Jules César et la révolution tunisienne : stratégies de mobilisation des masses

Par Wael ELLOUZE
Publication en ligne le 08 avril 2015

Texte intégral

1Dès l’Antiquité, les penseurs grecs se penchaient sur la relation unissant l’art à la nature. Platon et Aristote étudièrent tous deux l’échange entre le théâtre et la nature1, prenant la réalité comme point de départ de la création artistique ou théâtrale à l’image du naturel et la mimesis comme outil de représentation à travers l’imitation.

2Ce concept de mimesis connut ensuite une multiplicité sémantique qui se déploya davantage à travers l’histoire littéraire. Ainsi son développement jusqu’à l’époque moderne se reformula-t-il dans l’expression baroque de theatrum mundi, une métaphore dépeignant le théâtre à l’image du monde, vu comme une scène gigantesque, « a stage, where every man must play a part » (I.1.78)2, comme le souligne si bien William Shakespeare et comme il le répète à travers les mots qu’il fait dire à Jaques dans Comme il vous plaira : « All the world’s a stage, / And all the men and women merely players » (II.7.138-139)3. L’époque moderne fonda un théâtre qui se voulait l’écho du monde, définissant la représentation théâtrale comme une action réciproque exercée sur le microcosme, qui n’était autre que la scène, et le macrocosme, qui n’était que son projeté, c'est-à-dire le monde. Le topos du theatrum mundi est donc un modèle de représentation ou une vision du monde et du théâtre qui implique la lecture de l’un à travers l’autre. Le personnage du roi, du fou ou du truand n’est autre que l’homme universel, l’individu d’hier, d’aujourd’hui et de toujours. Conjointement, la conglomération de ces individus formant une foule sur scène n’est autre que le rassemblement populaire par lequel se démarque la société humaine depuis la nuit des temps. Aussi la représentation de la foule au théâtre est-elle le reflet de la foule sociale du monde matériel, d’où découle la légitimité de l’étude comparative des mouvements qui régissent l’une autant que l’autre.

3Afin d’analyser les faits et les phénomènes sociaux, un chercheur peut effectivement se référer à l’Histoire, en gardant à l’esprit sa nature cyclique qui tend à se répéter Les pièces historiques de Shakespeare sont l’illustration de cette cyclicité souvent ironique. Dans Henry IV, le dramaturge atteste que la vie est une reproduction de faits antérieurs présageant les événements à venir. Le futur germe de la graine du passé et l’éclosion de cette graine donne naissance aux enfants du temps, personnification de la cyclicité de l’Histoire :

There is a history in all men's lives,
Figuring the nature of the times deceased;
The which observed, a man may prophesy,
With a near aim, of the main chance of things
As yet not come to life, which in their seeds
And weak beginnings lie intreasured.
Such things become the hatch and brood of time. (III.1.80-86)4

4Dans le même contexte, Jan Kott affirme que les pièces de Shakespeare dépeignent l’Histoire comme un mécanisme aveugle. Tout peut s’expliquer par un processus historique, processus circulaire et irrationnel5.

5D’autre part, le chercheur en Histoire contemporaine peut également se référer à l’art, pour y retrouver cette corrélation entre théâtre microcosmique et monde macrocosmique. L’art, étant un instrument de résistance, peut constituer un référentiel parfois plus fiable que l’Histoire, cette dernière étant forcément sujette à des interférences d’ordre politique ou idéologique6. Nous assistons à une multiplicité d’histoires racontées, dans la plupart des cas, par les vainqueurs. La science de l’historiographie la qualifie d’histoire du plus puissant. Howard Zinn7 critique la sélectivité que les historiens mettent en œuvre dans le processus de l’écriture de l’Histoire et la désigne par « déformation » :

Tout accent mis sur tel ou tel événement sert (que l'historien en soit ou non conscient) des intérêts particuliers d'ordres économique, politique, racial, national ou sexuel. […] Ce ne sont que des aspects particuliers de cette approche particulière de l’histoire, à travers laquelle le passé nous est transmis exclusivement du point de vue des gouvernants, des conquérants, des diplomates et des dirigeants. […] Dans un monde aussi conflictuel, où victimes et bourreaux s’affrontent, il est, comme le disait Albert Camus, du devoir des intellectuels de ne pas se ranger aux côtés des bourreaux8.

6L’histoire des vainqueurs n’est qu’une version parmi tant d’autres qui varient selon l’angle de vue, l’appartenance politique, la croyance religieuse, la classe socioéconomique ou encore l’idéologie. Les pièces historiques de Shakespeare fournissent différentes réflexions sur l’Histoire, ou images déformées du « right view », via le phénomène d’anamorphose9 résultant en divers « wry points of view »10. Dans Richard II, par exemple, Shakespeare fait appel à la technique de l’anamorphose pour mettre en évidence cette dichotomie entre l’Histoire et les images déformées qui en sont relatées11.

7Dans Jules César, Shakespeare adopte un point de vue narratif qui peut sous-entendre une dénonciation de l’Histoire telle que racontée par les vainqueurs. Ainsi, devenant historiographe lui-même, il réinterroge l’histoire de César, le glorieux général romain, en lui consacrant une pièce qui traite non pas de sa gloire, mais de sa relation avec les masses. De même, Elias Canetti critique les références historiques et archivistiques attestant que César fut le plus grand commandant de tous les temps pour ses victoires :

These proud balance sheets are handed down from generation to generation and each generation contains potential warrior-heroes whose passion to survive great crowds of fellow human beings is fanned to fury by them. History seemed to vindicate their purpose even before they had achieved it12.

8C’est à ce niveau-là qu’intervient donc l’art, instrument moins affecté par les interférences que la science de l’historiographie qualifierait de politiques, du moins en principe. Dans sa quête intrinsèque d’un idéal esthétique, imprégnée par d’autres subjectivités d’ordre technique13, l’art a ce pouvoir de prendre de la perspective par rapport au sujet qu’il traite.

9Cet article se propose d’appliquer le principe d’analyse de l’Histoire à travers la littérature en menant une étude comparative entre la tragédie de Jules César de William Shakespeare et le récit de la révolution tunisienne du 14 janvier 2011. En effet, la pièce en question est elle-même pensée selon la théorie aristotélicienne de l’imitation ou mimesis, car elle puise ses actions dans l’Histoire antique, faisant ainsi place à une relation d’échange mutuel selon laquelle le théâtre, par synecdoque renvoyant à l’art, fait référence à la réalité tout comme la réalité fait référence à l’art.

10Plusieurs productions théâtrales de l’œuvre esquissèrent un parallèle entre la pièce historique de Jules César et un fait d’histoire contemporaine. La célèbre production d’Orson Welles en 1937 au Théâtre Mercury fit couler beaucoup d’encre quand il élabora une analogie entre César et Benito Mussolini, et vêtit ses personnages d’uniformes rappelant ceux de l’armée de l'Italie fasciste ou de l’Allemagne nazie. Le metteur en scène profita de la prépondérance de ces idéologies au vingtième siècle, et de la menace qu’elles représentaient pour la démocratie, pour produire une version de la pièce idéologiquement transposée. De même, cette étude intertextuelle et comparative examine un exemple de fiction historique, celui de Jules César, et un exemple de réalité historique, celui de la révolution tunisienne. Le choix de ces références en particulier s’explique par la récurrence du motif du mouvement circulaire qui définit le mouvement de la foule dans chacune de ces deux occurrences. Ce n’est une analogie ni du point de vue des résultats obtenus et des répercussions engendrées, ni du point de vue des outils et des stratégies employés afin de parvenir à ces résultats ; le parallélisme entre ces deux sources se fondera plutôt sur la similitude du mouvement qui les régit et sur la démarche de manipulation des masses dans chacun des deux cas de figure. Effectivement, la foule qui se rassembla sur les places et agoras de la Rome Antique tout comme la foule qui anima les contestations et manifestations de la révolution tunisienne suivent une démarche commune dont les étapes sont développées à travers l’analyse qui suit.

11Dans chacun des cas évoqués, le modèle du mouvement de la foule débute par un stade pacifique virtuel, une étape de stabilité du mouvement ou état de repos. Ce calme initial est appelé virtuel car il n’est qu’apparence : un air de violence dormante rôde parmi les individus non encore regroupés. La deuxième étape est déclenchée par la génération d’un postulat ou d’une idée commune autour de laquelle la foule se réunit pour former une masse. Le regroupement de la masse autour de cette idée stimule la violence dormante, l’incite à faire surface et à se propager à travers la foule, suivant un schéma mimétique. Ceci engendre l’urgence de repérer un bouc-émissaire, par consensus commun, afin d’en faire un point de déversement de la colère collective que cet « élu » est destiné à aspirer et neutraliser. Le mouvement de violence s’oriente ainsi vers le bouc-émissaire, ce qui évite à la communauté de tomber dans un mouvement de « tous contre tous14 ». On assiste là à un phénomène de redirection de la violence au motif « tous contre un ». Cette réorientation faite, et le bouc-émissaire ayant été éliminé, la foule peut revenir à l’état statique de pacifisme virtuel : la boucle est bouclée. À chaque stade de ce mouvement de masse, la psychologie de la foule joue un rôle primordial dans la gestion du mouvement ; c’est pour cela qu’il est impératif de traiter aussi bien le côté psychologique que le côté anthropologique.

12Le premier stade du mouvement de la foule, ici appelé stade pacifique virtuel, se caractérise par l’absence d’agitation populaire apparente ou, plutôt, par la dissimulation de cette agitation qui n’a pas encore atteint un point culminant. Dans Jules César, c’est dans une atmosphère paisible et dans un contexte favorable à la prospérité de la république que Brutus et Cassius commencent à conspirer contre César en un complot qui encouragerait le peuple à se révolter. En effet, avant la révolte, le peuple est favorable à César, célèbre sa victoire et se réjouit de son retour triomphal : « We make holiday, to see Caesar, and to rejoice in his triumph » (I.1.31-32)15. Ses antagonistes vont même jusqu’à réprimander le peuple pour le mal qu’il se donne à l’accueillir : « And do you now put on your best attire ? / And do you now cull out a holiday? / And do you now strew flowers in his way? » (I.1.51-53)16. Tant de sympathie et d’amour de la part du peuple pousse les conspirateurs à s’inquiéter : « I do fear, the people / Choose Caesar for their king » (I.2.79-80)17. Ce silence précédant la tempête ne tarde pas à se rompre.

13De façon similaire, et comme le dit ingénieusement le psychanalyste franco-tunisien Fethi Benslama : « la révolution tunisienne a surgi d’un angle mort18 ». Personne ne la vit venir ; elle naquit du néant, d’un vide politique que le parti-État qui géra la nation pendant plus de deux décennies avait intentionnellement instauré. C’est dans un état de stabilité apparente que les premières graines de la rébellion commencèrent à germer. On peut donc soutenir que la première phase du mouvement de la foule se situe dans un état de stagnation.

14Cependant, cette inertie ne se vérifie qu’en apparence. En effet, cette phase n’implique pas l’inexistence d’un mouvement de foule mais la présence de sous-mouvements mineurs. Ces actions assez secondaires ne s’élèvent pas au statut de mouvements à proprement parler, car elles n’englobent pas la majorité de la population et ne sont pas représentatives de l’opinion publique. Dans son ouvrage le plus récent, Charles Tripp définit les sous-mouvements comme suit :

They may not in themselves either lead to or be intended to lead to the more public and spectacular forms of resistance that demand public recognition and aim to overturn the order of power. However, they may prepare the ground for such actions, and feed into the larger stream once other circumstances combine to define a more general and public politics of contention19.

15Dans Jules César,les sous-mouvements présagent une violence qui rôde dès l’ouverture de la pièce. En effet, cette agitation dans les événements est annoncée par une inversion de la situation dramatique traduite stylistiquement. D’après Tillyard, un système de « correspondance », très souvent respecté dans les œuvres de Shakespeare, relie le « corps politique » au macrocosme qu’est l’univers et au microcosme qu’est l’Homme. Le même ordre qui régit l’un dirige inévitablement l’autre. Inversement, tout désordre atteignant l’un affecte l’autre20.

16Dans la scène en question, l’inversion de la situation dramatique annonce, d’ores et déjà, le désordre dans le corps politique. Cette inversion se manifeste à travers la façon dont les personnages de Flavius, Marullus et les citoyens sont présentés. Ayant l’avantage de leur éducation et occupant un rang plus important que les artisans dans l’ordre du corps politique, les tribuns Flavius et Marullus sont censés tenir un langage d’une certaine contenance et se distinguer par un niveau intellectuel plus élevé que leurs concitoyens. Cependant, l’échange entre ces personnages met en avant une ironie très subtile employée par les artisans pour tourner les tribuns en dérision, en faisant appel à des calembours et en simulant des quiproquos : « A trade, sir, that I hope I may use with a safe conscience ; which is, indeed, sir, a mender of bad soles » (I.1.13-14)21. Le cordonnier poursuit : « I beseech you, sir, be not out with me : yet if you be out, sir, I can mend you » (I.1.16-17)22. Il finit par : « Truly, sir, to wear out their shoes, to get myself into more work » (I.1.30)23.Irrité, le tribun tente de les rappeler à l’ordre, faisant référence à la scala naturae, ou « grande chaîne des êtres », en les comparant à des pierres, éléments naturels placés au bas de l’échelle de cette classification : « You blocks, you stones, you worse than senseless things! » (I.1.36)24. Pour les remettre à la place que leur appartenance sociale leur a assignée, Flavius les réprimande gravement d’avoir déserté leurs lieux de travail et erré sans les insignes de leurs professions, conçues pour rappeler constamment qui ils sont :

What! Know you not,
Being mechanical, you ought not walk
Upon a labouring day without the sign
Of your profession? (I.1.2-5)25

17Selon Robert D. Moynihan, cette correspondance entre le microcosme et le corps politique, dépeinte en scène d’ouverture, continue à se développer à travers la pièce pour s’étendre à une correspondance entre le macrocosme et le corps politique :

One aspect of Julius Caesar, the portents and the references to the heavenly bodies, supports the conservative interpretation of this most popular of the Roman plays. Such references clearly symbolize the conspirators' actions, their political divisiveness, their failure to maintain civil order, and the resultant chaos of the state itself. Such a use of heavenly and mundane portents as symbols of personal and social order is common enough in Shakespeare's plays26.

18En conséquence, dans la seconde scène du premier acte de Jules César, une foule se rassemble sur une place de Rome suite au triomphe de César. Le peuple loue la victoire du Général, certes, mais sans pour autant souhaiter le voir abuser de son pouvoir. La masse profite de ce rassemblement pour contester l’ascension de César au trône. Cette protestation se manifeste lorsque, comme le relate Casca, le peuple se réjouit de ce que César refuse la couronne qu’on lui offre et qui aurait fait de lui un roi : « There was a crown offer’d him; and being offer’d him, he put it by with the back of his hand, thus; and then the people fell a-shouting » (I.2.220-222)27. La méfiance de la foule commence ainsi à s’extérioriser avant même le vrai déclenchement de la révolte. Face à la stratégie rhétorique que César emploie pour simuler un rejet réticent du statut de roi, la foule n’hésite pas à montrer sa satisfaction de ce qu’il refuse le trône, représenté par la synecdoque de la couronne : « the common herd was glad he refused the crown28 » (I.2.264). Cette résistance reste néanmoins limitée car non-inclusive de la majorité de la foule. En effet, des sympathisants de la cause de César n’hésitent pas à crier : « Alas, good soul! And forgave him with all their hearts […]; if Caesar had stabb’d their mothers, they would have done no less29 » (I.2.273-276).

19Dans le cas de la révolution tunisienne, ce sont aussi des émeutes régionales qui vinrent perturber le sommeil paisible de la foule et du gouvernement. Le plus notable de ces sous-soulèvements fut le mouvement social qui secoua le bassin minier de Gafsa, au sud-ouest du pays, un mouvement tout de même sanglant où les affrontements des syndicalistes avec les forces de l’ordre firent plusieurs victimes. Aujourd’hui, beaucoup d’analystes politiques considèrent le mouvement minier de Gafsa en 2008 comme la première graine de la révolution de janvier 2011. Charles Tripp fait remonter les origines de la révolution tunisienne à une époque encore moins récente, faisant référence aux insurrections de 1984 connues sous l’appellation « Événements du pain » :

Despite the immediacy and uncertainty of the factors that caused the demonstrations in Tunisia to have such a momentous effect, they would be difficult to understand without having some insight into the events of the 1980s when riots and demonstrations ripped through Tunisia’s cities30.

20Néanmoins, ces événements restèrent dans le cadre d’un sous-mouvement car ils n’inclurent pas la totalité ou la majorité de la population, et le mouvement de la foule qui les anima resta réduit. La participation de la majorité, dans ce cas, est un prérequis pour former la foule, car l’on ne peut parler de mouvement collectif de masse, plus ou moins hétérogène, que lorsque les individus se réunissent autour d’une idée commune qui les unifie et qui forme une

âme collective, transitoire sans doute, mais présentant des caractères très nets. La collectivité est alors devenue ce que, faute d'une expression meilleure, j'appellerai une foule organisée, ou, si l'on préfère, une foule psychologique. Elle forme un seul être et se trouve soumise à la loi de l'unité mentale des foules31.

21Définie par Gustave Le Bon, « la foule psychologique est un être provisoire formé d’éléments hétérogènes qui pour un instant se sont soudés32 ». Par ce principe, la notion de foule gagne une dimension psychique plus que spatiale, car c’est cette conscience commune qui crée la masse et non pas la présence simultanée d’un groupe d’individus sur une même étendue géographique. C’est donc l’une des raisons pour lesquelles on ne peut se référer aux sous-mouvements étudiés ci-dessus en tant que mouvements de foule à part entière.

22Une autre caractéristique peut définir un mouvement populaire comme un sous-mouvement : celle de la déclinaison qui finit par la neutralisation. Si, en effet, un mouvement de désobéissance d’une partie de la masse n’aboutit pas ou ne produit pas d’événement majeur, ce n’est alors qu’un sous-mouvement. En Tunisie, les événements du bassin minier de Gafsa résultèrent en la condamnation et la persécution des révolutionnaires, et l’affaire fut étouffée avant d’être intégralement close. Dans Jules César, ce sont les tribuns Flavius et Marullus qui mènent l’un des sous-mouvements parsemant la pièce – comme en témoigne leur échange tendu avec les artisans. Leur ébauche tente tout de même de s’inscrire dans la durée et de se propager. La tentative est immédiatement anéantie : « Marullus and Flavius, for pulling scarfs off Caesar’s images, are put to silence33 » (I.2.287-288). Tentant de monter le peuple contre César, Flavius incite les plébéiens à rassembler leurs concitoyens afin de répandre la rage contre César en expiation de leur faute, celle de lui avoir réservé un accueil triomphal : 

Go, go, good countrymen, and, for this fault,
Assemble all the poor men of your sort;
Draw them to Tiber banks, and weep your tears
Into the channel, till the lowest stream
Do kiss the most exalted shores of all. (I.1.59-63)34

23Cette stratégie de « faire passer le mot » est une technique récurrente dans le mouvement des foules, aussi mineur soit-il. C’est une technique évocatrice du sous-mouvement tunisien de 2010, connu sous le nom de « Ammar 404 », une campagne de lutte underground contre la censure en ligne et le contrôle du réseau internet dans le pays sous le régime de Ben Ali. Les meneurs de ce mouvement, bloggeurs et jeunes activistes de la société civile, se sont servis de plateformes secrètes pour communiquer et créer des réseaux de résistance, essayant de sensibiliser le peuple à son droit à l’accès libre à l’information. Bien que les réseaux en ligne aient continué à servir la cause de la révolution en Tunisie, le mouvement « Ammar 404 », comme tout autre sous-mouvement, fut neutralisé par le système. C’est pour toutes ces raisons qu’on ne peut définir les sous-mouvements de la première phase comme des mouvements de foule et qu’on se réfère à ce stade initial comme un stade d’inertie, car il ne fait pas appel à une collectivité psychique, émotionnelle ou intellectuelle commune à tous.

24C’est effectivement lors de la génération d’une idée-idole, commune à tous les individus ou à la majorité, qu’est déclenchée la seconde phase du mouvement. Charles Tripp définit cette idée comme le tournant qui fait évoluer les sous-mouvements en de vrais mouvements populaires :

It is when people realize not only that they suffer a common predicament but also that they can have an impact by acting together that a powerful moment of open collective resistance can be created35.

25Cette idée qui joue le rôle de stimulateur est généralement un idéal qui vient traduire un manque ou une déficience en quelque chose qui peut être aussi bien abstraite que palpable, et que la population aspire à avoir ou à atteindre. Tentant de cerner les attributs de la foule, Elias Canetti montre l’importance de l’idée directrice dans la définition de la masse :

The crowd needs a direction. It is in movement and it moves towards a goal. The direction, which is common to all its members, strengthens the feeling of equality. A goal outside the individual members and common to all of them drives underground all the private differing goals which are fatal to the crowd as such. Direction is essential for the continuing existence of the crowd. Its constant fear of disintegration means that it will accept any goal. A crowd exists so long as it has an attained goal36.

26Pour parvenir à cet idéal souhaité, la foule est prête à sacrifier le statu quo, l’état d’harmonie virtuelle dont elle se prévalait auparavant. Une fois que la seconde phase du mouvement populaire est amorcée, et que la tension est montée pour atteindre son apogée, voici la foule prête à échanger sa paix et sa stabilité contre l’obtention de ce qui lui manque car, face à ce besoin, sa priorité n’est plus ni le bonheur ni la quiétude. D’après la théorie anthropologique de René Girard, élaborée dans La violence et le sacré, la propagation de cette croyance directrice se fait rapidement et joue le rôle le plus important dans la genèse de la foule37.

27Dans Jules César, la population se réunit pour s’élever contre l’éventuel despotisme du gouverneur et l’absolutisme de son règne, ou plutôt le risque d’y tomber. C’est Brutus qui articule cette idée-idole au nom du peuple de Rome :

But 'tis a common proof,
That lowliness is young ambition's ladder,
Whereto the climber-upward turns his face;
But when he once attains the upmost round,
He then unto the ladder turns his back,
Looks in the clouds, scorning the base degrees
By which he did ascend: so Caesar may;
Then, lest he may, prevent. (II.1.21-28)38

28Brutus partage ici avec ses complices sa crainte de voir le pouvoir de César s’accroître. Il le condamne non pas pour sa mauvaise foi, mais pour sa sinistre ambition qui risque de porter atteinte à la stabilité de la république et de ses fondements. Beaucoup de critiques modernes arguent que Brutus ne fait que formuler les craintes de Shakespeare lui-même, des craintes renvoyant à l’incertitude qui caractérisa la période durant laquelle la pièce fut probablement écrite39. Après les décennies de prospérité qu’avait connues l’Angleterre sous le règne d’Élisabeth I, dernier monarque de la dynastie Tudor, et quand son règne toucha à sa fin sans laisser d’héritier, le peuple s’inquiéta du retour de l’oppression catholique. Le débat autour de la succession au trône devint des plus épineux et inquiétants durant cette ère de transition. Jules César vint donc soulever une question qui était alors d’actualité, et ce à travers le portrait controversé du général romain. Irving Ribner tente d’analyser la représentation du personnage de César dans la pièce shakespearienne et de justifier son élimination : « Caesar must be destroyed, as Brutus sees it, not because he has been a tyrant but because he aspires to unlawful power, and such power must inevitably corrupt the most virtuous man and turn him to tyranny40 ». Il seconde, par cette assertion, la position de Dover Wilson qui nous met en garde contre le pouvoir susceptible de se transformer en tyrannie :

Dover Wilson has been almost alone among modern commentators in denying the charge of illogic in [Brutus’] lines; he has seen in them, rather, Shakespeare's keen insight into the corrupting effects of power41.

29La dissémination de l’idée-idole étant nécessaire à l’efficience de tout mouvement de foule, il est essentiel d’élargir le cercle des compatissants à la cause. La peur de l’absolutisme potentiel de César se propage donc parmi les citoyens de Rome comme par contagion. Le recrutement des conspirateurs, qui se fait progressivement mais rapidement, est d’abord déclenché par Cassius, le cerveau pensant, qui commence par manipuler et convaincre Brutus, lequel se fait aussitôt porteur du complot :

Why, man, he doth bestride the narrow world
Like a Colossus; and we petty men
Walk under his huge legs, and peep about
To find ourselves dishonourable graves.
[...] Brutus, and Caesar: what should be in that Caesar?
Why should that name be sounded more than yours? (I.2.136-144)42

30Ensuite, Cassius se charge de rassembler davantage de citoyens pour soutenir sa cause : « I have moved already / Some certain of the noblest-minded Romans / To undergo with me an enterprise of honourable-dangerous consequence » (I.3.124-126)43. Puis, c’est au tour de Casca de se joindre aux conjurés. La contagion continue à se propager pour atteindre Ligarius qui suit le troupeau avec une confiance aveugle :

Now bid me run,
And I will strive with things impossible;
Yea, get the better of them. (II.1.335-337)44

31Quant à la révolution tunisienne, l’idée directrice autour de laquelle la foule se réunit n’était autre que la liberté et la démocratie. La population avait vécu vingt-trois années de dictature, sous le régime de Ben Ali, « dans un vide idéologique qui, au lieu de leur être défavorable, leur permit d’être réalistes et pragmatiques pour éprouver par eux-mêmes la nécessité de se libérer et de revendiquer la justice45 ». Ereinté par près d’un quart de siècle de tyrannie abusive et de pouvoir corrompu soutenus par un État policier et un appareil répressif, le peuple se mobilisa pour déloger le dictateur et faire place à une nouvelle ère de dignité nationale, de liberté d’expression et de droit de participation à la vie politique. Dans les deux cas étudiés, la quête d’un idéal ou la peur de le perdre unissent la foule pour former une masse de résistance.

32Dans Jules César, la première étincelle qui provoque la réaction de la foule et la réunit autour d’une idée commune, c’est l’incident de la couronne, offerte à trois reprises par Marc-Antoine à César (I.2.221-248). Bien que ce dernier ne l’accepte jamais, le simple fait d’avoir pensé à éroder la République par l’éventuelle instauration de la monarchie met l’ensemble du corps social en péril. Cette scène, pivot de l’action dramatique dans la pièce sur plusieurs niveaux, joue un rôle important pour emporter l’adhésion de la foule vu sa dimension spectaculaire et sa théâtralité. Ensuite, c’est la présumée réaction populaire à ces  prédispositions à la tyrannie qui incite Brutus à mener la rébellion en réponse à la demande du peuple, comme Cassius le lui fait croire, et par devoir de protéger le patrimoine des ancêtres :

Shall Rome stand under one man’s awe? What, Rome?
My ancestors did from the streets of Rome
The Tarquin drive, when he was call’d a king. (II.1.52-54)46

33Par ailleurs, la première scène qui inaugura la révolution tunisienne se caractérisa, elle aussi, par une nuance de théâtralité. Il s’agit de l’immolation par le feu du jeune Mohamed Bouazizi47, un acte spectaculaire rappelant dans notre contexte la symbolique du feu dans l’histoire de la Rome Antique48. Au-delà des dimensions politique et sociale, la révolution tunisienne, comme l’expose Fethi Benslama, fut régie par une « dimension subjective49 », psychique. La perception de la figure de Mohamed Bouazizi dans l’esprit des Tunisiens, celle d’un suicidaire devenant martyr, prouve l’importance que joua le côté psychologique dans la canalisation des actes de la foule. Le geste de désespoir suprême face à l’humiliation du jeune vendeur ambulant ne fut pas, en lui-même, le motif qui engendra le soulèvement qui s’ensuivit. C’est, en effet, la réaction de la foule à l’égard de cet événement qui fit qu’il différa d’autres actes similaires et fut générateur d’un mouvement de masse subséquent. C’est ce regroupement autour d’une réaction commune qui fit toute la différence. Ce qui réunit la foule autour de cet incident, c’est l’identification massive au désespoir de la victime, assimilée à un héros tragique.

34Le passage à la phase suivante du mouvement de la foule est catalysé par l’agglomération des individus autour de l’idée-idole favorisant la concentration de la violence cachée qui, à cause de cette convergence, s’accroît. Ayant ainsi fait surface, la violence se diffuse à travers la foule par effet de mimétisme. L’effet « boule de neige », comme soutenu par la philosophie girardienne, est rapidement amorcé, pouvant résulter, si la violence dégénère, en « une crise mimétique » qui fait que la contagion colérique se propage parmi la foule à une vitesse surprenante et inattendue50. Progressivement, et comme un virus se trouvant enfin dans un milieu favorable à sa prolifération, la violence se développe et atteint les individus un à un, menaçant de les monter « tous contre tous ». Canetti soutient que le schéma mimétique que peut suivre cette contagion mène à la transformation de la foule pour donner naissance, dans notre cas d’étude, à une foule impétueuse : « Imitation, in a word, is nothing but a first step in the direction of transformation […]. Such movements can occur in rapid sequence and relate to the most incongruous succession of objects51 ».

35La violence qui peut caractériser cette phase est une violence collective, une violence qui risque d’être chaotique en dépit de la présence de cette idée partagée. Dans chacun des deux cas étudiés, l’apogée de cette rage collective est atteinte lorsqu’elle est nourrie par des facteurs promoteurs. Dans Jules César, la foule est manipulée à l’envi et se laisse influencer par chacun des deux discours prononcés sur la place du forum au troisième acte – discours qui vont être analysés ci-dessous pour bien illustrer la théorie de Gustave Le Bon. La théâtralité de ce « duel oratoire » est tout à fait significative et joue un rôle primordial dans la manipulation de la foule. Brutus et Marc-Antoine, figures antinomiques, jouent chacun un rôle dans cette mise en scène magistrale conçue pour influer le peuple.

36Brutus prend la parole en premier et s’appuie sur son charisme et sa popularité auprès de la foule pour l’affecter. Présenté comme l’orateur de l’assemblée, il énonce un argumentaire structuré capable de convaincre par le raisonnement : « censure me in your wisdom; and awake your senses, that you may the better judge » (III.2.16-18)52. Brutus justifie l’assassinat de César par l’ambition démesurée de ce dernier : « As he was ambitious, I slew him » (III.2.28)53. Son interprétation de l’incident de la couronne l’amène à déduire que c’est une preuve d’ambition de la part de César. À ce discours d’orateur, la foule réagit très positivement et s’émeut. Brutus réussit à les convaincre en un premier temps de la rectitude de sa cause.

37Marc-Antoine, lui, dénie l’attribut d’orateur alors qu’il se révèle remplir ce rôle encore mieux que son antagoniste. Son affirmation « I am no orator, as Brutus is » (III.2.220)54 n’est autre qu’une antiphrase55. En effet, son oraison démontre l’élégance et la facilité avec lesquelles il gagne la foule, une foule aussi crédule que Brutus qui lui accorde, après que Marc-Antoine a eu la subtilité de la lui demander, la permission de prononcer son éloge funèbre (III.1.228-231).

38Par opposition au discours intellectuel de Brutus, Marc-Antoine a recours à un discours émotionnel, faisant appel au pathos plutôt qu’au logos, cherchant ainsi à émouvoir plus qu’à convaincre56. La divergence des deux points de vue est mise en exergue à travers le chiasme57 utilisé par Marc-Antoine : « were I Brutus, / And Brutus Antony » (III.2.229-230)58, ainsi que celui utilisé par Brutus (believe/honour ; honour/believe) et énonçant l’ironie dramatique employée par Shakespeare : « believe me for mine honour; and have respect to mine honour, that you may believe » (III.2.14-16)59.

39Marc-Antoine s’appuie sur une rhétorique de la simplicité, plaçant ainsi son auditoire sur un piédestal d’égalité avec lui. S’adresser aux émotions du peuple, c’est aussi standardiser son discours pour trouver un langage commun permettant la communication entre les entités hétérogènes de l’assemblée. Cette technique sert la cause de Marc-Antoine car elle aide à souder la foule, à renforcer son unité et à lui rappeler l’idée commune qui la rassemble. Afin de corroborer cette unité, Marc-Antoine mise sur la théâtralité et son impact sur la foule, créant ainsi une dimension métathéâtrale dans la pièce. Cette mise en abyme est produite par le ton de son discours quasi-monologal autant que par sa posture, ses gestes et ses actions aussi éloquents que ses paroles. C’est une éloquence visuelle, spectaculaire à lire dans des images sémiotiques telles que ses yeux rouges : « Poor soul! His eyes are red as fire with weeping » (III.2.120)60, ainsi que dans ses actions : descendre de la tribune, révéler le corps de César, pointer ses habits ensanglantés et ses entailles – « Show you sweet Caesar’s wounds, poor, poor dumb mouths, / And bid them speak for me » (III.2.228-29)61. Il va même jusqu’à la restitution de la scène du meurtre sur un espace scénique plus restreint qu’il recompose afin de concrétiser l’émotion de son public :

Look, in this place ran Cassius’ dagger through:
See what a rent the envious Casca made:
Through this the well-beloved Brutus stabb’d;
And, as he pluckt his cursed steel away,
Mark how the blood of Caesar follow’d it. (III.2.178-182)62

40En effet, il n’en fait pas une simple mise en scène ;  il crée plutôt une théâtralité participative, interactive, impliquant le spectateur dans l’action et lui donnant l’impression d’être acteur et créateur d’événement à travers l’interpellation : « Shall I descend? And will you give me leave? » (III.2.164)63.

41Ayant ainsi recours à plusieurs procédés de rhétorique, Marc-Antoine produit un contre-discours qui s’oppose à ce que Brutus avait avancé, tout en faisant semblant de ne pas le contrecarrer, procédant par prétérition. Il réitère faussement son antiphrase « for Brutus is an honourable man » (III.2.84-218)64 qui, répétée au point d’en devenir ironique, vient ponctuer son discours. Par ailleurs, il utilise le même argument que celui cité par Brutus, mais en le détournant pour l’employer cette fois-ci à son propre usage. Il s’agit de la scène de la couronne que Marc-Antoine interprète ici comme un signe de modestie et d’honneur à la république. La théâtralité de la scène finit par déchaîner la foule. Tout comme il l’était avec Brutus, le peuple se montre très sensible à ce que Marc-Antoine lui souffle. Il change subitement de camp et s’élève contre Brutus et ses complices.

42Dans le cas de la révolution tunisienne, le discours du président déchu, prononcé la veille de son limogeage et pour la première fois en dialecte tunisien, voulu comme médiateur d’apaisement de la fureur populaire, produisit l’effet contraire. Ensuite, ce furent les interventions sanglantes des forces de l’ordre, pierre angulaire sur laquelle s’édifia le régime policier de Ben Ali et son ultime planche de salut, qui catalysèrent l’agitation des masses et attisèrent la rage de la foule.

43Dans chaque mouvement de foule, cette phase précédant l’endiguement de l’agitation connaît des irruptions ou des montées brusques de la violence car, contrairement aux individus, les foules « ne sont pas enclines à raisonner, mais bien plus à agir65 », et agir sous l’action d’une impulsion, le plus souvent imprévisible, beaucoup plus que sous l’action d’un raisonnement bien étudié. En effet, tout comme ils s’unissent par une conscience collective, les individus d’une foule, à cette phase du mouvement, s’unissent aussi par une inconscience commune qui implique l’instinct et la passion. La violence, durant cette phase, risque de se propager selon ce que Gustave Le Bon appelle « une contagion mentale66 ». Et quand l’impulsion prime sur le jugement avisé, il est normal que la violence écrase la raison : « Cette contagion est à rapprocher d’un phénomène de suggestibilité et crédulité des foules sur l’individu se rapprochant d’un acte de fascination hypnotisant, démultipliée par l’action réciproque des individus les uns sur les autres67 ».

44Pour accentuer le côté instinctif dans la propagation de la violence, R. A. Yoder avance que la représentation imagée la plus récurrente dans Jules César est l’imagerie animale par laquelle l’homme est comparé à la bête.

The Roman people are “the common herd” to Casca, and to Cassius “sheep” and “hinds” without whom Caesar would be no “wolf” or “lion”. Antony, before he woos them as men, calls the plebians “brutish beasts” for not mourning Caesar68.

45Ces épithètes ne sont pas attribuées par dédain uniquement par les patriciens pour désigner les plébéiens. Le même jargon est également utilisé entre les Romains de la noblesse lorsqu’éclate le chaos de la guerre fratricide : « You show’d your teeth like apes, and fawn’d like hounds, / […] Whilst damned Casca, like a cur, behind / Struck Caesar on the neck. » (V.1.42-44)69. Ceci confirme qu’il s’agit là d’une comparaison faite lorsque prévaut une férocité inhumaine, lorsque l’instinctif s’affirme au détriment du rationnel. Dans le même contexte, René Girard se réfère à ce palier comme suit : «We go down one more notch in regard to these individuals' ability to think by themselves, extended to use their reason and to behave in a responsible way70 ».

46Ce qui illustre la manipulation des foules fougueuses en Tunisie, avant comme après le 14 janvier 2011, ce sont les accusations récurrentes, lancées par des révolutionnaires autoproclamés et s’adressant à certains individus appartenant au Rassemblement Constitutionnel Démocratique (RCD) – ancien parti de Ben Ali et de ses adeptes.  Que ces accusations soient fondées ou infondées, la foule y prête l’oreille et les corrobore. D’autre part, d’anciens adhérents ou sympathisants du dit parti visèrent à semer une certaine discorde au sein de la foule, laquelle naïvement tomba dans le piège, en prônant une Tunisie favorisant le système instauré par le RCD : prospérité et sécurité en l’absence de la pluralité politique et de la liberté d’expression. La foule est aussitôt manipulée et ne peut s’empêcher de tomber dans de basses comparaisons de la situation économique et sécuritaire de la Tunisie d’aujourd’hui avec celle de Ben Ali.

47C’est de ce paroxysme de la menace du chaos qu’émane la notion du bouc-émissaire. Le repérage de cet individu, choisi par mécanisme sacrificiel pour endosser le mal, évite à la masse de tomber dans la crise chaotique du « tous contre tous ». Sa désignation est une nécessité qui fait donc évoluer le mouvement premier vers un « tous contre un ».

48Un pilier de base est nécessaire au bon déroulement de cette phase : la présence d’un leader qui mène le mouvement. Ce leader est l’incarnation ou la personnification de l’idée directrice que le peuple désire ardemment. C’est pour cela qu’il doit être imprégné de force et de puissance devant lui permettre d’exercer un pouvoir émotionnel sur le groupe. Ce pouvoir joue un rôle primordial dans la psychologie de la foule et fait que le groupe suit cet individu assurément, en lui accordant une confiance quasi absolue. Effectivement, et comme le démontre Gustave Le Bon, à ce stade de son évolution, la foule est particulièrement influençable et sujette à la manipulation, et c’est à ce niveau là que le rôle du leader est mis en avant. Les actions de la foule deviennent la projection des réflexions de leur leader. Les résultats ne sont malheureusement pas toujours droits, comme il en est pour l’infortuné Cinna dont le cas sera ultérieurement analysé. Cet  incident est la parodie grotesque de ce que les conspirateurs eux-mêmes ont fait – « The crowd becomes a mirror in which the murderers contemplate the truth of their action. They wanted to become mimetic models for the people and they are, but not the kind that they intended »71.

49Dans Jules César, c’est Brutus qui remplit ce rôle. Il réussit à cristalliser tous les sous-mouvements et les tentatives non-abouties pour renverser le régime de César en rassemblant une armée défiant celle de l’héritier du trône. En outre, dans les milieux romains, Brutus est un homme populaire, de bonne réputation, et conserve sa droiture même après le retournement de la foule contre lui et ses adeptes, ce qui augmente sa crédibilité auprès de la foule. Même Marc-Antoine, son antagoniste, honore sa mort par la reconnaissance de sa noblesse d’esprit :

This was the noblest Roman of them all:
All the conspirators, save only he,
Did that they did in envy of great Caesar;
He only, in a general honest thought,
And common good to all, made one of them.
His life was gentle, and the elements
So mix’d in him, that Nature might stand up
And say to all the world, ‘This was a man!’ (V.5.68-75)72

50Si Flavius et Marullus, eux, essayent d’inciter la foule à la rébellion sans vraiment réussir, leurs actions aident néanmoins à la montée de la violence et de la tension. L’apogée de ces mouvements n’est finalement atteinte que quand un leader assez fort pour mener la masse réussit à traduire ces montées de violence populaire en un vrai mouvement de foule.  Grâce à la confiance qu’il instaure, il gagne l’obéissance et la loyauté de ses partisans, tout comme Ligarius qui suit les ordres de Brutus sans même chercher à connaître l’identité du bouc-émissaire à éliminer :

Set on your foot;
And, with a heart new-fired, I follow you,
To do I know not what: but it sufficeth
That Brutus leads me on. (II.1.332-335)73

51Durant la révolution tunisienne, le rôle de leader demeure incertain, mais c’est l’armée, secondée par quelques membres des forces de sécurité, qui remplit symboliquement cette fonction. En effet, l’une des lectures possibles de la révolution tunisienne, notamment durant les derniers jours précédant la fuite de Ben Ali, c’est le coup d’état planifié et mené par les militaires. Refusant l’escalade de la répression, quelques jours avant le 14 janvier, l’armée aurait joué un rôle-clé dans le limogeage du Président de la République, ayant convaincu ce dernier de quitter le territoire avant que l’état sécuritaire ne devienne hors-contrôle. En effet, Ben Ali et « sa mafia » furent plus affectés par les conséquences de la désolidarisation des militaires aux ordres du tyran qu’ils ne le furent par le peuple même. Selon Émilie Blachère : « au peuple, il restera l’armée, qui vite comprit que la situation était intenable. Elle refusa de tirer sur la foule. C’est sans doute elle qui contraignit le dictateur à l’exil74 ».

52Selon le mécanisme sacrificiel du modèle girardien, toute montée de violence nécessite sa neutralisation. Si l’on revient à l’idée de l’ironie de l’Histoire, comment la succession au trône de Rome aurait-elle pu être possible autrement que par un passage par le mode sacrificiel, quand l’ascension de César lui-même avait commencé par le sacrifice de son prédécesseur ? Brutus, ne rappelle-t-il pas à ses conspirateurs que le meurtre de César n’est pas un homicide mais un sacrifice : « Let’s be sacrificers, but not butchers » (II.1.166)75 ? Cet acte n’est-il pas une manifestation de justice poétique et d’ironie dramatique à la fois ? De même, comment la révolution tunisienne, comme le dit Abdelwahab Meddeb, aurait-elle pu se calmer autrement que par l’élimination d’un bouc-émissaire si elle avait bel et bien « débuté par le mode sacrificiel, un don de soi pour apporter le salut aux autres ? C’est un geste rédempteur, christique76 ». La rue était sous l’emprise d’un mouvement insaisissable que seule l’élimination inéluctable du mal ou de son incarnation pouvait étancher. Le mécanisme girardien de la victime émissaire devient ici inévitable.

53La désignation du bouc-émissaire doit être communément convenue. Un bouc-émissaire doit être assez fort pour contenir toute la violence collective. En effet, la violence persiste même après sa désignation, car les masses gardent quand même des traces de violence, de révolte dont elles continuent à montrer occasionnellement les manifestations. Ce qui change cependant, c’est que cette violence se voit constamment redirigée vers l’« élu ». La foule se tourne vers le bouc-émissaire pour déverser sur lui toute la colère populaire. C’est pour cela que le choix doit être toujours prudent, sans quoi on risque de basculer vers un état de crise sacrificielle. Les résultats peuvent être désastreux dans ce cas, car on peut facilement tomber dans l’erreur de désigner la mauvaise personne, se trouvant au mauvais endroit et au mauvais moment. Tel est le cas de l’assassinat du poète Cinna qui pourtant ne s’avère qu’un spectateur infortuné dont le nom et le logis coïncident avec ceux de l’un des conspirateurs : « It is no matter, his name is Cinna; pluck but his name out of his heart, and turn him going » (III.3.31-32)77. Girard affirme qu’une foule déchaînée n’a pas besoin de motifs pour mettre à exécution ses actes de violence : « A mob never lacks “subjective” and “objective” reasons for tearing its victims to pieces. The more numerous these reasons, the more insignificant they really are78 ». Trop hystérique pour admettre sa grave erreur, la foule déchaînée justifie son tort par de piètres excuses. Le célibat de Cinna insulte les hommes mariés, d’autres trouvent un prétexte dans sa présumée mauvaise poésie ou « bad verse » (III.3.29).

54La contagion alors se propage : plus la crise mimétique prend de l’ampleur, plus il est facile de la disséminer et de rassembler des sympathisants à la cause. « The general trend is clear: it takes less and less time for more and more people to polarize against more and more victims, for flimsier and flimsier reasons79 ».

55Tout comme la contamination dans Jules César s’est propagée par contiguïté des conspirateurs à un cercle plus large et plus arbitraire, en Tunisie, le bouc-émissaire désigné était principalement le président déchu, mais aussi les membres de sa famille impliqués dans la corruption ainsi que, par extension, son parti. Dès le déclenchement de la révolution, les manifestants réclamèrent haut et fort la dissolution du Rassemblement Constitutionnel Démocratique, une revendication non négociable pour la majorité des Tunisiens :

Le pouvoir de nuisance de l’ex-parti unique était au cœur de l’actualité des incidents qui ont fragilisé la délicate période de transition à ses débuts sur l’ensemble du territoire. Les citoyens avaient rapidement identifié les responsables. Face à l’instabilité chronique, ils avaient appelé à sa dissolution et au démantèlement de ses structures de propagande et de contrôle80

56Il était nécessaire d’éliminer le RCD, tout comme on avait limogé Ben Ali, afin de terminer le processus de victimisation et « afin d’éviter de porter atteinte à l’ordre public et dans l’objectif de préserver l’intérêt supérieur de la patrie81 ».

57 C’est par la neutralisation du bouc-émissaire que la boucle de la violence est enfin bouclée et que l’état pacifique initial est regagné. Cependant, étant cyclique, le mouvement de la foule ne s’arrête pas là. Aussitôt que le calme est réinstauré, des sous-mouvements perturbateurs commencent à se former à nouveau pour engendrer d’autres montées de violence qui nécessiteront d’autres étouffements, et ainsi de suite. Dans Jules César, la neutralisation du bouc-émissaire n’aboutit pas à la neutralisation de la violence. La montée de la tension entraine une guerre civile et la pièce ne se clôt que par l’apparition d’un nouveau leader qui engendrera sûrement de nouvelles manifestations de violence. On ne peut s’empêcher de penser que le choix du bouc-émissaire était probablement erroné, ce qui justement engendre le chaos. L’élimination du mauvais bouc-émissaire n’aboutit pas au calme mais à une prolifération de la violence et à sa transformation en une guerre civile ainsi qu’en un assassinat arbitraire :

A curse shall light upon the limbs of men;
Domestic fury and fierce civil strife
Shall cumber all the parts of Italy;
Blood and destruction shall be so in use,
And dreadful objects so familiar,
That mothers shall but smile when they behold
Their infants quartered with the hands of war,
All pity choked with custom of fell deeds.82(III, 1, 262-269)

58Girard dénonce l’absurdité de cette vague de destruction, procréation de la crise sacrificielle :

Instead of a few victims killed by still relatively small mobs, thousands of people are killed by thousands of others who are really their brothers and do not have the faintest idea of why they or their victims should die.83

59En Tunisie, même après le limogeage de Ben Ali, la violence persista. Le pays connut une brusque montée d’extrémisme religieux suivi d’assassinats politiques sans précédent et qui lui étaient complètement étrangers auparavant. La situation oscille entre le fait de mettre toutes les fautes sur le dos de l’ancien régime et le risque d’y retomber. Dans Jules César, la guerre civile se termine bel et bien par un retour à l’ancien régime. En Tunisie, la scène sociale s’est divisée en différents camps84, lesquels sont en perpétuelle rivalité et continuent à mettre les torts sur le dos du même bouc-émissaire pour éviter l’affrontement. En raison de l’unicité de la Tunisie dans la région arabo-africaine, de son vacillement sous le poids d’un héritage politico-économique légué par une corruption cramponnée au pouvoir depuis plus de deux décennies, et de l’espoir d’un avenir meilleur, la suite n’est pas encore écrite.

60Mesurant le poids du meurtre de César, Cassius prédit les interprétations théâtrales qui en seraient faites :

How many ages hence
Shall this our lofty scene be acted over
In states unborn and accents yet unknown! (III.1.110-112)85

61Tout comme la révolution tunisienne inspira et continue à inspirer des œuvres portées à la scène86.

Notes

1  Cf. Platon, La République, Traduction Georges Leroux, Flammarion, 2002, Livre III, p. 180-197, Livre X, p. 707-720, et Aristote, Poétique, Traduction Michel Magnien, Éditions Le livre de poche, 1990, p. 3.

2  William Shakespeare, The Complete Works of William Shakespeare, The Merchant of Venice, Oxford, Wordsworth Editions, 1996, p. 389. Toutes les citations de Shakespeare proviendront de cette édition. « Un théâtre où chacun doit jouer son rôle ». William Shakespeare, Le marchand de Venise, Traduction Paul Emond, Wallonie, Lansman, 1995, Acte 1, scène 1, vers 156-158, p. 93.

3  William Shakespeare, As You Like It, op.cit., p. 622. « Le monde, c’est une scène, / Dont tous les hommes, toutes les femmes / Ne sont que les acteurs ». William Shakespeare, Comme il vous plaira, Traduction Yves Bonnefoy, Le livre de poche, 2003, Acte II, scène 7, vers 82, p. 8.

4  William Shakespeare, 2 Henry IV, op. cit., p. 465. « Qui de ses jours défunts nous esquisse l'image : / Il suffit qu'on l'observe et l'on a quelques chance / De prédire à coup sûr les grands évènements / Qui y naîtront un jour et que pour lors recèlent / En leurs humbles débuts leurs semences premières : / C'est le temps qui les couve et qui les fait éclore », William Shakespeare, 2 Henry IV, Traduction Félix Sauvage, Paris, Les belles lettres, 1932, p. 119.

5  Jan Kott, Shakespeare Our Contemporary, Trans. Boleslaw Taborski, NY, Anchor Books, 1966, p. 47.

6  Cf. Les théories de l’historiographie « whig » de A. J. P. Taylor, Essays in English History, London, Penguin, 1991, ou encore les théories de l’École des Annales dans Fernand Braudel, Civilisation matérielle, économie et capitalisme, Le livre de poche, 1993.

7  Historien contemporain et universitaire américain, Howard Zinn s’intéresse à réécrire des épisodes de l’histoire américaine d’un point de vue différent de celui des conquérants, s’opposant ainsi à la tendance classique habituellement adoptée pour raconter l’histoire.

8  Howard Zinn, Histoire populaire des États-Unis, Traduction Férédéric Cottoni, Agone, 2003, p. 13-15.

9  Le procédé d’anamorphose est défini par Ernest Gilman comme suit : “The representational device of a cylinder showing an indecipherably distorted image that is to be decrypted through the reflection of a surrounding mirror”, E. B. Gilman, The Curious Perspective: Literary and Pictorial Within the Seventeenth Century, New Haven, Yale University Press, 1978, p. 126.

10  Id.

11  Exemple : La cérémonie de déposition de Richard II (I.1)

12  Elias Canetti, Crowds and Power, Trans. Carol Stewart, New York, Continuum, 1981, p. 231.

13  La différence des outils esthétiques utilisés d’un artiste à un autre, la variation des moyens techniques employés pour la mise à exécution de l’œuvre.

14  René Girard, La violence et le sacré, Éditions Bernard Grasset, 1972, p. 28.

15  « Nous avons décidé de chômer pour voir César, et pour nous réjouir de son triomphe ». Traduction d’Yves Bonnefoy, Paris, Gallimard, 1995, p. 65.

16  « Mais vous voici dans vos habits de fête, / Vous voici maraudant un jour de congé, / Et vous voici jetant des fleurs devant cet homme », ibid., p. 66.

17  « Je crains fort que le peuple ne fasse de César son roi », ibid., p. 71.

18  Fethi Benslama, Soudain la révolution ! Géopsychanalyse d’un soulèvement, Tunis, Cérès Éditions, 2011, p. 15. Fethi Benslama, universitaire et psychanalyste tunisien francophone, est Professeur à l’Université de Paris VIII et directeur de l’Unité de Formation et de Recherche des Sciences Humaines Cliniques.

19  Charles Tripp, The Power and the People: Paths of Resistance in the Middle East, Cambridge, Cambridge University Press, 2013, p. 10. Charles Tripp est écrivain, chercheur et Professeur de sciences politiques spécialiste du  Moyen Orient à l’Université de Londres.

20  Cf. E. M. W. Tillyard, The Elizabethan World Picture, New Jersey, Transaction Publishers, 2011, p. 94-108.

21  « Un métier, monsieur, que je puis exercer, je l’espère, avec une bonne conscience. Pour vous servir : je redonne une âme aux vieilles peaux », op. cit., p. 64.

22  « Oh, monsieur, je vous en supplie, pas de débordements de cette sorte ! Encore que si vous débordez, monsieur, je puisse vous retailler… », id.

23  « Eh, monsieur, pour qu’ils esquintent leurs chaussures et que j’aie d’avantage à faire ! », ibid., p. 65.

24  « Ô cœurs de pierre, et plus stupides que la pierre », id.

25  « Ignorez-vous / Qu’étant des ouvriers, vous ne devez paraître / Un jour de travail sans les signes / De votre profession ? », ibid., p. 63.

26  Robert D. Moynihan, « Stars, Portents, and Order in Julius Caesar », Modern Language Studies, Volume 7, n°2, 1977, p. 26.

27  « On lui a offert une couronne. Et quand on la lui a offerte, il l’a écartée avec le dos de la main, comme cela. Et alors tout le peuple a poussé des cris », op. cit., p. 79.

28  « Ces croquants se réjouissaient qu’il refusât la couronne », ibid., p. 77.

29  « ‘Le pauvre!’ et l’ont acquitté de tout leur cœur. […] César eût-il embroché leurs mères, elles n’en auraient pas dit moins », ibid., p. 80.

30  Charles Tripp, The Power and the People: Paths of Resistance in the Middle East, op. cit., p. 7.

31  Gustave Le Bon, Psychologie des foules (1895), FV Éditions, 2013, p. 28.

32  Ibid., p. 31.

33  « Marullus et Flavius, pour avoir décravaté des statues de César, ont été réduits au silence », op. cit., p. 81.

34  « Allez, bons citoyens! Par expiation, / Réunissez les pauvres gens de votre sorte, / Et menez-les au Tibre, et de vos larmes / Gonflez ses eaux au point que les plus basses / Viennent baiser la plus haute des rives ! », ibid., p. 66.

35  Charles Tripp, The Power and the People: Paths of Resistance in the Middle East, op. cit., p. 15.

36  Elias Canetti, Crowds and Power, op. cit., p. 29.

37  Voir René Girard, La violence et le sacré, op. cit.

38  « Mais c’est la règle / Que se faire humble soit, pour l’ambition, / Une échelle, vers quoi reste tourné / Celui qui monte. Au faîte, cependant, il se retourne, / Il regarde les nues, et vient à mépriser / Tous les degrés de sa montée obscure. / Ainsi ferait César, peut-être. Empêchons-le », op. cit., p. 92.

39  D’après Chambers, la pièce fut écrite entre 1599 et 1601. E.K. Chambers, William Shakespeare: A Study of Facts and Problems, Volume 1, London, Oxford University Press, 1930, p. 397.

40  Irving Ribner, « Political Issues in Julius Caesar », The Journal of English and Germanic Philology, Volume 56, n°1, 1957, p. 13.

41  Ibid.

42  « Ah, mon ami, il enjambe ce monde étroit / Comme un colosse, et nous, hommes obscurs, / Passons sous ses énormes jambes, et alentour / Cherchons des yeux nos tombes sans honneur. / […] Brutus, César. Qu’y aurait-il dans ce ‘César’ ? Pourquoi ce nom retiendrait-il plus que le votre ? », op. cit., p. 74.

43  « J’ai déjà / Convaincu des Romains parmi les plus nobles / De risquer avec moi cette entreprise / Pleine d’honneur mais aussi de danger », ibid., p. 88.

44  « Ordonne l’impossible, / Je courrai l’affronter, j’en triompherai », ibid., p. 107.

45  Fethi Benslama, Soudain la révolution ! Géopsychanalyse d’un soulèvement, op. cit., p.84.

46  « Rome va-t-elle vivre dans la terreur / D’un seul homme ? Eh oui, Rome ! / Mes ancêtres ont chassé un Tarquin, qu’on faisait roi, / Des rues de Rome », op. cit., p. 93.

47  Jeune marchand ambulant de la région de Sidi Bouzid au centre-ouest de la Tunisie dont l’immolation par le feu, devant le siège de la préfecture le 17 décembre 2010, nourrit les premières flammes de la révolution tunisienne.

48  S’immoler par le feu pour ne pas tomber sous les griffes de l’ennemi fut considéré dans la tradition romaine comme un acte de préservation de l’honneur. Néron, dernier empereur descendant de César, est soupçonné d’avoir mis le feu à Rome, causant le grand incendie de 64, afin de la protéger de l’emprise des Chrétiens.  

49  Fethi Benslama, Soudain la révolution ! Géopsychanalyse d’un soulèvement, op. cit., p. 11.

50  René Girard, La violence et le sacré, op. cit., p. 29.

51  Elias Canetti, Crowds and Power, op. cit., p. 370.

52  « Jugez-moi dans votre sagesse. Et pour juger le mieux possible, tenez vos sens en éveil », op. cit., p. 136.

53 « Mais-il fut ambitieux et je l’ai tué », ibid., p. 137.

54  « Je ne suis pas un orateur, comme Brutus », ibid., p. 147.

55  Cf. Henri Suhamy, Les figures de style, PUF, coll. « Que sais-je », 1981, p. 115.

56  Cf. Harley Granville-Barker, “Antony”, Twentieth Century Interpretations of Julius Caesar, Leonard Fellows Dean, New Jersey, Prentice-Hall, 1968, p. 21-23.

57  Henri Suhamy, Les figures de style, op. cit., p. 77.

58  « Ah, si j’étais Brutus / Et lui Antoine », ibid.,p. 147.

59  « Je vous demande de me croire sur l’honneur. Et d’avoir égard à mon honneur pour me croire », ibid.,p. 136.

60  « Le pauvre ! Ses yeux sont rouges comme le feu, d’avoir pleuré », ibid., p. 142.

61  «  Je vous montre les plaies de mon cher César, pauvres bouches muettes, / Et leur demande de parler pour moi », ibid., p. 147.

62  « Voyez-le, maintenant. Ici a pénétré / La dague de Cassius. Ici, cette déchirure, / C’est de Casca, le fourbe. Et là, Brutus, le bien-aimé, / A frappé. Quand il retira son fer maudit, / Voyez comment le sang de César s’est jeté », ibid., p. 145.

63  « Puis-je descendre ? M’y autorisez-vous ? », ibid., p. 144.

64  « Car Brutus est un homme honourable », ibid., p. 140-147.

65  Gustave Le Bon, Psychologie des foules, op. cit., p. 25.

66  Ibid., p. 21.

67  Ibid., p. 27.

68  R. A. Yoder, “History and the Histories in Julius Caesar”, Shakespeare Quarterly, No 3, summer 1973, p. 324.

69  «  Vous grimaciez comme des singes et rampiez comme des chiens. / […] Et cependant le maudit Casca, le roquet, / Le mordait à la nuque par derrière », op. cit., p. 185.

70  René Girard, “Collective Violence and Sacrifice in Shakespeare’s Julius Caesar”, Salmagundi, No 88/89, 1991, p. 406.

71  René Girard, “Collective Violence and Sacrifice in Shakespeare’s Julius Caesar”, art. cit., p. 409.

72  « De tous ces Romains ce fut le plus noble. / Tous les conspirateurs, excepté lui, / Agirent par jalousie du grand César. / Lui ne se fit l’un d’eux que par vertu civique / Et par souci loyal du bien de tous. / Sa vie fut haute. Et les éléments / S’étaient unis en lui avec tant de bonheur / Que la Nature pourrait paraître / Et dire à l’Univers : ‘Ce fut un homme !’ », op. cit., p. 204.

73  « Passez devant, / Et le cœur plein d’un feu nouveau, je vous suivrai / Pour faire … je ne sais quoi ! Mais il suffit / Que Brutus me conduise », ibid., p. 107.

74  Emilie Blachère, « Tunisie : Enfin libres ! », Paris Match, n°3218, janvier 2011, p. 46.

75  « Soyons des sacrificateurs non des bouchers », op. cit., p. 100.

76  Abdelwahab Meddeb, Printemps de Tunis : la métamorphose de l’histoire, Tunis, Cérès Éditions, 2011, p. 58. Romancier, poète et essayiste franco-tunisien, Abdelwahab Meddeb était jusqu’à sa mort en 2014 professeur de littérature comparée à l’université Paris X et auteur de plusieurs ouvrages qui remportèrent des prix internationaux de littérature.

77  « Peu importe, il s’appelle Cinna. Qu’on lui arrache ce nom-là du cœur, ça nous suffit. Et qu’il aille ensuite où ça lui chante », op. cit., p. 153.

78  René Girard, “Collective Violence and Sacrifice in Shakespeare’s Julius Caesar”, art. cit., p. 409.

79  Ibid., p. 410.

80  Azza Turki, « Rassemblement Constitutionnel Démocratique, début de la fin », art. cit., p. 14.

81  Id.

82  « Je prophétise / Qu’une malédiction va fondre sur les hommes. / Domestiques fureurs, âpres guerres civiles / Vont désoler la terre d’Italie. / Sang et ruine seront monnaie si courante, / Les spectacles affreux si familiers / Que les mères n’auront plus qu’un sourire / Quand leurs enfants seront écartelés / Par les mains de la guerre. Toute pitié / S’étouffera dans le pli de l’horrible », op. cit., p. 135.

83  René Girard, “Collective Violence and Sacrifice in Shakespeare’s Julius Caesar”, art. cit., p. 411.

84  Les pro-islamistes contre les gauchistes et les destouriens.

85  «  Combien d’époques, / D’états encore à naître, de langues inconnues / Porteront ce tableau sublime sur la scène ! », op. cit., p. 127.

86  Tsunami (2013), mise en scène : Fadhel Jaïbi ; texte: Jalila Baccar. Ou encore Monstranum’s (2012), mise en scène : Ezzeddine Gannoun ; texte : Leila Toubel.

Pour citer ce document

Par Wael ELLOUZE, «Jules César et la révolution tunisienne : stratégies de mobilisation des masses», Cahiers FoReLLIS - Formes et Représentations en Linguistique, Littérature et dans les arts de l'Image et de la Scène [En ligne], La Foule au théâtre, Revue électronique, III. Enjeux sociopolitiques de la foule au théâtre, mis à jour le : 08/04/2015, URL : https://cahiersforell.edel.univ-poitiers.fr:443/cahiersforell/index.php?id=292.

Quelques mots à propos de :  Wael ELLOUZE

Agrégé d’anglais, Wael Ellouze est diplômé de l’École Normale Supérieure de Tunis. Il enseigne la littérature britannique et américaine, de l’ère classique à l’ère moderne, à la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de Kairouan où il occupe également le poste de chef de jury. Il est actuellement inscrit en thèse de doctorat à l’Université de Poitiers et ses recherches portent sur la stratification de l’imagerie littérale, visuelle et théâtrale dans les pièces de William Shakespeare pour about ...