Dialogue socratique et écritures de soi : autour de l’Éloge de la faiblesse (Alexandre Jollien)

Par Michel Briand
Publication en ligne le 27 mars 2014

Texte intégral

1On propose d’étudier ici un type particulier de dialogue, le dialogue socratique (comme paradigme du dialogue philosophique), tel qu’il est reconstruit dans un exemple contemporain particulier, l’Éloge de la faiblesse, d’Alexandre Jollien. Cette étude de cas permet de poser quelques questions sur les relations entre ce type de dialogue socratique (post-modernisé ?) et le mode spécifique des écritures de soi (antiques et contemporaines) à visée explicitement philosophique1 : le point commun principal peut en être la théâtralisation, en particulier la mise en intrigue dramatique d’une pensée volontairement conçue et présentée dans son développement dialectique et dialogal, de ce fait polyphonique et vivante, voire contradictoire et fragile2.

2Après quelques rappels et interrogations sur le lien entre dialogue et écritures de soi dans l’Antiquité, et une rapide présentation de l’auteur Alexandre Jollien, on étudiera le fonctionnement général de l’Éloge de la faiblesse, entre humour et autorité, polyphonie et réflexivité, ou argumentation et théâtralisation, avant de conclure, sur deux autres dramaturgies conjointes de la pensée philosophique et de soi, La construction de soi et Le philosophe nu. Dans tous ces cas, la mise en dialogue de l’écriture de soi semble être conçue comme un marqueur philosophique, doublé d’un opérateur d’autorité, parfois typique d’une littérature à la fois reconnue par un vaste public et toujours en tension sincère, entre maladresse assumée et sérieux fondamental. Il s’agit là d’un usage contemporain du dispositif dialogal qui repose sur une longue tradition, tout en la modifiant encore, foncièrement rhétorique et philosophique en même temps, et c’est cet usage contemporain qui nous intéresse ici, au-delà, ou en deçà, de tout jugement de valeur sur le contenu proprement dogmatique du texte en question. Une philosophie vive peut être celle qui se présente comme un dialogue, plutôt que comme l’exposé suivi d’un système : c’est du moins ce que revendique, ici et ailleurs, une certaine conception de l’ethos pratique.

Le genre du dialogue socratique et les écritures philosophiques de soi dans l’Antiquité

L’originalité du Socrate platonicien 

3En faisant du dialogue platonicien le prototype du dialogue philosophique, on risque d’oublier que ce genre est de fait assez original, par rapport à d’autres dialogues tout aussi philosophiques, mais autrement, qu’on pense, pour la seule Antiquité grecque et le sous-genre encore plus spécifique du « banquet », outre Platon, à Xénophon, Plutarque, Athénée ou Lucien3. Je renvoie ici surtout à l’étude de Livio Rossetti4, qui semble montrer combien ce qui est devenu un modèle dominant, le genre du dialogue dit platonicien, est en fait un cas particulier, à distinguer d’une part des dialogues composés et mis en scène par Xénophon (Apologie de Socrate, Banquet, mais surtout les Mémorables, où un enchaînement complexe de dialogues brefs construit une autre figure de Socrate, avec d’autres relations entre le maître et les disciples, ou entre le vieux sage et la pensée de l’auteur même du dialogue), d’autre part de tous les dialogues socratiques contemporains (certains polémiques et comiques, à l’image des Nuées d’Aristophane, d’autres concordant avec les origines mouvantes de plusieurs écoles socratiques ou post-socratiques, notamment le stoïcisme et le cynisme, dans le développement et la transmission desquelles certaines formes dialoguées ont aussi joué un rôle déterminant).

4Une caractéristique première est que, dans et par ces textes, Platon vise à décrire mais aussi à réaliser, pragmatiquement, ce qu’il désigne comme la philo-sophie, l’amour de la sagesse (et sa recherche), par opposition à la sagesse (sophia) de ceux qu’on désigne / stigmatise, depuis, comme sophistes (alors même que Socrate pouvait être ainsi désigné en son temps). C’est le mythe fondateur de la philosophie, tel que l’ont déconstruit par exemple Luc De Meyer ou Barbara Cassin5. Et une part importante de cette distinction fondatrice entre philo-sophie et sophistique repose sur la différence entre dialogue et monologue : d’un côté un discours, comme l’Hélène de Gorgias, où la langue serait d’abord une force de persuasion, voire de manipulation, quasi-magique, et empreinte d’apparat, et où les effets formels et ludiques dominent la pensée, au fond indifférente au plan éthique ; de l’autre, le dialogue socratique, comme processus progressif de construction dialectique, recherche rationnelle, et collective, de définitions aussi précises que possible et néanmoins toujours d’actualité.

5On sait que cette mise en scène du sophistique (et à plus forte raison de l’éristique) comme contre-modèle du philosophique, et « mauvais objet » (au sens d’origine psychanalytique), est constamment troublée par la pragmatique même du dialogue platonicien, qui, d’une part, contient des discours développés à l’organisation parfaitement rhétorique (y compris quand ils sont assumés par Socrate) et au contenu volontiers mythique ou utopique, en tout cas fictionnel (la caverne, l’Atlantide …), et, d’autre part, se fonde sur un dispositif éthique issu du dialogue comique, tel qu’il est attesté dans la plupart des épisodes à deux personnages des comédies d’Aristophane : je veux parler de la dialectique entre l’eirôn et l’alazôn, soit entre le (faux)-modeste, rusé, retenu, sage, et le (vrai)-fanfaron, vantard, excessif, intempérant6. L’ironie socratique fait de l’inventeur de la philosophie chez Platon un maître en idées mais aussi en postures et en actions, dont le triomphe se signale par le jeu des apories, qui réduit l’adversaire ou disciple au mutisme, et qu’à l’inverse, dans les Nuées d’Aristophane, c’est ce même Socrate qui se met en scène comme un sophiste boursouflé. En tout cas, le jeu des interactions verbales, en particulier des tours de paroles, des faces, des sous-entendus et des présupposés (et de leur explicitation), est essentiel au dialogue platonicien, qui, dans sa construction, a quelque chose à voir avec le théâtre comique, d’une manière qui se développe encore dans les dialogues de Xénophon, et bien sûr à l’extrême dans ceux de Lucien, notamment quand Socrate est remplacé par le cynique Ménippe, voire par un substitut direct de l’auteur lui-même7.

Le dialogue public avec soi, entre stoïcisme et (seconde) sophistique

6Si le dialogue philosophique peut être un moyen efficace d’argumenter, dialectiquement, en remplaçant le discours d’une pensée monologale par un spectacle multiple (ou plus exactement son script, écrit), cela peut provenir aussi du fait que même un discours monologal, surtout s’il tente de rendre compte d’une pensée complexe, est constitutivement empreint de variations, contradictions, polyphonies : et cela de la négation la plus simple aux systèmes concessifs et antithétiques les plus développés8. Au point que, dans une langue et une culture qui les conjuguent dans un terme unique, logos (à la fois discours et raison), la pensée peut se vivre et se représenter comme un dialogue de l’humain avec soi, un théâtre intérieur où plusieurs personnages remplissent diverses fonctions pragmatiques, en représentant chacun(e) une facette d’un moi d’autant plus diffracté qu’il est toujours en chemin. Ce point apparaît à la fois dans les conceptions platoniciennes des rapports entre langage (et parole dialoguée) et élaboration de la pensée, et surtout dans les pratiques stoïciennes telles que les exercices d’introspection quotidienne (qui préparent aussi bien les exercices spirituels d’un Ignace de Loyola, voire les rites de la confession chrétienne, et la cure psychanalytique en tant que dialogue de soi avec soi (et çà), par le biais de l’analyste9). Un texte auquel Alexandre Jollien se réfère souvent est ainsi l’ensemble des Pensées de Marc-Aurèle, désignées en grec comme les « pensées (adressées) à soi-même », ta eis heauton, parfois même traduit « pensées pour moi-même ». Le jeu des pronoms est ici crucial, comme, d’une autre manière, dans les Entretiens (diatribai) d’un autre stoïcien, Épictète, auquel Marc-Aurèle se réfère plusieurs fois : c’est là une version dialoguée de son Manuel, exprimant en termes plus vifs et suivant une pragmatique polyphonique un contenu similaire. La philosophie, sagesse plus que pensée systématique, peut gagner beaucoup à passer par la mise en scène fictionnelle de la pensée, sous forme de dialogue (ou encore de rapport épistolaire, comme chez Sénèque) : c’est une question de pragmatique et de persuasion, voire d’émotion, sinon de risque à prendre, plus que de sémantique et d’argumentation.

7Et ce type de « traité pour soi-même » se retrouve aussi, à peu près à la même époque, chez les représentants les plus caractéristiques de la seconde sophistique, réinventant encore, comme entre Platon et Gorgias ou Isocrate, l’amour-haine infini de la philosophie la plus austère (ici, le stoïcisme) et de la rhétorique épidictique, spectaculaire : on a cité tout à l’heure Lucien, mais on peut aussi évoquer Aelius Aristide, en particulier ses Discours sacrés, où le grand rhéteur dialogue avec lui-même, avec l’empereur, ses proches, d’autres lettrés, les médecins d’Asie Mineure, et surtout Esculape lui-même, qui lui apparaît régulièrement en rêve à la fois pour le soutenir dans son parcours violemment à la fois hypocondriaque et maladif et dans sa carrière politico-littéraire10. Dans ce qui est l’un des premiers journaux de malade connus, on voit aussi se déplacer, de manière dialogique, une relation particulière avec le divin comme avec le propre corps et l’esprit d’un auteur qui sacrifie avec constance au récit minutieux de ses rêves et à des exercices rudes (il est un grand spécialiste du bain glacé), alliant écriture, thérapie, expression et argumentation.

L’antique et le contemporain : un autre dialogue

8C’est là que se joue le rapport, toujours complexe et ambivalent, mais nécessaire, pensons-nous, entre l’antique et le contemporain, tel que l’évoque G. Agamben, en référence aussi avec l’inactualité intempestive de Nietzsche, aussi bien une autre forme d’actualité qui ne se définirait pas par l’adéquation au seul présent. Les analogies entre dialogue antique et contemporain sont clairement liées à la manière dont les modernes se représentent le dialogue socratique comme un travail sur soi, une quête vers le meilleur et la sagesse, ainsi que la mise en scène d’un processus de conversion à la fois critique et pratique. On a vu que cette représentation est une construction. Mais les différences sont également nettes : on peut ainsi le plus souvent distinguer un texte second, où l’écrit est une trace, le script fictionnalisé d’un dispositif d’abord oral et spectaculaire, sur la scène comique ou au moins dans l’imagination de l’auteur, comme les dialogues socratiques de Platon et Xénophon, et un texte premier, où l’écrit est un préalable littéraire, susceptible ensuite d’une mise en scène, comme justement l’Éloge de la faiblesse, en 2007 par Charles Tordjman au Théâtre de la Manufacture à Nancy. Alexandre Jollien a d’ailleurs pratiqué les deux, quand il a travaillé aussi au scénario de La Face Cachée, avec l’acteur et cinéaste Bernard Campan11.

9Cette distinction peut aider à séparer aussi des dialogues socratiques / platoniciens écrits par Platon, ou d’autres auteurs anciens, et des dialogues socratiques / platoniciens, écrits par un moderne s’inspirant de Platon ou d’une tradition d’abord antique, rétrospectivement reformulée et formalisée par les modernes. Ce qui, indirectement, renvoie à une problématique fondamentale dans le domaine des études théâtrales, à propos des phénomènes d’énonciation : la tension permanente entre textocentrisme et scénocentrisme, entre l’affirmation, vitaliste, selon laquelle « le dialogue en tant que texte est parole morte, non signifiante »12, et la tradition (néo)aristotélicienne, depuis une lecture restreinte de la Poétique, selon laquelle la lecture seule, même sans spectacle (opsis), peut provoquer la catharsis (dont on réévalue d’ailleurs aussi, désormais, le caractère physiologique, médical)13.

Autour d’Alexandre Jollien et de l’Éloge de la faiblesse

Un auteur vivant

10Alexandre Jollien est un auteur particulier, à plus d’un titre, qu’on se permet de qualifier ici de « vivant », pour deux raisons principales : son travail d’écriture est empreint d’une oralité proprement incarnée, que les diverses citations présentées plus bas, permettront sans doute de ressentir ; le sujet principal de ses écrits est la « vie humaine », comme parcours, quête et création de soi, et en particulier sa propre vie, dont le récit se veut d’abord celui d’un succès réel, et paradoxal, face à de réelles adversités14. Suite à son étranglement par le cordon ombilical à sa naissance, en 1975, A. Jollien est atteint d’une athétose dont les symptômes sévères handicapent lourdement sa parole et ses gestes (difficultés d’élocution, mouvements incontrôlés, irréguliers, hypermobilité), et, de ce fait, il a vécu jusqu’à vingt ans dans une instituion spécialisée. Il a pu marcher de façon auonome, mais fragile, à l’âge de huit ans. Mais c’est en lisant la notice qu’il a lui-même rédigée qu’on saisira et ressentira mieux le rapport crucial que cet auteur établit, comme d’autres mais d’une manière plus nécessairement incarnée, à la fois douloureusement et joyeusement, entre la vie et la pensée philosophique15 :

« En 1993, je m’inscris dans une école de commerce pour « assurer mes arrières » et apprendre un métier. Par hasard, j’entre dans une librairie pour accompagner une fille et tombe sur un ouvrage sur Platon qui invite à vivre meilleur plutôt qu’à vivre mieux. La révélation est inouïe. Je sors de la librairie, le livre sous le bras et bientôt un projet naît : étudier la philosophie. Je rentre donc au Lycée au Collège de la Planta à Sion en 1997 qui m’ouvre les portes de l’Université de Fribourg où j’obtiens une licence en lettres au printemps 2004. Mon mémoire porte sur la thérapie de l’âme dans la Consolation de la Philosophie de Boèce. Juste avant, j’étudie le grec ancien au Trinity College de Dublin de 2001 à 2002. Parti pour y parfaire mon anglais, j’y rencontre Corinne, elle aussi valaisanne, avec qui j’ai la joie de me marier et d’avoir deux enfants, Victorine, née le 30 octobre 2004 et Augustin qui voit le jour le 31 mars 2006. Aujourd’hui, j’essaie de vivre à fond les trois vocations que m’a données l’existence : père de famille, personne handicapée et écrivain. »

11L’Éloge de la faiblesse, publié en 1999, est vécu comme un « grand saut », dans l’écriture et le dialogue avec un public, et obtient à la fois le Prix Mottard de l’Académie Française et le Prix Montyon de litttérature et philosophie, pour « l’ouvrage littéraire le plus utile aux mœurs ». Cette réception très positive aboutira aussi, entre autres effets, à la mise en scène de Charles Tordjman, en 2007, au Théâtre de la Manufacture à Nancy, qui pose en particulier, de façon explicite, la question du rapport entre parole et espace dans la dramaturgie d’un dialogue d’abord intérieur et fictionnel.

L’Éloge de la faiblesse I : jeux de structures et paradoxes

12La structure générale du dialogue est complexe et dynamique. Sa visée illocutoire générale est présentée d’abord comme épidictique, celle de l’éloge paradoxal qu’implique le titre, mais il ne s’agit pas d’une parodie critique, comme dans les fameux Éloge de la mouche antique ou Éloge de la folie renaissant. Le paradoxe ici se veut plutôt plutôt positif, comme une sorte de défi cognitif et éthique, donc finalement philosophique, peu caché, et en fait ironiquement montré, de manière dès le départ socratique, sous un intitulé a priori rhétorique.

13Le montage du corps du texte, p. 19-95, est déséquilibré16 : six séquences brèves (thématisées : « à trop vouloir cabrioler, l’étrange créature que je suis, donner sons sens à la réalité, la justesse des voies de la tendresse, assumer notre condition, se nourrir de sa faiblesse ») dont la dernière est un retour explicatif au titre d’ensemble et une introduction, vers la moitié de l’ouvrage, à la 7e longue séquence, elle divisible en une dizaine de séquences et tours de parole non explicites, p. 43-95, jusqu’à la dernière formule paradoxale de Socrate et le silence final de son interlocuteur : « Prouve-moi, démontre-moi que je suis, en tout point, tout à fait normal ! [Silence d’Alexandre] » Cette aporie fin, qui accompagne l’identification réussie des deux protagonistes, n’est pas vraiment platonicienne, ni dans son style, à la fin d’un dialogue, ni pour les présupposés et implicites qu’elle laisse en suspens, comme si le dialogue s’adressait finalement, de manière explicite au lecteur, et que les deux acteurs du débat en tenaient compte, par rupture de l’illusion théâtrale plus que par simple phénomène de double énonciation. Socrate est définitivement instrumentalisé, pour une cause excellente, mais suivant un procédé par certains aspects plus proche de ce qu’on lit chez Lucien que chez Platon.

14Les thématiques traitées sont tressées, avec de multiples jeux d’écho et de retour ou de prolepse, d’ailleurs explicitement réfléchis et assumés par les deux interlocuteurs, aussi auto-ironiques l’un que l’autre, suivant une interlocution paritaire : le Centre d’accueil, l’extérieur, l’évolution individuelle, le corps et le mouvement, les relations amicales / affectives / sociales, le savoir et la philosophie … La progression générale est clairement dramatisée, presqu’en intrigue, jusqu’à l’inversion finale, p. 91-92, qui peut passer pour une sorte de dénouement, où Socrate, que « tout le monde (…) considère comme un marginal, un anormal » (p.95) découvre la difficulté de la distinction entre normalité et anormalité, ainsi que sa relativité, en écho développé à une première interrogation qui peut faire de ce sujet le thème principal du dialogue (p. 25 : « S. – Tu reviens sans cesse sur la notion de « norme », de « normalité. Pourrais-tu me définir scrupuleusement ce que signifie « normal » ? »). On cite ici, p. 92-93, le moment où Alexandre devient le maître, souple, de Socrate, du fait notamment de son expérience très particulière :

A. – Socrate, je crois être assez bien préparé pour satisfaire à ta demande. En effet, la distinction normal-anormal a conduit toute ma vie jusqu’à présent. On m’a expliqué, par exemple, qu’il existe deux effets de la normalité. La normalité peut constituer une stimulation pour la personne qui s’en sent exclue. Elle suscite en elle le désir de devenir toujours meilleure, de réduire de plus en plus l’écart qui la sépare des autres. La normalité peut aussi créer la marginalité, exclure … De nombreux éducateurs et psychologues ont disserté sur ce thème. S. – J’aurais grand plaisir à entendre ce qu’ils t’ont enseigné sur la normalité. Quels sont les critères qui permettent de séparer l’individu physiquement normal de l’individu physiquement anormal ? A. – L’anormal est par définition ce qui s’écarte de la norme. Beaucoup de caractéristiques (la taille, le poids,…) varient au sein d’une population. La majorité des personnes se situeront cependant dans la moyenne. Ainsi plus un individu s’écarte de la norme, moins il sera normal. Ta démarche, ton élocution, Socrate, se rapprochent plus de la norme que ma démarche, que ma manière de parler … Tu es donc normal, et moi pas. En médecine, on assimile l’homme normal à l’homme parfaitement sain. S. – Cela paraît limpide. Mais, sur le plan psychologique, où placerais-tu cette limite ?

15La seconde moitié du dialogue est marquée par deux moments de mutisme socratique, d’autant plus significatifs qu’ils apparaissent quand il est question nommément de philosophes comme, dans l’ordre, Nietzsche, Aristote, Freud ou Sartre, p. 46 (sur un épisode douloureux pour les jeunes handicapés sortis en ville, à qui on reproche d’être bruyants) et 72 (sur des conversations philosophiques avec un ami qui s’avèrera trop pensif et inactif, en fait schizophrène, incapable d’aider Alexandre concrètement, au moment où il risquait la noyade). Ces deux accès de mutisme socratique dramatisent encore mieux la fin générale et son aposiopèse non résolue.

p. 46-47. S. - La bonne conscience ne suffit pas. A. – C’est exactement ce que dit Nietszsche. [Mutisme absolu de Socrate] Le soir, je m’interrogeai au plus profond de mon être : « Suis-je moins libre que les autres ? Se trouvera-t-il toujours quelqu’un, qui, au-delà de sa peur, me rappellera, en toute bonne foi, que je suis handicapé ? » S. – La bonne conscience ne suffit donc vraiment pas et chacun peut l’observer. Les trois cent soixante et un juges qui m’ont condamné à mort n’ont finalement fait qu’exercer leur fonction, en bonne conscience.

p. 72-73. L’aventure de notre amitié continua de plus belle. Quel plaisir n’avons-nous pas éprouvé à disserter sur la métaphysique d’Aristote, la psychanalyse de Freud ou encore l’anthropologie sartrienne ! [Mutisme de Socrate] Un jour, Marc m’invita même à une baignade dans la rivière qui entoure le monastère. Tout en nous baignant, nous nous répandions dans de vastes débats philosophiques. Fatigué, préoccupé aussi, marc sortit de l’eau. Je m’apprêtais à faire de même, mais, glissant sur un rocher, je perdis pied (…) Marc m’a montré qu’une pensée – quelle qu’elle soit – représente un véritable danger si elle perd le contact avec la réalité.

16Cette composition générale, ainsi que la résolution du dialogue, s’apprécie naturellement à partir d’un paratexte important. A. Jollien propose au lecteur deux contrats initiaux complémentaires, une dédicace, p. 9, un avant-propos, p. 11-16, et un prologue, p. 17, où A. Jollien se présente comme en situation d’apprentissage permanent, posture ouverte autorisée aussi par une brève citation d’Aristote sur l’étonnement comme origine du questionnement philosophique, et remède à l’ignorance, mis en exergue de la seconde partie de l’avant-propos, cette fois, p. 15-16. L’avant-propos définit explicitement le texte qui suit comme un dialogue socratique, donc philosophique, mais la figure de Socrate est ici ambivalente, plus protectrice que chez Platon, et l’auteur moderne du dialogue ne se déprend pas d’une certaine ironie par rapport à lui-même : c’est ici que la philosophie apparaît plus comme un mode d’agir, de parler et de construire une pensée, en interlocution et collaboration, que l’exposition monologique d’un contenu mis en système et / ou rhétorisé. Ainsi p. 11 :

p. 11 (avant-propos) : « Aujourd’hui, je relis ce dialogue non sans émotions, car il a té le lieu d’une naissance. La philosophie, la littérature, je les considérais comme réservées à une élite, à mille lieux de mes préoccupations quotidiennes. Pourtant, un jour, accompagnant une amie dans une librairie, je suis tombé sur un petit ouvrage qui s’intitulait Philo de base. Commentant Socrate, l’auteur disait : « Chercher à vivre meilleur, tout est là. » Jusqu’alors, j’avais tout fait pour m’efforcer de vivre mieux, c’est-à-dire améliorer mon sort et me développer physiquement. Et parmi les livres s’établissait tout à coup une conversion, un but était né. Vivre meilleur, prendre soin d emon âme, progresser intérieurement. Le dialogue qui va suivre n’est pas sans quelques naïvetés, une innocence. La figure de Socrate apparaît comme paternelle, pleine de compassion. Il écoute plus qu’il ne travaille à être véritablement Socrate. Pourtant son aiguillon a opéré et opère toujours en moi. »

17On notera aussi comment l’oralité est thématisée, nécessité matérielle devenue force paradoxale, comme, tout au long du dialogue, la faiblesse anormale dont il est question p. 15 :

p. 15 : « Je ne peux pas écrire à la main. J’ai donc dicté ce texte à un ordinateur qui a transcrit ma parole, d’où un style parfois proche de la langue parlée. Quant au choix de la discussion socratique, il reflète fidèleemnt la manière dont j’ai connu la philosophie. En effet, pour parer aux difficultés quotidiennes, je lisais le sphilosophes, qui devenaient pour moi des interlocuteurs privilégiés. Parmi eux, Socrate joua un rôle décisif. »

18Le prologue, plus concentré et vif, relève déjà du théâtre : l’adresse au lecteur est explicite, et présente le texte qui suit comme en demande d’interprétation. Il en fait aussi une œuvre proprement utopique, à l’instar du dialogue de Lucien avec Homère, sur l’île des Bieheureux, dans les Histoires Véritables17. Par ce déplacement fictionnel, doublé d’un décentrement, l’auteur, qui met ainsi en scène sa pensée, et le lecteur communiquent par le questionnement rigoureux, efficace mais humain, plutôt que par l’administration de réponses exposées sans trouble ni effets de style ou de parole :

p. 17 : « Où se déroule cet étrange entretien ? Libre à vous de choisir ! Peut-être était-ce en Grèce, sur l’agora, parmi la foule innombrable des passants anonymes : l’un se rendait au marché, l’autre visitait un vieil ami, celui-ci revenait de chez le médecin, celui-là y allait ? Ou, plus modestement, était-ce dans ce petit dortoir faiblement éclairé où, au plus secret de la nuit, je veillais avec mes camarades d’infortune ? Quand ? Nul ne le sait. Pourquoi ? Cherchez bien, vous trouverez. Tout a un sens. Les entretiens avec Socrate furent fréquents et durèrent fort longtemps. Je ne rapporte ici que l’essentiel de notre propos, épargnant ainsi au lecteur les longues heures de discussion durant lesquelles Socrate a désarçonné son interlocuteur, démasqué ses préjugés les plus grossiers et l’a obligé à définir chacun des maîtres mots utilisés. »

19Un dernier effet d’encadrement, assez vertigineux, s’affirme enfin avec la préface de Michel Onfray, pour qui le texte d’A. Jollien relève d’une philosophie authentique, en particulier grâce au dispositif (plus qu’à la forme) du dialogue, aux implications profondément et anciennement humanistes, p. 6 et 7. Le dialogue socratique est ainsi bien vu comme un genre théâtral, en mouvement, orienté vers une fin, de préférence dramatique ou étonnante, en même temps que, par métonymie, la représentation de ce qu’il y a de mieux en l’homme, l’amitié, et le dialogue :

p. 6 : « Parce qu’il nous contraint à « regarder autrement », ce livre est authentiquement philosophique. La présence de Socrate dialoguant avec l’auteur n’est que le signe extérieur de la vigueur philosophique qui anime ces pages. L’entretien est socratique non seulement parce que le protophilosophe y joue le rôle de celui qui interroge en avouant son ignorance ou parce que la discussion révèle et manifeste le problème que l’homme est pour lui-même, mais encore et surtout parce que le dialogue aboutit, comme certains écrits platoniciens, à un renversement radical des valeurs : Socrate qui interroge est lui-même questionné, contraint à poser le problème embarassant de sa propre normalité. »

p. 7 : « Le livre d’Alexandre Jollien m’est infiniment précieux parce qu’il apporte un témoignage vivant, sincère et authentique de cette conviction ancienne (puisque aristotélicienne) mais toujours menacée que l’homme est capable d’être, que l’homme est l’ami de l’homme. »

L’Éloge de la faiblesse II : Socrate et le théâtre de la pensée

20Le rôle de Socrate, en tant que personnage dramatique, tout au long de l’Éloge de la faiblesse, est déterminant. Très globalement, il est plutôt gricéen, sans doute sans le savoir, et permet au dialogue d’être efficace et constructif, fondé sur un contrat clair, positif. En plus de la maxime générale de coopération, il rappelle régulièrement, comme son interlocuteur, les maximes de quantité, qualité, pertinence ou manière, propices au développement d’une interaction verbale longue, sereine et cependant fluide, y compris grâce à quelques tensions passagères, source d’humour et donc d’une cohésion supplémentaire. Socrate intervient moins longuement qu’Alexandre, parce qu’il s’occupe de l’organisation macro-structurale du dialogue, en assurant constamment son évolution logique, sa rigueur éthique et cognitive, à l’aide notamment de questions, critiques, reformulations et demandes de reformulations, explicitations, assertions réfléxives voire métadiscursive. On pourrait donner en exemple forts les p. 22-23, 25, 37, 86-87, et, ici, le passage suivant de la p. 20 peut suffire :

p. 20 : A. - J’ai donc vingt-trois ans et j’ai commencé des études de philosophie … S. – Procède par étapes ! Raconte-moi tout. Va aux faits, sans digressions. S’il est nécessaire, je te poserai moi-même les questions utiles. D’abord, parle-moi de ton enfance.

21La figure de Socrate est ainsi comme une sorte de sur-moi (ou méta-moi, en termes moins simplement psychanalytiques) d’Alexandre Jollien, qui, par ce dialogue, construit ce qu’on appelle, depuis au moins les analyses de P. Ricœur, une identité narrative, contrôlée et mise en scène par l’entretien oral et sa représentation. D’où d’ailleurs le rôle important attribué aux dialogues intégrés (voir p. 46, citée plus haut, ou encore p. 72, où Alexandre évoque ses discussions avec un ami de jeunesse, ou ailleurs avec des éducateurs, médecins ou comagnons du Centre) et surtout aux réflexions internes sur le dialogue. La coïncidence entre ces deux exemples et les moments de mutisme socratique est sans doute aussi significative : Socrate craint le dialogue non socratique, tel qu’il s’établit entre Alexandre et d’autres philosophes ou des interlocuteurs réellement vivants, proches ou professionnels. Ainsi p. 32, le dialogue avec les parents et les éducateurs, souvent difficile, est comme une amorce empirique et tendue, imparfaite ou trop rusée, du dialogue philosophique idéal, proprement fondé sur l’empathie :

p. 32 : A. - (…) Puisqu’il régnait un climat d’oppression, nos parents constituaient notre seul recours. Il fallait dès lors leur dresser le tableau des faits, les pousser à réagir. Mais comment pouvaient-ils intervenir ? Ils ne connaissaient jamais véritablement notre situation. Informés par les éducateurs, nos parents ne disposaient cependant que de leurs témoignages. Il arrivait que l’on nous traitât parfois de menteurs quand notre vision des faits différait de la version officielle. S. - Le dialogue, l’argumentation, qui prenaient alors une importance vitale pour vous, ainsi que toutes ces difficultés, n’éveillèrent-ils pas en vous un sens aigu du dialogue, de la justification ? A. - Oui, mais à quel prix ? S. - Certes, mais un atout qui pouvait aussi occasionner un danger redoutable ! S. - La sophistique ? A. - Plutôt la ruse et le mensonge ! Je pense à un exemple précis.

22De même p. 59, à partir de l’image pascalienne de l’homme « ni ange ni bête », et dans le cadre d’une quête austère du dépassement de soi, encore une fois opposée à la cure psychanalytique, avec laquelle ce dialogue partage cependant quelques traits significatifs, pensons-nous :

p. 59 : A. (…) Viser l’harmonie entre ces deux dimensions, savoir la gérer, là réside précisément le difficile apprentissage du métier d’homme ; il faut toujours se dépasser, sans cesse aller au-delà de soi-même, s’engendrer, parfaire ce qui est déjà réalisé en soi. Cette intuition revêtit très tôt une importance radicale. Le bonheur, s’il existe, s’oppose ainsi diamétralement à un confort quiet, tranquille, tiède. Il réclame une activité intense, une lutte sempiternelle ; il s’apparente à une plénitude désintéressée acquise dans un combat permanent … S. - Voilà précisément la tâche du philosophe … A. Souvent, on s’interroge sur la définition de la sagesse. Il faut être prudent, surtout ne pas tomber dans le cliché. J’ignore à peu près tout de ce concept de sagesse. J’avancerais toutefois que pour moi, être sage exige de connaître, de « faire avec » ses possibilités et ses faiblesses, de gérer sa réalité. Pour y parvenir, il faut un long apprentissage. Comme disaient les stoïciens, la sagesse réclame une constance dans l’engagement et ne s’acquiert que rarement. Accepter, cela nécessite un travail sur soi rigoureux qui, à mon avis, dépasse de beaucoup l’introspection psychanalytique. De nombreux patients analysés avouent se trouver dans un mal-être, dans une perplexité totale après leur cure. S. Ne nous égarons pas. Quels objectifs tes éducateurs poursuivaient-ils ?

23L’Éloge de la faiblesse conjugue ainsi théâtralité et métathéâtralité, dialogisme et méta-dialogisme, ce qui prédispose ce texte à une théâtralisation des plus réflexives et explicites. Précisément, en 2007, le metteur en scène Charles Tordjmann, qui s’est souvent consacré à la mise en théâtre de textes littéraires variés, de François Bon, Bernard Noël ou Marcel Proust, par exemple, tente d’inverser, par le théâtre, la logique paradoxale d’un texte qu’il ressent comme vivement incarné et fort. En gagnant voix, gestes et espaces scéniques, le texte sera mis en valeur mais non dénaturé ; le corps (avec sa parole, ses émotions et sa pensée) y est déjà présent, en demande d’expression spectaculaire, et le metteur en scène en serait simplement le médiateur :

Charles Tordjman, Magazine Théâtre, juillet 2005 : « Lancer des mots justes contre des choses fausses (François Bon), voilà le pari de l'Éloge de la faiblesse. Ce pari me plaît et me va droit au corps et au coeur. D'abord au corps parce qu'Alexandre Jollien nous dit que le corps pense et le conduit à se tenir debout. Ce n'est pas qu'une simple question de volonté qui lui fait dire cela, c'est une immense adhésion à la vie, c'est une formidable coïncidence entre l'être intime et l'être public, et ce farouche désir que cette coïncidence soit l'énergie même de la pensée du corps. Ce qui me touche et m'émeut dans le texte de Jollien, c'est que l'écrivain écrit ici avec sa chair et que sa chair prend l'allure de l'âme.
Ce n'est pas une leçon de vie, c'est un exercice de vie. Que fera le théâtre avec cette chair ? Il ira vers la jouissance de la parole. Il essaiera de dire la joie de la pensée et son triomphe.
Dans le décor, une grande fenêtre donnant sur une montagne blanche.
De cette éloge de la faiblesse, il se pourrait bien que le théâtre en retourne l'étoffe, à l’instar de son auteur, pour tisser l'éloge de la force. »

24Il y a là une tonalité (néo)platonicienne de fait assez idéaliste, d’autant plus qu’elle s’accompagne d’une conception plutôt (néo)aristotélicienne de la représentation théâtrale comme mimêsis d’abord textuelle. Et le scénographe Vincent Tordjmann, membre de la compagnie Fabbrica, qui est aussi une famille, évoque d’ailleurs à ce propos l’allégorie platonicienne de la caverne. L’espace scénique, architecturé mais stylisé, voire abstrait, serait là d’abord pour aider la pensée et l’imaginaire à se déployer et à s’exprimer, ou mieux encore pour mettre en place les conditions favorables à des échanges (à effets symboliques, semble-t-il) entre le texte dialogué et l’espace où il prend forme et vie :

Notes de scénographie de Vincent Tordjman.
Les Cahiers du Poche n° 3. Extrait. « La caverne du mythe platonicien : sur les parois indécises, mur, plafond et sol, l'homme enfermé ne perçoit des choses du monde du dehors que des ombres projetées et des voix distantes, et jamais les choses en elles-mêmes. Pourquoi ne pas tenter de donner une existence de théâtre à ce décor mythologique ? Il ne s'agit évidemment pas de reconstitution géologique figurative, mais de mettre à notre service les matériaux, la lumière et l'espace pour réaliser un espace physiquement fermé, qui puisse pourtant ouvrir à l'écoute et à la pensée. Le lieu évoque le plafond lisse d'une petite chambre d'hôpital. Ou le fantasme d'une architecture organique normalisée. À moins que ce ne soit les parois du théâtre qui, ployées sur elles-mêmes et renflées comme une peau, offrent à la voix et au corps de l'acteur en recherche, un sombre abri concave fendu par la lumière du dehors ou ébloui par l'intrusion de visions soudaines. Dans le texte d'Alexandre Jollien, il n'y a vraisemblablement aucun espace à représenter de façon trop indicative. Plutôt créer le contexte favorable à l'écoute et à l'éclosion d'images mentales. En particulier, il nous semble que la question de la représentation du handicap doit être évacuée au profit d'un travail plutôt abstrait sur la juste proportion de l'espace et les justes possibilités offertes à la lumière qui, entre autres moyens scéniques, appuie le jeu et permet d'évoquer la difficulté du processus de réminiscence du narrateur.
La finalité n'est pas tant de produire des images, que des rapports de résonance entre le texte et l'espace construit. »

25La théâtralisation du dialogue vise ainsi à dévoiler et architecturer ce qui est en germe dans le texte, en particulier dans ses didascalies externes et internes. On est loin du théâtre post-dramatique ou des « écrivains de plateau » pour lesquels, tels Romeo Castellucci, il n’y pas de texte premier qu’on mette en scène, et encore moins une intrigue dialoguée. Il s’agit ici d’abord d’« ouvrir à l’écoute et à la pensée », et d’aider à la meilleure réception du texte, précisément du dialogue qui s’y construit. La mise en scène n’est alors pas très éloignée d’une mise en espace, avec gestes, effets de voix et déplacements directement induits du texte lui-même, de ce que l’auteur en propose comme de ce qu’on en imagine. On peut alors évoquer la théâtralité du dialogue, en devenir, dans le texte, en acte, sur la scène, à condition d’avoir une conception du théâtre où la primauté absolue va au texte et à son énonciation. Ces questions rappellent celles que pose aussi la mise en ondes radiophoniques, le genre particulier du Hörspiel, où le texte est amplifié, renforcé, vivifié, par le bruitage, l’intonation des acteurs ou l’accompagnement musical, mais demeure le centre du projet artistique présenté au public. Comme une sorte de lecture sensorialisée qui explicite et réalise les implicites imaginaires de l’écrit.

Autres scénographies jolliennes de soi 

26En guise d’épilogue, on évoquera deux autres textes d’Alexandre Jollien, respectivement publiés en 2006 et en 2010, fondés sur d’autres dispositifs de mise en scène de soi et d’autres modalités figuratives de la pensée philosophique. Les correspondances et différences avec l’Éloge de la faiblesse aideront à mieux apprécier ce qu’apporte le dialogue, puisque ni La construction de soi ni Le philosophe nu ne sont assignables à ce genre particulier, tout en conservant quelques traits diffus18.

27La construction de soi se présente comme un recueil de quatorze lettres adressées par l’auteur à Dame Philosophie, désignée comme une « amie »pour sept d’entre elles, dont la première et la dernière, en alternance avec six autres épîtres adressées, dans l’ordre, à Boèce, Épicure, Schopenhauer, Érasme, Spinoza et Hillesum, désignés par leur patronyme entier, avec les prénoms, ainsi qu’une à la Mort, en neuvième place. L’avant-propos, bref cette fois, p. 11-13, fait du recueil « l’ébauche (d’une) correspondance » en même temps qu’un « dialogue intérieur » où le lecteur est invité à circuler, guidé par les sous-titres qui structurent chaque lettre. Le ton se veut plus apaisé, revendiquant « un art de la joie » esquissé à partir de « la tradition philosophique ». La fiction épistolaire fait de chaque séquence une sorte de dialogue, certes avec un destinataire qui demeure silencieux, mais suivant une riche polyphonie interne, plus propre à mimer un dialogue intérieur entre divers « soi » qui cherchent à s’harmoniser sans se figer. L’ensemble devient un éloge sérieux, et non plus paradoxal, de la réflexion philosophique, qui aide à vivre et fait avancer, comme l’indique notamment la première lettre. Et comme dans l’Éloge de la faiblesse, la réminiscence et le récit argumenté (voire la description) sont les modalités premières de la construction de soi éponyme, sous-titrée Un usage de la philosophie :

p. 16 (À Dame Philosophie) : Après avoir beaucoup hésité, j’ai osé cette correspondance qui m’aidera, je l’espère, à mieux mesurer la place que tu tiens dans ma vie. J’ai à cœur de te proposer le fruit de ma démarche. Ne t’attache pas aux détails ! Oublie les lacunes et les excès ! Et considère avec indulgence mes nombreux emprunts. Tu le sais, je voue trop de respect aux tiens pour voler leurs dires, et lorsque je lis des propos bien ciselés, jamais je ne boude le plaisir de citer mes découvertes. Enfin, d’emblée, je t’avertis : tu ne trouveras pas ici une tentative d’opposer les philsoophes, ni de les contredire. Toute volonté critique m’est étrangère. Simplement, j’ai essayé de faire un usage, positif, des outils spirituels que tes disciples apportent en laissant de côté les conflits d’écoles. Je pense que les lettres qui suivent te montreront que, malgré mon silence, j’ai toujours cherché à te demeurer fidèle. Exercice de gratitude. C’est à Marc Aurèle que j’emprunte cette idée : l’empereur commence ses entretiens avec lui-même en considérant ce qu’il doit aux autres. De sa mère, écrit-il , il a préservé la piété, la propension à donner libéralement. Diognète, qui l’initia à la peinture, l’a encouragé à ne pas se perdre dans les futilités. Grâce à Apollonius, il cultive l’indépendance à l’endroit des choses qu’accorde puis reprend la Fortune … Cette façon de revisiter les événements, les souvenirs, les visages qui dessinent les étapes de notre histoire me réjouit.

28En fait, il y a aussi un dialogue, mais inaccessible directement au lecteur, entre A. Jollien et les philosophes : ces lettres sont plutôt à lire comme des réponses aux textes des penseurs devenus compagnons de vie, auxquels le lecteur, fatalement extérieur à cette relation, est appelé à se référer, si la réaction de l’auteur l’y attire. Il y a donc aussi adresse au lecteur, de façon implicite, comme dans une fiction romanesque ou théâtrale traditionnelle, voire une volonté simplement pédagogique qu’attestent, p. 181-185, les Notices sur mes correspondants. À part peut-être pour l’avant propos et ces dernières notices explicatives, une reformulation dramatique, ou au moins une mise en espace, ne serait pas dénuée d’intérêt, du fait que la première personne du locuteur est très présente dans le texte, avec de multiples variantes ainsi qu’une évolution générale perceptible de Boèce, lettre 2, p. 23 sqq., à Hillesum, lettre 13, p. 165 :

p. 17 : La lecture et la méditation des Anciens m’ont également construit. J’ouvre un livre et voilà qu’un auteur me parle, me délivre aussitôt son enseignement. Ces indéfectibles compagnons m’ont prêté main-forte dans les moments délicats. Aujourd’hui, je me suis choisi de nouveaux complices pour bâtir dans la joie.

29Le philosophe nu repose sur un dispositif encore différent, relevant plus simplement d’un genre général de l’essai philosophique (ou « spirituel ») à la première personne. Il n’y a plus d’avant-propos, seulement une page assez riche de dédicaces personnelles, mais une série de 100 chapitres brefs, d’une demi à quatre pages environ. Il n’y a pas non plus d’adresse au lecteur et la composition de détail est plutôt celle d’un monologue, certes polyphonique, diffracté en une centaine d’éclats partiellement indépendants, mais constamment cohésif et fluide. Le discours est affirmé, et joyeux en effet, comme proclamé plusieurs fois, plus distancié aussi que dans l’Éloge de la faiblesse. Les chapitres sont majoritairement centrés sur des anecdotes d’ordre vairé, qui comprennent souvent des dialogues rapportés. A. Jollien s’est ainsi éloigné du dialogue socratique d’inspiration platonicienne, pour passer au recueil épistolaire fictif, puis, ici, à la collection argumentée d’apologues, en partie proches de paraboles chrétiennes, ou, de façon plus assumée, d’inspiration zen ou plus largement bouddhiste. Les effets stylistiques et pragmatiques qui caractérisent ce dernier ouvrage sont très différents de ce qui organisait et dynamisait le dialogue entre Alexandre et Socrate du premier texte : il est ainsi d’une certaine manière plus question désormais de sagesse que de philosophie au sens le plus abstrait et rationnel du terme. Ce qui d’ailleurs implique une fidélité logique et sincère à certaines sources antiques, surtout platoniciennes, épicuriennes et stoïciennes, ainsi qu’à l’idée que la philosophie la plus intéressante est celle qui fait sourire, donne du courage et accompagne sur le chemin de la vie. La stature revendiquée de l’auteur a changé : nul besoin désormais d’un Socrate protecteur, c’est Alexandre Jollien lui-même qui aide son lecteur. Et ce dernier texte n’a pas de théâtralité particulière, ni manifeste, ni implicte : en faire une mise en scène paraît beaucoup plus difficile, même si l’on n’osera pas juger cela impossible a priori.

30On donnera comme exemples finaux deux passages dialogués significatifs. Le premier de facture orientale, au style net, presqu’aussi réticent que du « gourou » évoqué, même s’il propose finalement une brève interprétation de l’anecdote évoquée :

p. 140 (par. 63) : À ce propos, j’ai récemment entendu cette petite histoire. Deux disciples interrogent tour à tour leur maître. Le premier lui demande : « Quand serai-je libéré ? » Le gourou, pointant de son doigt un figuier, dit : « Tu vois le nombre de feuilles sur cet arbre ? Il te faudra autant d’années pour te libérer ! « dépité, l’adepte part, l’âme en peine. Vient le deuxième garçon qui s’enquiert : « Serai un jour libre ? » Et le saint homme de répondre : « Oui ! » De belle humeur, l’élève s’éloigne, d’un pas gai et déterminé. Ultimement, le temps que cela prendra compte peu ; la libération est possible, donc patience et détermination.

31Le second, plus développé et personnel, plus drôle et touchant, parce que plus romanesque, pour certains lecteurs dont je suis, du moins. Et donc peut-être plus facile à rendre scéniquement. C’est encore la question du « normal » qui trouble le Moi ici exprimé, face à un vieillard plutôt cynique, et donc proche d’une généalogie socratique qui pourrait, cette fois, rapprocher l’Alexandre moderne d’un Lucien antique qui serait encore vivant. D’autant plus que l’auteur ici se met en scène lui-même (et non un disciple anonyme issu d’une culture lointaine, comme dans l’exemple précédent) et qu’il assume son désarroi.

p. 163 (par. 75) : Je me décide à sonner et pénètre dans la chambre de Georges. Sans préambule, nous entrons dans le vif du sujet. Lui : Pour dix millions, je ne changerais pas ma vie, pour un empire non plus. Et allez vous faire pendre ! J’ai quatre-vingt-treize ans et je ne voudrais pas avoir deux mois de moins. Moi : Mais si vous pouviez redevenir un beau jeune homme ? Lui : La beauté ? C’est des conneries pour les marchands de chaussures. Moi : Des conneries pour marchands de godasses, vraiment ? Même pour un garçon qui vit continuellement avec une infirmière qui déclenche les rires en masse ? Lui : Alors là, il ne faut pas tout confondre, et sérier les problèmes ! D’accord, il est naturel de souhaiter échapper aux épreuves. Mais de là à vouloir devenir un bellâtre ! Moi : Vous … vous … vous en moquez du regard d’autrui ? Lui : Totalement. Moi : Vous vous en foutez aussi du jugement de vos lecteurs ? Lui : S’ils n’apprécient pas mes écrits, tant pis, personne ne peut plaire à tout le monde ; certains adorent le vin, d’autres le détestent, c’est tout ! Moi : Eh bien moi, j’aimerais quand même être plus gracieux et un chouïa plus normal, si possible. Lui : Oui, il y a des désirs mal placés ! Le vieil homme se lève et prend son déambulateur. Précautionneusement, je le conduis au lit.

Notes

1  Pour une histoire développée des écritures de soi, philosophiques et rhétoriques, dans l’Antiquité, voir surtout Georg MISCH, Geschichte der Autobiographie, I Das Altertum, Frankfurt, 1949-1950, ainsi que Marie-Françoise BASLEZ, Philippe HOFFMANN & Laurent PERNOT (éds.), L'invention de l'autobiographie : d'Hésiode à Augustin, PENS, 1993. Vincent COLONNA, Autofiction et autres mythomanies littéraires, Tristram, 2004, fait de Lucien de Samosate l’inventeur ou le prototype de la plupart des genres autofictifs qu’il définit (fantastique, spéculaire, biographique, intrusive), alors que Philippe LEJEUNE, Signes de vie. Le pacte autobiographique 2, Seuil, 2005, considère que l’écriture de soi n’est guère attestée, en termes modernes, avant Rousseau, pour simplifier.

2  Dans cet article, je me permets de renvoyer plusieurs fois à des études antérieures où l’on trouvera des références bibliographiques et critiques plus complètes ainsi que des analyses plus spécialisées. Ainsi sur les écritures rhétoriques de soi, avec des enjeux également éthiques, politiques et religieux profonds : Michel BRIAND, « Construction, présentation, et mise en jeu de soi, dans la Seconde Sophistique : les débuts des Discours Sacrés d'Aelius Aristide », Lalies 28, 2008, PENS-Ulm, p. 241-252.

3  Cf. par exemple Luciana ROMERI, Philosophes entre mots et mets. Plutarque, Lucien et Athénée autour de la table de Platon, Coll. Horos, Jérôme Million, Grenoble, 2002.

4  Livio ROSSETTI, Le dialogue socratique, Les Belles Lettres, « encre marine », 2011. Voir aussi Victor GOLDSCHMITT, Les dialogues de Platon. Structure et méthode dialectique, Vrin, 1947 ; Christopher GILL, « Dialogue Form and Philosophical Content in Plato’s Philebus », in John M. DILLON & Luc BRISSON (eds.), Plato’s Philebus : Selected Papers from the Eighth Symposium Platonicum, Academia verlag, Sankt-Augustin, 2010, p. 47-55 ; et Luc BRISSON et Francesco FRONTEROTTA (dir.), Lire Platon, PUF, 2006, en particulier Louis-André DORION, « La figure paradoxale de Socrate dans les dialogues de Platon », p. 23-40, Christopher GILL, « Le dialogue platonicien », p. 53-76, Jean-François PRADEAU, « Le bon usage du discours faux : les mythes », p. 77-82, et Létitia MOUZE, « Éduquer l’humain en l’homme : l’œuvre esthétique et politique du philosophe », p. 201-208.

5  Luc DE MEYER, Vers l’invention de la rhétorique. Une perspective ethno-logique sur la communication en Grèce ancienne, Peeters, 1997, et Barbara CASSIN, L’effet sophistique, Gallimard, 1995.

6  Sur le couple ironique / bouffon, outre l’étude citée dans la note suivante, voir voir Michel BRIAND, « Réticences et bouffonneries dans le Roman de Leucippé et Clitophon d’Achille Tatius : la mise en récit romanesque d’une question rhétorique ancienne », in Liliane LOUVEL & Catherine RANNOUX (eds.) La Réticence, PU de Rennes, La Licorne, 2004, p. 77-99, ainsi que Geneviève HUSSON, « Lucien philosophe du rire ou "Pour ce que rire est le propre de l'homme" », p. 177-184, et Monique TRÉSÉ, « Comique et mimesis dans l'oeuvre de Lucien de Samosate », pp. 185-189, in Alain BILLAULT, Lucien de Samosate, De Boccard, Lyon, 1994.

7  Michel BRIAND, « Les Dialogues des morts de Lucien, entre dialectique et satire : une hybridité générique fondatrice », in A. EISSEN (dir.), Dialogue des morts, numéro spécial de la revue Otrante, Art et littérature fantastiques, Éd. Kimé, Paris, 2007, p. 61-72.

8  Cf. Catherine KERBRAT-ORECCHIONI, Les interactions verbales, t. 1, 2, 3, Armand Colin,1990, et Les actes de langage dans le discours : théories et fonctionnement, Armand Colin, 2008, ainsi que Jean MOESCHLER & Anne REBOUL, Dictionnaire encyclopédique de pragmatique, Seuil, 1994, en particulier p. 201-224 « Lois de discours, maximes de conversation et postulats de conversation », et Oswald DUCROT & Jean-Marie SCHAEFFER (dir.), Nouveau dictionnaire des sciences du langage, Seuil, 1995, en particulier p. 134-139 « Analyse de conversation », et p. 612-621 « Énonciation théâtrale ».

9  Suivant deux perspectives très différentes, voir d’une part les travaux de Pierre HADOT, depuis Exercices spirituels et philosophie antique, Albin Michel, 2002, à l’Éloge de Socrate, Allia, 1999, et N’oublie pas de vivre. Goethe et la tradition des exercices spirituels ; et d’autre part Michel FOUCAULT, en particulier les trois volumes de son Histoire de la sexualité publiée chez Gallimard (La volonté de savoir, 1976 ; L’usage des plaisirs, 1984 ; Le souci de soi, 1984), ainsi que, par exemple, « L’écriture de soi », Corps écrit n° 5 « L’autoportrait », février 1983, p. 3-23, repris dans Dits et Écrits IV, texte n° 329, 1994. Voir aussi Christopher GILL, « Le moi et la thérapie dans la pensée hellénistique et romaine », in Gwenaëlle AUBERY et Frédérique ILDEFONSE (éds.), Le moi et l’intériorité, Vrin, 2008, p. 83-105.

10  Voir l’article cité en note 2.

11  Le film est sorti en 2007, avec comme acteurs principaux Bernard Campan, Karin Viard et Jean-Luc Anglade.

12  Anne UEBERSFELD, Lire le théâtre, Éditions sociales, 1977, Voir aussi, pour une position radicale, Florence DUPONT, Aristote ou le vampire du théâtre occidental.

13  Cf. William MARX, « La véritable catharsis aristotélicienne. Pour une lecture philologique et physiologique de la Poétique », Poétique 166, 2011, p. 131-154.

14  Cf. sa notice Wikipedia, ainsi que son site personnel (http://www.alexandre-jollien.ch/), où il se définit d’abord comme « écrivain et philosophe », double caractérisation à mon sens typique aussi des genres épistolaire et dialogal à sujet philosophique : le dispositif rhétorique non seulement met en forme la pensée vive mais en est un moteur nécessaire. A. Jollien est l’auteur des ouvrages suivants, dont le dernier n’était pas disponible au moment où s’élaborait cette étude : Éloge de la faiblesse, Éd. du Cerf, 1999 ; Le métier d’homme, Seuil, 2002 ; La construction de soi. Un usage de la philosophie, Seuil, 2006 ; Le philosophe nu, Seuil, 2010 ; et Petit traité de l’abandon, Seuil, 2012.

15  Cf. le film de Joel Calmettes, Le bonheur d’Alexandre, Chiloe Productions.

16  Voir la séquence pédagogique, à destination d’élèves du secondaire, dans http://www.co-gruyere.ch/pages _la_tour/ma_difference/cogruyere.educanet2.ch/301latour/.ws_gen/3/Jollien_questions_par_chapitre.pdf. La sixième séquence brève (« se nourrir de sa faiblesse », dans l’analyse mise en ligne) introduit à la septième longue séquence, en expliquant le titre de l’ensemble : ce qui précède semble ainsi un préalable à dominante plus narrative, avant ce qui relève plus de l’exposé développé.

17  Michel BRIAND, « L'Homère sophiste de Lucien ou les ambiguités d'une mimesis ironique », in Glenn W. MOST, Larry F. NORMAN, Sophie RABAU, Révolutions homériques, "Seminari e Convegni" 19, Scuola Normale Superiore, Pisa, 2009. p. 27-46.

18  Sur le rapport entre dialogue inséré, anecdote, mémoire personnelle, et construction d’un ethos, voir Michel BRIAND, « Polyphonies rhétoriques et culturelles, entre éloge et histoire : Malraux, Nehru et Mao, dans les Antimémoires », in Henri GODARD & Jean-Louis JEANNELLE (dir.), Modernité du Miroir des Limbes. Un autre Malraux, Classiques Garnier, 2011.

Pour citer ce document

Par Michel Briand, «Dialogue socratique et écritures de soi : autour de l’Éloge de la faiblesse (Alexandre Jollien)», Cahiers FoReLLIS - Formes et Représentations en Linguistique, Littérature et dans les arts de l'Image et de la Scène [En ligne], Dialogue et Théâtralité / Lucien (de Samosate) et nous, Revue électronique, Dialogue et théâtralité : interactions, hybridations, réflexivité. De Socrate à Derrida, mis à jour le : 27/03/2014, URL : https://cahiersforell.edel.univ-poitiers.fr:443/cahiersforell/index.php?id=232.

Quelques mots à propos de :  Michel Briand

Université de Poitiers