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Scènes de foules sans « foule » dans le Coriolan de Shakespeare
Par Catherine LISAK
Publication en ligne le 03 avril 2015
Texte intégral
1L’espace scénique de The Tragedy of Coriolanus (1609)1 promet un déchaînement de violence lorsque surgit, d’entrée de jeu, une foule de personnages anonymes, des « citoyens mutins » brandissant, lit-on dans l’in-folio de 1623, bâtons, massues et autres armes. Pourtant, la montée en puissance ne dure que le temps d’un lever de rideau. À peine sommes nous partis sur cette lancée que la clameur confuse et la brutalité de la plèbe basculent en débats et en cohue. L’argument de la famine, cause principale du soulèvement, cède le pas à une querelle d’interprétation que suscite la nature du héros. La scène de foule dégénère en scène de défoulement, une libération des tensions aussi bien pour ces citoyens, qui disent vouloir la peau de Caius Martius, que pour Ménénius, habile patricien, qui déjoue magistralement les attaques verbales des insurgés en usant de la fable rebattue des membres et de l’estomac, vision organique de la cité délétère. En dernier ressort, c’est l’annonce d’une attaque imminente des volsques aux portes de la cité qui met momentanément fin aux convulsions fébriles de la meute.
2La fonction expiatoire du phénomène de la foule aura permis de refouler un temps la trajectoire, pourtant amorcée, qui suit le destin du héros. Néanmoins, la pièce a d’ores et déjà attisé le besoin d’extravagance chez le spectateur tenu en haleine face aux altercations entre partis opposés. De cris en crises, la pièce entière est parcourue d’un enchaînement fatidique qui fait monter chez le public l’attente d’un passage à l’acte, d’une mise à mort que la dramaturgie se doit dorénavant de mettre en œuvre.
3De fait, ce n’est pas une foule mais une pluralité de foules qui s’impose de façon évidente dans la pièce. Chahuteurs plébéiens, militaires couards, électeurs malléables, serviteurs, conspirateurs et espions, mais aussi parents de victimes, du côté romain comme du côté volsque, les foules qui animent les scènes sont aussi diverses dans leur composition que dans la dynamique qui les met en branle. La foule insurgée qui envahit la scène en début de pièce révèle, par ses dissensions, combien la cité est « ébranlée par la discorde jusqu’en ses fondements2 ».
4Si cette foule, turbulente, divisée, et si facilement ameutée par les tribuns, participe effectivement au bannissement de Coriolan, le héros répudié et chassé de Rome lui survit néanmoins. En fin de pièce, c’est une tout autre affaire. La foule qui se tient aux portes de Rome se divise en trois catégories : le peuple « tout entier », les conspirateurs et les seigneurs. Ils restent cois tout en observant Coriolan qui, face à la pression – celle des suppliques de sa famille et de la provocation d’Aufidius – revient sur ses intentions de mettre le feu à sa ville natale. Leur présence silencieuse et leur immobilité semblent préfigurer une violence insoupçonnée. Brusquement, un parti hausse le ton, un autre tente de l’apaiser. Mais c’est le peuple, cette foule impossible à contenir, qui se met à proférer à pleine voix, par intermittence et avec excès, son indignation contre Coriolan et contre l’injustice suprême qu’il a infligée à toute sa lignée – fils, filles, cousins et pères. La foule est soudain hors d’elle : le héros semble être allé trop loin, ce qui éveille chez elle une prise de conscience renouvelée et aiguë, dont elle n’avait pas su tiré les leçons, « de la vie brute, l’art de passer à travers la faim, les viols et les massacres, l’art de surseoir aux désespérances3 ». Et il suffit alors d’un simple mot d’ordre réitéré de la part des conjurés – « Let him die for’t » (V.5.137) puis, de manière plus explicite, « Kill, kill, kill, kill, kill him ! » (V.3.160) – pour que Coriolan soit assailli par la multitude. D’un élan solidaire, la foule l’écharpe.
5Cette ultime mise en scène de foule dans Coriolanus permet de constater ce que Jean Jaurès faisait remarquer, en 1901, à propos du peuple français :
[qu’]à travers toutes ces difficultés, [la nation] garde assez de puissance vitale, la société révolutionnaire garde assez de ressort pour se défendre d’abord et bientôt reprendre l’offensive. On peut prendre par la famine et par la force une cité ; on ne prend pas ainsi une société tout entière4.
6C’est peut-être parce que les « scènes de foule » ponctuent ainsi de bout en bout la pièce que l’absence du mot « foule », jamais prononcé, se remarque. Que faut-il entendre par cette omission, sachant qu’une déferlante d’autres mots, le plus souvent injurieux, pour dire de manière insistante « la foule », assomme le spectateur ? Car si le mot paraît faire défaut, le paradigme qu’il suppose se révèle d’une portée considérable dans l’ensemble de la pièce. C’est en regardant de plus près ce qui motive l’usage de ce terme dans l’œuvre dramatique de Shakespeare que nous nous efforcerons de trouver une première réponse à cette interrogation.
7S’il peut paraître invraisemblable que Shakespeare ait méconnu le terme « crowd », force est de constater que le mot n’apparaît qu’une seule fois dans l’ensemble de son œuvre, sous sa forme substantivée dans The Famous History of the Life of King Henry the Eighth (1613). Par contraste, on note six emplois de la forme verbale dans un ensemble de pièces composées vers la fin du règne élisabéthain et au début du règne jacobéen. On compte ainsi deux utilisations du verbe dans The Second Part of Henry the Fourth (1597-1598), et un respectivement dans The Life of Henry the Fifth (1599), The Tragedy of Julius Caesar (1599), The Tragedy of Troilus and Cressida (1601-1602) et Measure for Measure (1604)5. Comment comprendre cette concentration dans le temps et cette utilisation globalement aussi restreinte du terme chez Shakespeare ?
8L’Oxford English Dictionary semble un bon point de départ à notre enquête. Il signale que « crowd » ne s’emploie guère avant 16006. Ceci se confirme notamment lorsque le mot signifie « la foule », la multitude. Les entrées de dictionnaires du mot « crowd » dans Lexicons of Early Modern English (LEME) laissent, par ailleurs, entrevoir que le substantif garde longtemps son sens originel, désignant un instrument de musique à trois cordes (parfois quatre, allant jusqu’à six) qui requiert un certain doigté. La première occurrence date d’environ 1475. Progressivement cette signification se raréfie, sans se perdre toutefois, et en 1556, « crowd » devient un terme dont le sens est celui d’un espace souterrain, fermé et étroit, une chambre forte ou un cryptoportique, sous une église notamment. En réalité, la première et unique attestation du substantif « crowd » pour désigner « la foule » ne figure que tardivement dans un dictionnaire anglais, à la fin du seizième siècle. Plus précisément, cette entrée se situe dans la Bibliotheca Scholastica (1589) de John Rider, où « la foule » figure comme un sens (le premier) parmi plusieurs : « A Crowd or throng / vide throng. A crowd or fidle. 1 Tibia, f. ».
9Il semble également important de souligner qu’au contraire, la forme verbale, « [to] crowd », constitue déjà une entrée de dictionnaire depuis près de cent ans. Ainsi, dans l’ouvrage de Geoffrey the Grammarian, publié en 1499, on note l’entrée « Croud or shoue7 ». La préséance de la forme verbale sur la forme nominale se confirme lorsque l’on consulte la base de données Early English Books Online (EEBO) de Chadwick-Healey. Le terme (sous sa forme verbale aussi bien que nominale) ne figure que dans 149 textes au cours des 136 ans de publication (de 1477 à 1613)8. Une fois encore, ce qui semble se dégager, c’est la prédominance de la forme verbale sur la forme substantivée jusqu’aux années 1580, tandis que le nom commence à s’imposer comme une forme privilégiée au tournant du siècle et de manière plus évidente encore durant la première décennie du dix-septième siècle.
10L’unique mention du substantif « crowd » dans l’œuvre dramatique de Shakespeare, telle qu’elle figure dans l’in-folio de 1623, se rencontre dans la dernière pièce historique, Henry the Eighth, composée en 1613 en collaboration avec le dramaturge John Fletcher. Le terme est alors prononcé par un personnage anonyme qui s’est fait prendre au milieu d’une foule. Un premier gentilhomme s’enquiert de comprendre pourquoi son compatriote se retrouve ainsi tout en sueur, et le dénommé « troisième » gentilhomme de lui répondre qu’il s’est trouvé dans l’abbaye de Westminster où la foule, explique-t-il, était si dense que même un doigt n’aurait pu s’y glisser : « Among the crowd i’th’Abbey, where a finger / Could not be wedged in more » (IV.1.69-70). C’est une réplique qui exploite tous les sens du mot « crowd », tout en érigeant de part et d’autre du terme la première lettre de l’alphabet, des A majuscules qui encadrent la foule pour la contenir de manière aussi imposante que l’architecture où elle se trouve réunie. Au sein de cette assemblée, le personnage se dit réduit à sa plus simple (et petite) expression anatomique, l’image d’un doigt, qui renvoie par extension à l’instrument de musique à cordes (« crowd or fiddle »), révélant ainsi que le terme « crowd » reste riche de sa signification originelle. C’est un glissement de sens que la Renaissance anglaise se plaît à explorer, souvent de manière ludique. Dans un pamphlet anonyme de 1599, par exemple, A pil to purge melancholie, on retrouve cette association de sens (« fiddle », « crowd », « finger ») dans un déroulement divertissant et logorrhéique de termes qui fonde les rapprochements terminologiques sur le principe de l’allitération et de la métonymie : «Then stagger ye and stumble ye and strip ye, and straddle ye and strap ye and stride ye, and stifle ye and style ye and steele ye, and fillip ye & fiddle / ye and firke ye, and crowde ye and finger ye and fyle ye9 ». Si, pour reprendre la définition de Georges Cuvier, le doigt est une « avance libre et mobile10 , cette synecdoque du personnage qui s’aventure dans une foule et peine à s’y frayer un chemin explore avec le verbe « to wedge » les significations multiples de « to crowd », pour dire à la fois presser, amasser, mais aussi passer avec effort, se faufiler. En outre, l’image d’une foule à l’église demeure des plus anciennes ; c’est la première que l’on retrouve dans les publications du seizième siècle, notamment dans le texte médiéval de John Lydgate, The temple of glas (dont la première publication date de 1477) où, parmi les visions qui habitent le rêve du narrateur, figure celle des bousculades de la foule dans un temple. Plus tard, en 1608, date présumée de composition de la pièce Coriolanus, paraît le célèbre ouvrage de Joseph Hall, intitulé Characters. On y dresse alors le portrait du « Méfiant » (ou The Distrustfull), personnage type dont on justifie l’absentéisme à l’Église par sa phobie des foules : « Hee dares not come to Church, for feare of the croud11 ».
11Comment expliquer l’écart de temps important qui sépare la dernière occurrence de la forme verbale du terme « crowd » chez Shakespeare (en 1604) de l’emploi de sa forme nominale (en 1613) ? Peut-être faudrait-il rappeler ici que, selon les recherches éditoriales, la première scène du quatrième acte de Henry the Eighth aurait été, selon toute vraisemblance, composée ou tout du moins retouchée par John Fletcher12. Si tel est le cas, il nous faut en conclure que Shakespeare n’eut jamais recours au substantif « crowd », mais uniquement à ses différentes formes verbales (« to crowd », « crowding » et « crowded »), et ceci, dans un espace de temps étonnamment circonscrit, à savoir de 1598 à 1604, période qui marque un changement de règne et de siècle.
12En effet, la réflexion que Shakespeare mène autour du phénomène de la foule semble étroitement liée au temps. C’est du moins ce que laisse entendre 2 Henry IV. On y apprend que ce sont les temps qui rameutent les personnages rebelles et les pressent d’épouser la forme monstrueuse d’une foule. L’archevêque de York justifie ainsi la rébellion qu’il mène en compagnie de Mowbray et de Hastings contre le roi usurpateur auprès du prince John, fils cadet du roi Henry IV, car il pense posséder la faculté de donner forme à leur destin. Alors surgit dans son discours l’expression « Crowd us and crush us» dont le martellement dactylique et le jeu sonore des allitérations et des onomatopées contribuent à mimer la dynamique implacable de la foule, cette entité nouvellement façonnée qui s’avère aussi meurtrière qu’elle est censée être salvatrice :
The time misordered doth, in common sense,
Crowd us and crush us to this monstrous form,
To hold our safety up. (IV.1.267-9)
13Si le système narratif de l’archevêque traduit, dans son ensemble, la conviction d’un avenir assurément meilleur, le segment de vers « Crowd us and crush us » relate un destin de l’individu bien plus sombre. En inscrivant le verbe « to crowd » (signifiant tout à la fois presser, tasser, entasser, et compresser) dans une structure collocative, si propre à la langue Tudor et élisabéthaine, Shakespeare renforce certes le sens du verbe. Mais plus encore, il insiste sur le poids écrasant de cette construction délibérée, de cet agent nouvellement constitué, que caractérise une circularité infernale dans laquelle l’individu se trouve pris. Si nous revenons à la première occurrence publiée du verbe « to crowd », dans The temple of glas (1477) de John Lydgate, nous constatons que le verbe est pareillement employé dans une structure collocative :
Thus euer slepyng dremyng as I laye
Withyn the temple me thought I saye
Grete prees of folk with murmur wonderful
To croude and shoue / the temple was so ful […]13
14Dans ces vers nous notons déjà l’emploi de la locution verbale « To crowd and shove », de Lydgate, qui deviendra une entrée de dictionnaire chez Geoffrey the Grammarian (1499). C’est la preuve que nous sommes face à une construction syntaxique ancienne et peut-être originelle du verbe. La fin des années 1580 redonnera vie à cette structure collocative laissée de côté depuis près de trente ans : c’est que sa dernière parution, d’avant l’ère élisabéthaine, date de 1555, année et de la publication de The auncient historie . . . of the warres betwixte the Grecians and the Troyans, toujours de John Lydgate14. L’usage du verbe « to crowd » est notamment ravivé lorsqu’il est couplé à de nouveaux verbes d’action qui, une fois de plus, en infléchissent et en explicitent le sens, tels les syntagmes « to crowd and thrust », « to throng and crowd », ou encore « to strive and crowd ». Au dix-septième siècle, ces associations lexicales persistent mais avec un changement de catégorie de plus en plus fréquent, puisque les locutions prennent une allure nominale, comme dans les expressions « in the crowd and press » ou encore « a crowd and throng »15, tandis que le glissement s’accompagne d’un sens unique.
15En choisissant d’avoir uniquement recours à la forme verbale, la langue de Shakespeare semble par certains aspects, et dans ce cas précis, s’inscrire dans une phraséologie plus proche du seizième siècle Tudor que du dix-septième jacobéen. « Crowd us and crush us » est une tournure qui se calque sur la séquence verbale que nous venons de décrire, tout en redoublant également le complément d’objet indirect. La répétition pronominale ainsi que la rime interne qui en découle (« us…us ») sont une chorégraphie poétique de l’anéantissement des êtres singuliers qu’une entité monstrueuse foule aux pieds et transforme en chose. Cet agent de l’action prend forme à partir d’un amalgame d’êtres, et sa dynamique trouve son élan par la compression de singularités physiques et morales dont il n’a que faire et à laquelle pourtant ces êtres, pris entre un sentiment de choix et le destin, vouent leur sécurité et leur salut (« To hold our safety up »). La collocation verbale reflète l’agencement dramatique d’une présence forgée par la scène de théâtre comme par l’idéologie ambiante ; de sorte que la foule apparaît comme une présence scénique et politique aussi dénaturée que dénaturante ; surtout, elle est investie d’une force amorale capable de broyer l’être affaibli qui se trouve à ses rebords comme au beau milieu de son chemin. Au sujet du rôle de la force dans l’Iliade, Simone Weil écrit dans La Source grecque :
La force qui tue est une forme sommaire, grossière de la force. Combien plus variée en ses procédés, combien plus surprenante en ses effets, est l’autre force, celle qui ne tue pas ; c’est-à-dire celle qui ne tue pas encore. Elle va tuer sûrement, ou elle va tuer peut-être, ou bien elle est simplement suspendue sur l’être qu’à tout instant elle peut tuer…16
16C’est précisément la dynamique qui se déploie dans Julius Caesar, pièce composée à peine deux ans après 2 Henry IV. Le devin, souhaitant s’entretenir avec César, debout dans une ruelle étroite, paiera de sa vie le fait qu’’il s’y trouve au moment où César y passe avec sa suite. Les hommes qui talonnent l’empereur, hommes par ailleurs de hautes fonctions – membres d’une assemblée parlementaire, d’une cour de justice ou d’une cour impériale – constituent une foule ou « throng »17. Le terme met l’accent par étymologie sur l’acte de presser, voire d’écraser, tandis que la notion d’emboiter le pas ou de talonner (« follows at the heels ») évoque le danger imminent qui émane de la foule en renvoyant, une fois de plus, à l’anatomie humaine. L’ensemble concorde avec l’idée que la foule est mue par une logique intrinsèque qui passe outre les destinées singulières et voue l’individu à l’extermination. Un spectateur sur son passage ne saurait lui survivre, sauf si le dramaturge choisit d’en freiner l’impact destructeur, même par le biais d’un simple adverbe – « almost » –, qui dans les propos du devin, permet de contourner le drame, ne serait-ce que de justesse :
The throng that follows Caesar at the heels,
Of senators, of praetors, common suitors,
Will crowd a feeble man almost to death. » (II.4.39-41)
17L’inflexion par le « presque » laisse présager le pire, nous enseigne Simone Weil. Effectivement, la tragédie de Julius Caesar ne manquera pas de suivre inlassablement son cours, l’ironie du sort voulant que celui qui semble à la tête de la foule soit celui même que la foule met à mort, car rien ne précise que l’être faible ne soit pas également César.
18Comme nous l’avons vu, les deux premiers emplois du verbe « crowd » dans l’œuvre dramatique de Shakespeare datent de la fin de l’époque élisabéthaine et ancrent l’idée de la foule comme agent inhumain, pourtant constitué d’individus, dans des pièces historiques – qu’il s’agisse de « la matière de l’Angleterre » ou d’un détour par l’histoire romaine. Les deux pièces explorent le destin du héros face à l’avancée de la foule. La pièce 2 Henry IV tente ainsi de faire jouer à la foule un rôle déterminant dans le renversement d’un roi. Pourtant, Henry IV, bien que traqué par des rébellions et hanté par le passé, trop malade pour combattre les armées, et déléguant à son fils cadet la responsabilité du combat, meurt dans son lit. Dans cette pièce, le seul à mourir, nous dit-on, « éclaté » sous l’impact de la foule, c’est le personnage de l’écuyer, mort pour avoir tenté de passer la garde en forçant son chemin. Selon le témoignage rapporté de Falstaff :
And now is this Vice’s dagger become a squire, and talks as familiarly of John of Gaunt as if he had been sworn brother to him, and I’ll be sworn he never saw him but once in the Tilt-yard, and then he burst his head for crowding among the marshal’s men. (III.2.225-228)
19Il n’en va pas de même pour Jules César, qui succombe sous les coups de poignard que lui assène la foule de conjurés coupables de lèse majesté. C’est encore une autre « foule », ces hommes de la rue, que Marc Antoine réussit à manipuler et à retourner contre la foule des conspirateurs. La pièce bascule alors dans la guerre civile. Car si la posture de César, qui tient une foule d’hommes à ses pieds, se révèle de toute évidence intenable, Julius Caesar est une pièce qui explore également le phénomène des guerres intestines où une foule en traque une autre, au sein d’un empire, jusqu’à la détérioration progressive mais systématique du triumvir, qui sera réduite à une seule tête. Dans les pièces qui suivent, l’assimilation du phénomène de la foule dans et par le corps politique, biologique, et fantasmé des personnages shakespeariens se systématise. Ainsi César « devient la mauvaise conscience ou le mauvais génie de celui qui provisoirement lui succède18 ».
20 D’ailleurs, dans les pièces suivantes, la foule semble s’être désinvestie d’un enjeu historique immédiat. Dans Troilus and Cressida, pièce dont on a souvent dit qu’elle « offre au lecteur un temps immobile et figé19 », la guerre intestine des foules qui rongent un pays se métamorphose en un ensemble d’humeurs contradictoires qui habitent l’individu. Pour ériger le personnage d’Ajax en héros inégalé (« They say he is a very man per se, and stands alone », I.2.19), Alexander, servante de Cressida en dénonce malgré elle l’ineptie. En effet, elle le démystifie en le dépeignant comme un être valeureux déstabilisé jusqu’à la folie sous la pression des passions qui s’entrechoquent : « a man into whom nature hath so crowded humours that his valour is crushed into folly » (I.2.23). Telle une tumeur maligne qui entame et ronge le corps ou la cité qui l’héberge, la foule, aussi métaphorique soit-elle, fait ressortir la pathologie du corps qui la contient, que celui-ci soit d’ordre anatomique ou politique. Le phénomène de la foule, qui est certes à prendre au sens figuré, n’en demeure pas moins cette expérience de la force incorporée qui broie de l’intérieur toute vertu qui fait d’un personnage un être valeureux, voire simplement un être de raison (« crush into folly »).
21Dans Henry V, alors que l’archevêque, en compagnie d’Exeter, vient de s’entretenir avec le roi pour le convaincre, avec succès, de partir en guerre contre la France, Canterbury prononce une tirade usant de l’allégorie des abeilles. Dans ce cadre guerrier, il fait prévaloir l’idéologie protestante de l’ordre social et de l’industrie des hommes. Par son allégorie il tente de sublimer, sinon de nier, les effets de la force, voire de la violence. C’est ainsi qu’au sein du royaume peuplé de la ruche, emblème du corps politique de la Commonwealth, on trouve plusieurs strates ou castes d’agents : tantôt « The civil citizens kneading up the honey », tantôt « The poor mechanic porters crowding in / Their heavy burdens at his narrow gate » (I.2.202-204). Le spectacle est aussi pathétique que valeureux. La métaphore de la foule qu’évoque le verbe « crowding in », foule se pressant à l’entrée de la ruche, met en évidence la notion de dur labeur et d’industrie menée avec efficacité, aux dépens de l’individu devenu un forçat, instrumentalisé et déconsidéré, réduit à l’état de chose, sa singularité écartée. Simone Weil, qui poursuit son analyse des effets de la force sur l’individu, constate que :
Du pouvoir de transformer un homme en chose en le faisant mourir procède un autre pouvoir, et bien autrement prodigieux, celui de faire une chose d’un homme qui reste vivant. Il est vivant, il a une âme ; il est pourtant une chose. Être bien étrange qu’une chose qui a une âme ; étrange état pour l’âme. Qui dira combien il lui faut à tout instant, pour s’y conformer, se tordre et se plier sur elle-même ? Elle n’est pas faite pour habiter une chose ; quand elle y est contrainte, il n’est plus rien en elle qui ne souffre violence20.
22La dernière fois que l’œuvre dramatique de Shakespeare a recours au verbe « to crowd », c’est dans la pièce jacobéenne et comédie romantique Measure for Measure (1604). Angelo, qui remplace le duc Vincentio en son absence, est pris d’un sentiment d’asphyxie tandis qu’il attend l’arrivée d’Isabella. La passion qui le saisit lui donne l’impression d’étouffer. C’est cette même impression, suggère ce substitut du duc, qu’éprouve un roi encerclé par une foule d’admirateurs. De toute évidence, il a assimilé l’image de la foule qui accourt vers le roi, cœur de la nation (« Crowd to his presence»). Angelo se sent en proie à la violence de ses appétits ; le sang qui afflue vers son cœur est pareil à une foule, qu’il incorpore et qui l’emporte :
So play the foolish throngs with one that swoons ;
Come all to help him, and so stop the air
By which he should revive : and even so
The general, subject to a well-wished king,
Quit their own part and in obsequious fondness
Crowd to his presence, where their untaught love
Must needs appear offence. (II.4.25-30)
23Le portrait dressé de la foule dans la métaphore d’Angelo est péjoratif : l’affection de la foule est qualifiée d’obséquieuse, et représente finalement la manifestation même de son ignorance. La foule est « foolish » – jeu de mots qui ouvre une brèche dans le mépris de la foule, mépris qui sera réitéré, trois ans plus tard, dans Coriolanus21. Le sentiment d’antipathie qu’on lui voue, si vivement exprimé dans la dernière pièce romaine de Shakespeare, s’avère déjà manifeste dans Measure for Measure et retrouve son ancrage dans le temps et l’histoire.
24En effet, David L. Stevenson voit dans ces lignes « the sense of claustrophobia, of the fear of being trapped, which a person of James’s temperament might be assumed to have experienced on public display, when surrounded and pressed upon by his admirers in ‘obsequious fondness’22 ». Sa lecture de la pièce s’inscrit dans l’héritage éditorial et critique qui a voulu voir dans le duc une mise en parallèle avec le roi Jacques Ier. Cette lecture a vu le jour en 1766, avec Thomas Tyrwhitt. Selon cet éditeur, Shakespeare cherchait à flatter : « that unkingly weakness in James the first, which made him so impatient of the crowds that flocked to see him, especially on his first coming 23 ». Tyrwhitt avant justifié cette analyse en se référant à un récit autobiographique manuscrit (c. 1637) de Sir Symonds D’Ewes. Dans ce récit, l’auteur racontait le moment où, en 1621, alors qu’il n’avait que 19 ans, il avait vu le roi repousser les foules qui s’attroupaient autour de lui24. Afin de poursuivre cette réflexion et dans le but de contrecarrer les multiples critiques qui auraient cherché à invalider la valeur de ce témoignage comme élément susceptible de jeter un éclairage sur la pièce25, Stevenson propose à son tour un tract datant, cette fois-ci, du tout début du règne de Jacques Ier, et auquel les vers d’Angelo feraient écho. Le tract fut publié sous le nom de Gilbert Dugdale. Celui-ci aurait été témoin du passage du roi dans les rues de Londres le 15 mars 1604. Robert Armin, auteur de l’épitre dédicatoire, et un des membres principaux de la compagnie d’acteurs de Shakespeare (« The King’s men »), en serait le véritable auteur. Il s’agit de The Time Triumphant, Declaring in briefe, the arival of . . . King James, . . . His Coronation (Londres, 1604). Le passage en question mérite d’être cité :
And contrymen let me tell you this, if you hard what I heard as concerning that you would stake your feete to the Earth at such a time, ere you would runne so regardles vp and downe, say it is highnes pleasure to be priuate, as you may note by the order of his comming, will you then be publique, and proclaime that which loue and duty cryes silence too ? This shewes his loue to you, but your open ignorance to him. You will say perchance it is your loue, will you in loue prease uppon your Soueraigne thereby to offend him, your Soueraigne perchance mistake your loue, and punnish it as an offence ? But heare me. When hereafter [he] comes by you, doe as they doe in Scotland : stand still, see all, and vse silence. So shall you cherish his visitation and see him, thrice for once amongst you. But I feare my counsell is but water turnd into Tems. It helps not. (Sig. B2.)
25La date de l’incident est en soi significative. Comme l’explique Megan Mondi : « By far the most sizeable audience James ever addressed was Parliament. 545 members – 78 Lords and 467 commoners – assembled in 1604, and James added many to the peerage (and, thus, to the House of Lords) throughout his reign. Parliament was a large body, especially considering James’s intense aversion to crowds26 ». On comprend donc que, dès le début de son règne, le roi se serait trouvé confronté à plusieurs catégories de foules, dont la taille était, pour lui, sans précédent et sans doute intimidante.
26Si nous revenons au tract proprement dit, plusieurs échos que Stevenson repère (« a well-wish’d king », « untaught love » et « Must needs appear offence ») peuvent en effet laisser penser que Shakespeare ait pu en avoir connaissance au moment où il composait la pièce. Néanmoins, malgré ces résonances, il semble légitime de s’interroger sur la raison pour laquelle, ayant lu ce passage, et connaissant le dégoût présumé du roi pour le phénomène des foules, Shakespeare aurait choisi d’employer explicitement le verbe « to crowd » dans l’expression « Crowd to his presence», alors que ce verbe, nous l’avons vu, est si lourdement connoté, et ce alors qu’il ne figure nulle part dans le pamphlet. Le choix peut paraître saugrenu si l’effet escompté de la part du dramaturge consiste à flatter son roi en confortant son antipathie à l’égard de la foule, qu’il nomme explicitement.
27Il nous faut, une fois encore, nous rappeler que l’idée de la foule n’est pas à prendre littéralement. Le verbe, fondé sur le recours à la métaphore filée de la multitude, avec la mention de « throngs » (les foules), « all » (tous) et « The general » (le peuple), fait sens par analogie. Le propos d’Angelo prépare son auditeur à l’expression « Crowd to his presence» qui entre en résonance avec «The general, subject to a well-wished king », dont le registre renvoie au monde monarchique sous Jacques Ier, non pas au duché de Vienne. Même si la couleur locale est ici perdue, ce qui importe, c’est que le verbe coule de source dans le tissu langagier d’Angelo ; de sorte que la métaphore ne paraît d’aucune façon dissonante, mais peut se concevoir, chez le spectateur contemporain, comme une licence poétique ou une facilité d’expression. Le spectateur pouvait ainsi recevoir l’image de la foule plurielle (« throngs ») qui étrangle une présence singulière comme une simple fiction, fiction que Shakespeare explorait déjà dans Julius Caesar dans les propos du devin. Surtout, l’usage de ce terme présuppose chez le dramaturge une marque de confiance en son roi, à la fois spectateur privilégié et lecteur avisé, à même de distinguer entre une mise en scène qui donne à voir l’insurrection d’un peuple et l’emploi opportun d’une métaphore dont il aurait mesuré la valeur hyperbolique et fictive.
28L’image de la foule, désinvestie de sa force littérale, ainsi que la référence au roi demeurent circonscrites et servent, avant tout, à rendre compte d’un malaise affectif et d’un cas de conscience chez un personnage qui reconnaît ne pas savoir se plier à la vertu, car il n’a plus prise sur le désir irrationnel qui l’assaille. Comme le souligne très justement Kai Wiegandt, dans Crowd and Rumour in Shakespeare : « the crowd’s corporeality points to action and performativity – to the motion, fickleness, irritability, uncontrollability and even rebellion of the human flesh27 ». La foule s’affiche comme une riche et puissante métaphore mise au service de l’expression de la subjectivité. Kevin A. Quarmby le souligne également :
Although Angelo pointedly refers here to a ‘King’, the metaphor enhances Angelo’s expression of uncontrollable lust and unexpected passion. Angelo’s ‘King’, therefore, need not correspond to Shakespeare’s own ruler. Subjectivity and introspection remain the true focus of Angelo’s concern28.
29Le terme « crowd » permet donc d’incarner sur scène une subjectivité, et plus particulièrement l’expression exacerbée d’une angoisse naissante chez un personnage. Une psychologie collective est ainsi mise au service d’une psychologie individuelle. À l’inverse de ce qui se joue dans 2 Henry IV, la nature métaphorique de la foule dans Measure for Measure rend compte de la complexité de la subjectivité humaine. De ce fait, elle se rapproche, par bien des aspects, du rôle attribué à l’image de la foule dans Troilus and Cressida. Dans ces deux pièces, pour évoquer la souffrance d’un être, Shakespeare renverse la donne pour faire en sorte que le « corps politique » ne soit plus un concept issu de la métaphore du corps humain, mais une métaphore entièrement réincorporée dans l’individu et assimilée par lui. C’est à présent l’anatomie du personnage scénique qui incorpore la métaphore du corps politique. Et la foule d’être refoulée sous forme de fantasme ou de phobie.
30C’est au regard de ces analyses que le sens du silence qui s’instaure autour du terme « crowd » quelques années plus tard dans Coriolanus se comprend plus pleinement, dans une perspective à la fois poétique, historique, et idéologique. Comme dans Measure for Measure, on retrouve une contamination terminologique dès la didascalie initiale. « Le groupe révolté » qui entre en scène au début de la pièce, lit-on dans une note, « est composé de citizens, ce qui renvoie à la terminologie romaine, et non de commoners, ce qui, dans Jules César, renvoyait à la terminologie élisabéthaine. Shakespeare utilisera le terme commoners à la fin de Coriolan, pour parler des Volsques29 ». L’idéologie sous Jacques Ier dicte également à la poétique shakespearienne certaines règles de base auxquelles il ne faut pas déroger. Dieu sera dorénavant désigné dans les pièces de théâtre par le nom mythologique de Jove, tandis que la Bible de Jaques Ier de 1611 n’aura pas une seule fois recours au mot « crowd ».
31Surtout, il semble, en dernier lieu, qu’en ne prononçant plus le nom de ce phénomène qu’est la foule, on manifeste un renoncement chez le peuple, qui ne croit plus à la possibilité d’un changement de régime, notamment par l’avènement d’une république, dont il est encore tant question à la fin du règne d’Élisabeth, dans des pièces telle que Julius Caesar, ou encore dans Measure for Measure30. Dans Coriolanus, plus qu’une entité, la foule est un cri choral31 qui donne voix à la crainte que rien ne change jamais. Ainsi, on dira volontiers à propos de Coriolanus ce que fait remarquer Hadfield à propos de Measure for Measure :
The play represents an expression of ‘fear’ that the ‘change of ruler and dynasty will, in fact, bring no change at all’ : ‘Instead of the transformation that had been hoped for – and, of course, feared – there would simply be more of the same’32.
32Si le mot n’est plus prononcé, c’est peut-être parce que ce qu’il incarne circule, de toutes parts, grâce aux « voix », vectrices d’angoisse, de colère et de désespérance, et par les hurlements où se loge l’indignation des personnages victimes de la politique idéologique de Coriolan puis de la realpolitik d’Aufidius. La foule agit dans cette pièce comme l’humeur incarnée du moment, une sorte de chœur de tragédie, dont la présence est rappelée par ses multiples équivalences métaphoriques, tandis que chaque personnage crache sur son prochain son désarroi face au constat que rien ne se produit qui ne se reproduira pas : l’absence de « foule », dont les cris se font partout entendre dans la pièce, annonce la fin de la tragédie.
33Dans la dernière scène de Coriolanus, la foule, par sa violence ultime et suprême, nous rappelle un mythe que le personnage de Coriolan lui-même, mais aussi les rois anglais de l’histoire anglaise de la première moitié du dix-septième siècle, semblaient trop prêts à négliger, à savoir que « le roi doit gouverner avec l’assentiment du peuple » car « le gouverneur », expliquent R. W. et A. J. Carlyle, « qu’il soit roi ou empereur, détient une autorité qui non seulement dérive de la communauté, mais qui est assujettie à une loi qui est l’incarnation de la vie et de la volonté de cette communauté33 ».
34Par son dernier cri de défi, c’est en vérité Coriolan qui ameute la foule, l’incitant par son propre appel au massacre de sa personne. La foule répond à cette provocation en réitérant cet appel, à la manière d’un chœur. Si la foule, éveillée et incitée à passer à l’acte, livre au spectateur une violence longtemps attendue, la forme que prend cette violence demeure insoutenable :
Cut me to pieces, Volsces : men and lads,
Stain all your edges on me. « Boy » ! False hound,
If you have writ your annals true, ’tis there,
That, like an eagle in a dovecote, I
Fluttered your Volscians in Corioles.
Alone I did dit. « Boy » ! (V.6.127-132)
35C’est le cri du guerrier qui conduit, une fois de plus, à une résolution momentanée de la crise : la cité sera certes épargnée au prix de sa personne, jetée comme en offrande dans l’arène de la foule pour être déchiquetée et piétinée. Mais Shakespeare ne rejouera plus cette scène de massacre d’un personnage par ailleurs si singulier – et qui se réclame jusqu’au bout de cette singularité.
Notes
1 Toute citation sera prise de William Shakespeare, Complete Works. The RSC Shakespeare, Edited by Jonathan Bate & Eric Rassmussen, London, Palgrave Macmillan, 2008.
2 Richard Marienstras, « Notice » de Coriolan, in William Shakespeare, Tragédies. Volume II (Œuvres complètes, II), Edition publiée sous la direction de Jean-Michel Déprats, avec le concours de Gisèle Venet, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 2002, p. 1555.
3 Janine Altounian, « Ouvrez-moi seulement les chemins d’Arménie » . . . un génocide aux déserts de l’inconscient, Les Belles Lettres, 1990, cité par Richard Marienstras, Shakespeare au XXIe siècle. Petite introduction aux tragédies, Éditions de Minuit, 2000, Chapitre 3 : « Troilus et Cressida et la Chute de Troie. Une évocation shakespearienne du génocide», p. 97.
4 Jean Jaurès, Etudes Socialistes/Grève générale et révolution, dans Cahiers de la Quinzaine, 1901, p. 103.
5 Dorénavant, les titres seront tous donnés sous leur forme abrégée.
6 « Crowd, v.1. », OED Online. Oxford University Press, March 2014. Web. 3 June 2014. Etymology : « The word was comparatively rare down to 1600 ».
7 La première entrée de dictionnaire du mot (signifiant un instrument de musique) se trouve dans Anon, Catholicum Anglicum : The Remedy for all Diseases (ca. 1475), British Library Additional MS 15,562 ; l’idée d’une chambre souterraine apparaît dans le dictionnaire de John Withals, A Short Dictionarie For Yonge Beginners. Gathered of good authors, specially of Columell, Grapald, and Plini (London, by John Kingston, 1556), STC 25875, où on lit : « A vaute or crowdes, as vnder a church or other place, criptoporticus ». La première entrée du substantif signifiant la foule se trouve chez John Rider, Bibliotheca Scholastica. A Dovble Dictionarie, Penned for all those that would haue within short space the vse of the Latin tongue, either to speake, or write. Verie profitable and necessarie for Scholers, Courtiers, Lawyers and their Clarkes, Apprentices of London, Travellers, Factors for Marchants, and briefly for all Discontinuers within her Majesties realmes of England and Ireland (Oxford, by Joseph Barnes, 1589), STC 21031.5 ; et la forme verbale devient une entrée de dictionnaire avec Geoffrey the Grammarian, Promptorium Parvulorum (By Richard Pynson, 1499), STC 20434. Citations in Lexicons of Early Modern English, Edited by Ian Lancashire, Toronto, ON, University of Toronto Library and University of Toronto Press, 2006. Date consulted: 3 June 2014. URL: leme.library.utoronto.ca/lexicon/entry.cfm?ent= 21-1513.
8 Parmi ces 149 ouvrages, on compte plusieurs éditions du même ouvrage. Le terme est cité en tout 200 fois.
9 Anon, A pil to purge melancholie: or, A preprative [sic] to a pvrgation: or, Topping, copping, and capping: take either or whether: or, Mash them, and squash them, and dash them, and diddle come derrie come daw them, all together (1599), STC / 2197:18, sig. B1v-B2r.
10 Cuvier, Georges, Leçons d’anatomie comparée, recueillies et publiées par M. Duméril. Seconde édition corrigée et augmentée, Crochard, 1835, tome 1, Art. VIII., Des os de la main, « III. Os des doigts. », p. 431.
11 Joseph Hall, Characters of Vertues and Vices in two Bookes, 1608, p.151. STC (2nd ed), / 12648.
12 William Shakespeare, Complete Works. The RSC Shakespeare, op. cit., « Introduction », p. 1385.
13 Les italiques sont miens. John Lydgate, The temple of glas [Westminster : by William Caxton, 1477 ?], p.14. STC (2nd ed)/17032. C’est une expression que Lydgate affectionne et que l’on retrouve dans The auncient historie and onely trewe and syncere cronicle of the warres betwixte the Grecians and the Troyans, [London, by Thomas Marshe], 1555, Second Book, chapter 14, « Howe Parys was receyued in Troye at his retourne, and of his maryage to Heleyne.» : « Of sondry folke that shoued faste and croude. »
14 John Lydgate, The auncient historie and onely trewe and syncere cronicle of the warres betwixte the Grecians and the Troyans and subsequently of the fyrst euercyon of the auncient and famouse cytye of Troye vnder Lamedon the king, and of the laste and fynall destruction of the same vnder Pryam, wrytten by Daretus a Troyan and Dictus a Grecian both souldiours and present in all the sayde warres and digested in Latyn by the lerned Guydo de Columpnis and sythes translated in to englyshe verse by Iohn Lydgate moncke of Burye. Roman de Troie. (London, by Thomas Marshe, 1555) : « Great was the preyse that abode to see, / Of sondry folke that shoued faste and croude », in The Seconde Boke, Capitulo. xiiii.Howe Parys was receyued in Troye at his retourne, and of his maryage to Heleyne : « Great was the prease that in the weye, / Gan croude and shoue to beholde and sene, / This yonge mayde fayre Pollycene, » in The fourth boke, Cap. xxxv. Howe the Grekes made an horse of brasse wherin was men of armes, and vnder colour of peace brought it into Troye, by the whych it was vtterly destroyed for euer.
15 Ainsi relève-t-on, de 1587 à 1612, l’évolution suivante : Théodore de Bèze, Master Bezaes sermons vpon the three chapters of the canticle of canticles, Oxford, printed by Ioseph Barnes, 1587, p. 189 : « they pleased to thrust and crowd into paradise » STC (2nd ed.) / 2025; Thomas Fenne, Fennes frutes which worke is deuided into three seuerall parts…, London : [by T.Orwin], 1590, p. 12v ; « For a small hole would serue to croud and thrust the remaine of the decayed and putrified corps with ease » STC (2nd ed.) / 10763 ; John Davies, Orchestra or A poeme of dauncing Iudicially proouing the true obseruation of time and measure, in the authenticall and laudable vse of dauncing. At London, printed by I. Robarts for N. Ling, 1596, stanza 29 : « A rude disordered rout he did espie/ Of men and women, that most spightfullie / Did one another throng, and crowd so sore, / That his kind eye in pitty wept therefore. » STC (2nd ed.) / 6360 ; Livy, The Romane historie written by T. Livius of Padua. Also, the Breviaries of L. Florus : with a chronologie to the whole historie : and the Topographie of Rome in old time. Translated out of Latine into English, by Philomen Holland, … London, printed by Adam Islip, 1600, p. 265 : « and crushed they were to death, more in that croud and thrust, than were slaine by sword. » STC (2nd ed.) / 16613 ; William Perkins, Lectures vpon the three first chapters of the Reuelation : preached in Cambridge anno Dom. 1595… London, printed by Richard Field, 1604, p. 279 : « Now the doore being open, we must labour to get in, yea thrust and croud to get in. » STC (2nd ed.) / 19731 ; F.T., Heauenly meditations vpon the publicans prayer, At London, printed by I R[oberts], 1606, p. 2 : « seeking him in the crowde and presse of their sinnes » STC (2nd ed.) / 10655 ; Thomas Middleton, The famelie of loue Acted by the children of his Maiesties Reuells., At London, printed [by Richard Bradock], 1608, in-fol.Er : « when we crowde and thrust a man and a woman together », STC (2nd ed.) / 17879 ; William Barlow, An answer to a Catholike English-man (so by himselfe entitvled) who, without a name, passed his censure vpon the apology made by the Right High and Mightie Prince Iames, … London, printed by Thomas Haueland, 1609, p. 346 : « before they be thoght worthy to come into holy Orders they striue & croud about the holy Table » STC (2nd ed.) / 1446.5 ; James I, King of England, An apologie for the oath of allegiance…, London, by Robert Barker, 1609, p. 41 : « then tolde him that a crowd and throng of many people » STC (2nd ed.) / 14401.5 ; Joannes Boemus, The manners, lauues, and customes of all nations collected out of the best vvriters by Ioannes Boemus ..., written in Latin, and now newly translated into English, by Ed. Aston, At London, printed by G. Eld, 1611, p. 378 : « wherwith in a troupe or croude, they will make great slaughter. » STC (2nd ed.) / 3198.5 ; Samuel Daniel, The first part of the historie of England.London, printed by Nicholas Okes, 1612, p. 94 : « hasting to get ouer the bridge, with such a crowd and preasse, as they brake it, & many were drownd » STC (2nd ed.) / 6246 ; For the colony in Virginea Britannia. Lawes diuine, morall and martiall, &c. , Printed at London, [by William Stansby], 1612, p. 71 : « & after those being with|out shal come in a leisurely, without throng or crowd, that they be the better discerned by the guard what they are. » STC (2nd ed.) / 23350.
16 Simone Weil, La Source grecque, Gallimard, 1953, p. 13
17 C’est le mot le plus courant au seizième siècle pour désigner la foule. Le terme est beaucoup plus courant que « crowd » sous sa forme verbale aussi bien que nominale : entre 1477 et 1613, le mot est employé 892 fois dans 447 ouvrages.
18 Richard Marienstras, Shakespeare au XXIe siècle, op. cit., p. 47.
19 John Balyey, « Time and the Trojans », Essays in Criticism, vol. 25, 1975, p. 55-73. La traduction est de Richard Marienstras, op. cit., Chapitre 3, p. 95.
20 Simone Weil, op. cit., p. 13.
21 « Hazlitt, notamment, lui reprochait son mépris du peuple », voir William Hazlitt, « Characters of Shakespeare’s Plays », Lectures on the Literature of the Age of Elizabeth, and Characters of Shakespeare’s Plays, Londres, Bell & Daldy, 1870, première édition, 1817, p. 50-52. Voir également Richard Marienstras : « S’il est vrai que Shakespeare insiste sur le bien fondé des revendications des plébéiens, sur la réalité de la famine et sur la lucidité de certains d’entre eux, il note aussi, ce que ne fait pas Plutarque, qu’ils sont de médiocres combattants, que leurs réactions sont imprévisibles, leurs humeurs changeantes », dans « Notice à Coriolan », op. cit., p. 1557.
22 David L. Stevenson, « The Role of James I in Shakespeare’s Measure for Measure », ELH, Vol. 26, n° 2 (Jun. 1959), p. 188-208. Je cite p. 194.
23 Thomas Tyrwhitt, Observations and Conjectures Upon Some Passages of Shakespeare, Oxford, 1766, p. 36.
24 Ibid., p. 36-37 : « Sir Symonds D’Ewes, in his Memoirs of his own Life, has a remarkable passage with regard to this humour of James. After taking notice, that the King going to Parliament, on the 30th of January, 1620-1,
25 Sur l’ensemble de ce débat autour de la lecture « Duke as James » ou encore « the King James’ Version’’ de la pièce voir l’excellente synthèse faite par Kevin A. Quarmby, dans The Disguised Ruler in Shakespeare and His Contemporaries, Ashgate, 2012, chapitre 3, « Measure for Measure : Conventionality in Disguise », p. 103-137. Voir tout particulièrement le sous-chapitre « King James, Occasionality and Measure for Measure », p. 111-130. En l’occurrence, il démontre comment « Tyrwhitt […] introduced the Duke as James’ theory into Measure for Measure in direct response to […] Whig historiography. […] It is important to remember […] that D’Ewes testimony recalls an event towards the end of James’s life that occurred when D’Ewes was an impressionable nineteen-year-old newcomer in London. […] At the same time, any response to Tyrwhitt’s reliance on the eminent ‘witness’ demands recognition of D’Ewes’s anti-Stuart predisposition », p. 117-118.
26 Megan Mondi, "The Speeches and Self-Fashioning of King James VI and I to the English Parliament, 1604-1624," Constructing the Past, Vol. 8: Iss. 1, 2007, Article 11. (p. 140) : http://digitalcommons.iwu.edu/constructing/vol8/iss1/11
27 Kai Wiegandt, Crowd and Rumour in Shakespeare, London, Ashgate, coll. « Studies in Performance and Early Modern Drama », 2012, p. 3.
28 Kevin A. Quarmby, The Disguised Ruler in Shakespeare and His Contemporaries, London, Ashgate, coll. « Studies in Performance and Early Modern Drama », 2012, p. 116. L’ensemble du chapitre 3, « Measure for Measure : Conventionality in Disguise », offre une synthèse remarquable sur les lectures traditionnelles et révisionnistes de la pièce. Voir en particulier le sous-chapitre intitulé « King James, Occasionality and Measure for Measure », p. 111-130.
29 Note 1. de l’Acte I. de Coriolan, p. 1575, in William Shakespeare, Tragédies, II (Œuvres complètes, II), op. cit..
30 Kevin A. Quarmby, Idem, p. 135 : « Measure for Measure sits uncomfortably [. . .] in the chronology of Shakespeare’s so-called ‘republican’ repertoire : earlier works such as Titus Andronicus (c. 1589, published 1594), The Rape of Lucrece (594), or Julius Caesar (c. 1599) more readily engage with the ‘republican moment’ towards the end of Elizabeth’s reign. The accession of James removed the political immediacy of active debate, and the ‘republican moment’ (and thus the opportunity for significant change) was lost ».
31 Sur ce point, voir Catherine Lisak, « ‘O, me alone!’: Coriolanus in the Face of Collective Otherness », p. 225-255 dans Shakespeare et la cité, 28/2011 ; at http://shakespeare.revues.org/1646
32 Andrew Hadfield, Shakespeare and Renaissance Politics, London, Thomson Press, 2005, p. 200, cité dans Kevin A. Quarmby, p. 135.
33 Ici je cite dans l’ordre Richard Marienstras, Shakespeare au XXIe siècle, op. cit., p. 74, puis, sa traduction de R. W. et A. J. Carlyle, A History of Medieval Political Theory in the West, 6 vol., Edinbourg et Londres, W. Blackwood & Sons, 1903-1936, vol. 5, p. 474-475, qu’il cite p. 74, note 1.