pris dans l’embuscade, il s’est déjà défait avec une belle adresse de quatre de ses adversaires quand se présente devant lui, accouru au bruit des armes, Rodrigo de Narváez, lequel le défie en combat singulier et le défait à son tour, lui laissant la vie sauve.Tandis que la petite troupe regagne Álora, Rodrigo de Narváez surprend la tristesse du prisonnier et s’étonne de constater qu’un esprit si vail­lant puisse se montrer si abattu; il presse Abindarráez de s’en expliquer, lui offrant, chevaleresque, son assistance s’il est en son pouvoir de l’aider.Abindarráez lui conte alors comment, survivant du massacre des Abencérages, il fut confié en son plus jeune âge au gouverneur de Cártama qui l’éleva avec sa fille comme son propre enfant; il dit aussi comment, découvrant son amour pour celle-ci, il découvrit également qu’elle n’é­tait point sa sœur; il conte enfin comment, alors que tous deux savouraient le bonheur d’un amour chaste, la fortune le frappa de ses coups répétés, le séparant d’abord de Jarifa que son père, nommé gouverneur de Coín, emmena avec lui, le laissant éploré, et com­ment elle le fit ensuite tomber dans cette embuscade où il perdit avec la liberté tout es­poir de la revoir, alors qu’il allait au rendez-vous qu’elle lui avait donné, mettant à profit une absence de son père. Ému par ce récit, Rodrigo de Narváez, animé du plus parfait esprit chevaleresque, lui fait grâce sur parole de trois jours de liberté pour lui permettre de mener à bien son entreprise galante. Abindarráez se montre digne de la confiance dont il fut l’objet et, ayant mis à profit le délai accordé pour épouser clandestinement sa maîtresse, il regagne sa prison avec la belle Jarifa dont la noblesse de cœur se révèle ainsi à la mesure de celle de son époux. Rodrigo de Narváez, quant à lui, n’arrête pas là les manifestations de générosité puisqu’il offre aux deux prisonniers l’hospitalité de sa maison, rendant au captif sa liberté en lui faisant grâce de la rançon et intercédant, sur son instance, auprès du roi de Grenade pour que celui-ci presse le père de pardonner aux deux amants, lesquels sauront manifester à leur tour leur générosité par de riches pré­sents.

20 .« une étroite amitié qui dura toute leur vie », El Abencerraje, Madrid, Cátedra, 1992, p. 137.

21 .« La manifestation la plus remarquée de la maurophilie » pour G. Cirot, («op.cit », Bulletin hispanique, (43) 1941, p. 266) ; « la obra fundamental del género morisco, aunque inferior en mérito intrínseco a El Abencerraje » pour M. S. Carrasco Urgoiti (op. cit., p. 63).

22 .M. S. Carrasco Urgoiti, op. cit., p. 63.

23 .Idem, p. 62.

24 .« La práctica de las virtudes caballerescas lleva a Muza hacia el cristianismo y despierta en él un deseo de servir a los Reyes Católicos, en quienes ve el más alto ejemplo de honor y virtud. Cuando sabe que sus amigos abencerrajes han hallado hono­rosa acogida en el real castellano y fallan sus propios esfuerzos por poner orden en Granada, él mismo gestiona la rendición de la ciudad y se convierte, con otros muchos noble granadinos, al cristianismo. De este modo el autor concilia la idealización del moro con la afirmación de la superioridad cristiana y presenta la toma de Granada como solución a un desconcierto, resultando la anexión y conquista espiritual de los buenos, así como el exterminio y expulsión de los malos ». M. S. Carrasco Urgioti, op. cit., p.67-68.

25 .G. Pérez de Hita, Guerras civiles de Granada I. 2, Madrid, B.A.E., t.III, Novelistas anteriores a Cervantes, 1944, p. 583-584.

26 .G. Cirot, « op. cit. », Bulletin hispanique, respectivement 40 (1938), p. 296 et
43 (1941), p. 272.

27 .Voir A. Domínguez Ortiz et B. Vincent, op. cit., p. 69 et 252.

28 .Voir G. Bleiberg, El informe secreto de Mateo Alemán sobre el trabajo forzoso en las minas de Almadén, Londres, Támesis, 1984, p. 90; voir M. Michaud, «Almadén: le commissaire Alemán mène l'enquête», Les Cahiers Forell, 7, mai 1996, p. 132-185.

29 .M. Alemán, Guzmán de Alfarache, I. I. 7-8, p. 193-194 dans l'édition de F.Rico utilisée pour cette étude (Barcelone, Planeta, 1967).

30 .Ibid., I. I. 4, p. 162-169.

31 .Voir M. S. Carrasco Urgoiti, «La historia de Ozmín y Daraja de Mateo Alemán en la trayectoria de la novela morisca », Tigre, 5 , février 1990, p. 17-42.

32 .Á. San Miguel, Sentido y estructura de Guzmán de Alfarache de Mateo Alemán, Madrid, Gredos, 1971, p. 247 [Estudios y ensayos ; 166].

33 .Guzmán de Alfarache, I. I. 8, p. 242.

34 .Guzmán de Alfarache, I. I. 4, p. 162-169.

35 .Guzmán de Alfarache, I. I. 8, p. 196, 198.

36 .Cervantes, El ingenioso hidalgo don Quijote de la Mancha, Madrid, Espasa Calpe, 1962, t. IV, p. 7-120 [Clásicos Castellanos ; 10]. C'est à cette édition que nous renvoyons dans la présente étude.

37 .«–" De la Mauresque elle a le vêtement et l'apparence; mais en son âme, c'est une fort grande chrétienne, car elle a le très grand désir de l'être" […] –"Ainsi donc, elle n'est pas baptisée?"– reprit Luscinda», Don Quijote, I. 37, p. 316. Nous traduisons en note les citations espagnoles  insérées dans le corps du texte.

38 .F. Márquez Villanueva, Personajes y temas del Quijote, Madrid, Taurus, 1975, p. 117.

39 .«[…] elle découvrit un visage si beau que Dorotea la jugea plus belle que Luscinda, et Luscinda, plus belle que Dorotea, et tous les assistants estimèrent que s'il y en avait un capable d'égaler les deux autres, c'était celui de la Mauresque, et il y en eut même quelques-uns pour penser qu'il l'emportait sur eux en ceci ou en cela», Don Quijote, I. 37, t. III, p. 317.

40 .F. Márquez Villanueva, op. cit., p. 128-134.

41 .Matthieu, X. 37 ; Luc, XIV. 26.

42 .Elle est fortifiée dans sa foi par les encouragements que lui prodigue sa défunte esclave chrétienne au cours de ses apparitions et elle s'en remet à la Vierge du soin de régler de façon miraculeuse (traduction d'un billet, par exemple) ce qui ne serait pas humainement possible.

43 .F. Márquez Villanueva, op. cit., p. 134.

44 .«[…] mais notre bonne fortune nous fit aborder à une crique abritée par un petit promontoire ou cap dit de la Cava Rumía par les Maures, ce qui en notre langue signifie la mauvaise femme chrétienne; et, chez les Maures, la tradition veut que la Cava, qui causa la perte de l'Espagne, soit enterrée là, parce que dans leur langue cava veut dire mauvaise femme, et rumía, chrétienne; et ils tiennent même pour un signe de mauvais augure de venir mouiller là quand la nécessité les y contraint, ce qu'ils ne font jamais sans cela, bien que cela ne fût pas pour nous l'abri d'une méchante femme, mais bien le havre sûr de notre salut en regard de la mer démontée comme elle était», Don Quijote, I. 41, p. 83-84.

45 .« Vuelve, amada hija, vuelve a tierra, que todo te lo perdono », Don Quijote , I. 41, p. 87.

46 .« Mala hembra », « infame moza », Don Quijote,I. 41, p. 86.

47 .A. Domínguez Ortiz et B. Vincent s'étonnent de la différence de traitement réservée aux uns et aux autres et signalent l'attitude paradoxale que cela représente: «Es difícil admitir que individuos y familias enteras de Berbería viniesen a España para hacerse cristianos ; más bien vendrían fugitivos o atraídos por el más alto nivel de vida. Lo curioso es que a estos se les admitía con benignidad y sin recelos, mientras costaba tanto a un morisco convencer a sus compatriotas de que su cristianismo era sincero » (op. cit., p. 258).

48 .« […] ¿cómo tienes atrevimiento de volver a España, a donde si te cogen y conocen, tendrás harta mala ventura? », Don Quijote, II. 54, p. 326 [Clásicos Castellanos; 19].

49 .Don Quijote,II. 54, p. 324, 330.

50 .Ibid., p. 331-332.

51 .G. Cirot, « op. cit. », Bulletin hispanique, 40 (1938), p. 152.

52 .«il n'était pas bon de nourrir ainsi le serpent dans son sein et d'abriter ainsi ses ennemis sous son toit », Don Quijote, II. 54, p. 331.

53 .Ibid., p. 333.

54 .«un sage et un chrétien», ibid., II. 63, p. 173 [Clásicos Castellanos ; 22].

55 .« […] todavía tengo más de cristiano que de moro, y ruego siempre a Dios me abra los ojos del entendimiento y me dé a conocer cómo le tengo de servir » (Don Quijote, II. 54, p. 333).

56 .F. Márquez Villanueva, op. cit., p. 282.

57 .Don Quijote, II. 63, p. 179.

58 .« inspiration divine », «belle résolution», Don Quijote, II. 54, p. 331.

59 .G. Cirot, « op. cit. », Bulletin hispanique, 40 (1938), p. 152.

60 .« [...] lo que os ruego es que me dejéis morir como cristiana, pues, como ya he dicho, en ninguna cosa he sido culpante de la culpa en que los de mi nación han caído» (Don Quijote, II. 63, p. 177-178).

61 .Ibid., p. 171.

62 .Ibid., p. 174.

63 .«Au sein de cette nation plus infortunée que prudente sur laquelle s'est abat-tue ces jours derniers une foule de malheurs, j'ai vu le jour, reçu de parents morisques. Au cours de sa malheureuse histoire, je fus emmenée par deux oncles chez les Barba-resques, sans qu'il me fût d'un profit quelconque de dire que j'étais chrétienne, comme je le suis effectivement, et non point à la manière de celles chez qui cela n'est que feinte et apparence, mais comme les vraies et les catholiques. Il ne me servit à rien, avec ceux qui avaient à charge notre funeste bannissement, de dire la vérité, et mes oncles ne voulurent pas la croire; ils la prirent au contraire pour un mensonge et une invention de ma part afin de rester sur la terre où j'étais née, et c'est pourquoi, de force, et non de gré, ils m'emmenèrent avec eux. J'eus une mère chrétienne et un père sage et chrétien égale-ment; jamais, ni par mon langage ni par mes manières, à ce qu'il me semble, je n'ai donné quelque signe d'être morisque», ibid., p. 172-173.

64 .« […] vivez, belle Ana Félix, les années de vie que le ciel vous a comptées, et que reçoivent le châtiment de leur faute les insolents et les téméraires qui la com-mirent», Don Quijote, II. 63, p. 180.

65 .Don Quijote, II. 65, p. 202.

66 .F. Márquez Villanueva, « El problema historiográfico de los moriscos », Bulletin hispanique, 96 (1984), p. 61-135.

67 .F. Márquez Villanueva, Personajes y temas del Quijote, p. 232.

68 .G. Cirot, « op. cit. », Bulletin hispanique, 40 (1938), p. 13 et 151.

69 .Voir A. Mas, Les Turcs dans la littérature espagnole du Siècle d'Or, Centre de recherches hispaniques, 1967, II, p. 301-331.

70 .Il parle de « morisca canalla », « Novela y coloquio que pasó entre Cipión y Berganza », Novelas ejemplares, Madrid, Espasa Calpe, 1962, p. 317 [Clásicos Castellanos ; 36].

71 .«Chez eux, la chasteté n'existe pas, aucun homme ni femme n'entre en reli­gion: tous se marient, tous se multiplient, parce qu'une vie sobre augmente les causes de génération. Ils ne sont consumés par aucune guerre ni aucun exercice qui les fatigue à l'excès; ils nous volent sans difficulté, et se font riches du fruit de nos propres biens qu'ils nous revendent. […] Des douze fils de Jacob qui, à ce que j'ai ouï dire, entrèrent en Égypte quand Moïse les tira de captivité, sont sortis six cent mille hommes, sans compter les femmes et les enfants: tu pourras en déduire combien ont pu se multiplier ceux-là, qui sont incomparablement plus nombreux.», Cervantes, ibid., p.318.

72 .«Parce que, si les quelques Hébreux qui passèrent en Égypte se sont à tel point multipliés qu'à laur départ on a compté plus de six cents familles, que ne faudra-t-il pas craindre de ceux-là qui sont largement plus nombreux? Ils ne subissent pas les saignées des ordres religieux, leurs rangs ne sont pas éclaircis par les Indes, les guerres ne les dé­ciment pas; tous se marient, tous, ou la plupart, engendrent; il s'ensuit et il en découle qu'ils se multiplieront et s'accroîtront de façon innombrable», Cervantes, « Los trabajos de Persiles y Segismunda », Obras completas, Madrid, Aguilar, 1965, p. 1662-1663.

73 .Cervantes, Coloquio de Cipión y Berganza, p. 319.

74 .«Je dis donc que ce mien grand-père déclara que, vers ces temps-ci, régnerait en Espagne un roi de la maison d'Autriche qui aurait assez de cœur pour prendre la difficile résolution d'expulser les Morisques, à l'exemple de celui qui arrache de sa poitrine le serpent qui est en train de lui sucer le sang, ou comme celui qui sépare la nielle du froment, ou bien encore sarcle ou arrache la mauvaise herbe des champs où lève la moisson», Cervantes, Los trabajos de Persiles y Segismunda, p. 1661.

75 .Cf. supra, note 52.

76 .C'est ce que fait G. Cirot qui, après avoir écrit que « Cervantes fait dire à ses personnages ce qu'il veut ; nous ne savons pas ce qu'il pense lui-même », opte pour une lecture plus radicale, affirmant : « Ce que pensait Cervantes, nous nous en sommes rendu compte par une page du Coloquio de los perros (1613) et une de la seconde partie du Don Quichotte (1615). Dans son Persiles, qui est de l'année de sa mort (1616), il y a un épisode bien curieux, qui achève de nous renseigner sur son sentiment » (« op. cit. », Bulletin hispanique 40 (1938), p. 151 et 46 (1944), p. 10).

77 .R. Labarre, « Tres antiparadojas sobre Cervantes », Criticón, 54, 1992, p. 118.

78 .Leur dessein était de croître et de se multiplier en grand nombre comme les mauvaises herbes, et, véritablement, ils s'y étaient si bien pris en Espagne qu'ils ne logeaient plus dans leurs quartiers et leurs villages, mais qu'ils occupaient le reste et contaminaient le tout. […] Et ils se multipliaient à l'extrême, parce qu'aucun ne manquait de contracter mariage, et parce qu'aucun n'embrassait un état allant de pair avec l'absence de génération, en se faisant moine, prêtre ou nonne, et parce que nul chez eux, qu'il soit homme ou femme, n'était continent, signe évident de leur aversion pour une vie honnête et chaste. Tous se mariaient, pauvres et riches, boiteux et bien portants, sans considérer comme les vieux-chrétiens que, si un père de famille a cinq ou six enfants, il se contente de marier le premier ou l'aînée des filles et il fait en sorte que les autres garçons soient prêtres ou moines ou frères ou soldats, ou que les filles embrassent l'état de converses et de continentes», P. Aznar Cardona, Expulsión justificada de los moriscos españoles, Huesca, P. Cabarte, 1616, fols. 36r-37r. Cité par J. Caro Baroja, «Los moriscos aragoneses según un autor de comienzos del siglo XVII », Razas, pueblos y linajes, Murcia, Universidad de Murcia, 1990, p. 102-103.

79 .M. Moner, Cervantes: deux thèmes majeurs (l'amour – les armes et les lettres), Toulouse, France-Ibérie recherche, 1986, p. 121-125; R. Labarre, op. cit., p.117-120.

80 .Cervantes, Don Quijote, II. 42, p. 105 [Clásicos Castellanos ; 19].

81 .F. Márquez Villanueva, Personajes y temas del Quijote, p. 299.

82 .J. Caro Baroja, op. cit., p. 100-103.

83 .P. Fernández de Navarrete, Conservación de monarquías y discursos políticos, Madrid, Instituto de estudios fiscales, Ministerio de hacienda, 1982, p. 67.

84 .«Viens maintenant, ô fortuné jeune homme et roi prudent, et mets à exécution le superbe décret de ce bannissement, sans être arrêté par la crainte de voir cette terre déserte et dépeuplée ni par le tort que cela causera à ceux qui sont effectivement baptisés, car, même si ce sont là des craintes sérieuses, l'effet d'une si grande œuvre les rendra vaines, l'expérience montrant, d'ici peu de temps, qu'avec les nouveaux chrétiens dont cette terre se peuplera, elle retrouvera sa fertilité et sera en bien meilleur point qu'elle n'est aujourd'hui. Ses seigneurs, s'ils n'ont pas des vassaux si nombreux et si humbles, auront du moins des vassaux catholiques», Persiles, p. 1661.

85 .Voir F. Márquez Villanueva, « El problema historiográfico de los moriscos », p. 79.

86 .Voir A. Domínguez Ortiz et B. Vincent, op. cit., p. 68.

87 .Voir A. Domínguez Ortiz et B. Vincent, op. cit., p. 252.

88 .«Si Cervantes était opposé à la politique d'expulsion ou s'il concevait des réserves à son sujet, il pouvait seulement l'exprimer de façon implicite et, assurément, après avoir proclamé sa loyauté à grands sons de trompe», F. Márquez Villanueva, « El morisco Ricote o la hispana razón de estado », Personajes y temas del Quijote, p. 233.

89 .M. Cavillac, « Ozmín y Daraja à l'épreuve de l'atalaya », Bulletin hispanique, 92 (1990), p. 163.

90 .«Ozmín aurait voulu répondre par toutes les fibres de son corps et avoir autant de langues pour rendre grâces d'un si grand bienfait; il dit qu'il voulait être baptisé et, en présence du roi et de la reine, il demanda à son épouse de faire de même. Daraja, qui n'avait pas quitté son époux de ses yeux baignés de douces larmes, les tournant alors vers les souverains leur dit que, puisqu'il avait plu à Dieu de leur communiquer sa vraie lumière en les amenant à Le connaître par des chemins si rudes, elle était disposée d'un cœur sincère à faire de même et à obéir au roi et à la reine, ses seigneurs et maîtres, sous la protection desquels elle se plaçait, faisant abandon entre leurs mains royales de tout ce qui la concernait», Guzmán de Alfarache, I..I. 8, p. 242.

91 .Ibid., p. 157.

92 .Ibid., p. 168.

93 .Si « Zoraida ne lève jamais le petit doigt pour la conversion de son père », ce n'est point parce qu'ils ne sont « séparés par aucun problème religieux » (F. Márquez Villanueva, Personajes y temas del Quijote, p. 127), mais bien parce qu'elle sait que Dieu appelle, comme Il l'appelle encore par l'intermédiaire de la Vierge Marie.

94 .«Une de ses filles vint les servir, vêtue à la mauresque et si belle en ce costume que les plus jolies chrétiennes s'estimeraient heureuses de lui ressembler: car, lorsque Nature dispense ses grâces, elle favorise aussi bien les Barbares de Scythie que les habitantes de Tolède», Persiles, p. 1660.

95 .«Je suis Morisque, messieurs, et plût à Dieu qu'il me fût donné de le nier; mais je ne laisse point d'être chrétien pour cela: car les grâces divines, Dieu les dispense à qui lui plaît, et il a coutume, comme vous le savez mieux que moi, de faire lever son soleil sur les bons et les méchants, et pleuvoir sur les justes et les injustes», ibid., p.1661.

96 .«Le vice-roi le regarda, et le voyant si beau et si gracieux, et si plein d'humi-lité, la beauté plaidant en cet instant en sa faveur, il fut pris du désir d'épargner sa vie», Don Quijote, II. 63, p. 171.

97 .M. Cavillac, op. cit., p. 166.

98 .Dans Los baños de Argel, Vivanco, un captif, s'étonne: « Y aun otra cosa, si adviertes, / que es de más admiración, / y es que estos perros sin fe / nos dejen, como se ve, / guardar nuestra religión. / Que digamos nuestra misa / nos dejen, aunque en secreto». (Jornada III). Semblable tolérance, si elle peut étonner des Espagnols enfermés dans un bagne algérien, ne les étonne-t-elle pas plus encore parce qu'elle leur est si peu familière dans leur propre pays?

99 .« Le syntagme beauté – vertu – noblesse – richesse », relevé par
J.-M.Laspéras (La Nouvelle en Espagne au Siècle d'Or, Montpellier, Éditions du Castillet, 1987, p. 308), n'est pas gratuit ici.

100 .A. Domínguez Ortiz et B. Vincent, op. cit., p. 154.

101 .J. Caro Baroja, op. cit., p. 109-110.

102 .Ainsi en va-t-il de Zoraida « mora en el traje, pero en el alma muy grande cristiana » (Don Quijote, I. 39, p. 316), d'Ana Félix qui se désigne d'abord comme «mujer cristiana » (Don Quijote, II. 63, p. 171) ou bien encore du jadraque qui, «quoique Morisque », ne laisse pas d'être chrétien (Persiles, p. 1661).

103 .Pour Alemán, cette conversion dans la conversion – cette histoire de la conversion d'Ozmín et Daraja incluse dans le récit de celle du Pícaro –, en dépit de la rupture de ton qu'elle constitue avec le récit picaresque représenté par la pseudo-autobiographie de Guzmán de Alfarache révèle bien l'unité foncière de celle-ci et sa finalité première qui est la glorification de la foi chrétienne, comme le dit très bien
J.-L. Brau (Fonction des nouvelles intercalées dans le roman espagnol au Siècle d'Or), Université de Nice-Sophia Antipolis, [Cahiers de narratologie ; 4], p. 174-175.

104 .F. Márquez Villanueva, Personajes y temas del Quijote, p. 229-335.

Pour citer ce document

Par Monique MICHAUD, «Maures et morisques chez Alemán et Cervantes», Cahiers FoReLLIS - Formes et Représentations en Linguistique, Littérature et dans les arts de l'Image et de la Scène [En ligne], Revue papier (Archives 1993-2001), Discontinuité et/ou hétérogénéité de l'œuvre littéraire, mis à jour le : 20/06/2013, URL : https://cahiersforell.edel.univ-poitiers.fr:443/cahiersforell/index.php?id=220.