- Accueil
- > Revue papier (Archives 1993-2001)
- > La représentation en linguistique et littérature
- > Introduction
Introduction
Par Sylvie HANOTE et Sandrine ORIEZ
Publication en ligne le 15 octobre 2015
Texte intégral
1Le 23 septembre 1998, à la Maison des Sciences de l’Homme et de la Société de l’Université de Poitiers, une journée de travail a réuni les doctorants FORELL (FOrmes et Représentations en Littérature et Linguistique) autour d’un thème commun, la Représentation. Leurs communications ont donné naissance à ce numéro spécial des Cahiers : elles sont représentatives, par leur richesse et leur variété, de la problématique de l’Equipe d’Accueil FORELL qui tisse des liens étroits entre linguistique et littérature.
2La réflexion s’est orientée autour de trois axes principaux.
3Le premier axe envisage le langage comme activité de représentation. Il s’agit de montrer comment certains choix linguistiques orientent la représentation du monde.
4Dans son article « “A la façon d’une autre Lucrèce” : Montaigne, de la Représentation au Portrait », Stéphan Geonget étudie comment Montaigne, pour contrecarrer la propension à représenter le monde selon des codes culturels, développe une solution originale et radicale. Selon lui, il faut prendre la culture à contre-pied et renoncer à rédiger Les Essais dans la langue de Cicéron. Le français, langue « exsangue », sans histoire et sans avenir, est alors la garantie paradoxale d’une écriture plus proche de la « naïveté » originelle.
5C’est également à travers certains choix linguistiques précis que va se construire l’assertion ou la désassertion par le locuteur de certains énoncés. Sylvie Hanote (« Représentation d’une origine assertive indéterminée dans les textes de presse en anglais et en français ») examine les différents marqueurs utilisés en anglais et en français pour orienter la représentation de la prise en charge des différents discours dans les textes de presse. Elle s’intéressera plus particulièrement à la représentation d’une origine assertive indéterminée à travers l’analyse du conditionnel journalistique et ses équivalents en anglais par exemple.
6Le deuxième axe aborde la Représentation du monde telle qu’elle est rendue possible par la langue.
7Sandra Saayman (« L’auto-représentation de l’artiste incarcéré ») nous montre à quel point, dans un système oppressif, la représentation est en crise. Pour le je-narrateur du texte de B. Breytenbach, le moyen choisi pour faire connaître sa représentation du monde et de son propre paysage intérieur n’est pas l’écrit, mais la sculpture d’un petit Bouddha de savon. Cette représentation est sanctionnée par le gardien de la prison; seul le texte nous révèle, par un détour dans le récit, comment une représentation de la philosophie bouddhiste, qui serait passée inaperçue en mots, se trouve interdite sous sa forme plastique, ‘concrète’. La disparition du Bouddha comme moyen d’expression de cette philosophie est aussi une manière de la retrouver et de la représenter à travers le vide, lieu de transformation nécessaire qui se trouve explicité au niveau du texte.
8Ce problème trouve un écho dans l’article de Hassan Ben Deggoun (« Les délits de représentation ou l’écriture comme blasphème ? Le cas de Salman Rushdie »). Celui-ci nous explique en effet comment la représentation est parfois limitée voire « codée » pour des raisons religieuses. La représentation, et plus particulièrement la figuration, dans la religion islamique est intimement liée au discours foncièrement monothéiste de cette dernière. Ainsi, dès le début de la Révélation, pour éviter que la chose représentée ne puisse concurrencer l’original, l’Islam décide de la condamner, ce qui rend la création artistique problématique dans la mesure où celle-ci est dès lors soumise à une éthique normative. Avec l’affaire Rushdie, l’artiste, pensant trouver son inspiration dans et par l’écriture se voit condamné à nouveau : son œuvre, Les Versets Sataniques, est lue comme un discours blasphématoire.
9La représentation peut être « orientée », déformée, notamment dans le cadre de la fantaisie (Christophe Coudert, « La fantaisie comme forme de Représentation dans Les Quatre Livres des Spectres de Pierre Le Loyer (1586) »). Les manifestations diverses et multiples de la fantaisie tendent en effet à pervertir l’ordre naturel, établi par le divin, dans lequel le diable revêt une figure primordiale. C’est alors le glissement de l’aspect neuro-pathologique vers une représentation fantasmée et diabolique du monde.
10La représentation peut se voir également transformée en outil de persuasion. Myriam Marrache dans « Représentation et démonstration dans l’Éloge des Dettes » explique comment Panurge, en tant que locuteur, se fait l’artisan d’une représentation paradoxale qui se donne pour objectif de représenter d’une part un objet qui n’a pas de référent réel, la dette, d’autre part, l’absence de cette abstraction, un monde sans dette. Grâce à un certain nombre d’artifices rhétoriques, cette représentation parvient à fonctionner mais elle n’est elle-même qu’un moyen et non une fin. Détournée, la représentation devient démonstration. Panurge, par son intermédiaire, entend en effet convaincre son interlocuteur.
11Le troisième axe examine la représentation de la langue par la langue élaborée en système de représentation.
12Sandrine Oriez propose un nouveau système de représentation d’un fait de langue spécifique, la structure à double objet en anglais, dans « Les limites de la métaphore spatio-temporelle dans la représentation prédicative ». Dans le cadre de la Théorie des Opérations Énonciatives, elle montre qu’il est impossible de réduire give au simple transfert d’un élément d’une localisation de départ à une localisation d’arrivée. Give met en effet en jeu un fonctionnement plus complexe, notamment lorsque l’élément transféré est de type qualitatif. L’alternance devient alors impossible et seule la structure non-prépositionnelle est acceptable. Elle propose dans cet article une représentation qui tente de rendre compte de ces difficultés.
13Enfin Catherine Collin (« Représentation de l’absence dans l’injonction ») se demande si l’absence de marques linguistiques peut être considérée comme l’indice d’une absence de paramètres énonciatifs. L’objet de son étude est de montrer que le sujet et le moment d’énonciation sont deux paramètres répondant à ce phénomène d’absence et que l’absence textuelle est une représentation d’opérations linguistiques.
14Le thème de la Représentation s’est ainsi révélé suffisamment fédérateur pour recueillir la diversité des travaux présentés et a permis aux doctorants FORELL de confronter leurs approches et de discuter de l’évolution de leurs recherches.
15Les doctorants tiennent à remercier Liliane Louvel, Marie-Luce Demonet et Jean Chuquet pour l’organisation de cette journée et leur aide au cours des différentes phases de la rédaction de ce volume.