- Accueil
- > Revue électronique
- > La Foule au théâtre
- > III. Enjeux sociopolitiques de la foule au théâtre
- > Conjurer l’histoire : Les foules, figures historiques dans le théâtre d’Einar Schleef
Conjurer l’histoire : Les foules, figures historiques dans le théâtre d’Einar Schleef
Par Jitka Pelechova
Publication en ligne le 03 avril 2015
Texte intégral
1Einar Schleef (1944-2001), homme de théâtre universel (metteur en scène, acteur, scénographe, dramaturge, plasticien, écrivain et théoricien), auteur de seize mises en scène, de presque autant de pièces, et d’une dizaine de livres, journaux, récits et essais, passe, à la fin du xxe siècle, pour l’un des représentants majeurs du théâtre choral. Son travail est paradigmatique de la transformation qui affecte la représentation théâtrale en Allemagne depuis les années quatre-vingt et qui se caractérise par des expériences scéniques basées sur l’abandon de l’expression dramatique, de la notion de personnage, de l’action, de la fable linéaire. Schleef, dans son grand essai sur le théâtre, intitulé Droge Faust Parsifal/Drogue Faust Parsifal et publié en Allemagne en 19971 (c’est à la fois un manifeste esthétique et idéologique, et une autobiographie), tente de définir une nouvelle esthétique de la tragédie, de (re)donner naissance à la tragédie en tant que nouvelle forme scénique2. Pour cela, il emprunte principalement au théâtre antique, et reprend notamment deux de ses particularités : d’un côté, la place centrale de la femme au sein du conflit tragique (des Bacchantes à Électre, les exemples sont nombreux), et de l’autre, et surtout, la présence du chœur sur le plateau. Schleef puise aussi, pour sa « nouvelle poétique de la tragédie moderne3 », dans d’autres univers, comme celui de Wagner (selon Schleef, la musique au sein du Gesamtkunstwerk/œuvre d’art total opère justement comme un ersatz du chœur, renvoyé à la fosse) ou celui des religions : le « ceci est mon corps, ceci est mon sang » serait pour Schleef « la première prise de drogue “chorale” de notre domaine culturel4 », une prise de drogue rituelle qui, selon lui, est une condition sine qua non de la formation d’un chœur, qui le soude, en somme5.
2Pour autant, dans quelle mesure peut-on véritablement parler de « chœur » dans le théâtre d’Einar Schleef ? Le chœur antique occupe, certes, une large place dans sa réflexion, mais dans sa pratique scénique, il semble plutôt un lointain souvenir. Si la multitude sur le plateau peut effectivement représenter une émanation du public sur scène, selon le modèle grec, elle n’endosse que rarement, contrairement à lui, une identité dramatique quelconque. Dans Droge Faust Parsifal, le metteur en scène a d’ailleurs tendance à réserver l’appellation Chor (chœur) à des formes du passé (les tragédies antiques, les opéras de Wagner, etc.), alors que pour traduire sa vision, il préfère les termes de Masse ou de Zusammenrottung (le terme français le plus proche serait probablement « attroupement », mais il ne véhicule pas la charge dépréciative du mot allemand). Ainsi serait-il sans doute plus exact de parler, à propos de l’œuvre de Schleef, d’un théâtre de masse ou de foule, voire de cohue, cohorte, meute ou troupeau.
3Le rapport entre la multitude et l’individu est, quoiqu’il en soit, au centre de la théorie et de la pratique de Schleef. Outre l’héritage antique et wagnérien, son théâtre postdramatique (ou, mieux, « post-protagoniste6 ») est étayé par des allusions historiques concrètes, véhiculées par ces figures de foules. Sa recherche d’une nouvelle forme scénique de la tragédie semble intensivement nourrie ou hantée, voire appelée et légitimée, par le souvenir des événements historiques tragiques du xxe siècle en Occident, notamment le fascisme et le stalinisme.
4Schleef a les deux dans le sang. Il naît en 1944, à Sangerhausen, en Allemagne de l’Est, et « grandit dans les ruines de l’après guerre et le quotidien gris de la RDA7 ». Ses études de peinture et de scénographie, notamment auprès de Karl von Appen, à l’Académie des Arts de Berlin-Est, le mènent au Berliner Ensemble, où il travaille, à partir de 1972, en tandem avec Bernhard Klaus Tragelehn. Dès 1975, toutefois, l’interdiction par la censure de la RDA de leur mise en scène de Mademoiselle Julie de Strindberg, rend l’avenir de Schleef dans les théâtres est-allemands très incertain. « La politique culturelle et la structure sociale de la RDA produisent plus de talents que ce dont l’État peut faire usage8 », écrit Heiner Müller trois ans plus tard, et l’on peut imaginer qu’il songe à Schleef qui, en 1976, profite d’un projet en Autriche pour quitter définitivement son pays. Installé à Francfort, Schleef mettra une dizaine d’années, consacrée essentiellement à l’écriture, à retrouver le chemin du plateau et devenir metteur en scène associé du Théâtre de Francfort. Après la chute du Mur, il retourne à Berlin-Est et au Berliner Ensemble, et travaille parallèlement à Vienne et à Düsseldorf, jusqu’à sa mort prématurée, à 56 ans. Son vécu, en tant qu’individu et en tant que membre d’un peuple, héritier d’une mémoire, d’une histoire et d’une culture, revient de manière obsédante dans ses écrits et ses propositions scéniques, ce qui permet à Marielle Silhouette d’affirmer que ce travail peut être appréhendé comme « une réflexion […] sur les modes de figuration possibles de l’histoire allemande depuis la Seconde Guerre mondiale et le national-socialisme9 ». C’est cette conjuration de l’histoire dans le théâtre de foules d’Einar Schleef que nous souhaitons interroger, en nous penchant sur deux de ses mises en scène : Maître Puntila et son valet Matti de Bertolt Brecht et Ein Sportstück/Une pièce de sport d’Elfriede Jelinek, créées respectivement au Berliner Ensemble en 1996 et au Burgtheater de Vienne en 1998. Dans chacun de ces spectacles, Schleef convoque des attroupements, de taille variable, allant d’une dizaine à une cinquantaine de membres.
5Un bref rappel des particularités des deux pièces permet de situer la démarche formelle initiale de Schleef. La « pièce populaire » de Brecht oppose un propriétaire terrien finnois, Jean Puntila, grand cœur lorsqu’il boit, mais capitaliste sans pitié sitôt à jeun, à son valet Matti, un prolétaire, ce qui permet à l’auteur de problématiser le rapport maître-serviteur. Schleef introduit dans son spectacle des « chœurs » (la pièce de Brecht ne prévoit pas leur existence) qui, la plupart du temps, opèrent une démultiplication des personnages (Matti, par exemple, est joué par une troupe de huit à dix comédiens). Ainsi, il renverse la synecdoque de Brecht : le pars pro toto original (Matti représente toute une foule de valets) devient un totum pro parte (une foule d’acteurs représente Matti). Le cas du Sportstück est autrement plus problématique : l’écrivaine autrichienne refuse la notion même de personnage comme entité uniforme et identifiable (tout comme elle refuse les autres catégories dramatiques) : son texte se présente donc comme une suite de « surfaces de langage10 », assumées par des protagonistes, mais qui ne donnent naissance à aucun personnage identifiable. « Dans la langue de Jelinek se dissout la notion de rôle psychologique ou dramatique : [la] langue […] semble bel et bien devenir le protagoniste principal de l’œuvre11. »
6Si, dans le cas de Maître Puntila, les chœurs s’opposaient à l’écriture de Brecht, dans la mise en scène du Sportstück, ils traduisent, au contraire, le parti pris de la dramaturgie « non plus dramatique12 » de l’auteure : en fonctionnant sur le plateau comme des éléments purement théâtraux, qui sortent du contexte de la narration et de celui d’une identité personnelle quelconque, ils constituent « la forme scénique adéquate pour répondre à la conception non individuelle du “personnage” chez Jelinek13 ».
7Jelinek, dans Ein Sportstück, présente le sport comme une continuation de la guerre par d’autres moyens : le sportif d’aujourd’hui ressemble, selon elle, à un « guerrier postmoderne14 » (« Les sportifs sont comme des soldats15 », écrit-elle explicitement), avec un maillot à la place de l’uniforme ; l’idéologie du corps sportif évoque celle de la race pure ; la violence avec laquelle sont traités les corps des sportifs et celle que le sport en général suscite chez les hommes (ceux qui le pratiquent et ceux qui y assistent) rappelle, pour Jelinek, les violences collectives de la Seconde Guerre mondiale.
8C’est dans cette stigmatisation des mouvements de masses que Jelinek et Schleef se rejoignent. Pour ce dernier, le chœur, depuis son apparition antique, est forcément en condition de détérioration, à l’instar, par exemple, de celui des Danaïdes, malades pour cause d’exil, dans les Suppliantes d’Eschyle, ou des mères et femmes argiennes, malades de la perte de leurs fils et maris, auxquels elles n’ont pu donner de sépulture, dans celles d’Euripide. Schleef commente :
Le chœur est malade. Malade de peste. D’une certaine mesure, tous les chœurs de la tragédie antique le sont. […] La masse semble malade dès le début. Comme si seul le fait de s’attrouper dégageait déjà l’odeur habituelle, comme si seul le fait de s’attrouper était la peste elle-même16.
9Cette masse malade cherche naturellement à se purifier. Et pour cela, le moment crucial est, selon Schleef, ce qu’il appelle la scène « devant le palais » : c’est là que se rassemble la masse malade pour choisir un individu parmi ses membres et l’exclure de ses rangs, tel un bouc émissaire, un pharmakós (bien que Schleef n’utilise à aucun moment ce terme)17, afin de se purifier. Cela faisant, le chœur est conscient du fait que ce sacrifice d’un individu est une trahison, mais il persévère quand même et désigne la victime comme l’unique coupable. Pour Schleef, « ceci n’est pas un aspect du chœur antique uniquement, mais un processus qui se répète tous les jours18 ».
10Ainsi, c’est non seulement pour réactiver une mémoire historique, mais aussi pour dénoncer des mécanismes toujours à l’œuvre aujourd’hui, que Schleef introduit, dans les deux spectacles, des foules aux traits militaires. Il écrit :
Après la fin de la Deuxième guerre, représenter l’armée sur scène est pour nous un problème difficile ; le choc est profond. Selon notre idée très maniérée, comme toujours, l’armée doit être montrée comme négative, comme une force aplanie, un problème somme toute dépassé. Ce n’est même pas la peine d’être berlinois pour savoir qu’il n’en est pas ainsi, que la présence permanente de l’armée détermine notre vie19.
11Elles arborent souvent des uniformes, notamment aux insignes de la Wehrmacht, évoluent sur le plateau de manière synchrone, selon une chorégraphie très stricte, et scandent leur texte unisono. Dans Maître Puntila, un tableau s’ouvre sur une foule de Matti qui, en manteaux de la Wehrmacht, effectuent des tours de plateau, en courant autour de Puntila, immobile. Les acteurs se meuvent de manière extrêmement disciplinée, évoquant une armée ou une garde autour de son Führer, obéissant à ses ordres aboyés. Et ce Führer, c’est Einar Schleef. Il est, en effet, le véritable protagoniste du spectacle : il en est le metteur en scène, le scénographe et l’acteur principal, puisqu’il endosse lui-même le rôle de Puntila. Il est constamment présent sur le plateau, liant le personnage du maître à sa position autoritaire de metteur en scène ; il se montre, s’assume, comme le démiurge du spectacle, le pivot de la représentation (au sens figuré comme au sens propre). Il arrange fréquemment les entrées des comédiens ou leur position sur scène, et dirige les foules sur un ton autoritaire et avec les gestes secs d’un « dictateur théâtral20 ». Cette présence de la multitude sur scène, qui insiste sur la condition malsaine, subordonnée, soumise, de la masse, s’oppose donc à la vision brechtienne, comme le remarque Miriam Dreysse, l’ancienne assistante de Schleef : « Le collectif révolutionnaire et autonome de l’utopie brechtienne de la société sans classe, devient sur le plateau de Schleef des collectifs d’interprètes qui se laissent (mal)mener par Schleef-Puntila, sans la moindre résistance21. »
12Dans Ein Sportstück, les foules ont pareillement des allures et des comportements militaires. Une séquence du spectacle présente quatre apparitions du chœur, à intervalles de quelques minutes, où les choreutes revêtent à chaque fois un uniforme militaire allemand d’une époque différente ; pour la dernière apparition, ce sont les uniformes SS.
13Mais c’est une autre séquence du spectacle qui entra dans la légende : l’armée des sportifs. L’ensemble du plateau (une boîte noire en perspective forcée) est strié par une alternation de bandes éclairées et sombres, parallèles à la rampe. Dans le noir, et sur l’ordre donné par un coup de sifflet sportif, quarante-huit acteurs, hommes et femmes, investissent la scène ; ils se disposent en six rangs, occupant ainsi la quasi-totalité du plateau. Ils sont vêtus d’ensembles de sport blancs : short large, débardeur sans manches et bottes de boxe noires. Ces habits laissent, certes, apparaître les différents corps, mais ne les mettent aucunement en valeur, en effacent plutôt les traits individuels, supprimant même la distinction des sexes. Les sportifs entament une sorte d’entraînement de groupe qui va durer plus de quarante-cinq minutes22, à un rythme très soutenu, qui s’accélère même à la fin de la séquence : ils répètent un enchaînement de mouvements faisant penser à de la boxe, à de la gymnastique, à des étirements, etc. Cet enchaînement est accompagné d’un texte court, répété inlassablement, scandé au rythme des gestes. Les acteurs entretiennent, par rapport à la parole, une distance stricte, renforcée par la séparation de la langue et du mouvement, et par une théâtralisation spécifique de la voix : « Le parler choral est ici totalement subordonné au rythme des mouvements du corps23. »La syntaxe des phrases est malmenée, de sorte que le sens des paroles est relégué au second plan, s’il n’est pas carrément inaudible. Le parler n’est pas ici destiné à véhiculer la valeur sémantique du texte, mais à être entendu, perçu dans sa valeur sonore, voire musicale. Le sens porté par ce chœur ne se situe donc pas au niveau de la parole, qui est ainsi « dé-sémantisée », mais à celui de ses mouvements, de son évolution de masse. « De nombreux passages du texte sont répétés, souvent plusieurs fois, étrangement rythmés, mis en lambeaux, étendus jusqu’à l’incompréhensible ou hurlés en accéléré, à une vitesse inouïe. La langue devient musique et rythme, le temps s’étire ou se condense24. »
14Au-delà de sa dimension esthétique, cette séquence semble faire revivre l’esprit des spartakiades, ces événements sportifs de masse ayant pour vocation « d’exprimer, de transmettre et de renforcer une identité communiste à travers un programme sportif et festif, fortement empreint de propagande politique25 », organisés en URSS depuis 1925, comme alternative aux Olympiades occidentales. Ces festivals sportifs et gymniques étaient relancés dans les années cinquante en RDA, ainsi que dans les autres pays socialistes, notamment en Tchécoslovaquie. Des dizaines de milliers de personnes exécutaient des exercices de gymnastique, de manière strictement synchrone, devant des centaines de milliers de spectateurs, dans d’énormes stades. Le sport de masse était érigé en condition sine qua non de la formation des individus et d’une communauté saine. Si Elfriede Jelinek propose donc un parallèle entre le sport et le fascisme26, Einar Schleef, par le truchement de ce rappel des spartakiades, évoque un univers directement lié à son passé en RDA, « État sportif modèle où la compétition était érigée en règle de vie27 ». À travers ce traitement scénique, la stigmatisation de la dimension militaire et idéologique que peut revêtir le sport collectif est élargie aux deux dictatures ayant marqué l’espace culturel germanophone au xxe siècle : « Le sport-spectacle de masse avec ses méthodes d’entraînement, […] ses vastes mouvements de foule, sa militarisation croissante […] est toujours la voie obligée qu’emprunte le fascisme (ou le stalinisme) pour encadrer les masses28. »
15Nous l’avons dit, dans la vision de Schleef, le chœur est par définition malade, souffrant d’une « faiblesse originelle, donnée avec la réalité de la masse même29 ». Pour lui, le seul théâtre qui mette en scène la masse saine est le théâtre de propagande, fasciste ou stalinienne : « La formation et l’utilisation du chœur [au théâtre] sont aujourd’hui interprétées exclusivement de manière politique, appartenant à une idéologie de gauche ou de droite30. » C’est dans cette perspective que Schleef ramène à la vie une forme historique de pratique théâtrale nazie, les Thingspiele.
16Ces « jeux de Thing » (le Thing vient de l’ancien allemand où il désignait l’assemblée du tribunal dans le droit germanique, se tenant toujours en plein air) étaient pratiqués sous le IIIe Reich, en vue de fonder un théâtre populaire néo-germanique, « la nouvelle forme théâtrale suscitée par le national-socialisme, le renouveau du théâtre allemand31 ». Ces spectacles mettaient en avant exclusivement des sujets germaniques et exaltaient la force politique du peuple, ce dernier étant représenté par des chœurs de tailles impressionnantes. Ils étaient à la fois des festivités et des lieux d’agitation politique : « D’un côté, ils devaient faire vivre aux participants une expérience communautaire, en leur transmettant le sentiment d’être membres de la “communauté du peuple” […]. De l’autre côté, ils devaient mobiliser les masses pour les objectifs de la “révolution nationale”32. » D’où l’envergure véritablement monumentale de ces entreprises qui convoquaient des milliers d’interprètes et des dizaines de milliers de spectateurs, avec l’ambition d’engager l’ensemble des participants (spectateurs et interprètes) du point de vue à la fois émotionnel, moral et idéologique.
17Ces spectacles de masses se déroulaient (naturellement, vu le nombre de participants) en plein air ; des centaines de lieux réservés aux Thingspiele, des Thingplätze, ont été projetés à travers tout le Reich, dont une quarantaine véritablement construits. Les Thingplätze s’inscrivaient souvent dans le terrain naturel, et étaient organisés de manière circulaire33, « autour d’une ruine médiévale, d’un tumulus, d’un arbre vénérable plongeant ses racines dans le passé germanique, d’une roche portant des inscriptions runiques34 ». L’arène centrale était reliée aux gradins par de nombreuses allées, afin que le spectacle puisse déborder dans l’espace des spectateurs et que la foule puisse y prendre part activement.
18Ces événements ont connu une période d’épanouissement brève mais intensive, au début des années 1930. Le discours officiel les présentait comme voulant renouer d’un côté avec les origines du théâtre antique (espaces en plein air, participation de la cité entière), et de l’autre avec les mystères du Moyen-âge (effets spectaculaires fascinants), mais, plus concrètement, ils prenaient leur source dans les fêtes massives des travailleurs organisées par les mouvements de gauche radicale. Et c’est justement le « caractère communiste35 » de ce théâtre choral qui mena à son abandon progressif, jusqu’en mai 1936, où Joseph Goebbels promulgua un décret interdisant l’utilisation des chœurs parlés au théâtre. Ainsi privée de son moyen formel fondamental, cette pratique est tenue pour « obsolète36 » à partir de 1937 (les outils privilégiés de la propagande sont désormais le film et la radio) et pour « obscène37 » après 1945.
19La convocation de meutes de tailles impressionnantes, brandissant quelques fois des insignes nationaux-socialistes, donne donc aux mises en scène de Schleef le caractère de souvenir de ces spectacles de masses prisés sous le Reich. La parenté est encore soulignée par l’organisation de l’espace scénique et théâtral (Schleef assume toujours la scénographie de ses représentations). Dans un grand nombre de ses spectacles, notamment dans ses mises en scène de Francfort, Schleef joue sur l’abolition de la limite entre le plateau et la salle par le truchement d’une passerelle, qu’il fait partir du nez de scène et parcourir les gradins jusqu’au fond de la salle : les acteurs se mêlent ainsi aux spectateurs, ils participent d’un même espace, d’un même « attroupement ». Pour Maître Puntila et Ein Sportstück, toutefois, le metteur en scène se limite à la scène à l’italienne (celle du Berliner Ensemble et du Burgtheater) ; mais, même là, la frontière est rendue floue. Ainsi lors de la première apparition du chœur dans Ein Sportstück. Sur un coup de sifflet et sur un ordre (« À vos marques, prêts, partez ! »), la foule arrive en courant depuis le lointain et s’aligne au niveau de la rampe, où elle restera, dans une position immobile, jusqu’à la fin de la séquence. Elle est composée d’une cinquantaine d’hommes et de femmes, tous vêtus de longues tuniques noires, qui se mettent à chanter l’intégralité de l’hymne impérial de l’Autriche. Tout au long de cette (longue) séquence, les acteurs sont entassés sur l’extrémité du plateau, et leur masse semble menacer de dépasser la rampe et déferler sur le public, à tout moment. De plus, ce chœur est dirigé par un coryphée, situé au fond de la salle : les spectateurs sont ainsi pris en étau entre le chœur devant eux et le coryphée dans leur dos. Dans Maître Puntila, c’est plutôt l’aspect circulaire des Thingplätze que semble évoquer Schleef. À l’exemple de la ronde des Matti en manteaux de la Wehrmacht, déjà évoqué, nous pouvons ajouter celui de la séquence du jugement d’Eva, fille de Puntila : ici, elle est traitée sous forme d’une scène de tribunal, qui siège autour d’une table ronde hypertrophiée, et rappelle ainsi le Thing, « assemblée des hommes libres constitués en tribunal38 ».
Les foules dans les spectacles d'Einar Schleef rappellent les Thingspiele, pratique théâtrale nazie. (Ici, sa mise en scène de Maître Puntila et son valet Matti de Bertolt Brecht, Berliner Ensemble, 1996.)
Photo © David Baltzer/bildbuehne.de
20Depuis les années quatre-vingt, Schleef se fait régulièrement accuser de faire de la « dramaturgie du Congrès du Reich (Reichsparteitag)39 » ou du théâtre « fascistoïde40 », à cause notamment des aspects militaires de ses foules, ainsi que de ces principes ravivant un imaginaire national-socialiste. Ces accusations témoignent toutefois d’un regard très myope de la part des critiques, car Schleef entretient à tout moment une distance critique, voire ironique, envers les éléments dont il traite :
Des attroupements joyeux et sains, comme les célèbre Wagner dans les Maîtres chanteurs de Nuremberg, sont des exceptions et restent sensiblement stupides dans l’image qu’ils donnent de l’homme. Le théâtre bourgeois, ses héros et sa représentation du peuple, ont contribué à établir le contraire, à savoir qu’il n’y a pas, sur scène, d’hommes et de masses joyeuses et saines qui puissent avoir de la grandeur, mais que la joie et l’approbation à la vie ont au théâtre un effet de petitesse et de misère. C’est de cela qu’ont profité les fascistes, en montrant, comme contreproposition, une “masse saine”. Avec la distance historique, cette “masse saine” est malade, elle aussi41.
21Cette distanciation trouve également une expression claire dans ses spectacles. Ainsi, par exemple, dans Maître Puntila, le tableau où la troupe de Matti, arborant des insignes nationaux-socialistes, dessine vaillamment des cercles autour de Schleef, est suivi par une séquence dans laquelle ces mêmes Matti apparaissent en caleçon, ridiculisés. L’aspect militaire que le metteur en scène donne à cette foule est donc cassé de manière plutôt ironique.
22La distance s’exprime encore à travers le fait que Schleef s’applique également à ramener sur scène la face cachée de l’univers nazi ; ainsi trouve-t-on, dans ses spectacles, des représentations des masses de victimes et des convocations des images de mort collective. La première partie du Sportstück se clôt sur une « image terrifiante du sacrifice des héros42 » : après un bref noir, le rideau monte lentement pour découvrir plusieurs hommes nus, accrochés par un pied aux cintres, qui pendent à cinq mètres du sol, se balancent et tournent sur eux-mêmes comme des quartiers de bœuf aux abattoirs. Quelques minutes plus tard, le rideau redescend, sans quelque commentaire que ce soit. Ce « sacrifice de la victime expiatoire43 » suffira-t-il pour purifier les masses souillées par le sport militarisé ?
23Mais c’est principalement une séquence située vers la fin de Maître Puntila qui marque les esprits. Les spectateurs se retrouvent devant un plateau vide ; les acteurs, nus, l’investissent dans la pénombre dans une danse spasmodique et convulsive, puis tombent par terre en proie à des secousses violentes, avant de se relever. Cette scène se répète plusieurs fois : à chaque reprise, les comédiens sont de moins en moins nombreux à se relever, leurs mouvements sont de plus en plus lents et épuisés, jusqu’au point où tous restent gisant au sol, dans des positions grotesques. On chercherait en vain un rapport direct de cette séquence avec la pièce de Brecht. Elle évoque les images d’une mort collective, voire d’une chambre à gaz ; l’effet est renforcé par la scénographie qui enferme la représentation dans un énorme cube en bois, sans issue visible.
24Cette foule de victimes ne s’oppose toutefois pas de manière univoque aux foules militaires présentes dans le spectacle. Dans la scène évoquée auparavant, où les Matti courent en cercles autour de Schleef, ce sont les mêmes acteurs qui sont, en fait, nus sous leurs manteaux de la Wehrmacht : les victimes sont ainsi d’emblée présentes et si la frontière entre elles et les bourreaux ne s’efface pas, elle est rendue problématique par Schleef.
25La mise en scène de Maître Puntila a suscité une réception très agitée, avec des réactions contradictoires, tout sauf tièdes44. Si elle fut saluée comme un « miracle au Berliner Ensemble45 », elle fut en même temps condamnée comme l’expression de l’« égomanie46 » du metteur en scène. Parmi d’autres attaques, on peut relever des qualificatifs comme ceux d’ « allemand et brutal, […] obscène et répugnant47 », « totalitaire, démagogique et despotique48 » ; certains parlent de « répétition d’Auschwitz49 » en dénonçant son « manque de goût50 », d’autres évoquent des groupes de « Wehrsport51 » (en référence à la Wehrmacht), parlent d’un « mélange mal compris d’antiquité, de défilés SA et de fêtes de la FDJ [jeunesse communiste allemande]52 », d’autres encore assimilent le spectacle à un « pénitencier artistique allemand53 ». Pourtant, on l’a vu, Schleef n’adhère clairement pas à l’idéologie ou à l’esthétique fasciste ou stalinienne ; il les dénonce, au contraire. Mais il est vite fait de faire l’amalgame. C’est ainsi que de nombreux critiques se sont contentés de trouver dans le principe soldatesque de la formation des foules un prétexte pour accuser Schleef de fascisme, et qu’ils n’ont pas su dépasser, dans leur lecture de son travail, le premier degré de ces images. Dans la revue Theater heute, Franz Wille donne à son compte-rendu du spectacle un titre évocateur, lui-même lié à l’histoire allemande : « Attention ! Vous quittez le secteur du politiquement correct54 !»
26Dès 1946, Karl Jaspers écrivait : « Lorsqu’on n’a pas éprouvé spontanément le besoin de voir clair en soi et de comprendre sa propre culpabilité, on est tenté d’accuser l’accusateur. On lui demande, par exemple, s’il n’est pas de la même espèce que les hommes auxquels il adresse ses reproches55. » Ces questionnements pourraient, en effet, être au centre de la problématique exploitée par Schleef. Dans la constellation antique, à laquelle se rapportent ses considérations sur le chœur, le sacrifice d’un pharmakós, « pour que retombent sur lui toutes les fautes de la communauté56 », permettait à la cité de se purifier. Mais comment réactualiser cette forme dans une situation où un individu ne peut plus répondre des fautes de la communauté ? Comment réactiver cette constellation dans un contexte où, les réactions viscérales en témoignent, la culpabilité est plus « métaphysique », où le fait « que nous soyons en vie fait de nous les coupables57 » ? À l’affirmation, Schleef préfère l’interrogation. Et ce sont ces questionnements qui, au-delà de ses propositions esthétiques, au-delà de son « canon formel » de la tragédie, continuent à agir et à maintenir son théâtre pertinent. Pour conclure, citons ce bref échange tiré du film de Crista Mittelsteiner consacré à Schleef58 :
Hans-Thies Lehmann: Nous n’avons pas été plus loin que lui dans nos questionnements sur l’identité et sur notre rapport à la société.
Thomas Ostermeier: En cela, il était plus qu’un artiste. Il aurait pu devenir un modèle pour nous tous, qui n’avons pas cette radicalité.
Notes
1 Einar Schleef, Droge Faust Parsifal/Drogue Faust Parsifal, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp Verlag, 1997.
2 Tragédie comme forme scénique (Tragödie als Bühnenform, Bielefeld, Transcript Verlag, 2010) est, par ailleurs, le titre de l’ouvrage de Christina Schmidt consacré au théâtre de Schleef, auquel nous devons de nombreux éléments de notre analyse.
3 Marielle Silhouette, « Chemin de croix et Passion de l’homme moderne. Le théâtre selon Einar Schleef », in Alexandra Poulain (dir.), Passions du corps dans les dramaturgies contemporaines, Lille, Septentrion, 2011, p. 83.
4 EinarSchleef, Droge Faust Parsifal/Drogue Faust Parsifal, op. cit., p. 7. (Toutes les sources allemandes sont citées dans notre traduction.)
5 Pour une présentation générale du théâtre de Schleef, en français, outre la référence déjà citée, cf. le numéro n° 76-77 « Choralités » d’Alternatives théâtrales, sous la direction de Christophe Triau, avec la collaboration de Georges Banu, 2003 ; « Einar Schleef. L’espace du théâtre » de Christina Schmidt, in Théâtre / Public, n° 206, « Archéologie du théâtre allemand contemporain », 2012 ; ainsi que nos articles « La Masse malade : Introduction à une étude de la dimension chorale dans l’œuvre d’Einar Schleef », in Ateliers, n° 41, 2009, et « De l’interprétation à l’appropriation : metteur en scène et écriture(s) : Einar Schleef, Christoph Marthaler et Guy Cassiers », in Théâtre / Public, n° 194, « Une nouvelle séquence théâtrale européenne ? », 2009. En allemand, la littérature (primaire et secondaire) est autrement plus abondante ; les références principales sont citées tout au long de cet article.
6 Ce terme est utilisé à propos du théâtre de Schleef par Evelyn Annuss, « Zur Historizität postdramatischer Chorfiguren. Einar Schleef und das Thingspiel », in Stefan Tigges (dir.), Dramatische Transformationen, Zu gegenwärtigen Schreib- und Aufführungsstrategien im deutschsprachigen Theater, Bielefeld, Transcript Verlag, 2008, p. 361.
7 Marielle Silhouette, « Chemin de croix et Passion de l’homme moderne. Le théâtre selon Einar Schleef », op. cit., p. 77.
8 Dans « Et bien des choses comme sur les épaules un fardeau de bûches sont à retenir », traduction Jean Jourdheuil et Heinz Schwarzinger, paru d’abord dans Le Monde du 12 mars 1979, puis dans Heiner Müller, Erreurs choisies, L’Arche, 1988, p. 11–15.
9 Marielle Silhouette, « Chemin de croix et Passion de l’homme moderne. Le théâtre selon Einar Schleef », op. cit., p. 83.
10 Hans-Thies Lehmann, Le Théâtre postdramatique, L’Arche, 2002, p. 21.
11 Charlotte Bomy, « Choralité, chœur et corps dans le théâtre d’Elfriede Jelinek », in Florence Fix et Frédérique Toudoire-Surlapierre (dir.), Le Chœur dans le théâtre contemporain, 1970 - 2000, Dijon, Éditions universitaires de Dijon, 2009, p. 80.
12 Selon le concept de Gerda Poschmann, Der nicht mehr dramatische Theatertext, Tübingen, Max Niemeyer Verlag, 1997.
13 Emmanuel Béhague, « “Vom Theater fortkommen.” Le théâtre d’Elfriede Jelinek et la mise en scène », in Gérard Thiériot (dir.), Elfriede Jelinek et le devenir du drame, Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, 2006, p. 118.
14 Christina Schmidt, Tragödie als Bühnenform, op. cit., p. 46.
15 Elfriede Jelinek, Ein Sportstück, Reinbek bei Hamburg, Rowohlt Verlag, 1999, p. 42.
16 Einar Schleef, Droge Faust Parsifal/Drogue Faust Parsifal, op. cit., p. 274.
17 Dans Mythe et tragédie en Grèce ancienne (Maspero, 1972, pp. 117-118), Jean-Pierre Vernant et Pierre Vidal-Naquet décrivent le rite du pharmakós comme « un rite annuel qui vise à expulser périodiquement la souillure accumulée au cours de l’année écoulée. […] Deux pharmakoí […] étaient promenés à travers toute la ville ; on les frappait sur le sexe avec des oignons de scille, des figues et d’autres plantes sauvages, puis on les expulsait ; peut-être même, au moins à l’origine, étaient-ils mis à mort par lapidation, leur cadavre brûlé, leurs cendres dispersées. Comment étaient choisis les pharmakoí ? Tout laisse à penser qu’on les recrutait dans la lie de la population ».
18 Einar Schleef, Droge Faust Parsifal/Drogue Faust Parsifal, op. cit., p. 14.
19 Ibid., p. 431.
20 Propos cité par Franz Wille, « Der Untergangsdirigent. Einar Schleef inszeniert Brechts Herr Puntila und sein Knecht Matti im Berliner Ensemble », in Theater heute, avril 1996.
21 Miriam Dreysse Passos de Carvalho, Szene vor dem Palast, Die Theatralisierung des Chors im Theater Einar Schleefs, Francfort-sur-le-Main, Peter Lang Verlag, 1999, p. 62.
22 De manière générale, les spectacles de Schleef atteignaient des durées impressionnantes. Hans-Thies Lehmann parle d’« un temps à la limite du supportable pour des spectateurs habitués à la temporalité du théâtre dramatique » (« Un théâtre du conflit », in Alternatives théâtrales, n° 76-77, op. cit., p. 40). L’anecdote de la soirée de la première du Sportstück, que rapporte Marielle Silhouette, atteste du fait que ces durées ne posèrent pas problème uniquement aux spectateurs : « À 23h, après plus de cinq heures de représentation, Claus Peymann, alors directeur du Burgtheater, demanda au metteur en scène de respecter les horaires syndicaux. Schleef, à genoux, supplia, jura de raccourcir la représentation à l’avenir et de prendre en charge les dépassements. Le spectacle put continuer, dura près de neuf heures… » (« Le théâtre d’Elfriede Jelinek ou la mise à l’épreuve de la scène », in Françoise Lartillot et Dieter Hornig (dir.), Jelinek, une répétition ?, Bern, Peter Lang Verlag, 2009, p. 121).
23 Christina Schmidt, op. cit., p. 78.
24 Hans-Thies Lehmann, « Un théâtre du conflit », op. cit., p. 40.
25 André Gounot, « Les Spartakiades internationales, manifestations sportives et politiques du communisme », in Cahiers d’histoire, n° 88, 2002, p. 59.
26 À ce propos, nous renvoyons également à l’ouvrage de Jean-Marie Brohm, Les Meutes sportives : critique de la domination (L’Harmattan, 1993, p. 116) : « Le sport est […] la structure d’embrigadement par excellence du fascisme […]. Les objectifs du sport coïncident avec les objectifs du fascisme : le rebronzage de la “race”, le redressement des “faibles”, le dégagement de l’élite physique ne peuvent en effet, dans une conjoncture donnée, ne pas déboucher sur une fascisation des corps et des esprits. Ensuite, le sport est fasciste parce qu’il véhicule toute une série de valeurs et préjugés qu’on retrouve toujours dans le fascisme : sexisme, racisme, culte des forts, nationalisme, chauvinisme, agressivité militante, militarisation, hiérarchie, sens de l’ordre, de la discipline, du masochisme, de la souffrance, goût du sang et de la mort, etc. Ces valeurs, loin d’être innocentes, préparent directement le carnage fasciste. Le sport et le fascisme véhiculent au fond les mêmes valeurs. Dans un comme dans l’autre, le corps est […] manipulé au compte d’une idéologie du “sacrifice” et de la mobilisation nationale. Dans un cas comme dans l’autre, le corps est le support d’une politique mortifère, d’une idéologie de la mortification. »
27 Ibid., p. 353.
28 Ibid., p. 116.
29 Hans-Thies Lehmann, « Un théâtre du conflit », op. cit., p. 44.
30 Einar Schleef, Droge Faust Parsifal/Drogue Faust Parsifal, op. cit., p. 8.
31 Jean Chabbert, « Théâtre et idéologie nazie : “communauté nationale” et culte du héros », in André Combes, Michel Vanoosthuyse et Isabelle Vodoz (dir.), Nazisme et anti-nazisme dans la littérature et l’art allemands (1920 – 1945), Lille, Septentrion, 1986, p. 28.
32 Erika Fischer-Lichte, Kurze Geschichte des deutschen Theaters, Tübingen et Basel, A. Francke Verlag, 1999, p. 296.
33 Ou semi-circulaire, comme la Waldbühne de Berlin, construite pour accueillir ces festivités et calquée sur le modèle du théâtre d’Épidaure.
34 Jean Chabbert, op. cit., p. 30.
35 Erika Fischer-Lichte, op. cit., p. 296.
36 Evelyn Annuss, op. cit., p. 363.
37 Loc. cit.
38 Jean Chabbert, op. cit., p. 31. Marielle Silhouette (« Chemin de croix et Passion de l’homme moderne. Le théâtre selon Einar Schleef », op. cit., p. 82) cite une autre expérience évoquant les Thingspiele. Lorsqu’en 1993, la fermeture du Schiller Theater de Berlin empêcha Schleef de présenter les résultats de ses répétitions de Faust, le metteur en scène en donna malgré tout une représentation sur l’escalier du théâtre, « les comédiens jouant les quatre heures de représentation en uniforme militaire et une torche à la main ». Rappelons que cette fermeture, survenue dans le cadre de la restructuration du paysage théâtral de Berlin réunifié, fut dénoncée par les milieux du théâtre comme une décision arbitraire et brutale, et rapprochée par certains de la politique culturelle des années trente.
39 Peter Iden, in Frankfurter Runchschau du 24 février 1986, cité par Wolfgang Behrens, Einar Schleef, Werk und Person, Berlin, Theater der Zeit, 2003, p. 111.
40 Peter Zadek cité par Jean Jourdheuil, « Chacun pour soi dans les eaux tièdes du management européen », in Frictions, n° 15, automne 2009.
41 Einar Schleef, Droge Faust Parsifal/Drogue Faust Parsifal, op. cit., p. 274.
42 Charlotte Bomy, op. cit., p. 85.
43 Marielle Silhouette, « Le théâtre d’Elfriede Jelinek ou la mise à l’épreuve de la scène », op. cit., p. 122.
44 Elle se fit beaucoup moins orageuse dans le cas du Sportstück, sans doute parce que l’écriture de Jelinek, prix Nobel de la littérature en 2004, est déjà elle-même accueillie de manière très conflictuelle – l’auteure autrichienne n’épargne rien à ses compatriotes, dont certains la désignent en retour comme « celle qui souille son nid » (comme le rapporte Charlotte Bomy, op. cit., p. 83). Le travail de Schleef put ainsi apparaître moins iconoclaste que lorsqu’il s’attaqua à Brecht.
45 Ester Slevogt, « Die Utopie der finnischen Sauna », in Die Tageszeitung, 20 février 1996.
46 Klaus Dermutz, « Paramilitärische Grundausbildung: Einar Schleef inszeniert und verspielt Bertolt Brechts Puntila am Berliner Ensemble », in Frankfurter Rundschau, 20 février 1996.
47 Bernd Sucher, « Einar Schleef verspielt Brechts Herr Puntila und sein Knecht Matti am Berliner Ensemble », in Süddeutsche Zeitung, 19 février 1996.
48 Propos cités par Franz Wille, « Der Untergangsdirigent... », op. cit.
49 Bernd Sucher, op. cit.
50 Id.
51 Critique de Hildegard Wenner, parue in Basler Zeitung, citée par Franz Wille, « Vorsicht! Sie verlassen den politisch-korrekten Sektor!: Zur Erregung über Schleefs Puntila », in Theater heute,Almanach 1996.
52 Critique de Roland Weigestein, parue in Badische Zeitung, citée ibid.
53 Peter Iden, op. cit.
54 Franz Wille, « Vorsicht! Sie verlassen den politisch-korrekten Sektor!: Zur Erregung über Schleefs Puntila », op. cit.
55 Karl Jaspers, La Culpabilité allemande, Éditions de Minuit, 1990, p. 97.
56 Jean-Pierre Vernant et Pierre Vidal-Naquet, op. cit., p. 118.
57 Karl Jaspers, op. cit., p. 81.
58 Chaque mot par cœur, film de Crista Mittelsteiner et Anne-Marie Gourier, © AMG & in extremis, 2008.