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Achille dans les Métamorphoses d’Ovide.
Par Isabelle Jouteur
Publication en ligne le 04 juin 2015
Table des matières
Texte intégral
1Dans les Métamorphoses d’Ovide, Achille tient une place prépondérante, plus de six cents vers, ce qui est considérable1. Pourquoi ? On a en effet au moins deux raisons de s’interroger sur cette mise à l’honneur très inattendue, voire suspecte de la part d’Ovide : d’abord parce le poète de Sulmone appartient à la génération antimilitariste des poètes élégiaques, pour qui l’héroïsme apparaît comme un objet de dénigrement ou de refus, une valeur utilisée à contre‑emploi dans les recusationes, où ils se défendent de pouvoir traiter une matière épique, ce qui donne lieu à des redéfinitions provocatrices comme celle de Properce qui proclame vouloir chercher la gloire en mourant par amour. On s’étonne ensuite de voir Achille figurer dans une oeuvre dédiée à l’universelle métamorphose du cosmos, des individus en animaux, végétaux, étoiles, divinités. Car Achille est un héros qui ne se métamorphose pas : est‑il donc encore un héros ? Si la définition fonctionnelle de héros (en tant que personnage principal, répondant au thème dominant de l’œuvre) lui est de ce fait refusée, on doute également qu’il puisse prétendre à ce titre sur un plan axiologique, en tant que porteur des valeurs collectives de la société.
2Malgré les nombreux relais dont pouvait disposer Ovide, comme la tragédie2 ou même l’élégie3 qui présentent Achille comme un tyran égoïste ou un amant éconduit4, Ovide choisit dans les Métamorphoses de suivre le modèle homérique. Dans l’Iliade, Achille constitue la figure paradigmatique du héros, (« le plus beau, le plus brave des Grecs », « le rempart de l’armée » « le meilleur des Achéens »), à double titre : en tant que protagoniste car l’épopée s’ouvre sur le conflit qui l’oppose à Agamemnon et se clôt sur sa victoire sur Hector5, et en tant que guerrier d’exception, auteur d’innombrables exploits en terre phrygienne6. Il illustre cependant, d’après Hélène Monsacré7, un héroïsme problématique plutôt que surhumain, car il est celui qui exhibe ses larmes autant que sa force, en pleurant le départ de Briséis puis la mort de son ami Patrocle : ses terribles sanglots de colère et de douleur, qui égalent le cri du lion, apparaissent comme l’expression codifiée de la souffrance par laquelle il acquiert sa stature héroïque (XVIII, 314‑367 ; XIX, 267‑348 ; XXIII). Donc s’il est d’origine semi‑divine, auréolé d’atouts extraordinaires (ses chevaux lui parlent), on s’accorde à reconnaître, avec J. de Romilly8, qu’Homère met en avant ses sentiments proprement humains, colère devant l’injustice, douleur de perdre un ami, volonté de le venger. Car c’est celui qui, ayant le choix entre une vie longue et obscure ou courte et glorieuse (Il.IX, 4109), choisit la défense du camp grec en sachant d’emblée que ce choix le condamne au sacrifice de sa vie. En termes hégéliens, la dépense de soi sans compter met en jeu la liberté de la consience, le héros étant celui qui se montre capable de préférer l’affirmation de sa liberté à la conservation de la vie ; l’immortalité promise à Achille correspond bien à un dépassement de la condition humaine10.
3Dans les Métamorphoses, Achille figure au sein de ce que l’on appelle communément l’Iliade ovidienne, et qui constitue un avatar parodique du texte source. Cette réécriture de l’Iliade11, qui précède l’Enéide ovidienne, se caractérise paradoxalement par la disparition des épisodes clés de l’hypotexte, la Dolonie, la Patroclie, le catalogue des forces armées, l’assaut des remparts, mais elle met sur la sellette la valeur d’héroïsme à travers la violence des combats mis en scène et se propose d’y réfléchir par une question posée on ne peut plus directement au cours d’un banquet : « ils passèrent la nuit à discuter et le sujet des conversations était la bravoure : ils racontèrent leurs combats et ceux de l’ennemi, et se plurent à rappeler inlassablement à tour de rôle les dangers survenus et surmontés ; de quoi pouvait parler Achille, en effet. De quoi pouvait‑on bien parler auprès du grand Achille ? » (XII, 159‑16312). On se proposera de relire, dans cette épopée à variation stylistique continue, un cycle troyen calqué sur l’intertexte homérique, et en analysant les scènes topiques que sont les récits de la naissance du héros, de ses combats et de sa mort, on se demandera si la trajectoire dessinée est encore héroïque.
1) Une trajectoire héroïque ?
a) Sa conception : XI, 221‑265.
4La généalogie d’Achille est placée dans une perspective davantage érotique qu’héroïque : son père, présenté comme un substitut humain de Jupiter (également amoureux de Thétis, mais craignant que son fils ne soit plus grand que lui), a acquis sa célébrité non grâce à ses exploits mais du fait de son union divine avec la nymphe Thétis : la conception de l’enfant s’avère concomitante de la naissance de Troie (perçue comme une ville cupide et parjure), et la liaison entre Télamon qui a participé à l’expédition menée par Hercule contre Laomédon, et son frère Pélée, s’effectue par la comparaison de leurs épouses respectives, Hésioné et Thétis. Pélée, qui descend de Jupiter s’énorgueillit davantage de son mariage que de sa filiation ! (v. 217‑220). L’union forcée des parents, commanditée par Jupiter, a pour cadre un paysage marqué de l’empreinte hellénistique, une baie marine, où Thétis, chevauchant un dauphin, vient régulièrement se baigner : le décor idyllique, une grotte, le sable qui ne laisse pas de trace, un bois de myrte (l’arbuste consacré à Vénus), contrastent avec l’agression violente dont fait l’objet la nymphe des eaux, prise d’assaut par Pélée, suivant un brouillage de registres (bucolique, élégiaque, épique) que la critique a abondamment détecté. Pour piéger la nymphe qui échappe à son étreinte par de multiples transformations, Pélée applique les conseils avisés de Protée, jusqu’à ce qu’emprisonnée dans un filet, Thétis cède au désir de son agresseur : la dénomination de Pélée comme heros pour qualifier le viol qu’il accomplit est symptômatique de l’ironie ovidienne (v.264‑51113). Cette union placée sous l’égide de Protée renvoie implicitement à l’intertexte virgilien des Géorgiques, où Cyrène conseille à Aristée d’utiliser un filet pour emprisonner le devin de Carpathos et signe, avec la métamorphose du modèle (où de capturé, le dieu oracle devient celui qui capture) l’insertion dans l’opus magnum d’un épisode relevant du genre moyen. Si J‑P Vernant14 a raison de noter qu’Achille est le fruit d’un mariage inégal entre une déesse et un humain, que son destin est de ce fait marqué du sceau de l’ambiguïté, on observera chez Ovide une insistance ironique sur les efforts du père à accomplir sa tâche, ironie propre à disqualifier sa nature héroïque, d’autant que la suite du texte nous montre en Pélée l’assassin de son frère Phocus, contraint de s’exiler et de se purifier à Trachine.
b) Le combat contre Cycnus 64‑149 : un exploit parodié.
5Le débarquement des Grecs sur le rivage troyen inaugure la relation d’une série de combats, dont une mention allusive de la mort de Protésilas tué par Hector, suivie du premier grand combat qui oppose Achille à un personnage mineur, Cycnus, fils de Neptune. Ce combat, absent de l’Iliade, figurait dans les chants cypriens, aujourd’hui à l’état fragmentaire15, mais dont Proclus nous a laissé un résumé dans sa Chrestomathie (5e s. ap. J‑C)16, et il est probable qu’Ovide s’en soit inspiré. Achille qui cherche Hector trouve Cycnus, et la mise en parallèle très explicite de ce presque inconnu avec son valeureux compatriote (XII, 75‑77) invite d’entrée de jeu le lecteur à comparer le combat à venir avec l’un des plus fameux duels homériques, le duel de clôture de l’Iliade qui oppose précisément Achille à Hector. Ovide joue donc avec l’attente du public, en annonçant une reprise du cycle troyen (par un redoublement négatif en trompe l’oeil v 65‑66 : l’ennemi n’est pas inattendu) qui induit contre toute attente un emprunt à la matière moins connue des Antehomerica, puis en modelant le duel sur le modèle homérique : en même temps le déplacement de ce combat au début de la guerre (en exacte antithèse de l’emplacement dans l’Iliade) à un moment où le héros n’a pas encore fait ses preuves, affaiblit considérablement la valeur guerrière du héros.
6L’image du héros grec est fortement dégradée. Alors qu’il attaque bravement l’ennemi, ses traits restent inefficaces : une lourde lance s’émousse contre la poitrine de Cycnus, un trait traverse neuf peaux de bœufs (v. 95‑97 ; voir Il. VII, 244‑8) mais se fiche dans la dixième. La focalisation réduit Achille à un combattant de base, car il est vu par son adversaire qui se compare à Mars, impression que viennent renforcer les propos de Cycnus qui lui fait valoir la supériorité de son ascendance, puisqu’il est fils du roi des mers et non d’une simple néréide. Dès lors, Ovide qui a qualifié ironiquement le Péléide de heros en position d’impuissance (v.98), dépeint la progression du doute en lui : après l’échec d’un troisième javelot, le narrateur insiste sur la perte de confiance du héros qui tente de se rassurer, en énumérant ses exploits d’antan (v.106‑114), tout en s’étonnant de sa faiblesse actuelle (manus est mea debilis ergo) soulignée par l’antiphrase (valuit mea dextra valetque), et en doutant presque de sa valeur passée (v 115). Si Achille apparaît en position d’infériorité par rapport à son adversaire, il l’est aussi par rapport au narrateur et au lecteur qui savent que le combat est truqué. Cycnus explique à son rival son don d’invulnérabilité17, en détaillant la panoplie d’un armement qui ne sert que de parure (v.88‑94) : l’inutilité du casque et du bouclier dont la description constitue habituellement un canon épique pourrait renvoyer en réflexivité à la subversion opérée par un texte qui singe le style épique en démantelant la morale héroïque. Car la fama, fondamentale dans l’univers héroïque, est devenue toute relative. Alors que Cycnus connaît de réputation la valeur d’Achille, le héros achéen ne brille pas précisément par sa valeur, et qui plus est ignore tout de l’invincibilité de son rival (v. 88 : mirabatur enim). L’invincibilité de Cycnus n’est d’ailleurs pas sans faire songer à celle bien connue du héros grec dont le corps était invulnérable sauf au talon. Le face à face entre ces deux invincibilités peut‑il encore laisser la place au mérite, et les victoires acquises grâce à un attribut merveilleux sont‑elles loyales ?
7Ovide met donc en place une esthétique illusionniste pour dépeindre un combat truqué où l’apparence ne rend plus compte du réel. Le sang qui apparaît sur la lance d’Achille n’est pas celui de Cycnus mais celui d’un inconnu, Ménoétès, qu’Achille a tué uniquement pour se prouver sa valeur. Dès lors le fils de Pélée fremebundus perd le contrôle de lui‑même, face à l’ennemi securus. L’accumulation des verbes (v.134) traduit la violence d’un acharnement qui suscite enfin chez l’ennemi la peur. La mise à mort est encore calquée sur un duel de l’Iliade III 369‑372, où Ménélas traînait Pâris en tirant sur la jugulaire de son casque18. Achille qui a ployé le genou à terre (l’articulation qui marque la valeur dans l’Iliade) coupe à son adversaire la respiration. L’assassinat n’est pas le fait d’une flèche mais d’un acte laborieux de strangulation, et le moment de la dépouille lui est ravi, car l’âme du défunt prend la forme d’un oiseau par l’intervention de Neptune. Ovide conclut par un commentaire ironique (v.146‑7), où la répétition des intensifs, le dédoublement de pugna en labor insistent sur la difficulté de l’opération.
8C’est donc la parodie qui caractérise ce long combat : le régime épique marche à plein, avec toutes les caractéristiques stylistiques du genre (l’emploi d’un style formulaire, de nombreuses hyperboles (v.71‑73), épithètes géographiques ou généalogiques (v.81‑82)), mais le cliquetis verbal sert de support à une entreprise de dénigrement railleur et de démystification de la valeur guerrière : la bravoure d’Achille s’émousse contre l’invincibilité déloyale de l’adversaire, et le héros achéen ne sort pas grandi d’une victoire acquise avec peine. On soulignera le paradoxe de cette page de parodie épique insérée précisément dans une épopée qui se propose de redéfinir le contenu et les enjeux d’un opus magnum. Si la parodie épique fait rire chez Plaute ou Pétrone, elle prend une coloration subversive du fait de sa nature intragénérique19. Un mécanisme de dérobade se met en place aussi bien dans la disparition subite du corps de Cycnus étrangement changé en oiseau que dans la perspective en trompe l’œil d’un combat où l’épique n’est qu’une façade illusoire : au terme de l’affrontement, personne n’a rien gagné.
c) La mort d’Achille XII, 580‑621 : ou l’éloge funèbre ambigu.
9Le récit de la mort d’Achille vient clore le livre XII en même temps que la section dédiée à la réécriture de l’Iliade : le combat d’Achille contre Cycnus vient faire pendant à l’intervention de Pâris qui le tue, dix ans plus tard, les deux duels encadrant donc cette variation parodique se situant chacun à un pôle extrême de la guerre, son début et sa fin. La mort d’Achille est présentée comme le fait du chagrin de Neptune, endeuillé par la mort de son fils Cycnus, comme dans l’Odyssée il l’était contre Ulysse, assassin de Polyphème. Neptune convainc Apollon d’anéantir Achille qu’il gratifie des pires hyperboles « cet être féroce, plus sanguinaire que la guerre elle‑même », le destructeur de Troie (v.592‑3). Dans la mêlée, Pâris, héros médiocre, paradigme de la lâcheté chez Homère, s’attaque à des inconnus lorsqu’Apollon détourne son arc pour viser le Péléide. Il n’y a pas de combat, un seul trait a suffi. Suivent quatorze vers de commentaire auctorial railleur, en guise d’éloge funèbre, où Ovide quittant la sphère impersonnelle de la narration omnisciente (v. 608 : ille victor) s’adresse directement à son personnage pour souligner l’ironie d’une mort infamante, jouant du contraste entre le vainqueur qu’il fut (victor tantorum) et le caractère efféminé de celui qui le vainc (le contraste est appuyé par le passage de l’actif victor au passif victus es). Ovide pratique la surenchère à l’envers en soulignant la faiblesse de Pâris qu’il dote d’une périphrase dépréciative (le lâche ravisseur d’une épouse grecque) et d’une comparaison dévaloristante (il est inférieur à une amazone). En notant qu’une main féminine, comme celle de Penthésilée, la reine des Amazones tuée précisément par Achille, eût été préférable à celle de Pâris, Ovide obtient un puissant effet d’ « ironie épique » dont l’étrangeté s’exprime dans l’oxymore femineo Marte (v.610). L’appréciation superlative en accumulation de substantifs abstraits timor, decus, tutela, caput en rythme ascendant (v. 612‑3) ne fait pas longtemps illusion, et vient brutalement se briser avec la mention finale d’arserat en rejet qui insiste sur la fin commune. La pointe en forme d’énigme sur l’identité du dieu, qui arme puis brûle le héros (v. 614), a l’air de traduire, dans la reduplication étonnée du même (v. 614 idem), une inconséquence baroque de Vulcain qui achève celui qu’il a protégé, en même temps qu’elle trahit, dans le concetto auctorial, une prise de distance avec le contexte des funérailles. L’antithèse entre le grand Achille et la petite urne de ses cendres, la frivolité du je ne sais quoi (v.616), l’affirmation que le héros dans sa mort est égal à ce qu’il a été, masquent mal la dérision implicite : et l’ambiguïté de la mensura (v.618), la mesure de sa réputation qui répond à la promesse d’une gloire éternelle, se lève lorsqu’on se remémore les limites de la fama du héros20. Le discours funèbre s’achève sur la mention du conflit déclenché par le bouclier du héros, par allusion au jugement des armes et transition vers livre XIII : la parenthèse insistant sur la nature du possesseur de l’arme (v. 620) suggère que l’homme continue de nuire après sa mort, dans un cycle de guerre sans fin que traduit le polyptote expressif : de armis arma feruntur. La consultation des autres sources relatives à la mort d’Achille est éloquente21 : ce n’est pas toujours Pâris, mais souvent Apollon, ou Pâris et Déiphobe qui sont responsables de la mort du héros (et on a vu l’exploitation que tirait Ovide d’un choix qui accentue l’infamie de sa mort). Cette mort, qui ne survient pas toujours sur le champ de bataille, est fêtée dignement, comme dans l’Odyssée où ses cendres sont réunies dans une urne placée dans un vase d’or, mêlées aux cendres de Patrocle, et placées sur un tertre, où les Muses chantent des thrènes, suivis de jeux funèbres. Les traditions posthomériques mettent en avant la récompense du héros après sa mort, par une vie autre que mortelle, comme chez Pindare (Ol. 2,87) où Thétis emporte Achille dans l’île des bienheureux. Rien de tel n’est dit ni même sous‑entendu : l’immortalité est celle de sa fama, qui restera poétique, car rien ne transparaît ici de l’eschatologie pythagoricienne selon laquelle l’anima est parente du feu, et la mort une transition dans l’universel voyage des âmes vers d’incessantes enveloppes corporelles.
10Malgré les ambiguïtés d’une écriture qui joue de la duplicité et du masque, dans laquelle les critiques, non directement lisibles, sont à déduire, la trajectoire d’Achille paraît parodique plus qu’héroïque22. Les récits de Nestor imbriqués entre les exploits et la mort d’Achille peuvent lever les derniers doutes en projettant sur la carrière héroïque un éclairage dénué d’ambiguïté.
2) Les récits de Nestor : la leçon de l’analepse.
11Le camp achéen, après le combat d’Achille contre Cycnus décide d’une trève non pour enterrer les morts comme c’était le cas dans les Kupria, mais pour permettre au héros, non sans ironie, de récupérer de sa fatigue. Au cours du banquet, alors que les conversations portent sur la virtus, Nestor prend la parole pour rapporter trois histoires du passé, qui se veulent une illustration de la valeur héroïque et dont le destinataire est clairement désigné comme Achille (v.163‑4). L’analepse est plusieurs fois interrompue par des apostrophes (v.176, 191, 363) qui invitent Achille à en écouter la leçon.
12Le premier de ces exempla concerne un miraculum, l’histoire de Caenée de Perrhébie, qui, née femme sous le nom de Caenis, fille d’Elatus, fut métamorphosée en homme par Neptune qui l’avait violentée. L’origine géographique de Caenée, Thessalienne comme Achille, son changement d’identité sexuelle, qui rappelle l’enfance d’Achille déguisé en fille, la séduction qu’elle opère sur Pélée sont autant d’éléments propres à dessiner des corrélations, voire à élaborer un double analogique d’Achille. Or ce Caenée, mêlé à la bataille des Lapithes et des Centaures, se signale par son invulnérabilité : attaqué par le centaure Latraeus qui fustige son androgynie, Caenée riposte par un coup visant la jointure entre l’homme et le cheval et qui provoque la fureur du monstre ; les coups répétés du centaure s’émoussent contre le corps invincible et provoquent chez Latraeus un étonnement comparable à celui d’Achille naguère contre Cycnus : v.485 et 489 artus illaesos. De rage, les centaures se liguent entre eux pour accumuler sur le guerrier isolé un amoncellement de pins du Pélion : Caenée dont la respiration est bloquée par les arbres meurt étouffée, et se métamorphose pour la seconde fois, en oiseau cette fois. Le combat de Caenée contre Latraeus fonctionne comme un double déformé de celui d’Achille contre Cycnus : les parallèles sont nombreux, invincibilité, étonnement de celui dont les coups sont inefficaces, mort par asphyxie, métamorphose en oiseau. Le miroir tendu à Achille lui renvoie implicitement en Latraeus une image de ce qu’il vient d’accomplir à l’égard de Cycnus : un acte monstrueux, d’acharnement. L’affrontement est à nouveau irrégulier, et d’autant plus vain puisqu’il n’y a ni vainqueur ni vaincu.
13La bataille des Lapithes et des Centaures, dont l’histoire de Caenée constitue un épisode, est déclenchée lors des noces de Pirithous et Hippodamie par le rapt de la mariée par un centaure aviné Eurytus, dans un schéma analogique avec le rapt d’Hélène par Pâris qui transforme cette bataille des Lapithes et des Centaures en un équivalent monstrueux de la guerre de Troie, dont tous les combats sont élidés, et remplacés par l’analepse relative à la génération de Pélée. La critique23 a relevé la violence hors norme de la mise en abyme, version amplifiée du récit de Nestor dans l’Iliade (I). Ce condensé de sauvagerie met en perspective la guerre de Troie à laquelle il se substitue en la présentant comme un dérivé d’une guerre elle aussi barbare. La surcaractérisation épique, les comparaisons excessives, les hyperboles fonctionnent comme une réponse implicite à la question posée sur la bravoure. L’héroïsme n’existe pas : il n’y a que barbarie dans les corps disloqués jonchant la salle de banquet ; les ustensiles du festin, coupes, jarres volent et servent désormais à massacrer ; ce tableau du chaos est d’autant plus ironique que la bataille immortalisée sur les métopes du Parthénon symbolisait précisément la victoire de la civilisation sur la barbarie ; par une surenchère grotesque24, Ovide s’attarde avec une précision sadique sur l’horreur des corps devenus méconnaissables, yeux énuclés, bouillie d’os, nez s’enfonçant vers l’arrière et se plantant au milieu du palais (v.251‑253). Pour signifier que la guerre ne peut plus être un espace héroïque, Ovide joue (à l’envers d’une recusatio qui est refus de traiter la matière épique) la carte de la surcaractérisation, en forçant le lecteur à affronter une horreur qui dure deux cents vers (v. 210‑392), et qui apparaît comme la résultante d’une ira mal maîtrisée et peu glorieuse.
14Tlépolème, qui écoute le récit de Nestor, s’étonne de ce que le rôle d’Hercule, son père, ait été gommé par le narrateur, ce à quoi le vieillard rétorque qu’il voit en l’Alcide moins l’auteur des célèbres exploits que celui qui a injustement détruit Oechalie, Elis, Pylos dont il est originaire, ainsi que l’ensemble de sa fratrie, les douze enfants de Nélée ; seul Périclymène qui avait hérité de Neptune le don de métamorphose lui avait échappé en se changeant en aigle, en lacérant le visage du héros, mais Hercule avait fini par l’atteindre. La vengeance de Nestor qui consiste à taire les exploits du meurtrier de son frère affiche la partialité comme loi du récit de guerre25, relativise la notion de gloire et insiste sur la douleur des victimes.
15Sur le plan narratologique enfin, cette Iliade ovidienne qui couvre l’ensemble du livre XII se veut une réécriture en négatif de l’Iliade homérique26. En hommage à son modèle27, Ovide propose un équivalent structurel du texte‑source en associant des épisodes aptes à fonctionner comme autant de reprises de l’original, aisément détectables par le lecteur, mais cette variation parodique nous enseigne que la guerre n’est plus un espace héroïque, lieu de mémorables exploits, mais une boucherie qui laisse derrière elle des victimes meurtries et apeurées. Dans cette restitution inversée, où la structure est conservée pour permettre la reconnaissance mais les valeurs contestées, le héros ne peut plus avoir la même fonction que dans une épopée : sur le plan éthique, il est condamné, et sur le plan poétique, il se subordonne aux jeux d’écriture susdits, qui conditionnent et seuls légitiment la large place qui lui est accordée : un antihéros (porteur de la contestation ovidienne des valeurs qu’il représente) d’une antiIliade qui rend hommage à un modèle littéraire.
3) Jugements posthumes.
16Ce n’est pas un hasard si le jugement que porte la postérité sur Achille s’inscrit dans le registre de la tragédie : la querelle autour des armes d’Achille suscite un débat contradictoire entre Ajax, cousin d’Achille et Ulysse, où le modèle tragique, sous l’influence de la rhétorique, vient habiller les arguments des deux parties en une vaste controverse parsemée d’allusions au grand homme. Les exploits de la parole se substituent aux exploits guerriers, et les attaques que chacun des deux rivaux formule pour discréditer l’autre contribuent à saper encore un peu plus la valeur héroïque : l’évocation des armes d’Achille par Ajax, son cousin (v107‑111), induit la vision grotesque de la faible tête du roi de Dulichium ployant sous le lourd casque du héros, et le bouclier qui faisait l’objet chez Homère de la description que l’on sait n’occupe plus qu’un misérable vers (v.110). Or c’est Ulysse qui remporte le duel par une éloquence séductrice et manipulatrice, qui s’oppose à l’éloquence agressive et inefficace d’Ajax, paradoxe souligné par Ulysse28 : 13,383‑4 : mota manus procerum est et, quid facundia posset, Re patuit ; fortisque viri tuli arma disertus : c’est l’habile orateur qui obtient les armes du héros. Quant à Ulysse, il rappelle des épisodes peu glorieux de la vie d’Achille, dans le but de justifier sa propre conduite : le moment où il a démasqué Ulysse déguisé en fille et celui où il a porté sur ses épaules le héros tombé à la guerre.
17Le fantôme d’Achille réapparaît sous la forme d’une ombre cruelle, à la physionomie furieuse qui réclame le sang de Polyxène (XIII, 441‑446). Hécube maudit Achille qu’elle taxe de « fléau de Troie » (XIII, 550 exitium Troiae nostrique orbator) : la nuisance continue de s’exercer au‑delà de sa mort (XIII, 499‑507). Enfin ce cycle troyen se clôt sur l’évocation d’une dernière victime du Péléide, Memnon, pleuré par sa mère comme Polyxène par Hécube, les sanglots maternels donnant la conclusion ultime à la guerre de Troie. Ovide s’inspire cette fois des Posthomerica pour un épisode que l’on trouve aussi chez Quintus de Smyrne (3,400). Mais Homère sert de référent stylistique, car Aurore intercède pour son fils Memnon auprès de Jupiter comme Thétis dans l’Iliade pour Achille : mais de victime le héros est devenu bourreau.
18Le héros existe‑t‑il encore aux yeux d’Ovide ? Si la figure traditionnelle de l’héroïsme fait l’objet des contestations observées, y a‑t‑il encore place pour un héroïsme d’une autre nature dans les Métamorphoses ? Sur le plan fonctionnel, technique, les héros de l’œuvre sont ceux qui vivent le processus métamorphique, en un cycle ininterrompu, qui les délaisse une fois que le changement de forme est achevé, et qui en répétant de manière incantatoire le retour du même met l’accent sur le phénomène plus que sur l’individu qui le subit.
4) Se métamorphoser en oiseaux.
19Or le cycle troyen se distingue par son exceptionnelle concentration de métamorphoses en oiseaux, Céyx en alcyon, Daédalion son frère en oiseau de proie, Esaque, frère d’Hector en plongeon, Cycnus en cygne, Cénée en oiseau, Périclymène en aigle, et les cendres de Memnon en innombrables oiseaux, qui s’entretuent dès leur naissance dans une incompréhensible guerre fratricide qui constitue l’ultime conclusion du cycle29. Il est notable que deux de ces métamorphoses ne se trouvent que chez Ovide (celles de Cycnus et de Caenée) et qu’elles correspondent donc à une volonté de constituer un réseau analogique signifiant30. Cette concentration n’a pas échappé à la critique31, d’autant que ces échappées dans le ciel précèdent les catastérismes de César, d’Enée, de Romulus, Hersilie, comme si Ovide avait voulu ménager un progressif envol, au sein de son oeuvre, vers un au‑delà prometteur.
20Or ces métamorphoses, qui touchent aussi bien le camp grec que le troyen, s’ancrent dans la souffrance du deuil ou de l’agression, et constituent un contrepoint douloureux à la logique des combats : Daedalion se jette sur le bûcher de sa fille Chioné, Alcyone perd son mari, Esaque pleure la mort d’Hespérie, Cycnus est étouffé par son ennemi, Periclymène assassiné d’une flèche par Hercule. Le livre XII donne le ton en s’ouvrant sur le deuil de Priam, ignorant que son fils Esaque vit sous la forme d’un oiseau, paré d’ailes nouvelles (XII,1‑2). Le processus métamorphique est enclenché à chaque fois par une intolérable douleur qui suscite un élan et un désir de fuite : Daédalion (XI, 332 et suiv.) court se jeter dans les flammes qui consument sa fille (impetus), il livre ses membres à la fuite (concita membra fugae mandat), se rue dans un espace qui se mue en impasse (qua via ulla ruit) et finit par échapper à ceux qui le retiennent (effugit omnes) ; mais la métamorphose qui se voulait fuite n’a pas annulé la souffrance qui reste intacte après transformation : Daedalion continue de souffrir (aliisque dolens fit causa dolendi). Mue par une atroce douleur, Alcyone s’élance (insilit) à la rencontre des flots porteurs du cadavre de son mari et vole (volabat) avant même que d’être changée en oiseau. La mention des plumes qui succède au mouvement décrit fait apparaître enfin l’oiseau misérable qu’elle est devenue, ales miserabilis, qui telle une héroïne élégiaque fait entendre un chant plein de plainte (plenum querellae), de son bec ténu (tenui rostro). Esaque qui veut se suicider pour avoir causé la mort d’Hespérie, se change en un plongeon douloureux qui enrage de voir son âme bloquée dans une misérable prison (midera sede).
21Le très grand nombre de recueils de métamorphoses en oiseaux, l’Ornithogonie de Boios, les Alcyons de Cicéron, la Ciris, les Heteroioumena de Nicandre de Colophon, nous poussent à admettre comme très probable une influence alexandrine, même si aucun recoupement n’apparaît nettement entre le récit ovidien et les sources énumérées, aujourd’hui perdues pour la majorité d’entre elles32. Le défilé de ces oiseaux dont la forme fixe à jamais la souffrance de leur vie terrestre et la liberté nouvellement acquise33 produit la puissante impression que la guerre de Troie s’évapore pour laisser la place à une autre réalité qui pourrait être celle de la puissance imaginative. Ces oiseaux ne traduisent‑ils pas au premier degré un rêve d’évasion34 ? La pesanteur des combats humains (dont on a vu qu’ils n’étaient même plus légitimes), vient s’évanouir devant la légèreté des oiseaux qui volent au‑dessus des tempêtes humaines : Caenée parcourt le camp d’un vol pacifique : lustrantem leni sua castra volatu XII, 527, Periclymène « plane dans les airs au milieu des nuages35 » avant d’être atteint par Hercule 565 inter nubes sublimia membra ferentem pendentemque. Malgré la douleur toujours présente, le vocabulaire de la légèreté s’est immiscé dans le propos épique et la guerre destructrice est remplacée, comme par un tour de prestidigitation36, par une poésie d’élégance qui invite à délaisser la gravitas héroïque pour viser la sublimation dans un éther poétique, par la contemplation de la beauté du verbe. Les implications métapoétiques ne sont en effet pas à exclure : Daedalion se précipite du mont Parnasse, source de l’inspiration poétique (XI, 339)37. La part réelle du pythagorisme, qui reste difficile à évaluer38 dans une oeuvre poétique39 entre en tout cas en contradiction avec le principe étiologique sur lequel insiste Ovide, qui fige dans une explication définitive le mouvement de l’éternelle fluidité, tel Esaque, changé en plongeon qui est l’oiseau que l’on peut aujourd’hui contempler (nomenque manet quia mergitur illi (XI, 795) ou Caenée, « oiseau unique aujourd’hui » (XII, 531 avis nunc unica). Même si l’on considère le poète de Sulmone comme un néopythagoricien initié aux mystères de la réincarnation, la description de la métamorphose ne peut être qu’imaginaire40, vue et reconstruction de l’esprit : aussi bien la position de P. Brunel selon lequel « toute métamorphose n’est qu’une métaphore, une feinte41 » me semble valable ici. Bien loin d’être au service d’une quelconque célébration héroïque, la poésie des Métamorphoses vise la suspension du discours dans les marges de l’indicible, en renouvelant sans cesse le récit de la merveilleuse transformation, dans la logique d’une redéfinition de l’épique. Cette poésie de l’échappatoire hors du réel, qui thématise l’élévation du discours vers d’inédites sphères poétiques nous invite directement à admettre la supériorité de l’esprit sur la matière, et de la poésie sur l’acte héroïque.
22Les héros des Métamorphoses sont donc des héros sans héroïsme42 tel Esaque, Troius heros (XI, 773). Car la métamorphose, en tant que figuration d’un seuil ultime de la douleur, selon la définition de R. Galvagno43, signe la perte de contrôle de l’individu sur ce qu’il était. Reste la fascination du spectacle de l’homme en devenir, qui transforme les héros des Métamorphoses en héros d’une métaphore.
23Achille est donc l’antihéros d’une réécriture ironique du paradigme épique que constitue l’affrontement troyen (à une époque où Auguste se fait représenter sous les traits d’Achille44 et collectionne dans un cabinet de curiosité les armes des héros45). La péremption de la valeur héroïque qui caractérise les recusationes élégiaques éclate dans une oeuvre paradoxale qui voit s’affirmer la scission nouvelle entre épopée et héroïsme. Hercule46, Ajax, Achille, Enée désigné ironiquement comme Cythereius heros, sont raillés ; la possibilité d’un comportement héroïque soutenu de l’adhésion du poète transparaît en pointillé chez les figures les plus inattendues, comme Polyxène, la virgo aux qualités viriles, ou la centauresse Hylonomé qui se tue sur le cadavre de son époux, ou Céyx, le héros confronté à éros, qui se noie en prononçant le nom de sa femme. Aussi bien l’envol des oiseaux dans le ciel, élément exogène au propos épique, symbolise‑t‑il la rupture avec la pesanteur des affrontements comme il souligne l’émancipation prise avec les valeurs martiales du modèle iliadique. La métamorphose indexe ce point de séparation et renvoie, par métatextualité, au « mouvement même de l’imagination poétique, libérée d’une fidélité absolue envers les sources47 », capable de les réfléchir en déformation, comme dans une anamorphose. Le lecteur n’est alors plus invité à admirer le héros, mais le vates inspiré, maître d’œuvre d’un opus magnum dont il peut contempler l’inédite beauté.
Notes
1 Tout le livre XII est centré sur lui et les discours de Nestor lui sont adressés. Il est présent aussi dans les livres XI et XIII.
2 Voir Les Myrmidons, où Achille apparaît comme un despote égoïste menacé d'un procès pour haute trahison et qui doit affronter la rébellion armée de ses soldats.
3 J. Boës, « Le mythe d'Achille vu par Catulle », R.E.L. 54, 1986 (88), p 59‑71.
4 R.A. 777 (Achille déplorant que Briséis lui ait élé soustraite) ; Tr.2, 411 (sur la liaison entre Achille et Patrocle) ; A.A. 2,711 (Achille aimant Briséis).
5 Cad deux chefs rivaux du même camp, et non sur une exposition des causes du conflit entre grecs et troyens.
6 Il a détruit 12 villes en bord de mer, 11 sur les terres avant sa querelle avec Agamemnon ; se bat contre une pléiade de héros, tue une vingtaine d'ennemis (chants XIX, XX, XXI).
7 Les larmes d'Achille, le héros, la femme et la souffrance dans la poésie d'Homère, Albin Michel, 1984.
8 Rencontres avec la Grèce antique, éd. de Fallois, Paris, 1955.
9 « Ma mère, la déesse Thétis aux pieds d'argent, me dit en effet que deux destins m'entraînent au terme du trépas. Si je reste ici à combattre autour de la ville des Troyens, mon retour est perdu mais ma gloire sera impérissable. Si je m'en vais chez moi, dans la terre de ma douce patrie, je perds ma noble gloire, mais ma vie sera longue et le jour de mon trépas ne m'atteindra pas vite. »
10 Voir à ce sujet, L'héroïsme, sous la dir. de P. Brunel, Vuibert, 2002‑2003.
11 Voir le chapitre consacré à l'analyse de cette « Iliade » dans J. Fabre, Mythe et Poésie dans les Métamorphoses d'Ovide, Klincksieck, 1995, p 97‑115.
12 sed noctem sermone trahunt virtusque loquendi/ Materia est : pugnas referunt hostisque suasque/ Inque vices adita atque exhausta pericula saepe/ Commemorare juvat ; quid enim loqueretur Achilles,/ Aut quid apud magnum potius loquerentur Achillem ?
13 Confessam amplectitur heros/ et potitur votis ingentique implet Achille.
14 L'univers, les dieux, les hommes, Le Seuil, 1999.
15 Ed. T.W. Allen, Oxford Classical Texts, Homeri opera V, 1912, p 116 à 125.
16 F. Jouan, « Euripide et la légende des chants cypriens », B.L., 166 : « Ils débarquent au rivage d'Ilion : les Troyens les repoussent et Protésilas tombe sous les coups d'Hector. Puis Achille les met en fuite après avoir tué Cycnos, fils de Poséidon. »
17 Ce don, non mentionné dans les versions antérieures, est un ajout d'Ovide.
18 D'autres sources montrent Achille tuer Cycnus d'une pierre.
19 D. Madelénat, L'épopée, PUF, littératures modernes, 1986.
20 Voir aussi la mensura de Sappho, Her XV, qui explique qu'elle est petite par la taille mais grande par la réputation : at nomen quod terras impleat omnes / est mihi ; mensuram nominis ipsa fero.
21 Simonide, Pindare, isth. 8,59, Odyssée 24,71‑94 : Pâris tue Achille pendant sa cérémonie de mariage avec Polyxène, il meurt aux portes Scées ; chez Hygin, 107,1 : Apollon tue Achille d'une flèche au talon pour le punir de s'être vanté d'avoir pris Troie à lui tout seul : Eschyle frag. 350 Sophocle, Philoctète 334‑3, Quintus de Smyrne, Apollon tue Achille, irrité qu'un seul homme puisse causer la mort de tant de guerriers ; Achille dit au dieu campé devant lui de disparaître et le menace de le frapper ; scolie à Lycophron, Alexandra : Achille est tué par Pâris et Déiphobe.
22 On peut lire cet éloge funèbre comme un hommage ou une mascarade : le langage est à double entente.
23 O.S. Due, Changing Forms, Copenhague, 1974, p 150 ; G.K. Galinsky, Ovid's Metamorphoses, An Introduction to the Basic Aspects, Oxford and Berkeley‑Los Angeles, L.B. Blackwell, 1975, p 126, J. Fabre, op. cit., p 102.
24 G.K. Galinsky, p. 126 : « Ovid takes an almost morbid delight in the varied contorsions of agony ».
25 Fabre, op. cit., p. 103.
26 Sur la structure en négatif, voir I. Jouteur, Jeux de genre dans les Métamorphoses d'Ovide, B.E.C., Peeters, 2001, p. 349‑359.
27 Sur la parodie comme témoignage d'admiration détournée, voir D. Sangsue, La parodie, Hachette Supérieur, 1994.
28 Sur la nature des deux éloquences, voir Maria Gabriella de Sarno, « Una controversia nelle Metamorfosi », p 49‑104.
29 Sur les quarante métamorphoses en oiseaux de l'oeuvre (Térée, Piérides, Philomèle, la corneille, pour citer les plus célèbres).
30 Dans d'autres sources, Cycnus meurt touché par une pierre lancée de la main d'Achille ; quant à Caenée, si sa fin fait l'objet d'une controverse (XII, 522‑526), Nestor accrédite le prodige d'une transformation en un oiseau doré en indiquant qu'il en a été le témoin.
31 S. Viarre parle du « rythme psychologiquement ascendant du poème », Essai de lecture poétique, Belles Lettres, 1976, p.42 : « les oiseaux de la première moitié de l'œuvre restent au ras de l'eau ou quittent à peine la terre. puis le mouvement d'envol devient manifeste ».
32 Le Cycnus dont le résumé d'Antoninus Liberalis atteste qu'il figurait chez Nicandre (livre 3 des Met.) et Areus le laconien (poème Cycnos), est fils d'Apollon et d'Hyria et son histoire est celle d'une relation cruelle avec son ami Phylios auquel il impose diverses épreuves (tuer un lion, attraper des vautours), jusqu'à ce que l'ami tué par la difficulté des travaux, Cycnos se précipite dans le lac Cônôpé. Les contaminations ne sont pas à exclure, d'autant plus qu'on trouve trois Cycnus dans les Métamorphoses ovidiennes (fils de Sthenelus II, 367‑377 ; VII, 371 ; fils de Neptune XII).
33 [33] S. Viarre aborde la métamorphose comme une sorte de sublimation plus ou moins complète du personnage et voit dans les ailes de Cycnus qui le sauvent de la mort (livre VII) « une possibilité d'interprétation en faveur d'un symbole funéraire et d'une représentation de l'âme évadée du corps ». p 383
34 On a pensé à la représentation commune à d'autres cultures de l'âme oiseau, qui à la mort du corps s'échappe pour gagner le ciel.
35 trad. D. Robert, Actes sud, 2001.
36 Voir la rapidité de la métamorphose de Cycnus et les pages de S. Viarre sur la magie de la métamorphose.
37 Voir H. Vial et son chapitre sur les métamorphoses en oiseaux, La métamorphose dans les Métamorphoses d'Ovide, étude sur l'art de la variation, thèse dirigée par P. Laurens et soutenue à Paris IV en 2003.
38 Voir le chapitre III de S. Viarre dans L'Image et la pensée dans les Métamorphoses d'Ovide, PUF, 1964.
39 Qui développe par exemple davantage le principe d'une métensomatose (l'âme demeure dans un corps qui change de forme) que de la métempsychose (voyage de l'âme dans des corps différents) évoquée par les pythagoriciens et par le discours de Pythagore au livre XV.
40 Ovide insiste d'ailleurs sur le caractère merveilleux, fabuleux, extraordinaire de la métamorphose, en mentionnant par exemple l' « étrange destin » (nova fata) d'Esaque), ou en émettant un doute sur la causalité réelle de la métamorphose : on se sait si Ceyx a été remué par le mouvement des vagues ou par la force des sentiments de son épouse (populus dubitabat) ; puis le poète rectifie la position dubitative des spectateurs du phénomène en certifiant que le défunt a bien senti la présence d'Alcyone à ses côtés : sur cet exemple précis, il est moins question de pythagorisme que des effets de l'amour, appuyés par une intervention divine.
41 P. Brunel, Le mythe de la métamorphose, J. Corti, 2003.
42 Les 30 occurences du substantif heros dans les Métamorphoses sont révélatrices, car le terme désigne tant les acteurs célèbres des cycles héroïques, comme Jason, Hercule, Méléagre, que ces héros d'un nouveau genre, qui, dans la lignée de l'élégie, pleurent (Céphale 7,496), tombent amoureux (Pygmalion, 10, 290, Adonis), perdent le contrôle (inscius heros 9,157).
43 A la suite de Lacan : voir Le sacrifice du corps, frayages du fantasme dans les Métamorphoses d'Ovide, Panormitis, 1995, p. 19. L'approche citée semble ici plus juste que la synthèse de P. Brunel envisageant principalement quatre orientations à la métamorphose, pouvant être conçue comme mythe de croissance, de dégradation, génésique ou eschatologique.
44 Voir la statue d'Auguste cuirassé, datant de 20 av JC, effigie impériale découverte dans la villa de Livie à Prima Porta, imitée du Canon de Polyclète, représentant Achille porte lance, et surmontée d'une tête aux traits de l'Empereur (B. Andreae).
45 Suétone, Aug. 72.
46 Le parallèle entre Hercule et Achille est frappant : le combat d'Hercule contre l'Achéloüs est narré du point de vue du fleuve qui critique sa naissance (IX, 26), se métamorphose pour échapper à l'étreinte du héros.
47 G. Tronchet, La métamorphose à l'œuvre, Peeters, 1998, p. 398 et ses remarques sur la retractatio ovidienne de la Fama virgilienne ou « Comment transmettre les fables revient toujours à les transformer ».