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Au Roi de France et de Navarre
(1610)
Les Peintures royales.
Au Roi de France et de Navarre
(1610)
Par Isaac Habert
Publication en ligne le 13 octobre 2015
Table des matières
Texte intégral
Imitation du Grand Tableau où le Roi est représenté à Fontainebleau
1 Voilà le grand HENRI, le vrai Mars de la France,
Domptant ses ennemis sous son bras indompté,
Égalant sa valeur avecques sa clémence,
Aimé des vertueux, des méchants redouté.
Ces Amours d’alentour sont témoins de sa gloire,
Des tigres, des lions apprivoisant le cœur ;
La Couronne et la Palme és mains de la Victoire
Sert de honte aux vaincus et d’honneur au vainqueur.
Tableau de la Renommée
2 Français, jetez les yeux dessus cette peinture,
Dont les vives couleurs étonnent la nature :
Ses traits élaborés d’un art industrieux
Plaisent également à l’esprit et aux yeux.
Les tableaux que faisait l’inimitable Apelle
Cèdent à cestui-ci leur louange plus belle ;
Contre l’effort des ans son labeur ne durait,
Le vif de ses couleurs en peu de temps mourait,
Ternissant son renom, son ouvrage et sa gloire.
Mais la vertu d’un Dieu d’éternelle mémoire,
Qui n’a point de semblable en puissance, en valeur,
Anime ce Tableau de durable couleur.
Et comme ce grand Dieu les plus vaillants surmonte,
Aussi cette peinture aux plus belles fait honte :
Contemplez donc, Français, cet artiste tableau,
Voyez ce qu’il dénote, et ce qu’il a de beau.
Voilà le puissant Mars, le grand Dieu des armées,
Sur un char élevé, d’armures enflammées
Il est tout rayonneux ; de son luisant bouclair
Maint lumineux éclat s’élance dedans l’air ;
De son armet gravé la crête menaçante
Se dresse entre les plis d’une plume branlante.
Deux coursiers écumeux ayant le crin épars
Ce Dieu tant redouté traînent de toutes parts.
L’audace, la fureur, le mépris l’abandonnent ;
La pitié, la clémence et l’amour l’environnent,
La peine et la sueur accompagnent ce Dieu,
L’honneur et la vertu le suivent en tout lieu.
Je me trompe, Français, cette peinture vive
A mes yeux éblouis d’une grâce naïve :
Ce n’est pas le Dieu Mars, c’est notre Roi guerrier,
A qui Mars a cédé la plume et le laurier,
Qui le faisaient vainqueur adorer dans la Thrace ;
Sur ce char de triomphe il l’a mis en sa place,
Et voyant que la Terre avait un autre Mars,
Qui méprise la mort, dédaigne les hasards,
Honteux il est monté sur la voûte éthérée,
Lui quittant lance, armet, et cuirasse dorée ;
Les Dieux ores au Ciel ont leur Mars généreux,
Mais la Terre a ce Roi plus que lui valeureux.
Voyez devant ce char la prompte Renommée,
De ses faits signalés la courrière emplumée,
Qui va de bouche enflée une trompe entonnant,
Les âmes et les cœurs de merveille étonnant ;
Son corps est revêtu d’une robe ondoyante
En ses libres replis, et d’une aile mouvante ;
Son dos est ombragé dont les cerceaux divers
Sont semés d’yeux veillants et d’oreilles couverts.
Son naturel toujours à voler se dispose,
Nul œil ne tient fermé, nulle oreille n’a close ;
De cent bouches qu’elle a, de cent diverses voix
Dont le son touche au Ciel, elle apprend aux Français
De ce Roi nonpareil les actes mémorables,
” Qui remarquables sont et non pas imitables.
De tout ce que ce Roi propose, dit et fait,
Elle prend sa vigueur et son être parfait ;
” La vertu héroïque en action consiste,
” Et ce Roi vertueux dont la valeur résiste
” A tant d’ennemis forts lui produit chaque jour
” Mille effets glorieux, car en oisif séjour
” Il ne laisse énerver sa dextre martiale,
” Toujours en action est son âme royale ;
” Ces captifs enchaînés témoignent sa grandeur,
Ces superbes trophées son illustre splendeur.
Qui pourrait peindre ici les victoires heureuses
De ce Roi triomphant, tant de villes fameuses
Qu’il a prises d’assaut, tant d’ennemis vaincus,
Leurs lances, leurs harnais, leurs noms et leurs écus ?
Ce serait proprement lui donner ses trophées.
Il faudrait peindre encor, richement étoffées,
Les insignes vertus dont ce Prince reluit
Et les peuples divers qui viennent au seul bruit
De cette Renommée à toute heure se rendre,
Mais si petit Tableau ne saurait tout comprendre.
Sur le portrait de la Reine
3 Le Peintre ingénieux a tâché de portraire
Cette belle Princesse unique en majesté ;
L’on reconnaît aux traits du pinceau non vulgaire
Son poil, son front, sa bouche, et quelque air de beauté.
4 Mais son labeur fut vain de vouloir contrefaire
De ses yeux nonpareils la céleste clarté ;
Son dessein élevé le rendit téméraire,
Son œil fut ébloui, son art fut surmonté.
5 Qui pourra la beauté de son esprit dépeindre,
Puisqu’aux beautés du corps l’art ne peut pas atteindre,
Beautés, trésor du Monde et merveille des Cieux ?
6 Nature la formant se surpassa soi-même.
D’honneur et de vertu reluit son diadème ;
L’Orient n’eut jamais rien de si précieux.
Sur les divers portraits des enfants de leurs Majestés
7 Au printemps seulement la terre on voit parée
De fleurons émaillés, qui jettent mille odeurs ;
Puis soudain que l’été fait sentir ses ardeurs,
Leurs parfums, leurs beautés sont de peu de durée.
8 Mais d’éternels fleurons la France est décorée,
De beaux Lys éclatant en leurs riches couleurs :
Les enfants de mon Roi sont des vivantes fleurs
Dont se verra la France à jamais honorée.
Le Ciel à leur naissance a montré son pouvoir,
Et la nature en eux tous ses trésors fit voir ;
La Paix chassa Bellone et ses fières menaces.
9 Le Peintre, bien que rare, en leurs divers portraits
N’a pu de leurs beautés tracer les moindres traits :
Les fils sont des Amours, et les filles des Grâces.
Pour citer ce document
Au Roi de France et de Navarre
(1610)», Cahiers FoReLLIS - Formes et Représentations en Linguistique, Littérature et dans les arts de l'Image et de la Scène [En ligne], Revue papier (Archives 1993-2001), Lisible/visible : pratiques, mis à jour le : 13/10/2015, URL : https://cahiersforell.edel.univ-poitiers.fr:443/cahiersforell/index.php?id=336.