« À la façon d’une autre Lucrèce » :
Montaigne, de la représentation au Portrait

Par Stéphan GEONGET
Publication en ligne le 15 octobre 2015

Résumé

Vouloir se représenter trait « por-traict », selon son air « naïf », comme prétend le faire Montaigne, ne peut aller sans une réflexion sur les a priori d’une telle entreprise. Il s’agit donc d’abord pour lui d’examiner, comment, à l’insu même des auteurs, le fait divers le plus banal devient l’illustration directe d’un paradigme culturel ou comment la « fille » du voisinage devient la Lucrèce antique. La pureté du projet de peinture « naïve » ne peut s’accommoder d’une telle distorsion. Pour contrecarrer cette propension à représenter selon des codes culturels, Montaigne développe une solution originale et radicale : il faut prendre la culture à contre-pied et renoncer à rédiger Les Essais dans la langue de Cicéron. Le français, selon lui langue « exsangue », sans histoire et sans avenir, est alors la garantie paradoxale d’une écriture plus proche de la « naïveté » originelle. Cette « barbarie » langagière doit constituer le socle d’un portrait naïf loin de toute représentation.

Texte intégral

1Qu’on nous permette de commencer par une évidence : Les Essais sont la peinture d’un moi. Nul ne songerait, sans doute, à remettre en cause pareille assertion et tout un chacun a en tête le célèbre propos liminaire :

Je veus qu’on m’y voie en ma façon simple, naturelle et ordinaire, sans contention et artifice, car c’est moy que je peins. Mes defauts s’y liront au vif, et ma forme naïfve, autant que la reverence publique me l’a permis.1

2Ce programme explicite très clairement le projet montaignien de se peindre, d’après l’étymologie latine, selon son air nativus et de trouver ainsi son vrai visage. Il s’agit, pour Montaigne, là aussi d’après l’étymologie, de faire son propre « pourtraict » en respectant « traict pour traict » la vérité.

Quoy qu’il en soit, veux-je dire, et quelles que soyent ces inepties [Les Essais], je n’ay pas deliberé de les cacher, non plus qu’un mien pourtraict chauve et grisonnant, où le peintre auroit mis, non un visage parfaict, mais le mien. Car aussi ce sont ici mes humeurs et opinions; je les donne pour ce qui est en ma creance, non pour ce qui est à croire. Je ne vise icy qu’à découvrir moy mesme, qui seray par adventure autre demain, si nouveau apprentissage me change.2

3La netteté du projet ne lui enlève cependant pas sa difficulté. Il se heurte, en effet, à un écueil de taille. Il doit composer – à tous les sens du terme – avec une écriture dont l’inscription dans le temps présent l’empêche d’être l’idéal vecteur neutre de la vérité. L’écriture est, en effet, dès l’origine, le témoignage d’un temps, d’une idéologie et de certaines valeurs provisoires. En bref, elle est prise dans le moule d’une culture. Dès lors si Montaigne est bien évidemment un lettré, sa culture ne menace-t-elle pas de troubler la clarté même du projet de peinture « naïve » ? Comment écrire « naïvement » quand on a soi-même fréquenté tous les illustres auteurs de l’Antiquité et de la Modernité et que, reconnaître avoir été influencé par eux, c’est du même coup admettre avoir été dénaturé ? Comment donc articuler projet de vérité biographique et danger d’une « re-présentation » – réitération – de modèles ? Comment donc écrire sans se représenter ?

4Ce n’est que de la résolution de cet inévitable conflit entre un projet de « pour-traict » et un donné d’inscription dans une langue et dans une culture, que peut naître une écriture « naïve », seule adéquate à la réalisation de l’entreprise montaignienne. Il faut, d’abord, on le comprend, pour Montaigne, procéder à une analyse pointue de ce qu’implique l’inscription de son écriture dans une culture et, notamment, des dangers d’une « représentation », pour pouvoir ensuite s’en libérer. Une critique de ceux de ceux qui, rédigeant des biographies, ne sont finalement que des « historiens », s’avère nécessaire pour pouvoir, enfin, ouvrir une voie neuve, celle d’une langue libérée, seule à même de ne plus « re-présenter ».

5Au début du deuxième livre, dans le tout premier essai, intitulé « De l’inconstance de nos actions », Montaigne nous livre une anecdote, dont le lecteur pressé ne tirera sans doute pas grand enseignement. Pourtant, la place stratégique qu’elle occupe au début du deuxième tome en fait le véritable pendant et l’explicitation du « Au lecteur » du premier volume. Le recours à la figure de Lucrèce, authentique hapax dans Les Essais, est un indice supplémentaire de l’importance d’un texte qui a, en fait, valeur de paradigme pour toute la réflexion montaignienne sur la représentation.

Pendant les débauches de nostre pauvre estat, on me rapporta qu’une fille, bien pres de là où j’estoy, s’estoit precipitée du haut d’une fenestre pour éviter la force d’un belitre de soldat, son hoste; elle ne s’estoit pas tuée à la cheute, et, pour redoubler son entreprise, s’estoit voulu donner d’un cousteau par la gorge, mais on l’en avoit empeschée, toutefois apres s’y estre bien fort blessée. Elle mesme confessoit que le soldat ne l’avoit encore pressée que de requestes, sollicitations et presens, mais qu’elle avoit eu peur qu’en fin il en vint à la contrainte. Et là dessus les parolles, la contenance et ce sang tesmoing de sa vertu, à la vraye façon d’une autre Lucrece.3

6Il ne s’agit pas ici, comme on pourrait le croire, d’une simple petite histoire destinée uniquement à montrer la variabilité des actions humaines. Une fine analyse psychologique est à l’œuvre. Montaigne est ici bel et bien en train de disséquer un processus mental fondamental, celui par lequel nous transformons un événement en un fait de culture, par lequel nous élevons l’histoire au niveau du mythe et finissons par ne plus voir le fait lui-même, « naïf », mais sa représentation culturelle.

7Le scénario est clair, nettement binaire : un récit raconte le suicide4, ici significativement avorté, de cette « fille » et une clausule, riche d’enseignements, feint de donner le mot de la fin. La « fille » en question a agi, est-il dit

à la vraye façon d’une autre Lucrece.5

8In cauda venenum. La comparaison, bien loin d’être neutre, est en fait une véritable ironie : elle met en effet en regard l’action de la « fille » et une image, on ne peut plus culturelle, transmise par la littérature et nombre de gravures, celle de la vertu avec un grand V luttant contre la barbarie, celle de la chasteté6 résistant à la luxure. On peut même dire que Lucrèce, célébrée par tant d’auteurs7, fait même partie de la grande galerie de portraits des femmes illustres.

9La conduite singulière est alors absorbée par le topos et tout ce qui ne « cadre » pas avec l’image prédéfinie est irrémédiablement banni. L’antonomase fonctionne à plein : la « fille » de la première ligne est devenue dans la conclusion une « autre Lucrèce ». La chute n’en est que plus difficile : là voilà maintenant simple « garse de non si difficile composition » !

Or, j’ay sçeu, à la vérité, qu’avant et depuis ell’avoit esté garse de non si difficile composition. Comme dict le conte : Tout beau et honneste que vous estes, quand vous aurez failly vostre pointe, n’en concluez pas incontinent une chasteté inviolable en vostre maistresse ; ce n’est pas à dire que le muletier n’y trouve son heure.8

10Montaigne intervient pour rectifier nos impressions de lecteurs cultivés. Nous n’avions finalement retenu du comportement de cette femme que ce qui correspondait parfaitement à sa statue héroïque9, à ce que, d’une certaine façon, nous savions déjà qu’elle allait faire. Son sang et ses paroles ont déjà fourni aux spectateurs les indices d’une scène qu’ils connaissaient déjà fort bien, pour la simple et bonne raison qu’ils l’ont déjà lue chez Ovide et Tite-Live ! La représentation topique a pris le dessus sur la peinture « naïve », la femme légère d’autrefois a rejoint le mythe de toujours.

11L’association de la « fille » à Lucrèce semble, d’ailleurs, se faire d’autant plus facilement qu’aussi bien chez Montaigne que chez Ovide, le contexte similaire semble conditionner et la suite du récit et sa réception. Il s’agit en effet dans les deux cas de troubles guerriers, précisément de la guerre contre Ardée chez les écrivains latins, des guerres de religion chez Montaigne. C’est, en fait, comme si le contexte préparait et appelait dans les esprits le récit du viol de Lucrèce. Cette « mise en condition » du lecteur qui sommeille en tout individu est d’ailleurs malicieusement soulignée par Montaigne qui introduit précisément le récit de la Vertu de Lucrèce par les « débauches de nostre pauvre estat », comme pour souligner, par ce décalage étonnant, combien est « préparé » notre esprit, combien est culturelle notre vision. L’amorce identique du récit semble alors entraîner – mécaniquement – une fin identique du scénario. Ce que Montaigne pointe ici finalement, c’est la prégnance du modèle littéraire sur le regard prétendument neutre que nous portons sur la réalité. Une similitude entre la vie réelle et le livre lu fait déjà pressentir à l’individu la suite des événements. Le héros mythique remplace alors le personnage historique et Lucrèce la simple « fille ». Ce n’est, d’ailleurs, qu’à partir de cette image mythique de nouvelle Lucrèce, que le comique final se comprend : Lucrèce se refusant à Tarquin mais s’abandonnant bien volontiers au muletier, voilà qui retourne quelque peu le sens du mythe !

12A travers cette simple remarque, Montaigne montre combien l’homme est le jouet de sa propre culture. Il croit la maîtriser et écrire « naïvement ». Il pense donner l’histoire vraie d’une jeune fille alors qu’il présente à nouveau, sans s’en rendre même vraiment compte, celle de Lucrèce. Il ne fait que représenter infiniment ce qu’on lui a appris à voir10.

13C’est, sans doute, cette critique qui explique que Lucrèce n’apparaisse qu’une seule fois dans l’ensemble des Essais, au moment précis où il s’agit d’une analyse de la propension humaine à « re-présenter ». Lucrèce n’apparaît logiquement pas dans le vingt-neuvième essai du deuxième livre, consacré très précisément à l’étude de la vertu puisqu’il s’agit alors de l’examiner en prenant soin d’éviter, à tout prix, de se laisser abuser par les mythes qu’on lui associe d’ordinaire et qui faussent l’analyse… Il faut mettre l’image mythique à distance pour espérer aborder le sujet de façon juste. Comme le dit ailleurs Montaigne :

Nous ne sommes que ceremonie : la ceremonie nous emporte, et laissons la substance des choses ; nous nous tenons aux branches et abandonnons le tronc et le corps. Nous avons apris aux Dames de rougir oyant seulement nommer ce qu’elles ne craignent aucunement à faire […] Je me trouve icy empestré és loix de la ceremonie, car elle ne permet ny qu’on parle bien de soy, ny qu’on en parle mal.11

14La représentation culturelle, la « ceremonie » en termes montaigniens, oblige et perturbe une représentation « naïve ». Elle contraint à parler de soi selon des canaux obligés : « Je me trouve icy empestré és loix de la ceremonie ». L’esprit cultivé n’a finalement qu’un seul et vrai défaut : il est cultivé ! Il ne sait raconter qu’à travers les ornières de sa culture. Il ne sait traiter des bergers qu’à travers les Bucoliques et d’amour que par référence à Ovide. La ratio studiorum se situe en amont de toute écriture et rend par avance caduque l’entreprise de « pourtraict ». Il faut donc, une fois le processus mental compris, examiner maintenant comment il perturbe ceux qui font profession d’écrire le « moi ».

15Le processus psychologique n’intéresserait sans doute pas outre mesure Montaigne, s’il ne conduisait pas à une distorsion mensongère et dangereuse. L’analyse du « cas Lucrèce » permet à Montaigne de se forger les outils nécessaires à une critique salutaire. Ce n’est donc, fort logiquement, qu’après avoir posé les bases théoriques de son analyse, que Montaigne s’en prend à ceux qui ont pour projet avoué la « peinture du moi », les biographes et les historiens de son temps. Hormis pour les plus frustres d’entre eux – comme Froissard12 – et les plus brillants, la prégnance des modèles culturels semble s’imposer dans tous les textes :

Le plus souvent on trie pour cette charge, et notamment en ces siecles icy, des personnes d’entre le vulgaire, pour cette seule consideration de sçavoir bien parler, comme si nous cherchions d’y apprendre la grammaire ! Et eux ont raison, n’ayans esté gagez que pour cela et n’ayant mis en vente que le babil, de ne se soucier aussi principalement que de cette partie. Ainsin, à force beaux mots, ils nous vont patissant une belle contexture des bruits qu’ils ramassent és carrefours des villes. Les seules bonnes histoires sont celles qui ont esté escrites par ceux mesmes qui commandoient aux affaires, ou qui estoient participans à les conduire, ou, au moins, qui ont eu la fortune d’en conduire d’autres de mesme sorte.13

16La « belle contexture » a remplacé la stricte vérité et la rhétorique grandiose a pris le dessus sur la simplicité des faits14. L’historien, comme le biographe, est même si subjugué par son sujet que Montaigne le compare à tel amoureux passionné des premiers instants. Il « prête des beautés » qu’elle n’a pas à la Lucrèce qu’il tient à voir derrière la femme légère.

C’est un’ affection inconsiderée, dequoy nous nous cherissons, qui nous represente à nous mesmes autres que nous ne sommes: comme la passion amoureuse preste des beautez et des graces au subjet qu’elle embrasse et fait que ceux qui en sont espris, trouvent, d’un jugement trouble et alteré, ce qu’ils ayment, autre et plus parfaict qu’il n’est.15

17Fortis imaginatio generat casum16. Mais alors que penser de notre capacité à voir le réel ? Si la chaleur amoureuse, qui nous fait voir la réalité « plus belle qu’elle n’est » est bien le signe quasi physique d’un « portrait » qui se transforme en « représentation », dès lors, on pourrait bien dire que le projet montaignien est une entreprise de lucidité au sein du coup de foudre17.

18La « représentation » résout d’un coup la complexité d’un comportement en une lisibilité parfaite. Le mixte des motivations disparaît et l’homme de la réalité ressemble enfin au héros mythique. On comprend mieux alors toute l’importance du viol avorté de Lucrèce dans un essai précisément consacré à l’examen attentif de « l’inconstance de nos actions ».

Ceux qui s’exercent à contreroller les actions humaines, ne se trouvent en aucune partie si empeschez, qu’à les r’appiesser et mettre à mesme lustre: car elles se contredisent communément de si estrange façon, qu’il semble impossible qu’elles soient parties de mesme boutique. Le jeune Marius se trouve tantost fils de Mars, tantost fils de Venus.18

19Le regard n’est alors pas, aux yeux des biographes, un vecteur neutre au service d’une retranscription exacte de la vérité mais reste soumis à quantité de « filtres » culturels. Les « autheurs » partent d’une image toute trouvée et recomposent – « r’appiessent », comme dit Montaigne – le personnage en fonction du moule qu’ils ont d’abord formé. Dès lors, la coïncidence du modèle à l’individu ne peut, bien sûr, être que parfaite et la clarté du comportement qu’idéale !

[Les auteurs] choisissent un air universel et suyvant cette image, vont rengeant et interpretant toutes les actions d’un personnage, et, s’ils ne les peuvent assez tordre, les vont renvoyant à la dissimulation.19

20On reconnaît, bien sûr, dans ce passage la parodie du mot d’ordre esthétique et éthique de l’Antiquité sequi naturam, dégénéré ici en un pâle et dangereux sequi imaginem ! L’inversion est totale. C’est désormais l’image qui est première et le récit se contente de la suivre. Le visage « universel » de la Vertu est alors nécessairement celui de Lucrèce. Dès lors, comment espérer encore une peinture « naïve » ?20

21Alors que la vie de l’homme est embrouillée, complexe, « bigarrée »21, les motivations diverses et les palinodies fréquentes22, les auteurs voudraient la rendre nette et tendue vers un seul but, aussi claire et lisible qu’un livre déjà écrit23. Comme le note Montaigne, avec une certaine ironie, si l’on pouvait ainsi soumettre les actions humaines au respect d’un modèle culturel

Le discours en seroit bien aisé à faire.24

22Le danger est alors de prétendre réaliser une peinture « naïve » alors qu’on ne fait, finalement, que reproduire une culture. Il faut donc se déprendre de ses propres modèles pour pouvoir espérer se voir le plus « naïvement » possible. Mais comment éviter les mythes que véhicule, malgré nous, notre langue maternelle ? Comment, finalement, sortir de sa propre culture ?

23Montaigne a une réponse radicale : en devenant étranger à soi même, en rejetant sa langue maternelle et en adoptant comme parti pris d’écriture le choix d’une langue défectueuse et dont la relative jeunesse fait d’une certaine façon la virginité culturelle : le français.

24Il y a un monde entre composer une œuvreen latin ou le faire en français, le monde qui sépare, la « culture » de la « nature », la « représentation » du « pourtraict ».

Quant au Latin, qui m’a esté donné pour maternel, j’ay perdu par des-accoustumance la promptitude de m’en pouvoir servir à parler : ouy, et à escrire, en quoy autrefois je me faisoy appeller maistre Jean.25

25En choisissant d’écrire Les Essais en français, Montaigne poursuit tout à fait consciemment un travail de « des-accoustumance », de « déprise » à la fois linguistique et culturelle. Écrire en français n’est alors, finalement, que la conséquence logique du projet de portrait naïf du moi. Il faut renoncer au statut tout à fait enviable de « maistre Jean » pour endosser le ton plus authentique du sermo humilis26. Il faut rejeter l’orgueil pour gagner la vérité. Montaigne choisit donc de devenir un « barbare », comme les Cannibales, pour retrouver la « naifveté originelle ».

Ces nations me semblent donq ainsi barbares, pour avoir receu fort peu de façon de l’esprit humain, et estre encore fort voisines de leur naifveté originelle.27

26Certes, on peut bien faire référence à Lucrèce en français mais la prégnance du modèle est bien loin d’être la même. Alors que Lucrèce s’impose d’elle-même en latin, le décalage et le délai qu’impose le recours à la langue « seconde », le français, rendent, sinon impossible, du moins difficile, la référence littéraire. Les stéréotypes de la langue maternelle latine sont brisés et les réflexes perdus. Il faut renoncer à la langue de la culture pour espérer ne plus se « re-présenter ».

27De plus, faire le choix du français, c’est se décider pour une langue que sa précarité même force à ne pouvoir ériger en langue de culture. Le français est, aux yeux de Montaigne, bien trop instable et vacillant pour avoir la force de véhiculer des mythes. D’une certaine façon, le français représente la langue qui, à tous les sens du terme, a perdu son latin28. C’est même une langue « exsangue », un corps sans vigueur.

Il m’advint l’autre jour de tomber sur un tel passage. J’avois trainé languissant apres des parolles Françoises, si exangues, si descharnées et si vuides de matiere et de sens, que ce n’estoient voirement que paroles Françoises […].29

28Faire le choix du français, c’est, à vrai dire, se décider pour une langue sans chair ni sang (ni « sens » selon la paronomase), et, selon Montaigne, moribonde. Montaigne choisit une langue dont la très grande versatilité rend problématiques non seulement son avenir mais encore sa survie et, par delà, une langue qui l’oblige à renoncer à tout orgueil.

J'escris mon livre à peu d'hommes et à peu d'années. Si ç'eust esté une matiere de durée, il l'eust fallu commettre à un langage plus ferme. Selon la variation continuelle qui a suivy le nostre jusques à cette heure, qui peut esperer que sa forme presente soit en usage, d'icy à cinquante ans ? Il escoule tous les jours de nos mains et depuis que je vis s'est alteré de moitié. Nous disons qu'il est à cette heure parfaict. Autant en dict du sien chaque siecle. Je n'ay garde de l'en tenir là tant qu'il fuira et se difformera comme il faict.30

29Le choix du français n’est donc pas qu’une simple préférence ni même un désir de participer activement à l’essor d’une langue nouvelle. Il révèle en fait, en négatif, la volonté de ne pas écrire en latin, de ne pas rechercher l’immortalité pour ne plus se représenter31. Comme le note très justement Jean-Yves Pouilloux :

Vouloir se survivre dans la postérité n’est en somme rien d’autre que perpétuer la représentation que nous nous faisons de nous-mêmes et que nous voulons faire accepter aux autres, en méconnaissant qu’il s’agit seulement d’une représentation imaginaire. Le désir de gloire est avant tout cette méconnaissance de notre propre diversité et variation incessante.32

30Parler latin, écrire latin, c’est parler masqué derrière Cicéron, c’est écrire selon des formes et des thèmes imposés. C’est alors préférer la représentation au portrait, refuser de se montrer vrai, dans sa nudité. Le dernier souffle sera bel et bien « François » :

Mais à ce dernier rolle de la mort et de nous, il n’y a plus que faindre, il faut parler François, il faut montrer ce qu’il y a de bon et de net dans le fond du pot […].33

31L’hora mortis est un moment hautement privilégié où l’homme accède à son air nativus. Alors il ne peut plus mentir, prétendre à la grandeur, et doit se résoudre à parler français. Dès lors, « montrer le fond du pot » et « parler français » sont donc non seulement bien sûr deux expressions synonymiques, mais encore deux indications similaires de niveau de langue : le registre bas, garantie essentielle de l’authenticité du discours.

32Montaigne va même plus loin puisqu’il revendique une altération volontaire de son français. Il faut délibérément l’empirer pour le rendre totalement inapte à « représenter ». Il s’agit bien, radicalement, de se déprendre, de se « désaccoutumer » de tout ce qui pourrait faire du français une langue de culture à l’instar du latin.

Mon langage françois est alteré, et en la prononciation et ailleurs, par la barbarie de mon creu : je ne vis jamais homme des contrées de deçà qui ne sentit bien evidemment son ramage et qui ne blessast les oreilles pures françoises.34

33Montaigne recherche un français qui choque35, qui soit suffisamment « barbare » pour que, d’une certaine façon, toute tentation de représentation soit écartée. A cet égard, le terme de « barbare » qu’emploie Montaigne est bien loin d’être anodin puisqu’il qualifie non seulement les peuplades sauvages contre lesquels lutta l’Empire romain mais surtout un état de langue. En effet, selon une des étymologies possibles du terme, les authentiques « barbares » sont ceux qui ne peuvent qu’articuler « BA-BA », autrement dit, le « B A, BA » d’une langue. C’est d’ailleurs tout à fait significativement cette première incapacité que remarque Montaigne chez les Cannibales :

Nostre monde vient d'en trouver un autre (et qui nous respond si c'est le dernier de ses freres, puis que les Dæmons, les Sybilles et nous, avons ignoré cettuy-cy jusqu'asture ?) non moins grand, plain et membru que luy, toutesfois si nouveau et si enfant qu'on luy aprend encore son a, b, c : il n'y a pas cinquante ans qu'il ne sçavoit ny lettres, ny pois, ny mesure, ny vestements, ny bleds, ny vignes.36

34Plus la langue se fait « barbare », plus les « barbarismes » s’accumulent, plus les risques sont faibles d’être tenté par la reprise de modèles culturels d’un autre univers langagier et mental. Le portrait réclame une langue « barbare » qui montre le « fond du pot » et renonce à la représentation.

35En guise de conclusion, faisons, avec Montaigne, cette remarque de bon sens qui risque de mettre quelque peu en question le projet montaignien de peinture naïve : rejeter le latin pour le français afin d’éviter toute la « ceremonie » de la langue de Cicéron, n’est-ce pas d’une certaine façon, retomber in fine dans un autre type d’affectation et de cérémonie ? N’est-ce pas, pour éviter Charybde, tomber alors en Scylla ? Le français ne serait alors pas tant, pour Montaigne, la langue du peuple, que celle de ceux qui refusent le latin ! Montaigne ne ferait alors que redoubler la « ceremonie » première ! La question est de taille, et si le problème est ouvert, nous ne prétendons que l’esquisser ici. Le paradoxe n’a, d’ailleurs, nullement échappé à Montaigne lui-même qui écrit, semblant se douter de ce retournement inattendu :

Je sçay bien que la plus part des hommes se tiennent en ce bas estage, pour ne concevoir les choses que par cette premiere escorse; mais je sçay aussi que les plus grands maistres, et Xenophon et Platon, on les void souvent se relascher à cette basse façon, et populaire, de dire et traiter les choses, la soustenant des graces qui ne leur manquent jamais.
Au demeurant, mon langage n’a rien de facile et poly : il est aspre et desdaigneux, ayant ses dispositions libres et desreglées; et me plaist ainsi, si non par mon jugement, par mon inclination. Mais je sens bien que par fois je m’y laisse trop aller, et qu’à force de vouloir eviter l’art et l’affectation, j’y retombe d’une autre part.37

36Vouloir éviter l’affectation, vouloir parler vrai, n’est-ce pas là le comble même de l’affection et le moyen le plus sûr de ne pas atteindre l’objectif de peinture « naïve » ? Dès lors, si Montaigne a bien conscience que le choix du français, bien loin de régler la question, ne fait que la reposer à un second niveau, quel sens donner au choix délibéré d’une langue imparfaite? Faut-il, puisque du retournement ne naît qu’une autre affectation, peut-être plus subtile que la première mais ne défigurant pas moins la réalité, renoncer à une quelconque volonté d’amélioration ou alors se pourrait-il que le changement de langue ne trouve son vrai sens que dans le désir qu’il manifeste ? Peindre son air naïf est-il vraiment pour Montaigne un projet viable à réaliser concrète­ment dans les faits ou bien est-il plutôt un horizon tout à la fois fictif et nécessaire pour se mettre à écrire ?

Notes

1 . « Au Lecteur », p. 3. Toutes les références seront données dans l’édition de
P. Villey, Paris, P.U.F, 1992.

2 . Livre I, chap. XXVI, p. 148.

3 . Livre II, chap. I, p. 334.

4 . Sur les différentes représentations du suicide à la Renaissance, se reporter au livre de Fr. Berriot, Athéismes et athéistes au seizième siècle en France, notamment p. 178-194, Paris, Cerf, 1976 et à l’article de F. Garavini « Montaigne et le suicide », dans Travaux de Littérature, 2, Paris, 1989.

5 . Livre II, chap. I, p. 334.

6 . F. Garavini, dans un article « Montanus pro domo sua (à propos de Essais II, 1 : De l’in-constance de nos actions) », dans L’Esprit et la Lettre, Mélanges offerts à Jules Brody, Tübingen, Gunter Narr Verlag, 1991, mentionne très justement le parallèle que Montaigne découvre dans les esprits de son temps entre la vaillance virile et la chasteté féminine : « Mais il est digne d’estre consideré que nostre nation donne à la vaillance le premier degré des vertus, comme son nom montre, qui vient de valeur; et que, à notre usage, quand nous disons un homme qui vaut beaucoup, ou un homme de bien, au stile de nostre court et de nostre noblesse, ce n’est à dire autre chose qu’un vaillant homme, d’une façon pareille à la Romaine. […] Tout ainsi que nostre passion , et cette fievreuse solicitude que nous avons de la chasteté des femmes, fait aussi qu’une bonne femme, une femme de bien et femme d’honneur et de vertu, ce ne soit en effect à dire autre chose pour nous qu’une femme chaste; comme si, pour les obliger à ce devoir, nous mettions à nonchaloir tous les autres, et leur lachions la bride à toute autre faute, pour entrer en composition de leur faire quitter cette-cy », Livre II, chap. 7, p. 384. L’exemple de Montaigne tire donc sa force d’une analyse préalable de la situation de son lectorat potentiel. En effet si, pour ses contemporains, l’image de la Vertu féminine s’incarne en Lucrèce, on juge alors facilement de la force et de l’impact qu’aura sur eux l’exemple choisi pour démontrer « l’inconstance de nos actions ».

7 . La vertu de Lucrèce est ainsi évoquée et justement mise en relation avec les historiens de l’Antiquité par Marguerite de Navarre pour témoigner de la vertu exceptionnelle d’une femme qui résiste aux avances d’un « des grands seigneurs de France » : « Je ne vois qu’un mal, dit Oisille : que les actes vertueux de cette fille n’ont pas été du temps des historiens, car ceux qui ont tant loué leur Lucrèce l’eussent laissée au bout de la plume pour écrire au long les vertus de cette-ci, pource que je les trouve si grandes que je ne les pourrais croire sans le grand serment que nous avons fait de dire vérité », Cinquième journée, Nouvelle XLII. On trouve aussi une association explicite de Lucrèce et de la Vertu dans un texte presque contemporain (1594) de W. Shakespeare, Le viol de Lucrèce : « On voit sur le visage de Lucrèce ce blason que se disputent le rouge de la Beauté et la blancheur de la Vertu », p. 63 dans Les poèmes, traduction et préface par Y. Bonnefoy, Paris, Mercure de France, 1993. Par un chiasme, le « rouge » de la Beauté devient celui de la Vertu, du sang que Lucrèce va peu après verser et le « blanc » de sa Vertu celui de la belle morte… Le récit initial se trouve chez Tite-Live, I, 57-59 et chez Ovide, Fastes, II, 761-852.

8 . Livre II, chap. I, p. 334. Là encore, il convient de noter un rapprochement possible avec l’Heptaméron de Marguerite de Navarre. En effet, dès la deuxième nouvelle, la vertu des femmes est illustrée par la résistance héroïque, digne de celle de Lucrèce, « martyr de chasteté », d’une femme qu’un valet logé chez elle en l’absence de son mari, précisément muletier, contraint, pour sauver son honneur, sinon à se suicider, du moins à verser son sang pour défendre son honneur.

9 . Nous retrouvons, ailleurs, la méfiance montaignienne vis-à-vis de la glorieuse représentation du moi en pied : « Je ne dresse pas icy une statue à planter au carrefour d’une ville, ou dans une Eglise, ou place publique. C’est pour le coin d’une librairie, et pour en amuser un voisin, un parent, un amy, qui aura plaisir à me racointer et repratiquer en cett’image », Livre II, chap. XVIII, p. 664.

10 . On trouve chez M. Proust une idée similaire. Il écrit en effet, dans le Contre Sainte-Beuve : « Dans les routes de cette villégiature qu’il va quitter et où bientôt peut-être de fâcheux renseignements sur lui vont parvenir, il promène solitaire une mélancolie inquiète mais qui n’est pas sans charme car il a lu Les Secrets de la Princesse de Cadignan, il sait qu’il participe à une situation en quelque sorte littéraire et qui prend par là quelque beauté », chap. XI, p. 217, Paris, Gallimard, 1992.

11 . Livre II, chap. XVII, p. 632.

12 . Ainsi Montaigne dit de lui : « J’ayme les Historiens ou fort simples ou excellens. Les simples, qui n’ont point dequoy y mesler quelque chose du leur, et qui n’y apportent que le soin et la diligence de r’amasser tout ce qui vient à leur notice, et d’enregistrer à la bonne foy toutes choses sans chois et sans triage, nous laissent le jugement entier pour la cognoissance de la verité. Tel est entre autres, pour exemple, le bon Froissard, qui a marché en son entreprise d’une si franche naïfveté, qu’ayant faict une faute il ne creint aucunement de la reconnoistre et corriger en l’endroit où il en a esté adverty; et qui nous represente la diversité mesme des bruits qui couroyent et les differens rapports qu’on luy faisoit. C’est la matiere de l’Histoire, nue et informe », Livre II, chap. X, p. 417.

13 . Livre II, chap. X, p. 417.

14 . M.-L. Demonet a déjà eu l’occasion de rappeler dans son article « Le genre historique dans Les Essais : quand il s’agit de parler des choses » dans Montaigne et l’histoire, Paris, Klincksieck, 1991, combien l’héritage classique, et, tout particulière­ment, le De oratore, influe sur la conception du genre historique et de ses liens avec la rhétorique. Le seizième siècle est, à cet égard, le moment d’un tournant majeur. L’ancienne conception développée par le dialogue de Cicéron, selon laquelle l’historien ne doit pas s’associer aux vulgaires narratores mais aux suprêmes exornatores rerum (II, XII) à l’instar des Grecs, s’affaiblit considérablement. Montaigne s’inscrit, avec Vivès et Castelvetro, dans la nouvelle lignée de ceux pour qui l’ornement est, au contraire, le premier des défauts de l’historien.

15 . Livre II, chap. XVII, p. 631.

16 . Livre I, chap. XXI, p. 97.

17 . Montaigne ne conseille-t-il pas, d’ailleurs, aux amants que l’imagination enflamme quelque peu trop, la vue libre et entière du corps convoité ! « Vrayment c’est aussi un effect digne de consideration, que les maistres du mestier ordonnent pour remede aux passions amoureuses l’entiere veue et libre du corps que l’on recherche […] Et, encore que cette recepte puisse à l’adventure partir d’une humeur un peu delicate et refroidie, si est-ce un merveilleux signe de notre defaillance que l’usage et la cognoissance nous dégoute les uns des autres. Ce n’est pas tant pudeur, qu’art et prudence, qui rend nos dames si circonspectes à nous refuser l’entrée de leurs cabinets, avant qu’elles soient peintes et parées pour la montre publique », Livre II, chap. XII, p. 484.

18 . Livre II, chap. premier, p. 331.

19 . Livre II, chap. premier, p. 332.

20 . Nous ne pouvons ici que souscrire à l’analyse de M.-L. Demonet qui concluait son article, « Le genre historique dans Les Essais : quand il s’agit de parler des choses » dans Montaigne et l’histoire, Paris, Klincksieck, 1991, par ce commentaire : « Les remarques de Montaigne concernant l’écriture historique conduiraient à montrer que nous ne disposons que du vrai présenté par un historien, c’est-à-dire représenté », p. 112.

21 . « L’homme en tout et par tout, n’est que rapiessement et bigarrure », Livre II, chap. XX, p. 675.

22 . « Nous flottons entre divers advis : nous ne voulons rien librement, rien absoluëment, rien constamment », livre II, chap. premier, p. 333.

23 . Sur ce point, on consultera avec profit l’article de Ph. Desan, « La Logique de la Différence dans les Traités d’Histoire », dans Logique et littérature à la Renaissance, Paris, Champion, 1994, p. 103-108. Alors que tout le travail de Loys Le Roy consiste, selon lui, à « découvrir » une logique cachée dans ce qui peut n’apparaître que comme une « vicissitude », Montaigne semble, au contraire, prendre acte du désordre de l’Histoire et en tirer immédiatement les conséquences pratiques : se défier de toute prétention systématisante pour s’en remettre à la plus sûre « coutume » : « Pour remédier à ce morcellement apparent, Le Roy propose une véritable sociologie de l’histoire, à savoir le regroupement d’attitudes et de comportements semblables afin de dégager des lois historiques », p. 108.

24 . Livre II, chap. premier, p. 334.

25 . Livre II, chap. XVII, p. 639.

26 . Voir sur ce point les rapprochements possibles avec l’article de J. Brody, « La première réception des Essais de Montaigne : fortunes d’une forme » dans L’automne de la Renaissance, Paris, J. Vrin, 1981, et notamment : « Son discours est foncièrement oral, “tel sur le papier qu’à la bouche”, son style “comique et privé” (I, 40, 246) se réclame directement du sermo humilis préconisé par la rhétorique érasmienne et pro-sénéquienne, mode et niveau d’expression qui se tient aux antipodes du genus grande réservé au sublime de la tragédie et aux deux principaux genres publics, l’éloquence du barreau et de la chaire », p. 24.

27 . Livre I, chap. XXXI, p. 206.

28 . Ce jeu de mots ne nous appartient pas. On trouve ainsi chez Montaigne : « J’imagine l’homme regardant au tour de luy le nombre infiny des choses, plantes, animaux, metaux. Je ne sçay par où luy faire commencer son essay; et quand sa premiere fantasie se jettera sur la corne d’un elan, à quoy il faut prester une creance bien molle et aisée, il se trouve encore autant empesché en sa seconde operation. Il luy est proposé tant de maladies et tant de circonstances, qu’avant qu’il soit venu à la certitude de ce point où doit joindre la perfection de son experience, le sens humain y perd son latin », Livre II, chap. XXXVII, p. 782. Renoncer au latin signifie donc bien perdre sa culture et ses repères pour retrouver son air « naïf ».

29 . Livre I, chap. XXVI, p. 147.

30 . Livre III, chap. IX, p. 982.

31 . Nous ne voyons aucune raison valable pour ne pas, a priori, accorder notre confiance au choix montaignien d’écrire dans une langue « provisoire ». Pourquoi faudrait-il, comme le fait Fl. Gray dans son Montaigne bilingue, Paris, Champion, 1991, se demander tout d’abord, si « on peut vraiment le croire quand il prétend écrire dans une langue “provisoire” ? », p. 28, et mettre sur le compte d’un tour de roué ses vives protestations : « Ne faudrait-il pas mettre ces remarques au niveau de celles qu’il emploie pour dénigrer son œuvre, tout en sachant que ce dénigrement, exprimé dans d’audacieuses métaphores, traduit non pas une faiblesse, mais plutôt quelque chose de positif ? Montaigne ressort de là comme un exemple d’humilité et de sincérité », p. 29 ? Il nous semble que nous devons, pour le moins dans un premier temps, accorder à Montaigne le bénéfice de la confiance. D’autant qu’un tel passage sur la faiblesse du français semble mettre à mal la thèse de Fl. Gray selon laquelle « plus que n’importe quel autre écrivain du XVIe siècle, Montaigne parvient à restaurer à la langue et à la culture françaises une partie de son patrimoine perdu. Tout en se disant inférieur aux Latins, il ne cesse de rechercher dans sa prose un équivalent de celle qu’il admirait chez eux », p. 19, ou encore « Afin de minimiser cet écart [entre le français et le latin], il souhaite un français qui soit à la hauteur du latin, qui puisse le côtoyer sans que le lecteur ressente une trop grande disproportion entre les deux, qui ait donc sa vie et sa vigueur propres », p. 28.

32 . J.-Y. Pouilloux, Montaigne. L’éveil de la pensée, p. 205. Paris, Champion, 1995.

33 . Livre I, chap. XIX, p. 80.

34 . Livre II, chap. XVII, p. 639.

35 . Impression qu’il produisit indiscutablement, comme le montre J. Brody dans son article, « La première réception des Essais de Montaigne : fortunes d’une forme » dans L’automne de la Renaissance, Paris, J. Vrin, 1981 : « Sous la plume de ses censeurs et de ses défenseurs de même, le langage de Montaigne se laisse donc définir, au lendemain de la parution de son livre, comme un idiolecte régionaliste latinisé qui se départirait sensiblement de ce sociolecte urbain, mondain, accessible, châtié, élégant que devait par la suite incarner le discours et jusqu’au nom de Malherbe », p. 20.

36 . Livre III, chap. VI, p. 908.

37 . Livre II, chap. XVII, p. 638.

Pour citer ce document

Par Stéphan GEONGET, «« À la façon d’une autre Lucrèce » :
Montaigne, de la représentation au Portrait», Cahiers FoReLLIS - Formes et Représentations en Linguistique, Littérature et dans les arts de l'Image et de la Scène [En ligne], Revue papier (Archives 1993-2001), La représentation en linguistique et littérature, mis à jour le : 15/10/2015, URL : https://cahiersforell.edel.univ-poitiers.fr:443/cahiersforell/index.php?id=356.

Quelques mots à propos de :  Stéphan GEONGET

Élève de l’Ecole Normale Supérieure de Fontenay / Saint-Cloud, Agrégé, A.C. à l’Université de Poitiers à partir de septembre 1999, en cours de thèse sous la direction de Madame le Professeur Marie-Luce Demonet (Poitiers) sur « la notion de perplexité, généalogie du “cas de conscience” (1546-1630) ».