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La voix de Socrate : Remarques sur le dialogue socratique comme forme dramatique
Par Sandrine Dubel
Publication en ligne le 28 avril 2014
Table des matières
Texte intégral
La question antique de la définition
1Le genre grec du dialogue est souvent abordé à partir des définitions tardives élaborées dans le contexte platonicien, telle celle vulgarisée par Diogène Laërce :
Pour les dialogues, on dit que c'est Zénon d'Elée qui fut le premier à en écrire, mais pour Aristote, dans le premier livre du Sur les poètes, c'est Alexamène de Styrée ou de Téos, selon les Mémorables de Favorinus. Pour moi cependant, c'est Platon qui, par le perfectionnement qu'il a apporté au genre [ἀκριβώσας τὸ εἶδος], mérite le premier prix en matière de beauté autant que d'invention.
Le dialogue est une œuvre en prose composée à partir de questions et de réponses [ἔστι δὲ διάλογος <λόγος> ἐξ ἐρωτήσεως καὶ ἀποκρίσεως συγκείμενος] sur un sujet philosophique ou politique [περί τινος τῶν φιλοσοφουμένων καὶ πολιτικῶν], dont les personnages sont introduits avec la caractérisation qui convient [μετὰ τῆς πρεπούσης ἠθοποιίας τῶν παραλαμβανομένων προσώπων] et qui présente un style travaillé [καὶ τῆς κατὰ τὴν λέξιν κατασκευῆς]. La dialectique [διαλεκτική] est, elle, une technique de discussion [τέχνη λόγων], qui nous permet de construire une réfutation ou une confirmation à partir des questions et des réponses de nos interlocuteurs [ἐξ ἐρωτήσεως καὶ ἀποκρίσεως τῶν προσδιαλεγομένων]. (Vies et doctrines des Philosophes illustres, III, 48)
2Cette définition technique et précise a en réalité une assez longue histoire (du IVème s. avant aux II-IIIème s. après)1, qu'il faudrait retracer en remontant aussi bien aux origines de la dialectique et à l'éristique qu'à l'interrogatoire judiciaire (ἐρώτησις). Cette définition est élaborée dans le contexte platonicien, elle vise (ici précisément) à distinguer dialogue et dialectique, comme genre englobant d'un côté et modalité particulière de l'échange ou de l'élaboration de la pensée de l'autre, et confère au premier des traits que nous pourrions qualifier de littéraires, relevant du travail de l'écrivain : élaboration stylistique et art des personnages, peinture des caractères ou éthopée.
3Nulle référence au théâtre ici, sinon en périphérie, rapportée à la littérature secondaire antique : soit à une représentation du développement de la philosophie parallèle à celui du théâtre et à l'importance progressive qu'y prend la parole2 – un champ d'investigation qui reste à explorer3 ; soit aux systèmes de classement du corpus platonicien4, en tétralogies ou trilogies « à la manière de la tragédie » (III, 56), ou suivant la tripartition énonciative bien connue élaborée par Platon lui-même au livre III de la République :
Je sais bien que certains affirment que les dialogues se répartissent [διαφέρειν] autrement : ils parlent de dialogues dramatiques, narratifs et mixtes [τοὺς μὲν δραματικούς, τοὺς δὲ διηγηματικούς, τοὺς δὲ μεικτούς]. Mais ces gens-là emploient pour répartir les dialogues une terminologie qui relève davantage de la tragédie [τραγικῶς] que de la philosophie [φιλοσόφως]. (Vies et doctrines des Philosophes illustres, III, 50)
4Le classement est celui que propose Socrate dans la République pour la représentation poétique (392d sqq.) : soit « le poète raconte en son nom propre » [λέγει αὐτὸϛ ὁ ποιητήϛ, 393a], sans nous faire croire que c'est un autre que lui-même qui s'exprime, ce qui constitue le récit [διήγησιϛ, 393a-b] ; soit le poète raconte « comme s'il était un autre » [ὡϛ τις ἄλλοϛ ὤν, 393b], comme s'il était lui-même son personnage, il « se cache » [ἀποκρύπτομαι, 393e] : il « l'imite » donc en le faisant parler, et ce moment du discours direct constitue la modalité mimétique [διὰ μιμήσεωϛ] (ou dramatique, selon l'équivalence qu'établira la terminologie critique antique) ; enfin, procédant de manière « mixte », le poète peut alterner récit propre et discours des personnages, comme le fait Homère5. Ainsi donc les poètes peuvent user « d'un récit simple [ἁπλῇ διηγήσει], d'un récit qui recourt à l'imitation [διὰ μιμήσεωϛ], ou des deux » (392d). Les interlocuteurs de Platon précisent ici que la modalité mimétique est caractéristique du théâtre, tragédie et comédie (394b-c), mais représentation mimétique ou dramatique signifie seulement discours, expression de la parole au style direct. C'est essentiel pour le genre du dialogue.
5Il reste, et ce point de méthode est important, qu'il faut laisser les éléments de définition et les questions de classement formulés par Diogène Laërce à leur place dans la diachronie : ils constituent un aboutissement plus qu'un point de départ, et l'on ne saurait les appliquer ainsi élaborés au corpus dialogique des origines, celui qui a émergé et fleuri dans les cercles socratiques, au-delà du seul Platon, à l'extrême fin du Vème siècle et surtout au premier tiers du IVème6.
6C'est maintenant aux plus anciennes expressions d'une reconnaissance théorique du dialogue comme genre, défini comme forme dramatique sinon théâtrale, que nous voudrions remonter, Aristote en particulier, que Diogène Laërce mentionne dans le passage cité, mais après deux détours : une étape critique, avec le traité du Ps. Démétrios de Phalère, qui définit en un sens le style du dialogue comme écriture de la voix, et un moment littéraire, l'ouverture du Théétète de Platon, qui pose précisément la question de l'importance de l'énonciation dramatique mais sans en livrer le sens.
Dialogue et style scénique
7Le terme διάλογος7 ne désigne pas, dans les textes grecs qui nous sont parvenus, le genre littéraire avant le traité Sur le style de Démétrios, quelque deux cents cinquante ans sans doute après l'éclosion de la forme à Athènes, un traité que l'on peut lire comme un ouvrage de critique littéraire sur l'art d'écrire en prose8.
8Le dialogue y représente l'un des trois genres de la prose : la période dialogique, au naturel travaillé, est distinguée au début du traité de la période historique (ou narrative) et de la période oratoire (§ 19-21). On notera qu'elle est illustrée par l'ouverture de la République de Platon (« J'étais descendu hier au Pirée…»), soit par la paroled'un Socrate qui raconte, à l'articulation, donc, de la modalité narrative (l'entretien est rapporté par Socrate lui-même) et de la modalité dramatique (Socrate s'adresse au style direct à un auditoire, même si la présence de celui-ci n'est attestée que de cette manière implicite, par le hic et nunc du narrateur).
9Le genre est défini à l'intérieur du développement sur le style simple, dans le contexte d'un bref traité épistolaire (§ 223-235), comme représentation d'une parole improvisée (224 : μιμεῖται αὐτοσχεδιάζοντα), imitation de la conversation (225 : λαλεῖν), et se caractérise en conséquence par un style non pas γραφική, « écrit », mais ἀγωνιστική, propre à l'expression d'un orateur ou d'un acteur, c'est-à-dire mis au service de la voix, comme destiné à une exécution orale :
Les fréquentes disjonctions [λύσεις] comme <celles du dialogue> ne conviennent pas aux lettres, car, à l'écrit [ἐν γραφῇ], la disjonction est cause d'obscurité ; l'imitation d'une parole [τὸ μιμητικόν] d'autre part est moins adaptée à l'écrit qu'à l'expression vocale / au débat [ἀγῶνος], comme par exemple dans l'Euthydème : Qui était, Socrate, celui avec qui hier tu discutais au Lycée ? Vraiment, il y avait foule autour de vous. Un peu plus loin, il ajoute : Mais c'est un étranger, me semble-t-il, cet homme avec qui tu discutais, qui était-ce ? Toute expression imitative de ce genre [ἡ τοιαύτη πᾶσα ἑρμηνεία καὶ μίμησις] convient mieux à un acteur [ὑποκριτῇ πρέπει], mais pas du tout aux lettres, qui sont des écrits [οὐ γραφομέναις ἐπιστολαῖς]. (§226, d'après la tr. de P. Chiron)
10Cette distinction entre les styles « graphique », écrit, et « agonistique », fait pour l'oralité, remonte au livre III de la Rhétorique d'Aristote, chapitre 12, qu'il faudrait reprendre dans le détail, en particulier pour l'articulation du style des débats à l'action théâtrale et les références au jeu des acteurs9. L'asyndète, chez Démétrios comme chez Aristote, est la marque caractéristique d'une parole vive,comme si l'intelligibilité du propos était portée par son incarnation en un locuteur : « elle va contraindre à jouer même qui ne le veut pas » (194), explique le rhéteur en amont de notre passage, dans un bref développement consacré au jeu théâtral. Il s'agit là d'une qualité du style, qui ne dit rien des conditions d'une quelconque performance du texte dialogue :
Le style disjoint convient sans doute davantage aux joutes oratoires [ἐναγώνιοϛ] ; on lui donne d'ailleurs aussi le nom de style de scène [ὑποκριτική], car la disjonction stimule le jeu théâtral. Le style propre à la lecture, lui, est un style écrit ; c'est un style soudé, comme cimenté par les mots de liaison. Voilà pourquoi on joue Ménandre [ὑποκρίνονται], dont le style est la plupart du temps disjoint, tandis qu'on lit Philémon [ἀναγινώσκουσιν]. (193, tr. P. Chiron)
11Ce sont ainsi deux auteurs de théâtre qui sont distingués par la qualité de leur écriture et leur rapport au jeu scénique10. Mais la scène n'est pas seulement servie par la langue, et Démétrios décrit comme une véritable « pantomime », pour reprendre l'expression de P. Chiron, le prologue de l'Ion d'Euripide (195) : en écrivant pour la scène, le poète travaille à la διαμόρφωσις qui va servir le jeu de l'acteur – l'action théâtrale mise en forme dans le corps de l'acteur ? Le terme mérite enquête. Peut-on trouver trace de jeux scéniques dans le dialogue ? C'est ce que s'efforce de faire une partie de la critique platonicienne, d'une manière plus marquée depuis la fin des années 90, Nikos Charalabopoulos en dernier lieu11.
12Pourquoi le choix de l'Euthydème pour illustrer le style parlé du dialogue ? L'incipit est lui-même en asyndète, au sens où les premiers mots de Criton cités ici résonnent hors de tout cadre contextuel, dans une proximité que ne connaît pas la lettre, et les questions du personnage se répètent effectivement sans mot de liaison. Mais surtout, dans cette ouverture dramatique, ce qui est demandé à Socrate c'est un récit, le récit du spectacle de l'entretien qui a eu lieu la veille – et avec deux sophistes champions de pancrace autant qu'experts en polémique – : comme dans quelques autres dialogues, Socrate narrateur fait aussi le ventriloque, c'est-à-dire l'acteur, voire même le poiètès, “écrivant” des paroles dont l'attribution ou la vraisemblance sont brutalement contestées par son auditeur (290e), ce qui est sans doute un hapax dans le corpus platonicien12. Le style en est peut-être agonistiqueou scénique, mais toujours est-il que ce dialogue dramatique fait le choix d'un dispositif d'enchâssement diégétique, c'est-à-dire de l'énargeia plutôt que de la mise en scène directe. Théâtralité n'est pas théâtre.
13Sans doute y a-t-il là pour nous une certaine manière de brouiller les frontières entre dialogue et théâtre dans le contexte d'une littérature antique de « performance », que l'on lit largement à haute voix ou dont on écoute la lecture13. Et c'est ce à quoi le dialogue se prête particulièrement bien, comme l'atteste l'exemple fameux du Théétète de Platon (c. 370), avec sa mise en scène de la lecture du livre du dialogue14.
Dialogue narratif et dialogue « dialogique »
14Dans l'entretien-cadre dramatique (sans support narratif), que l'on peut situer à Mégare au printemps 39115, Terpsion, rencontrant Euclide, lui réclame le récit des échanges que Socrate a eus autrefois à Athènes avec le jeune et prometteur Théétète. Il y a insistance particulière sur le système de transmission / transcription (et donc l'éloignement), puisque Euclide n'a jamais assisté personnellement à ces échanges, mais qu'il tient de Socrate le récit des propos (logoi) tenus à cette occasion : τούς τε λόγους οὓς διελέχθη αὐτῷ διηγήσατο, « il m'a raconté les discussions qu'il a échangées avec lui » (142c) ; ce récit, Euclide l'a confié à l'écrit (ἐγραψάμην, 142d), sur plusieurs années, en plusieurs fois, le faisant corriger et compléter par Socrate à chacun de ses passages à Athènes, « de sorte que presque tout l'entretien se trouve consigné par écrit » (ὥστε μοι σχεδόν τι πᾶς ὁ λόγος γέγραπται, 143a) ; ces logoi sont donc devenus un texte (logos), dont Euclide organise la lecture pour Terpsion : « Allons donc <chez moi ?>, et en même temps que nous nous reposerons, mon esclave nous fera la lecture [ὁ παῖς ἀναγνώσεται] » (143b). Le changement de lieu impliqué16 mais non précisé, qui opère à la manière du théâtre en suggérant une inscription dans l'espace et relève de l'énargéia17 plutôt que d'un jeu scénique, offre un cadre propice, de loisir et confortable, au spectacle à écouter :
– Le livre, Terpsion, le voici [τουτί]. J'ai mis par écrit [ἐγραψάμην] l'entretien [τὸν λόγον] de la façon suivante : avec Socrate non pas le racontant comme il me l'a raconté [οὐκ ἐμοὶ Σωκράτη διηγούμενον ὡς διηγεῖτο], mais en train de discuter avec ceux avec qui il m'avait dit avoir discuté [ἀλλὰ διαλεγόμενον οἷς ἔφη διαλεχθῆναι] (il m'avait dit que c'étaient le géomètre Théodore et Théétète). J'ai voulu éviter en écrivant l'inconvénient [πράγματα] des incises narratives entre les paroles [αἱ μεταξὺ τῶν λόγων διηγήσεις], concernant Socrate chaque fois que lui-même parlait (les « et moi je dis », « et je pris la parole ») ou les « il acquiesça » ou « il n'était pas d'accord » concernant celui qui lui donnait réponse [περὶ τοῦ ἀποκρινομένου] : c'est pourquoi j'ai écrit comme s'il discutait avec eux [ὡς αὐτὸν αὐτοῖς διαλεγόμενον ἔγραψα], en enlevant ces expressions.
– C'est tout à fait normal [οὐδέν γε ἀπὸ τρόπου], Euclide.
– Eh bien, esclave, prends le livre et donne-nous en lecture [λέγε18] (Théétète, 143b-c)
15Cette question de l'habillage et du déshabillage des échanges par les incises narratives fait résonner la voix de Socrate comme un effet du texte, comme le résultat d'un long processus d'écriture19, le choix d'un dispositif exclusivement dramatique exhibant la fiction d'une parole en situation. Garder ou non les incises, soit adopter une énonciation diégématique (Σωκράτη διηγούμενον) ou bien dialogique/dialogale (ὡς αὐτὸν διαλεγόμενον)20, est présenté comme un choix esthétique, presque de confort de lecture, mais c'est aussi souligner que la disparition de tout cadre narratif ne laisse que les logoi : le dialogue est μίμησις προσώπων, ou « imitation de la parole improvisée » et destiné à l'expression vocale, pour donner raison à l'analyse de Démétrios (même si cet entretien-là ne saurait être tout à fait bavardage…). À en croire la présentation d'Euclide, ce refus apparent du narratif21 permet même d'entendre la parole des répondants de Socrate, sinon cantonnés à refuser ou accepter l'accord au style indirect – il faudrait mettre à l'épreuve de cette description l'entretien enchâssé. Un des grands intérêts de ce passage est de souligner a contrario l'importance de la question des incises marquant les prises de parole pour le genre antique du dialogue, qu'on ne pourra réduire à de simples équivalents sémantiques de nos tirets typographiques (voir le dispositif d'ouverture de l'Economique de Xénophon, par exemple, dont la nature narrative).
16Quoi qu'il en soit, il y a là suggestion par le texte d'une mise en voix des propos des interlocuteurs, non pas représentation d'un texte à jouer. Ce dispositif, en escamotant le narrateur, nous prive d'ailleurs de toutes didascalies : il est impossible d'évaluer l'expressivité de cette lecture, la modulation possible des voix, l'engagement du corps du récitant, sa gestuelle, les éléments de jeux, de même qu'on ignore tout de sa réception, puisque le livre s'achève sur quelques mots de conclusion prononcés par Socrate, à Athènes et à la veille de son procès, sans retour à la rencontre-cadre. En un sens on oublie qu'il y a spectacle en ne revenant pas à ces auditeurs, qui n'interrompent ou ne commentent jamais la lecture22. Le dispositif est dramatique, il n'est pas scénique.
Aux origines théoriques du dialogue : Sophron et Socrate
17Entre Platon et Démétrios, il faut passer par les éléments de poétique que nous livre Aristote : on considère que c'est chez cet ancien élève de Platon, lui-même auteur de dialogues, que se trouve la première mention théorique du dialogue comme genre, sous l'expression de sokratikoi logoi. La périphrase, l'adjectif sokratikos même, sont ici attestés pour la première fois ; l'expression, dans ses deux occurrences, est associée à un genre théâtral en prose, novateur lui aussi, celui du mime fondé par le Sicilien Sophron – dont c'est aussi la première attestation dans la littérature secondaire antique23. Mais comme les études d'Andrew Ford l'ont montré récemment, littérature socratique et dialogue ne sont pas synonymes et ne se recouvrent pas absolument24.
18Le texte le plus connu appartient au premier chapitre de la Poétique :
ἡ δὲ [ἐποποιία] μόνον τοῖc λόγοιc ψιλοῖc <καὶ> ἡ τοῖc μέτροιc καὶ τούτοιc εἴτε μιγνῦcα μετ᾿ ἀλλήλων εἴθ᾿ ἑνί τινι γένει χρωμένη τῶν μέτρων ἀνώνυμος τυγχάνει οὖσα μέχρι τοῦ νῦν· οὐδὲν γὰρ ἂν ἔχοιμεν ὀνομάcαι κοινὸν τοὺc Cώφρονοc καὶ Ξενάρχου μίμουc καὶ τοὺc Σωκρατικοὺc λόγουc οὐδὲ εἴ τιc διὰ τριμέτρων ἢ ἐλεγείων ἢ τῶν ἄλλων τινῶν τῶν τοιούτων ποιοῖτο τὴν μίμηcιν.
L'art qui fait usage seulement du langage en prose, ou des mètres, et qui, dans ce dernier cas, les combine entre eux ou qui n'en utilise que d'un seul type, n'a pas reçu de nom jusqu'à présent. Car nous n'avons pas de terme commun pour désigner à la fois les mimes de Sophron et de Xénarque et les sokratikoi logoi, pas plus que toutes les représentations qu'on peut faire en employant trimètres, mètres élégiaques ou autres mètres de ce genre (1447a29-b13, d'après la tr. R. Dupont-Roc et J. Lallot, Seuil, Paris, 1980)
19Mimes et sokratikoi logoi sont mentionnés au titre d'œuvres en prose à caractère mimétique, qui « représentent », comme les autres genres poétiques évoqués, sans le moyen du rythme ou de la mélodie, soit par le seul moyen du langage. Aristote lui-même laisse cet ensemble anonumos, mais l'abondance de noms propres caractérisant les éléments qui le constituent n'en est que plus visible. Le mime, un terme qui ne dit que la mimésis25, est investi par deux noms propres, deux noms d'auteurs, qui appartiennent à deux générations successives (certaines traditions antiques font de Sophron le père de Xénarque) : il y a donc circulation d'une forme, tradition, genre. Ensuite, c'est le nom de Socrate, devenu adjectif définitoire, qui est constitutif du groupe des logoi, soit du genre. Comment traduire l'expression ? Peut-être « littérature socratique », soit consacrée à Socrate (sens objectif de l'adjectif), ou mieux alors « prose socratique », puisque ce sens de logos est bien attesté – auquel cas, on se place du point de vue du texte et de son medium, la prose, et de son sujet, la figure centrale de Socrate. Ou bien « entretiens socratiques », échanges, propos, voire même discours, paroles, prononcés par Socrate (sens subjectif de l'adjectif), auquel cas le repérage se fait par un trait de la singularité de Socrate26, son rapport à la parole, et cette littérature se définit comme la représentation imitative d'une expression singulière, μίμησις προσώπου.
20Quoi qu'il en soit, il faudrait éviter, à cette date haute, de traduire sokratikoi logoi par « dialogues socratiques », qui impose une forme textuelle particulière, laquelle entraîne l'exclusion d'une large partie de la littérature socratique du IVème siècle : les Apologies de Socrate, même le Banquet de Xénophon, avec l'importance des interventions du narrateur, ou ses Mémorables ne s'identifient pas exactement au genre du dialogue. Ainsi, alors que le genre dramatique du mime est rapporté à des auteurs fondateurs, Sophron et Xénarque, la littérature socratique est affichée comme représentation – fiction ? – de Socrate : elle se repère à la présence d'un personnage singulier, atopique, acteur d'une parole sans doute particulière, mais aussi figure du non-auteur par excellence, puisque Socrate est celui qui n'a jamais écrit ses entretiens.
21La mention conjointe des sokratikoi logoi et du mime dans la Poétique pourrait passer pour fortuite sans la citation par Athénée d'un autre passage d'Aristote, pris à son dialogue Sur les poètes :
̓Αριστοτέλης δὲ ἐν τῳ̂ περὶ ποιητω̂ν οὕτως γράφει Οὐκου̂ν οὐδὲ ἐμμέτρους ὄντας τοὺς καλουμένους Σώφρονος μίμους μὴ φω̂μεν εἶναι λόγους καὶ μιμήσεις, ἢ τοὺς ̓Αλεξαμενου̂ του̂ Τηίου τοὺς πρότερον γραφέντας τω̂ν Σωκρατικω̂ν διαλόγων27,
Aristote dans le Sur les Poètes écrit ceci : Donc, bien qu'ils ne soient pas même en vers, pour ce qu'on appelle les mimes de Sophron, devons-nous affirmer qu'ils ne sont pas des œuvres imitatives [logous kai mimeseis], comme pour les écrits d'Alexamène de Téos, qui furent les premiers des sokratikoi logoi ? (fr. 4 Zanatta = 72 Rose, cité par Athénée, 505c)
22La phrase est organisée autour d'un chiasme, qui va du genre mimétique par excellence que peut être le mime aux sokratikoi logoi en articulant de manière centrale logoi et production mimétique – la figure suggère un hendiadyn28, qui reste difficile à traduire : œuvres en prose à visée mimétique ou, comme le suggère la présence du mime, représentations de paroles, d'entretiens, de conversations, c'est-à-dire littérature de style direct, laissant la parole aux personnages, comme dans le Théétète, soit μίμησις προσώπων ? Le mimétique fait ici écho à la tripartition du livre III de la République cité plus haut, comme le confirme le contexte immédiat de cette citation d'Aristote chez Athénée : « Dans sa République, <Platon> bannit Homère et sa poésie imitative [τὴν μιμητικὴν ποίησιν], alors que lui-même écrit ses dialogues de manière imitative [αὐτὸϛ δὲ τοὺϛ διαλόγουϛ μιμητικῶϛ γράψαϛ] » (505b)29.
23Mais alors que la tradition anecdotique antique a imaginé nombre de fictions biographiques pour exemplifier ces liens (Platon faisant circuler Sophron à Athènes, dormant un exemplaire des Mimes sous son oreiller, etc.)30, que la bibliographie moderne tend à se développer sur le sujet de l'articulation des dialogues de Platon à la tradition sicilienne du théâtre31, il faut rappeler que nous ne savons presque rien de ce genre du mime littéraire « inventé » à l'époque classique par Sophron, et en particulier de sa dimension scénique. Il ne reste de ces Mimes que de très minces fragments : « Short (we do not know how short) dramatic sketches in prose dealing with comic scenes from everyday life », selon la description de son éditeur J. Hordern (p. 4), avec une organisation sexuée (si la division entre mimes masculins et féminins peut remonter à l'auteur), reposant parfois sur un comique assez cru (obscénités, scènes de défécation), à la recherche de la peinture de types comiques et de caractères. Le mime semble s'opposer aux grandes formes civiques du théâtre athénien par son choix de la prose, et d'une langue non attique, d'un dorien qui semble populaire, éloigné du dialecte littéraire ; par l'absence des figures de la mythologie ; par un cadre essentiellement intérieur : l'action ne se joue pas à l'échelle de l'espace offert par le théâtre de plein air attique, elle est resserrée et s'exprime dans le dialogue ou le monologue. Mais ce que latradition ultérieure souligne surtout, c'est l'intérêt que Sophron partagerait avec Platon pour l'éthopée, la représentation de caractères par l'expression de leur parole32.
24Peut-être est-ce dans cette perspective qu'on peut interpréter un troisième passage, pris à la Rhétorique, comme première reconnaissance théorique de cet intérêt. Dans un développement sur les parties du discours, Aristote souligne la nécessité pour la narration d'exprimer un caractère (èthos), lequel se révèle particulièrement dans le choix de principes guidant une conduite (proairesis), ce que le philosophe éclaire par la mention de deux écritures dont les finalités s'opposent de manière polaire :
Οὐκ ἔχουσιν οἱ μαθηματικοὶ λόγοι ἤθη, ὅτι οὐδὲ προαίρεσιν (τὸ γὰρ οὗ ἕνεκα οὐκ ἔχουσιν, ἀλλ᾿ οἱ Σωκρατικοί· περὶ τοιούτων γὰρ λέγουσιν.
Les œuvres mathématiques n'expriment pas les caractères pour cette raison qu'elles ne relèvent pas d'un choix (elles ne visent pas de fin morale), à la différence des <œuvres> socratiques, qui parlent de ce genre de questions. (Rhétorique, III, 1417a19-21)
25L'expression est incomplète ici, mais le terme logoi se déduit autant du parallèle avec l'expression de mathematikoi logoi que du verbe legousi – si l'on accepte de garder cette leçon. Cette opposition aux traités de mathématiques confirme la nature mimétique de la littérature socratique, au sens où l'on entend chez Aristote mimésis comme « representing a moral character in action », ainsi que le note Andrew Ford, qui définit in fine les sokratikoi logoi comme « portrayals of active moral character in speech »33. Au plus proche du mime sicilien, au plus loin du traité de mathématiques.
En guise de conclusion : des entretiens socratiques aux dialogues de Platon
26Si la forme dialoguée n'est pas nécessairement constitutive des sokratikoi logoi et ne doit pas en être un élément définitoire, à l'inverse, comment considérer les textes dialogués du IVème siècle qui ne font pas intervenir Socrate ? Que faire des Lois de Platon, du Hiéron de Xénophon – premières manifestions d'une autonomie du dialogue ? L'expression générique ne saurait même englober les propres dialogues d'Aristote, qui sont investis, pour autant qu'on puisse l'établir de première main vu l'état fragmentaire de cet ensemble, par la figure de leur auteur (« dis-je ») et non plus par Socrate34, sans scénographies perceptibles, sans souci visible de la caractérisation des interlocuteurs : en un mot loin de toute théâtralité marquée. Dans ces premières formulations (pour nous) de la critique littéraire, le dialogue n'est qu'imparfaitement identifié.
27Si l'on passe maintenant par-dessus deux siècles pour lire le traité de Démétrios, on constate qu'en se déplaçant, en perdant sa fonction définitoire, la figure socratique (il faudrait presque dire l'adjectif) permet au genre du surgir dans son autonomie. Les exemples que Démétrios donne sont tous empruntés au corpus socratique (Platon, Eschine), mais l'épithète elle-même, ayant définitivement perdu toute valeur de nom propre, ne renvoie plus qu'à une modalité discursive, à la manière des exercices d'école des manuels scolaires de l'Empire35. Le rhéteur, à propos de modalités énonciatives, donne en effet un exemple de la reformulation d'un principe (« Il ne faut pas seulement léguer ses richesses à ses enfants, mais aussi la science de s'en servir ») sous une « forme socratique » :
28Quant à ce qu'on appelle proprement la forme socratique [τὸ ἰδίως καλούμενον εἶδος Σωκρατικόν] (qu'ont surtout cherché à imiter, semble-t-il, Eschine et Platon), elle transformerait l'idée énoncée en un interrogatoire [εἰς ἐρώτησιν], à peu près ainsi :
– Mon enfant, à combien se monte la fortune que t'a léguée ton père ? C'est une fortune importante et difficile à estimer, n'est-ce pas ?
– Oui, Socrate.
– Eh bien, t'a-t-il aussi légué la science de t'en servir ?
On/Il a conduit l'enfant à son insu dans une impasse [εἰς ἀπορίαν], on lui a rappelé [ἀνέμνησεν] son ignorance et on lui a enjoint de s'instruire, tout cela avec un éthos modéré et amène, et non pas, comme on dit, « à la manière scythe ». Les œuvres de cette sorte [οἱ τοιου̂τοι λόγοι] fleurirent aussitôt inventées ; bien plus, elles frappèrent par leur caratère imitatif [τῳ̂ μιμητικῳ̂], leur évidence, et leurs admonestations pleines de magnanimité. (297-298, d'après la traduction de P. Chiron)
29La modalité socratique est une modalité dialogique, mais particulière, ici parole sans sujet parlant. Adoptant une perspective historique, Démétrios identifie bien une production littéraire particulière, définie dans le temps, sous-genre, peut-être, du dialogue : il est ici question précisément de ce qui fait l'objet des réflexions d'Aristote.
30La figure de Socrate est circonscrite : on peut donc alors pleinement s'intéresser au genre du dialogue. Ce qu'étudie Démétrios, ce ne sont plus les sokratikoi logoi, mais les Πλατῶνος λόγους(37).
Notes
1 La définition de Diogène Laërce (IIIème s. ap.) reprend celle du Prologos d'Albinus, brève introduction au corpus de Platon (IIème s. ap.), et peut être rapprochée de celle des anonymes Prolégomènes à la philosophie de Platon du VIème s. (voir L. G. Westerink, J. Trouillard et A. P. Segonds (éds.), Paris, Les Belles Lettres, CUF, 1990). Ce sont les trois seules définitions du genre du dialogue que l'Antiquité semble nous avoir transmises ; elles pourraient venir d'un traité sur le corpus platonicien, dont quelques lignes sont préservées dans un papyrus du IIème s. de notre ère : voir N. Charalabopoulos, Platonic Drama and its Ancient reception, Cambridge, CUP, 2012, pp. 24-32.
2 D.L. III, 56 : l'évolution de la tragédie du chœur, seul élément dramatique initial, à la présence d'un « répondant » au chœur [ὑποκριτήϛ], c'est-à-dire d'un acteur (Thespis), puis de deux (Eschyle), puis de trois (Sophocle), est comparée au développement de la philosophie de la seule physique à l'éthique (Socrate), puis à la dialectique (Platon), son couronnement.
3 Il faudrait par exemple reprendre dans cette perspective le texte d'Aristote sur le développement de la tragédie, du mouvement choral et orchestique des origines au dialogue et à la conversation presque naturelle en trimètres iambiques : Poétique, chapitre IV, 1449a9 – 49a28. De fait, l'acteur est celui qui répond (ὑποκρίνομαι).
4 Cf. l'étude à paraître de L. Brisson, « Les classifications des dialogues chez Diogène Laërce : enjeux interprétatifs », in A. Balansard et al. (éds.), Lire les dialogues, mais lesquels et dans quel ordre ? Définitions du corpus et interprétations de Platon, actes du colloque des 17-19 novembre 2010, Maison Méditerranéenne des Sciences de l'Homme, Aix-en-Provence.
5 Sur ces trois catégories comme outils de la critique antique, R. Nünlist, The Ancient Critic at work. Terms and Concepts of Literary Criticism in Greek Scholia, Cambridge, 2009, chapitre 3, Narrative and Speech.
6 Livio Rossetti considère que quelque trois cents textes relevant de la littérature socratique (ce qui ne veut pas exactement dire trois cents dialogues, nous y reviendrons) ont pu être composés entre 395 et 370 av. J.-C. Les principaux articles de ce spécialiste publiés entre 1998 et 2010 viennent d'être réunis en français dans Le Dialogue socratique, Paris, Les Belles Lettres, « Encre marine », 2011, mais l'essentiel des travaux qu'il consacre depuis quarante au sujet sont accessibles en ligne sur son site : http://www.rossettiweb.it/livio/index.php?content=Homepage.
7 L'enquête terminologique a été menée par J.-P. Aygon, « Le Dialogue comme genre dans la rhétorique antique », Pallas, 60, 2002, pp. 197-208, et confirmée par les propres travaux d'A. Ford, notamment « The beginnings of dialogue : Socratic discourses and fourth-century prose », in The End of Dialogue, S. Goldhill (éd.), Cambridge, 2008, pp. 29-44 et « Sokratikoi logoi in Aristotle and fourth-century theories of genre », Classical Philology, 105, 2010, [pp. 221 -235] p. 226.
8 Probablement un rhéteur de la fin du IIème s. ou du début du Ier siècle avant notre ère. L'édition de référence est celle de P. Chiron, Paris, Les Belles Lettres, 2002. Cet emploi du mot dialogos ne semble pas une innovation de Démétrios, mais nous n'en avons pas de trace avant son traité.
9 Voir les éléments fournis par G. Sifakis, « Looking for the actor's art in Aristotle », in P. Easterling et E. Hall (éds.), Greek and Roman Actors. Aspects of an Ancient Profession, Cambridge, 2002, pp. 148-164.
10 Sur tous ces aspects, voir en particulier E. Handley, « Acting, action and words in New Comedy », in P. Easterling et E. Hall (éds.), Greek and Roman Actors, pp. 165-188. Il reste qu'une étude des rapports entre l'asyndète et l'interlocution, de la possible fonction de marqueur des tours de paroles de l'asyndète, serait certainement fructueuse.
11 Voir son Platonic Drama, cité note 1.
12 Voir la synthèse de K. Morgan sur « Plato », dans I. de Jong, R. Nünlist et A. Bowie (éds.), Narrators, Narratees and Narratives in Ancient Greek Literature, Studies in Ancient Greek Narrative, 1, Leiden-Boston, Brill, 2004, pp. 357-376.
13 Mise au point et large bibliographie sur le sujet chez N. Charalabopoulos, Platonic Drama, pp. 129 sqq. : The pragmatics of publication.
14 Ce dialogue figure évidemment au dossier de N. Charalabopoulos, Platonic Drama, pp. 147-154, mais aussi de K. Morgan (voir n. 12), pp. 358 ; 360 ; 365 notamment.
15 Ou peut-être 369, suivant la campagne militaire qui sert de contexte à la rencontre, ce qui accentue encore la distance avec l'entretien rapporté : voir D. Nails, The People of Plato. A Prosopography of Plato and other Socratics, Indianapolis-Cambridge, 2002, pp. 320-321. Sur cette ouverture, voir aussi A. Balansard, Enquête sur la doxographie platonicienne dans la première partie du Théétète, Sankt Augustin, Academia Verlag, « International Plato Studies » 29, 2012, pp. 22-23, et l'introduction de M. Narcy à sa traduction du Théétète, Paris, GF-Flammarion, 1994, pp. 22-30.
16 Sur les ellipses spatiales dans le dialogue platonicien, voir dernièrement K. Morgan, « Plato », in I. de Jong (éd.), Space in Ancient Greek Literature, Studies in Ancient Greek Narrative, 3, Leiden-Boston, Brill, 2012, [pp. 415-437] p. 426.
17 Alors que la description du processus d'écriture met à grande distance l'entretien de Socrate avec Théodore et Théétète dans le temps comme dans l'espace, Terpsion en demande la « monstration » [ἐπιδεῖξαι, 143a] ou le « parcours » [διελθεῖν, 143a], deux modalités de l'évidence : la lecture assurée par l'esclave d'Euclide l'inscrit dans le hic et nunc du dialogue-cadre.
18 Dans sa traduction, Michel Narcy insiste sur le sens de « parler » plutôt que de « lire » pour cet impératif lege : « Le lecteur est invité à s'effacer, tout comme le narrateur, derrière les personnages, comme si c'étaient eux-mêmes qui parlaient par sa voix. » (note 19, p. 307). Le sens du verbe me semble être « lire à haute voix », comme l'attestent les fréquentes demandes de lecture de décrets et autres documents officiels en situation judiciaire. Il reste que, pour le lecteur, le rapport au texte est de même nature dans l'ensemble du dialogue : l'entretien-cadre comme l'entretien « lu » par l'esclave sont soumis à sa lecture de la même façon.
19 Euclide de Mégare, le fondateur de l'école des Mégariques, aurait lui-même écrit des dialogues socratiques : cf. la notice de Diogène Laërce, II, 106-108, qui donne six titres (voir les notes ad loc. de l'édition dirigée par M.-O. Goulet-Cazé, Paris, Le Livre de Poche, « La Pochothèque », 1999) et la bibliographie rassemblée par N. Charalabopoulos, Platonic Drama, p. 53. C'est donc une figure d'auteur socratique que Platon met en scène ici.
20 Sur cette « mort du narrateur », voir N. Charalabopoulos, Platonic Drama, p. 150.
21 Les deux modalités narrative et dramatique sont présentées comme simple différence formelle : sur le fond, l'entretien est un entretien rapporté ou enchâssé. K. Morgan le dit très bien : « The Theataetus insists both that the body of the dialogue is a narrative, and presents that narrative as a dramatic conversation » (art. cité n. 12, p. 358) ; elle considère que tout dialogue platonicien est par implication narratif (ibid.).
22 Sur l'autonomie apparente du dialogue enchâssé et son rapport au prologue, voir A. Balansard, Enquête sur la doxographie platonicienne, p. 33.
23 Sur cet auteur, voir l'édition de J.H. Hordern, Sophron's Mimes, Oxford, 2004. Sur cette première attestation de mimos au sens d'œuvre (et non pas, comme chez Démosthène, au sens d'acteurs) et sur ce passage d'Aristote lire D. Kutzko, « In pursuit of Sophron. Doric mime and Attic comedy in Herodas' Mimiambi », in K. Bosher (éd.), Theater Outside Athens. Drama in Greek Sicily and South Italy, Cambridge, 2012, [p. 367-390] pp. 369-373.
24 À la bibliographie d'A. Ford indiquée supra, n. 7, il faut ajouter ce premier article : « From “socratic logoi” to “dialogues” : Dialogue in fourth-century genre theory », Princeton/Stanford Working Papers in Classics : www.princeton.edu/~pswpc/pdfs/ford/090604.pdf (2006). Voir une récapitulation dans S. Dubel, « Définir le dialogue antique comme mimésis, entre forme théâtrale et conversation : des sokratikoi logoi (Aristote) au style du dialogue (Ps.-Démétrios) », dans F. Cooren, A. Létourneau et N. Bencherki (éds)., Representations in Dialogue, Dialogue in Representations, iada.online.series 1/11, p. 249-264 : http://iada-web.org/download/representationsindialogue.pdf (publié en ligne au 30 août 2012).
25 La particularité de cette dénomination minimaliste est peut-être soulignée dans l'expression « ce que l'on appelle mimes » dans la seconde citation d'Aristote, voir ci-après.
26 La singularité de Socrate est mise en scène, on le sait, par la comédie dès les années 420, au point que ses manières particulières ont donné naissance à un verbe, sokratein, « faire son Socrate » (voir D. Clay, « The origin of Socratic Dialogue. » in P. Vander Waerdt (éd.), The Socratic Movement, Ithaca, Cornell UP, 1994, pp. 23 – 47). Le « bavardage » est au nombre de ses caractéristiques (cf. Aristophane, Grenouilles, 1492 : λαλεῖν ; Eupolis, Les Flatteurs, 352K : πτωχὸν ἀδολέσχην, « mendiant bavard »).
27 Le texte est particulièrement difficile à établir et se voit traduit de manières assez différentes selon les éditeurs, d'Athénée comme d'Aristote, sans que cela remette en cause l'association des deux genres qui nous intéressent. L'expression finale de sokratikôn dialogôn doit être cependant certainement rapportée à Athénée et non à Aristote, qui a sans doute employé l'expression de sokratikon logon — un tel emploi de dialogos en ce sens serait, sinon, un hapax dans le corpus aristotélicien (voir A. Ford, « Sokratikoi logoi in Aristotle », pp. 225-226). Athénée en revanche emploie plusieurs fois le mot dans le contexte de cette citation, et il s'est évidemment imposé à son époque.
28 Contra, par exemple, la traduction proposée par l'éditeur d'Athénée, C. Burton Gulick : « Therefore we shall not deny that even the so-called Mimes of Sophron, which are not in verse, are conversations [ « which are not often artistic », note ad loc.], or that the dialogues of Alexamenus of Teos, which were the first Socratic conversations to be written, are imitations [i.e. œuvres de l'art] » (Loeb, 1933).
29 Voir en particulier, sur le sens de « mimétique » dans ce contexte, M.W., Haslam « Plato, Sophro and the Dramatic Dialogue », BICS, 19, 1972, [pp. 17-38] pp. 17-24. Pour Platon, lire R. Blondell, The Play of Character in Plato's Dialogues, Cambridge UP, 2002, pp. 14 – 37 : Plato the “Dramatist” (pp. 16 sqq. sur le sens de dramatique).
30 Cf. D. Kutzko, « In pursuit of Sophron ».
31 Eg. J. Gordon, Turning toward philosophy : Literary device and dramatic structure in Plato's Dialogues, Pennsylvania State UP, 1999, notamment les chapitres 4 (Syracusan Mimes and Sicilian Comedy) et 5 (Attic Mimes of Socrates).
32 R. Blondell, The Play of Character in Plato's Dialogues, pp. 37-52 (Why dialogue ?) et chapitre 2 (The Imitation of Character).
33 A. Ford, « Sokratikoi logoi in Aristotle and fourth-century theories of genre », p. 229 et 231.
34 C'est ce que Cicéron appelle more aristotelio — un dossier que Jean-Pierre De Giorgio devrait reprendre à frais nouveaux : voir « Defining dialogue in Ancient Rome. Cicero’s De oratore, drama and the notion of everyday conversation », in Language and Dialogue. Dialogue and Representation, F. Cooren et A. Léntourneau éds., John Benjamin Publishing Company, 2012, vol. 2, n° 1, p. 105-121 ; sur la figure de Socrate et ses transformations chez les Latins : J.-P. De Giorgio, « Le dialogue littéraire est-il soluble dans la prose ? Sermo, définition du dialogue et frontières de la prose à Rome (Cicéron, Horace) », in J.-Ph. Guez éd., à paraître.
35 Aélius Théon, Progumnasmata, 87. 20-21, sur l'exercice de réécriture d'un passage de Thucydide sur le mode dialogué [διαλογικῶς] : cf. S. Dubel, « De la lettre à la scène ? Le genre du dialogue dans le traité Du style de Démétrios », à paraître dans les actes de la VIIth Celtic Conference in Classics, 5-8 septembre 2012, université de Bordeaux III. Pour la circulation à Rome de cet adjectif, voir J.-P. De Giorgio, « Le dialogue littéraire est-il soluble dans la prose ? ».