- Accueil
- > Revue électronique
- > Lectures de la première fois. Lectures d’enfance ...
- > Premières lectures et construction de soi dans la littérature du XVIIIe siècle
Premières lectures et construction de soi dans la littérature du XVIIIe siècle
Par Nicolas Fréry
Publication en ligne le 04 février 2021
Résumé
Événement inaugural, expérience fondatrice, l’éveil aux livres est analysé par nombre d’auteurs du XVIIIe siècle comme une étape décisive dans la construction de soi. Notre propos sera d’étudier l’imaginaire des premières lectures qui se déploie au siècle des Lumières en mettant l’accent sur les répercussions à long terme que les auteurs, non sans une évidente théâtralisation, prêtent à des premiers émois livresques supposés laisser — pour le meilleur et pour le pire — une empreinte indélébile sur l’individu.
Mots-Clés
Table des matières
Article au format PDF
Premières lectures et construction de soi dans la littérature du XVIIIe siècle (version PDF) (application/pdf – 1,5M)
Texte intégral
1Dans son étude sur les « lectures de l’enfance », Michel Butor écrit : « Fondamentale pour l’étude de tout écrivain, de tout lecteur, donc de nous tous, la constellation des livres de son enfance »1. Fondamental et fondateur, l’éveil aux livres est souvent décrit comme un événement inaugural, une expérience primordiale riche de répercussions, une étape décisive dans la construction de l’individu. Ainsi Rousseau, dans une « scène archaïque » (René Démoris2) placée au seuil des Confessions, analyse-t-il sa découverte précoce3 et enthousiaste des livres comme une crise originaire qui l’a révélé à lui-même. Artamène et Aristide, dont, dès l’âge de six ans, il lisait et relisait les exploits avec ferveur, ne lui ont pas seulement fait vivre des heures lumineuses en compagnie de son père, ils ont éveillé sa conscience, formé son esprit, modelé son caractère, jusqu’à conditionner, pour le meilleur et pour le pire, sa relation au monde :
J’ignore ce que je fis jusqu’à cinq ou six ans. Je ne sais comment j’appris à lire ; je ne me souviens que de mes premières lectures et de leur effet sur moi : c’est le temps d’où je date sans interruption la conscience de moi-même4.
2Bien que Rousseau, enclin à isoler des événements fondateurs et à souligner la singularité de sa pratique de lecteur5, investisse sa rencontre avec l’écrit d’un sens exceptionnellement fort, il n’est en rien le seul auteur de son époque à méditer sur l’ombre portée des premières lectures. Les écrivains du XVIIIe siècle décrivent si volontiers le goût pour la lecture in statu nascendi que l’épisode de la découverte des livres en vient à comporter des ingrédients topiques : des situations se répètent, des images circulent, un même lexique affleure pour traduire les émois livresques. Qu’un tel imaginaire des premières lectures se déploie au siècle des Lumières – alors qu’il ne s’ébauchait que timidement dans les siècles antérieurs6 – ne saurait surprendre pour peu qu’on songe aux mutations qui affectent au XVIIIe siècle la réflexion sur le livre, sur l’identité et sur l’enfance. Le siècle des Lumières est tout d’abord un siècle d’élargissement du marché éditorial7, où l’acte de lire interpelle assez pour qu’on lui consacre des textes théoriques8, et où l’idéal d’un savoir synthétique et méthodique, dont l’emblème est le colossal projet encyclopédique de Diderot et d’Alembert, implique une vive attention portée à la lecture, définie par l’Encyclopédie comme la « clef de toutes les autres sciences »9. Dans ce siècle où la remontée généalogique fascine, les auteurs n’ont du reste de cesse d’identifier les événements originaires qui ont façonné le moi et marqué l’individu en première personne. Le rôle fondateur des expériences enfantines en vient ainsi à être davantage souligné, les auteurs se montrant attentifs, dans la lignée de Locke, aux « conséquences importantes et durables » des « impressions légères, presque insensibles, quand elles ont été reçues dès la plus tendre enfance »10. C’est, enfin, que le XVIIIe siècle est une époque d’évolution du discours sur l’enfance : avec l’émergence d’un « sentiment de l’enfance »11, de fervents débats ont lieu sur l’éducation12, en même temps que les premières années, qui tendaient à être dépréciées, gagnent droit de cité dans les récits de vie13 et que la littérature à destination de la jeunesse prend forme14. Il est naturel, dans un tel contexte, que les écrivains analysent l’expérience livresque des enfants et tâchent de la distinguer des pratiques d’un lecteur confirmé. L’iconographie témoigne de cet intérêt croissant pour les jeunes lecteurs, tant la peinture du XVIIIe siècle est marquée, comme l’a souligné F. Nies, par « une montée en flèche du nombre d’images de lecteurs enfants ou adolescents »15. Le jeune garçon lisant (1757) ou La Petite liseuse (1780) de Greuze, Le Jeune garçon avec un livre (1740) de Perronneau, Le Jeune garçon au livre (1773) de Vigée Lebrun, sont autant de tableaux où l’enfant, heureux ou attristé, rêveur ou récalcitrant, est représenté au contact des livres.
3Différentes approches seraient possibles pour étudier le corpus dix-huitièmiste des récits de premières lectures – une expression que nous préfèrerons à celle de découverte de la lecture à la fois par référence à Rousseau (qui relève l’effet de « ses premières lectures »16), pour insister sur la notion de première fois, et parce que, davantage que l’éveil aux signes (la litteratio17) c’est l’assimilation réfléchie d’un contenu livresque, la lecture en acte, qui retiendra notre attention. Dans le cadre de ce travail, plutôt que de commenter l’effet immédiat des premières lectures (plaisir et trouble) ou de se demander quels livres sont prêtés aux novices (dans quel ordre, à quelles fins, avec quelles réserves), notre propos sera d’étudier le rôle matriciel qui est accordé aux premiers émois livresques à l’échelle du destin d’un individu. Nombreuses sont en effet les répercussions existentielles que des auteurs du XVIIIe siècle prêtent, non sans une évidente théâtralisation, à des premières lectures supposées laisser une empreinte indélébile, comme l’estime Jeanne-Marie Leprince de Beaumont :
Rien n’est d’une si grande conséquence que le choix des livres qu’on met entre les mains des jeunes gens. L’impression qu’ils reçoivent de leurs premières lectures ne s’efface presque jamais18.
4Cette foi dans l’influence à long terme des premiers livres, on la trouve exprimée aussi bien dans les écrits de mémorialistes ou d’autobiographes19 que dans de purs textes de fiction : ainsi rencontre-t-on chez Prévost des personnages à jamais marqués par les premiers ouvrages qu’ils ont lus, que ce soit le dangereusement précoce Cleveland20 ou à l’inverse la tard-venue dans le monde des livres qu’est Théophé21. Si nous nous concentrerons avant tout sur des textes autobiographiques, c’est en nous autorisant des incursions dans la littérature fictionnelle, d’une part parce que les ressorts sont similaires, par-delà d’irréductibles différences génériques, lorsqu’il s’agit de mettre en scène la rencontre avec les livres et d’analyser son ombre portée, et d’autre part parce qu’il existe de nettes interférences entre écriture de soi et fiction quand les autobiographes évoquent l’enfance, époque des origines perdues dans les limbes du souvenir22. Les critiques qui nous ont précédé sur des objets d’étude voisins (Simone Gougeaud sur le pédagogue au XVIIIe siècle, Daniel Gestin sur la figure du jeune lecteur dans la littérature de la première moitié du XIXe siècle23) ont bien souligné l’intérêt qu’il y avait à considérer en regard, moyennant de nécessaires précautions, lecteurs réels et lecteurs fictionnels24.
5L’étude pourra dès lors se déployer dans trois directions. Il s’agira d’abord d’envisager le souvenir des premières lectures comme un souvenir primordial et des plus vifs pour l’adulte. Nous mesurerons ensuite en quoi les premiers émois livresques sont pensés comme un événement intime25 aux multiples répercussions. Il faudra enfin analyser axiologiquement ces effets des premiers livres (le débat dix-huitièmiste sur la valeur de la lecture étant particulièrement passionné lorsqu’il est question de l’enfant, paradigme de vulnérabilité et de malléabilité) : les auteurs considèrent-ils que la lecture est à l’origine d’une miraculeuse découverte de soi ou plutôt qu’elle représente un dangereux risque d’aliénation ?
Un souvenir primordial
6Au début des Confessions, Rousseau identifie ses premières lectures comme le plus lointain événement dont il ait gardé le souvenir. La lumière qui dissipe les ténèbres des premières années (« j’ignore ce que je fis jusqu’à cinq ou six ans ») n’est autre que celle des livres. De telles déclarations prennent toute leur valeur si l’on songe au rôle – étudié par Bruno Vercier26 – que joue le « mythe du premier souvenir » chez nombre d’autobiographes qui entourent d’une incomparable aura le premier souvenir qu’ils ont arraché à la nébuleuse de la petite enfance. Au XVIIIe siècle, les Mémoires de Casanova sont un exemple de ce rôle décisif conféré au souvenir inaugural :
Venons actuellement au commencement de mon existence en qualité d’être pensant. Au commencement d’août de l’année 1733, l’organe de ma mémoire se développa. J’avais donc huit ans et quatre mois. Je ne me souviens de rien qui puisse m’être arrivé avant cette époque27.
7L’adulte n’aurait commencé à être lui-même qu’à partir du seuil auquel parvient à remonter sa mémoire ; les événements qui font l’objet de ses premiers souvenirs consacreraient pour lui comme une seconde naissance. C’est éminemment le cas chez Rousseau, d’après qui les premières lectures sont, plus que le premier souvenir qu’il conserve de son enfance, l’étape à partir de laquelle il « date sans interruption la conscience de [lui]-même »28. En faisant dériver la conscience de soi de la lecture des romans, en déclarant que le rapport de soi à soi se serait en somme pour lui scellé sur l’autel de la fiction, Rousseau donne une explication fantasmatique de sa propension à vivre dans le « pays des chimères »29.
8S’il est rare qu’un auteur accorde une telle primauté au souvenir de ses premières lectures, d’autres que Rousseau présentent leur éveil aux livres comme un des plus anciens faits intimes dont ils puissent rendre compte en nom propre. Manon Roland établit ainsi une nette distinction entre ce qu’elle sait de sa petite enfance par autrui (« on m’a souvent parlé de... », « j’ai oui dire que...»30) et ses souvenirs personnels (« je me souviens de... »31), parmi lesquels trône non son apprentissage de la lecture – qu’elle a comme son maître Rousseau oublié32 – mais la découverte des premiers ouvrages qui l’ont marquée. La lecture de ces livres lui a laissé un souvenir vif, comme l’illustrent l’emploi du présent (« je trouvai [...] quelques autres vieilleries dont je vois encore la forme, le contenu et les taches »33) et de façon générale la profusion de détails relatifs aux circonstances de ses premières lectures. Le lieu de la lecture – en l’occurrence l’atelier paternel – fait ainsi l’objet d’une description minutieuse :
J’avais découvert, en furetant par la maison, une source de lectures que je ménageai assez longtemps. Mon père tenait ce qu'on appelait son atelier tout près du lieu que j’habitais durant le jour : c'était une pièce agréable, qu'on nommerait un salon, et que ma modeste mère appelait la salle ; proprement meublée, ornée de glaces et de quelques tableaux, dans laquelle je recevais mes leçons. Son enfoncement, d’un côté de la cheminée, avait permis de pratiquer un retranchement qu'on avait éclairé par une petite fenêtre ; là, était un lit, si resserré dans l’espace que j'y montais toujours par le pied, une chaise, une petite table et quelques tablettes : c’était mon asile34.
9Chez bien d’autres auteurs, les premières lectures sont difficilement dissociables du lieu où elles se déroulèrent, qu’il s’agisse d’un espace fermé (comme chez Manon Roland et Rousseau) ou d’un espace ouvert : Marmontel relate ses lectures « à l’ombre d’un arbre fleuri »35 et Restif dit sa préférence, enfant, pour le sentiment d’autonomie et de surplomb qu’il éprouve au sommet d’un pommier (« j’étais dans le jardin, monté sur un vieux pommier, pour y lire tranquillement mon psautier latin-français : car il me semblait qu’en me mettant hors d’atteinte, j’assurais mon indépendance »36). L’idée proustienne selon laquelle, davantage encore que le contenu de ses livres d’enfance, l’adulte garde en mémoire le cadre dans lequel il se trouvait en s’en délectant (« les demeures et les étangs qui n’existent plus »37), se vérifie dans bien des récits de premières lectures.
10Souvenir des plus reculés, souvenir vif, le souvenir des premières lectures aurait, bien plus, pour propriété d’être indélébile. Le mot impression est ainsi convoqué dans son sens le plus fort : les premiers livres laisseraient une marque qui s’imprime durablement dans l’esprit du lecteur. Si Leprince de Beaumont parle « d’impression qui ne s’efface presque jamais »38, les mêmes termes se rencontrent chez Genlis – qui, à propos d’un ouvrage de Nicole, déclare que, « lu dans la première jeunesse », il « laisse des idées qui ne s’effacent jamais »39 – ou chez Rousseau écrivant que Plutarque a fait en lui « des impressions qui jamais n’ont pu s’effacer »40. Un lexique similaire affleure dans des romans dont les personnages sont hantés par le souvenir de leurs premières lectures, à l’instar de Cleveland, qui a reçu de sa mère une éducation purement livresque ayant laissé en lui d’ineffaçables traces (« les traces de mes anciennes études subsistaient encore »41). Ce thème de l’empreinte des premiers livres gagne à être rapproché des analyses matérialistes d’un La Mettrie, qui, à propos des idées acquises pendant l’enfance, associe le lexique de l’impression à l’image convenue de la cire :
De si tendres cerveaux sont comme une cire molle dont les impressions ne peuvent s’effacer, sans perdre toute la substance qui les a reçues42.
11Des pédagogues en concluent que si certaines connaissances ne sont pas acquises pendant l’enfance, elles seront à jamais difficiles, voire impossibles, à assimiler. La Chalotais, dans son Essai d’éducation nationale (1763), raisonne ainsi en termes d’irréversibilité : il reconnaît que les historiens sont ardus pour un enfant mais ajoute qu’« il faut se résoudre à lire de l’histoire aux enfants, ou la leur laisser ignorer pendant toute la vie »43. Il rattache ce constat, qu’il applique aussi à l’apprentissage des langues, à une nécessité d’ordre physique :
Si on les laisse jusqu’à un certain âge sans en entendre parler [de l’histoire de Romulus, ou de Clovis], ils ne pourront plus dans la suite en apprendre, ni en retenir aucune : la chose deviendrait physiquement impossible44.
12L’esprit de l’homme serait ainsi formé que l’enfance est une période de grâce où les idées s’impriment aisément dans la mémoire. Les auteurs ne se contentent toutefois pas d’insister sur la pérennité du souvenir des premières lectures ; ils soutiennent, bien davantage, que les livres d’enfance ont sur l’individu des répercussions dont il est toute sa vie tributaire. Ce sont ces conséquences à long terme qui sont prêtées aux premières lectures qui retiendront maintenant notre attention.
Les répercussions d’un événement intime
13Thème cher aux écrivains que celui de l’action des premiers livres sur le caractère. Des locutions comme de là ou dès lors placent la rencontre avec les livres au principe d’une chaîne causale, comme lorsque Rousseau déclare : « de-là se forma dans [mon cœur] ce goût héroïque et romanesque qui n’a fait qu’augmenter jusqu’à présent »45 ou « dès lors il se fit des hommes et de la société des idées romanesques »46. La récurrence, à propos des premières lectures, de verbes comme donner, causer47 ou encore former, souligne de même l’influence exercée par les livres :
Ces émotions confuses que j’éprouvais coup sur coup n’altéraient point la raison que je n’avais pas encore ; mais elles m’en formèrent une d’une autre trempe.
De ces intéressantes lectures, des entretiens qu’elles occasionnaient entre mon père et moi, se forma cet esprit libre et républicain, ce caractère indomptable et fier [...]48.
14Les textes littéraires rejoignent à cet égard des écrits pédagogiques où des idées voisines sont défendues : chez La Chalotais à nouveau, ne lit-on pas que la découverte de certains contes de fées a « quelquefois des suites pour toute une vie »49 ?
15Certains auteurs raffinent sur le topos de l’effet des premiers livres en expliquant l’ambivalence d’un caractère par la lecture simultanée ou consécutive d’ouvrages de nature hétéroclite. Ainsi, Lavalette, après avoir souligné son goût, dans sa jeunesse, pour les « graves lectures » (comme L’Esprit des Lois) d’une part et les pamphlets politiques d’autre part, affirme-t-il que « ce mélange fermenta dans [s]a tête »50. La Comtesse de Rémusat emploie le même mot de mélange à propos des lectures antagonistes dont se serait délecté le jeune Napoléon : « il racontait que, dans sa jeunesse, il avait aimé les romans, en même temps que les sciences exactes. Peut-être son esprit se ressentait de ce premier mélange51 ». Mais là encore peu d’exemples plus emblématiques que celui de Rousseau, qui, au début des Confessions, insiste sur le contraste (en fait loin d’être définitif52) entre ses deux principales lectures d’enfance – de tendres romans puis les fières Vies de Plutarque – entre autres parce que cette double inspiration explique qu’il ait « un cœur à la fois si fier et si tendre », un « caractère efféminé mais pourtant indomptable »53. Dans la deuxième Lettre à Malesherbes (le premier texte majeur où Rousseau évoque ses lectures d’enfance), c’est précisément après avoir souligné les paradoxes de son caractère54 et annoncé vouloir brosser un « historique » de cette ambivalence, que Rousseau évoque ses premières lectures, à la fois héroïques, avec Plutarque, et sentimentales, avec les romans. Chateaubriand s’inspire-t-il du récit rousseauiste quand, dans Les Mémoires d’Outre-tombe, il raconte que « deux livres bien divers » qui, enfant, lui sont tombés entre les mains (Les Confessions mal faites et « un Horace mal châtié »), ont provoqué chez lui un incroyable « bouleversement d’idées »55?
16Tant s’en faut néanmoins que le modèle causal soit le seul à être convoqué pour envisager les rapports entre premières lectures et construction du tempérament. À propos des paradoxes de sa personnalité que Rousseau rattache à ses lectures d’enfance, P. Lejeune note très justement : « le problème que peut se poser le lecteur, c’est de savoir si les lectures sont l’origine de ces contradictions, ou si elles n’en sont pas seulement le premier signe »56. De fait, dans la Lettre à Malesherbes, Rousseau soutient que ses premières lectures sont à la source de son dégoût du monde, mais en précisant que c’est « par ennui de tout » – donc du fait d’une mélancolie antérieure à sa plongée dans la fiction – qu’il s’est réfugié dans les livres. De même, dans une phrase des Confessions comme « ainsi commençait à se former ou à se montrer en moi ce cœur à la fois si fier et si tendre »57, l’alternance entre les deux verbes traduit l’hésitation entre deux modèles, l’un où les expériences enfantines façonnent le tempérament, l’autre où elles agissent comme un révélateur. Il est des auteurs qui soutiennent que les premières lectures ne font que dévoiler un naturel qui leur préexiste. Dans un roman anonyme, les Réflexions de T******, le narrateur se juge ainsi pourvu dès sa naissance d’un caractère aussi romanesque que s’il avait lu quantité de romans :
Une espèce de don quichottisme naturel a prévenu dans mon âme la lecture des Pharamonds et des Cléopâtres, et je puis dire avec trop de vérité que je suis sorti des mains de la nature un petit héros de romans58.
17Dans d’autres textes, les lectures, supposées conforter un trait de caractère inné, ont une fonction de catalyseur, comme dans les Mémoires d’Anne de Gonzague de Sénac de Meilhan :
Un certain penchant pour les révolutions des États, penchant inné en moi, mais fortifié par mes premières lectures, sont les principes qui ont déterminé ma conduite59.
18Pour réconcilier une approche empiriste et un fond d’innéité, nombreux sont les auteurs à raisonner en termes de dispositions. La lecture actualiserait des qualités en sommeil, une alchimie s’opèrerait entre ce que l’enfant était antérieurement au livre et ce que le livre fait de l’enfant. Il s’agit d’un quasi topos romanesque, par exemple dans les romans de jeunesse de Marivaux, où les protagonistes sont naturellement enclins à avoir l’esprit troublé par les lectures romanesques : Pharsamon étant « né très susceptible d’impression », les exploits des héros « redoublaient sa disposition à la valeur, et tantôt excitaient son penchant à l’amour »60, tandis que dans Le Télémaque Travesti, « la nature avait doué [Brideron] d’un caractère propre à être séduit » par les mirages de la fiction61.
19Les dispositions s’actualisent pour peu qu’on les cultive : « faute de cultiver la nature et ses dons / Oh ! Combien de Césars sont devenus Laridons », écrit La Fontaine dans des vers auxquels Rousseau fait allusion dans Les Confessions62. L’image de la culture des dons est de fait une constante des récits d’éducation : « ces heureuses dispositions furent cultivées par toutes les instructions dont mon âge était susceptible »63 dit par exemple Staal-Delaunay. La métaphore est assez topique pour être comiquement détournée, comme lorsque l’autodidacte Jameray-Duval, renversant le paradigme agricole, écrit : « on m’éleva à peu près comme on cultive les plantes, c’est-à-dire d’une manière tout à fait végétative »64. Dès lors que les lectures, en faisant éclore les possibilités qui sommeillent dans l’individu, aident son être profond à advenir, elles semblent déterminer une vocation. Le lien entre vocation et disposition est mis en évidence dans l’intéressante définition qu’en propose Leprince de Beaumont :
Expliquons ici ce que j’entends par vocation. La vocation est un attrait pour un état auquel on se sent des dispositions. Elle nous fait dévorer avec plaisir les difficultés inévitables qui se rencontrent dans l’acquisition des talents nécessaires à l’exercer comme il faut. Elle nous fait aimer l’art auquel elle nous destine avec une espèce de passion65.
20S’il est une vocation que le goût pour les livres est propre à éveiller, c’est à l’évidence la vocation d’auteur. En creux des récits de premières lectures, le je narrant brosse volontiers la genèse, réelle ou fantasmée, de sa vocation pour l’écriture66. Chez Saint-Simon, la découverte des livres d’histoire est présentée comme la cause même de sa volonté d’être mémorialiste :
Cette lecture de l’histoire, et surtout des mémoires particuliers de la nôtre, des derniers temps depuis François Ier, que je faisais de moi-même, me firent naître l’envie d’écrire aussi ceux de ce que je verrais [...]. Les inconvénients ne laissèrent pas de se présenter à mon esprit, mais la résolution bien ferme d’en garder le secret à moi tout seul me parut remédier à tout67.
21Il n’est pas rare que les premières lectures débouchent sur des tentatives d’écriture qui annoncent un attrait pour la carrière des lettres. Ainsi le jeune Bernis fait-il part à sa mère de ses premières productions, qu’elle avait « la bonté et la patience [...] de corriger »68. Affiché ou tenu secret, le désir d’écrire dépend étroitement des premières expériences de lecteur.
22Néanmoins, le lien entre passion pour les livres et émergence d’une vocation est parfois problématique. Comment oublier qu’il existe de fausses vocations, qui paraissent rétrospectivement trahir la vocation authentique de l’individu ? Lavalette écrit ainsi dans ses Mémoires, en parlant de vocation au sens premier du terme : « je pris un tel goût pour les sermons de Massillon et pour les oraisons funèbres de Bossuet que ma vocation pour l’état ecclésiastique me parut décidée »69. Or, il est à tel point écœuré par la première année de théologie, par le « fatras » nécessaire pour parvenir à l’éloquence de la chaire, qu’il renonce à sa vocation prétendue. Les livres ne sont pas toujours, tant s’en faut, envisagés comme un facteur de réalisation de soi, ils passent également pour fourvoyer le jeune lecteur. C’est ce discours ambivalent sur la valeur de l’influence exercée par les premiers livres qu’il s’agit désormais d’étudier.
Entre découverte de soi et danger d’aliénation
23Les auteurs semblent volontiers présenter la découverte des livres comme une expérience radieuse qui fait la joie de l’enfant aussi bien que de l’adulte se la remémorant. Pour l’héroïne des Malheurs de l’amour de Tencin, les soirées jadis passées à dévorer des romans sont peut-être rien de moins que « les plus doux moments qu’elle a passés de sa vie »70. Passion, avidité, voire jouissance ou extase71, sont autant de termes qu’on rencontre dans des textes soulignant l’ardeur72 avec laquelle les enfants s’adonnent à la lecture. Des auteurs veillent à préciser qu’ils n’emploient pas ces mots comme des images convenues, tel Jameray-Duval notant : « quand je dis passionné, je n’exprime rien de trop. C’était en effet une vraie passion, et si forte, qu’elle m’agitait jusque dans mes songes »73. L’amour pour les textes est parfois proclamé avec une telle force que la rencontre avec les livres n’est pas sans présenter des affinités avec la rencontre amoureuse (archétype en littérature de l’« événement à la fois causal et inaugural », doué d’un pouvoir « d’engendrement et d’enchaînement » selon Jean Rousset dans son étude classique74), même s’il reste rare que les auteurs du XVIIIe siècle aillent jusqu’à parler, tel Julien Gracq à propos du Rouge et le Noir, d’un « premier amour sauvage, ébloui, décisif »75 pour un livre d’enfance. D’après une idée largement répandue76, il n’y aurait pas de plus fervent lecteur qu’un enfant : parce que la lecture est pour lui une activité nouvelle, parce qu’il se projette plus aisément dans les êtres de papier, parce qu’il ne se soucie pas des distinctions entre culture légitime et culture illégitime, il s’abandonnerait davantage aux délices du texte. Mais cette fureur de lire a aussi son revers, la description des plaisirs du livre n’ayant au XVIIIe siècle d’équivalent que l’insistance avec laquelle on souligne leur influence délétère. Loin de s’imposer toujours comme des éloges de la lecture et en creux de l’écriture, encensant la double activité à laquelle se livrent le destinataire et l’auteur du texte, les récits de premières lectures, quel que soit l’enthousiasme du novice (on en trouve également qui sont réfractaires aux livres, ou du moins à certains livres77), sont aussi l’occasion d’une mise en garde contre les dangers de l’écrit. Dans Les Confessions, la rencontre avec Plutarque a beau paraître placée « sous le signe de la douceur, de la communion, de la transparence » (J-Y. Touchefeu78), des accents pessimistes parcourent ce lumineux récit : Rousseau n’affirme-t-il pas devoir aux Vies des hommes illustres un caractère « qui l’a tourmenté tout le reste de [s]a vie »79 ? La lecture de Plutarque est censée « guérir un peu » de celle des romans (selon une métaphore médicale que l’on rencontre plus d’une fois à propos de la lecture chez Rousseau80), mais elle a aussi ses écueils, au point que l’image de la toxicité du texte vient naturellement sous la plume de Gide, qui commente : « il me paraît que Rousseau a été dès le début de sa vie comme empoisonné par Plutarque »81.
24Les arguments brandis contre les lectures enfantines sont de divers ordres. Nous ne nous étendrons pas sur le thème rebattu de la perversion morale occasionnée par les livres (et singulièrement les romans, genre réputé pernicieux) ; on lira avec profit sur ce point les travaux d’H. Coulet82. Des fictions au titre éloquent sont consacrées à ce topos, tel Le Danger des romans de Jacques-Vincent Delacroix83 ou Le Mari corrupteur de Genlis (un philosophe fait tomber sa jeune épouse dans la « dépravation » en lui donnant le goût des lettres84). L’exception est plutôt du côté des auteurs qui entreprennent de répondre aux accusations d’immoralité auxquelles le genre romanesque est en butte. Ainsi, à l’extrême fin du XVIIe siècle, dans Les Enchantements de l’éloquence de Lhéritier, quand la jeune Blanche est surprise dans ses lectures par sa belle-mère, son père se livre à une apologie de la lecture des romans :
On peut dire que, pour les personnes bien jeunes, la lecture des Romans est en quelque façon meilleure que celle de l’histoire même, parce que l’histoire étant entièrement assujettie à la vérité, présente quelquefois des images bien choquantes pour les mœurs : l’Histoire peint les hommes tels qu’ils sont, et les romans les représentent tels qu’ils devraient être85.
25Le traditionnel argument aristotélicien de la fiction plus philosophique que l’histoire est articulé à l’opposition, consacrée par La Bruyère86, entre les auteurs peignant les hommes « tels qu’ils sont » et ceux – à qui est donnée ici la préférence – les peignant « tels qu’ils devraient être ».
26Relativement plus originale est la critique des effets physiques de la lecture précoce. La corporalité de la lecture peut en effet s’envisager au moins sous trois angles : la posture de lecture (assis, allongé, debout) influe sur la réception du texte, le corps manifeste le plaisir de la lecture, et, enfin, il porte la trace des trop longues heures passées à lire. De ses lectures d’enfance, Staal-Delaunay dit ainsi : « on craignit que cela n’altérât ma santé, qui était fort délicate, et l’on songea à réprimer mon zèle »87. Benjamin Constant assurera, jugeant le mal irréversible, que « [s]a tête et ses yeux se sont ressentis pour toute sa vie » des huit à dix heures qu’adolescent il passait chaque jour à lire88. Sans surprise, Rousseau s’empare du thème dans la lettre sur l’éducation de la cinquième partie de La Nouvelle Héloïse :
Sans cesse enfermés dans une chambre avec des livres, [les enfants] perdent toute leur vigueur ; ils deviennent délicats, faibles, malsains, plutôt hébétés que raisonnables ; et l’âme se sent toute la vie du dépérissement du corps89.
27Mais plus encore que son développement moral ou physique, ce serait le développement intellectuel de l’enfant que la lecture compromettrait. Autant les livres sont souvent associés à un élargissement des horizons (Staal-Delaunay parle de lectures qui lui « ouvre[nt] un nouveau champ »90 et Restif écrit : « L’Histoire de Rollin, m’ouvrant un monde tout nouveau, me plongeait dans un étonnement profond »91) autant ils sont, non moins régulièrement, dénoncés comme un écran trompeur qui donne du monde une image faussée. L’opposition topique entre le livre imprimé et le livre de la nature (« si [Émile] lit moins bien qu’un autre enfant dans nos livres, il lit mieux dans celui de la nature »92) vise à discréditer une lecture qui coupe de l’expérience concrète du réel. Dans Trois femmes d’Isabelle de Charrière, un personnage, parlant des romans, recourt à l’image de l’aveuglement : « j’oserais presque dire qu’une belle éducation est bien mauvaise, si elle ferme les yeux sur ce qui se passe tous les jours dans le monde »93. L’enfant se méprendrait sur le monde mais aussi sur lui-même quand, à force de s’identifier aux héros des livres, il s’expose, comme dit Rousseau – qui reconnaît toutefois que « cette méthode a des avantages dont il ne disconvient pas »94 – à « se rendre étranger à lui-même », à « s’oublier tout à fait »95. L’identification s’effectue à plusieurs niveaux, selon le degré d’accointance avec les héros livresques96 : s’il s’agit parfois seulement d’être en présence des êtres de fiction, de compatir avec eux, ou de se reconnaître en eux, de jeunes Don Quichotte croient ne faire qu’un avec eux. De là des emplois frappants du verbe devenir (« je croyais devenir ce qu’ils étaient »97, dit le Prince de Ligne au sujet d’Alexandre et César) ou du verbe être, comme sous la plume de Manon Roland (« j’étais Eucharis pour Télémaque, et Herminie pour Tancrède »), qui laisse entendre quels sont les écueils de cette évasion dans les chimères : « toute transformée en elles [les héroïnes], je ne songeais pas encore à être moi-même quelque chose pour personne »98. C’est en s’inscrivant dans une longue tradition de critique de l’identification romanesque99 que Condillac évoque les jeunes filles qui abolissent dangereusement toute distance entre leur situation et celle des héroïnes – en l’occurrence celles de l’Arioste – avec lesquelles elles se confondent :
Alors il ne faut peut-être qu’un léger chagrin pour tourner la tête à une jeune fille, lui persuader qu’elle est Angélique, ou telle autre héroïne qui lui a plu, et lui faire prendre pour des Médors tous les hommes qui l’approchent100.
28D’après des préjugés misogynes solidement ancrés, le jugement des filles risquerait tout particulièrement d’être gâté par les chimères romanesques. Fénelon écrivait déjà dans son Traité de l’éducation des filles que les lectrices trop enthousiastes « se rendent l’esprit visionnaire » au point de ne pas discerner « les vrais motifs qui font agir dans le monde »101. Il rattachait ce danger à un péril plus grave peut-être, parce qu’il voue au malheur : « étonnée[s] de ne trouver point dans le monde de vrais personnages qui ressemblent [aux] héros », elles conçoivent du « dégoût » pour le réel102. On rencontre des formules remarquablement proches chez Rousseau dans les Lettres à Malesherbes :
De-là se forma dans [mon cœur] ce goût héroïque et romanesque qui n’a fait qu’augmenter jusqu’à présent, et qui acheva de me dégoûter de tout, hors de ce qui ressemblait à mes folies. Dans ma jeunesse, que je croyais trouver dans le monde les mêmes gens que j’avais connus dans mes livres, je me livrais à quiconque savait m’en imposer par un certain jargon dont j’ai toujours été la dupe103.
29La passion pour la lecture serait la cause d’une radicale inadaptation au monde : déçu par une réalité privée des enchantements du rêve, Rousseau aurait été condamné à la misanthropie.
30Il faut cependant considérer avec quelque distance ces condamnations de la lecture émanant d’individus qui ont été formés, pétris, constitués par les livres. Saint-Anne, dans le roman éponyme d’Isabelle de Charrière, surprend une discussion entre deux promeneurs, dont l’un, prétextant l’inutilité de la lecture pour les mœurs, déclare qu’il verrait « brûler tous les livres connus sur un bûcher sans jeter une seule goutte d’eau sur le bûcher qui les consumerait », avant que son interlocuteur ne lui réponde :
Je suis trop vieux pour apprendre à me passer de livres, et je me passerais moins encore d’un ami formé par les livres, à qui les livres ont tout appris, qu’ils ont rendu capable de parler contre eux avec force et avec grâce. Allez, vous êtes un ingrat, vous battez votre nourrice104 !
31Pour être en mesure de vitupérer les livres, encore faut-il en avoir tiré profit : « tout prêche contre les livres suppose pas mal de lecture », pourrait-on dire avec Pascal Quignard105. L’image de l’ingratitude envers la nourrice est suggestive : ceux qui ont été « nourris aux lettres »106 et qui les renient a posteriori n’agissent-ils pas en fils renégats ? C’est une authentique dette que les gens de lettres ont contractée envers la lecture, comme ils le reconnaissent parfois malgré de virulents réquisitoires contre les livres. Rousseau, qui a aussi bien déclaré « je hais les livres »107 et décrit la lecture comme le « fléau de l’enfance »108 que composé de vibrants éloges du plaisir de lire, considère ainsi son entrée dans l’écrit à la fois comme la source de ses malheurs et comme l’origine de certains de ses rares moments de félicité. Il n’est peut-être pas de texte dans lequel transparaît mieux ce double jugement que la lettre de septembre 1755 à Voltaire, où Rousseau réplique à son interlocuteur qu’il ne souhaite pas l’anéantissement des sciences et des lettres, qui ont désormais valeur de remède dans le mal :
Quant à moi si j’avais suivi ma première vocation, et que je n’eusse ni lu ni écrit, j'en aurais sans doute été plus heureux. Cependant, si les lettres étaient maintenant anéanties, je serais privé du seul plaisir qui me reste : c’est dans leur sein que je me console de tous les maux ; c’est parmi leurs illustres enfants que je goûte les douceurs de l’amitié, que j’apprends à jouir de la vie et à mépriser la mort109.
32Rousseau refuse de se reconnaître une vocation pour les lettres : il a à cœur de rappeler que la carrière littéraire est un « métier pour lequel il n’était point fait »110 et il se prend à rêver, comme à la fin du livre I des Confessions, à la destinée « qui l’attendait naturellement », celle d’artisan111. Et pourtant, quand au lieu de réfléchir à l’irréel du passé (à propos de ce qu’autrefois il aurait pu être) il raisonne à l’irréel du présent (à propos de ce qui pourrait arriver à l’homme qu’il est devenu), l’écrivain admet ne plus pouvoir renoncer aux livres. Les lettres ont beau ne pas être sa vocation première, elles sont son unique asile au vu du cours qu’a pris son existence.
Conclusion
33Peu d’écrivains ont autant que Rousseau articulé dans leur œuvre amour fervent des livres et haine pour leurs répercussions fatales. Si le discours rousseauiste sur les premières lectures rejoint – nous l’avons vu – celui de nombre d’auteurs du XVIIIe siècle, il n’en faut pas moins insister sur sa profonde originalité. Texte spectaculaire, les pages des Confessions sur l’éveil aux livres deviennent le modèle du récit d’initiation à la lecture, dont se souviendront bien des écrivains quand ils entreprendront à leur tour d’analyser leurs premiers émois de lecteur112. Au XIXe et au XXe siècles, le récit de premières lectures connaît de riches heures, dans un contexte où la nostalgie du « vert paradis des amours enfantines » trouve un écho plus large qu’au siècle des Lumières, où Rousseau est encore l’un des rares à célébrer « l’éclat de [s]son enfance »113. Ainsi, George Sand, après s’être exclamée : « quel est celui de nous qui ne se rappelle avec amour les premiers ouvrages qu’il a dévorés ou savourés ! », déplore la fuite du temps en même temps qu’elle énumère les livres de son enfance :
Heureux temps ! Ô ma Vallée Noire ! Ô Corinne ! Ô Bernardin de Saint-Pierre! Ô l’Iliade ! Ô Millevoye ! Ô Atala ! Ô les saules de la rivière ! Ô ma jeunesse écoulée114!
34Au XXe siècle, les pages que les grands autobiographes – Gide, Beauvoir, Sartre, Sarraute, Leiris, Perec115 – consacrent à leur rencontre avec l’écrit reposent sur certains procédés de dramatisation déjà goûtés des auteurs du XVIIIe siècle, qui ont conféré à l’épisode une partie de son protocole et de ses lettres de noblesse. C’est Yourcenar que nous citerons pour finir, qui, à propos de l’initiation à la lecture, événement à la fois commun et entouré d’une aura quasi magique, recourt au bel oxymore de « miracle banal » : « Je voudrais consigner ici [le souvenir] d’un miracle banal, progressif, dont on ne se rend compte qu’après qu’il a eu lieu : la découverte de la lecture »116.
Notes
1 M. Butor, « Lectures de l’enfance » [1966], in Œuvres complètes, t. II, éd. de la Différence, 2006, p. 926.
2 R. Démoris, « La folie Jean-Jacques », Folies romanesques au siècle des Lumières, Desjonquères, 1998, p. 389. À tous les niveaux cet épisode est archaïque : au commencement de sa vie intellectuelle, Rousseau découvre avec les Vies de Plutarque une Antiquité fantasmée, dans la traduction vieillie d’Amyot.
3 Rousseau précise à quel âge il a appris à lire (« cinq ou six ans »), associe cette initiation à une date (chose rare dans le livre I), parle d’un goût « unique » à son âge (« une intelligence unique à mon âge sur les passions » ; « j’y pris un goût rare et peut-être unique à cet âge », OC I, p. 8-9) et accepte de son lecteur qu’il « ri[e] de [l]e voir [s]e donner modestement pour un prodige » (OC I, p. 62). Toutes les citations de Rousseau proviennent de l’édition des Œuvres Complètes (OC), dir. B. Gagnebin et M. Raymond, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1959-1995, 5 tomes.
4 OC I, p. 8.
5 Voir C. Ganauchaud, « La lecture, sa valeur, son intérêt chez Rousseau », in J-J. Rousseau et la lecture, dir. T. L’Aminot, Oxford, Voltaire Foundation, 1999, p. 3-18.
6 N. Ferrand, dans son étude classique (Livres et lecture dans le roman du XVIIIe siècle, PUF, 2002, p. 24), a bien souligné que le scénario des premières lectures est souvent au XVIIe siècle cantonné, pour la littérature romanesque, au roman comique.
7 « On lit certainement dix fois plus de livres à Paris qu’on en lisait il y a cent ans » écrit Mercier dans Le Tableau de Paris (cité par M. Vernus, Histoire d’une pratique ordinaire. La lecture en France, Saint-Cyr, A. Sutton, 2002, p. 49).
8 On pense au Discours sur la lecture de Mercier, à l’Essai sur la lecture de L. Bollioud-Mermet, au Traité sur la manière de lire les auteurs avec utilité de Bardou-Duhamel.
9 « J’avoue que la lecture est la moindre des parties nécessaires à une éducation ; mais au moins c’en est une, et l’on peut même dire qu'elle est fondamentale, puisque c’est la clef de toutes les autres sciences » (art. Syllabaire de L’Encyclopédie).
10 Locke, Quelques pensées sur l’éducation [1693], traduction de G. Compayré, J. Vrin, 1966, p. 27. On ne saurait assez insister sur l’influence de ce texte sur la pensée pédagogique du XVIIIe siècle.
11 Devenue fameuse, l’expression est forgée par P. Ariès dans L’Enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime, Plon, 1960. N. Prince en propose un commentaire éclairant dans La littérature de jeunesse : pour une théorie littéraire, A. Colin, 2010, p. 71-72, où elle rappelle que la reconnaissance de l’enfant va de pair avec une volonté normalisatrice de le mettre à part.
12 Voir entre autres M. Grandière, L’Idéal pédagogique en France au dix-huitième siècle, Oxford, Voltaire Foudation, 1998.
13 À l’image de Boileau qui tourne en ridicule Saint-Amant peignant un enfant qui « va, saute, revient / et joyeux à sa mère offre un caillou qu’il tient » (« sur de trop vains objets, c’est arrêter la vue »), on tendait au XVIIe siècle, plus qu’au XVIIIe siècle, à considérer que le récit d’enfance ne saurait contenir que des « fadaises » et des « balivernes ». E. Rosen parle du manque de « dignitas » dont on a longtemps pensé que souffrait le récit d’enfance (« Pourquoi avons-nous inventé le récit d’enfance ? Considérations sociocritiques sur l'étude d'un genre littéraire », La Politique du texte. Enjeux sociocritiques, Lille, Presses Universitaires de Lille, 1992, p. 72).
14 Voir N. Prince, op. cit., p. 33-43 ou I. Havelange et S. Le Men, Le Magasin des enfants : la littérature pour la jeunesse (1750-1830), Montreuil, Bibliothèque Robert-Desnos, 1988.
15 F. Nies, Imagerie de la lecture [1991], Presses Universitaires de France, 1994, p. 84.
16 OC I, p. 8. Rousseau évoque également sa « première lecture » dans les Dialogues (Ibid., p. 819) et la « première lecture de son enfance » dans les Rêveries (Ibid., p. 1024).
17 Ainsi Quintilien appelle-t-il l’apprentissage de la lecture. Voir E. Valette-Cagnac « Être enfant à Rome, Le dur apprentissage de la vie civique », Terrain, 40, 2003. Saint-Augustin, au livre I des Confessions (un des textes fondateurs sur l’effet des premières lectures), distingue avec soin les leçons de lecture, dispensées par les « primi magistri », et les leçons de littérature, dont se chargent les « grammatici ».
18 Éducation complète ou abrégé de l’histoire universelle, Rouen, chez Richard Lallemant, 1762, p. 277. Nous avons opté, tout au long de ce travail, pour le refus de la marque féminine des noms d’autrice : au lieu de Madame Roland, nous écrirons Manon Roland ou Roland.
19 Sur le débat autour de la distinction entre les deux termes, voir Y. Coirault, « Autobiographie et Mémoires (XVIIe siècle – XVIIIe siècles) ou existence et naissance de l’autobiographie », Revue d’histoire littéraire de la France, 1975, 75e année, n°6, p. 937-956.
20 La dissymétrie entre développement spirituel et développement corporel accuse la précocité contre-nature de Cleveland (« mes mains avaient à peine la force de soutenir un livre que j’étais déjà accoutumé à le feuilleter », Cleveland, le philosophe anglais [1731], Desjonquères, 2003, p. 44).
21 Histoire d’une grecque moderne [1740], Flammarion, 1990, p. 206-207. Nous ne pourrons pas évoquer dans ce travail les découvertes tardives de la lecture, auréolées parfois d’une magie supplémentaire, comme le note Sartre : « pour beaucoup de traînards, l’accès au monde de la lecture se présente comme une vraie conversion religieuse, longtemps, insensiblement préparée, tout à coup actualisée » (L’idiot de la famille : Gustave Flaubert de 1821 à 1857 [1971], Gallimard, 1988, p. 16).
22 E. Rosen, commentant un livre important de R. Coe (When the grass was taller : Autobiography and the experience of childhood, New Heaven, Yale University Press, 1984), parle d’une « oscillation constante à laquelle nous contraint le récit d’enfance, entre une référence à l’autobiographie et une référence au roman, l’une renvoyant inéluctablement à l’autre » (« Pourquoi avons-nous inventé le récit d’enfance ? », La Politique du texte. Enjeux sociocritiques, Lille, Presses Universitaires de Lille, 1992, p. 71). Voir sur ce même sujet l’étude d’A. Cron, « Le recours à la fiction dans le récit d’enfance », in Fictions de l’origine, 1650-1800, dir. C. Martin, Desjonquères, 2012, p. 197.
23 S. Gougeaud-Arnaudeau, Entre gouvernants et gouvernés : le pédagogue au XVIIIe siècle, Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2000. Daniel Gestin, Scènes de lecture, le jeune lecteur en France dans la première moitié du XIXe siècle, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 1998.
24 D. Gestin intitule un paragraphe « lecteurs réels et lecteurs fictionnels » (op. cit., p. 18).
25 Avant de s’émerveiller pour les « premiers ouvrages » que chacun de nous « a dévorés ou savourés », G. Sand écrit : « Je suis de ceux pour qui la connaissance d'un livre peut devenir un véritable événement moral ». (G. Sand, Lettres d’un voyageur [1837], in Œuvres complètes, 1836-1837, H. Champion, 2010, p. 453). De même, pour la Graziella de Lamartine, la découverte de la lecture est un « événement dans la vie du cœur » (Lamartine, Graziella [1852], Gallimard, 1979, p. 101).
26 B. Vercier, « Le mythe du premier souvenir : Loti, Leiris », Revue d’histoire littéraire de la France, 1975, n°4, p. 1033-1040.
27 Casanova, Mémoires [1825], Livre de Poche, 1967, p. 16.
28 Rousseau, OC I, p. 8.
29 Selon l’expression fameuse de la sixième partie de La Nouvelle Héloïse (« le pays des chimères est en ce monde le seul digne d’être habité », OC II, p. 693).
30 Manon Roland, Mémoires [1795], Mercure de France, 1966, p. 310.
31 Ibid., p. 312 et p. 321.
32 « Je ne me suis jamais souvenue d’avoir appris à lire » (Ibid, p. 311).
33 Ibid., p. 321.
34 Ibid., p. 322.
35 Marmontel, Mémoires [1804], H. Champion, 2008, p. 75.
36 Restif de la Bretonne, Monsieur Nicolas [1796], Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1980, p. 80.
37 Proust, Sur la lecture [1906], Acte Sud, 1993, p. 25.
38 Leprince de Beaumont, Éducation complète ou abrégé de l’histoire universelle (op. cit. p. 277).
39 Genlis, Adèle et Théodore [1782], Rennes, P.U.R., 2006, p. 631.
40 OC I, p. 819.
41 Cleveland, op. cit., p. 481.
42 La Mettrie, Textes choisis, Éditions sociales, 1954, p. 119.
43 La Chalotais, Essai d’éducation nationale ou Plan d’études pour la jeunesse [1763], Saint-Etienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 1996, p. 61
44 Ibid., p. 60. Nous soulignons. La Chalotais ajoute que des connaissances acquises à l’âge d’adulte ne s’ancrent pas dans l’esprit, parce que « les traces que font des objets tous nouveaux s’effacent presque dans l’instant ».
45 OC I, p. 1134.
46 Ibid., p. 819.
47 Voir, dans la littérature romanesque, des exemples chez Tencin (« si cette lecture me préparait à aimer, il faut convenir aussi qu’elle me donnait du goût pour la vertu », Les Malheurs de l’amour [1747], Desjonquières, 2001, p. 43) ou chez Prévost (« je m’imaginai que des ouvrages de cette nature avaient pu causer plus de mal que de bien dans une imagination vive », Histoire d’une Grecque moderne, op. cit., p. 206).
48 Rousseau, OC I, p. 8.
49 La Chalotais, op. cit., p. 61.
50 Lavalette, Mémoires et souvenirs [1831], Mercure de France, 1994.
51 Mémoires de Mme de Rémusat, Calmann-Lévy, 1880, p. 104.
52 Sur les liens qui se nouent, chez Rousseau, entre les romans et les Vies de Plutarque, dont il fait une lecture éminemment romanesque, nous nous permettons de renvoyer à notre article « Rêves héroïques : Lire Plutarque à la manière de Rousseau », Dix-huitième siècle, n°51, (1/2019), p. 397-416.
53 OC I, p. 12. Les épithètes fier et indomptable sont celles qu’employait Rousseau quelques pages plus tôt à propos du tempérament que lui a forgé Plutarque : « ce caractère indomptable et fier » (Ibid., p. 9).
54 « Une âme paresseuse qui s’effraie de tout soin, un tempérament ardent, bilieux, facile à s’affecter et sensible à l’excès à tout ce qui l’affecte semblent ne pouvoir s’allier dans le même caractère, et ces deux contraires composent pourtant le fond du mien » (Ibid., p. 1134). P. Lejeune, à propos de l’épisode des Confessions, écrit que les deux lectures « formeront un caractère à la fois rêveur et héroïque [...]. Les lectures sont donc la matrice de toutes les contradictions dont Rousseau aura à faire le récit » (Le Pacte autobiographique [1975], Seuil, 1996, p. 106).
55 Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe [1848], Garnier, 1989, p. 110.
56 P. Lejeune, op. cit., p. 106.
57 OC I, p. 12.
58 Réflexions de T****** sur les égarements de sa jeunesse [1729], Desjonquères, 2001, p. 27. Il s’agit selon J. Sgard (Ibid., p. 85) de la première occurrence connue du mot don quichottisme.
59 Sénac de Meilhan, Mémoires d’Anne de Gonzague, Princesse Palatine, Londres, 1786, p. 106.
60 Marivaux, Œuvres de Jeunesse, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1972, p. 394.
61 Ibid., p. 723.
62 « Jamais César si précoce ne devint si promptement Laridon » (OC I, p. 31).
63 Mémoires de Mme de Staal [1755], in La Fabrique de l’intime, Mémoires et Journaux de femmes du XVIIIe siècle, Robert Laffont, 2013, p. 67.
64 Jameray-Duval, Mémoires [1784], Éditions le Sycomore, 1981, p. 112.
65 Éducation complète ou abrégé de l’histoire universelle (op. cit.), Avertissement, p. XV-XVI. Il est à noter que dans le Dictionnaire de l’Académie le mot vocation n’est recensé dans son acception profane d’« inclination qu’on se sent pour un état » qu’en 1798.
66 Voir les analyses de G. Ravy dans son bel article « Au commencement étaient les mots. Pouvoir et magie du livre dans les récits autobiographiques », Germanica, 20, 1997, p. 15-29 : « Devenu homme de ‘lettres’, l’auteur revient sur son passé pour le relire et le relier à son présent par un lien de causalité. Il semble vouloir dire : je suis au service du Verbe – et voici comment cela a commencé ».
67 Saint-Simon, Mémoires [1829], vol. 1, Ramsay, 1977, p. 2.
68 Bernis, Mémoires [1878], Mercure de France, 1980, p. 35.
69 Mémoires et souvenirs de Lavalette (op.cit.), p. 6.
70 Tencin, Les Malheurs de l’amour (op. cit.), p. 43.
71 « Je parcourus avec une extrême avidité toutes les bibliothèques du hameau » (Jameray-Duval, Mémoires, op. cit., p. 192) ; « enfin, je ne crains pas d’assurer que je dois au père Duclos une de mes plus grandes jouissances ; car même à présent, à cinquante ans passés, je suis homme à dévorer un conte de revenants, écrit ou narré, avec le même appétit que si j’en avais neuf » (Desforges, Le poète ou Mémoires d’un homme de lettres écrits par lui-même, Hambourg, 1799, p. 65) ; Restif parle d’« extase de ravissement » à propos de sa lecture de Polexandre (Monsieur Nicolas, op. cit., p. 91).
72 La métaphore de l’ignition est courante dans les récits de premières lectures : « je m’enflammais », dit Rousseau, non sans jeu de mot avec l’anecdote de Scaevola (OC I, p. 8) et Manon Roland écrit : « Le Tasse alluma mon imagination » (Mémoires, op. cit., p. 323).
73 Jameray-Duval, Mémoires (op. cit.), p. 227.
74 J. Rousset, Leurs yeux se rencontrèrent, la scène de première vue dans le roman, J. Corti, 1981, p. 7.
75 Louis Poirier, qui choisira son pseudonyme en référence au roman de Stendhal, a alors quatorze ans (Julien Gracq, Œuvres Complètes II, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1995, p. 325).
76 Dans Le Paysan Parvenu, un vieil officier, parlant de lectures (il est question, en termes voilés, de Crébillon) dit : « tout est bon à cet âge où l’on ne demande qu’à rire, et où l’on est si avide de joie qu’on la prend comme on la trouve, mais nous autres barbons, nous y sommes un peu plus difficiles » (Flammarion, 2010, p. 263).
77 Songeons à la récurrente assimilation des manuels de latin à des instruments de torture : Marolles se souvient dans ses Mémoires d’avoir été contraint d’assimiler les « règles barbares » du Despautères et Desforges rapporte, à propos du même Despautères, une scène de révolte contre la culture scolaire : « la colère me prit, je saisis mon pauvre Jean Despautères, je le foulai aux pieds » (op. cit., p. 81).
78 L’Antiquité et le christianisme dans la pensée de Jean-Jacques Rousseau, Oxford, SVEC, 1999, p. 15.
79 OC I, p. 8.
80 Au livre II des Confessions, Rousseau écrit : « voici encore une autre folie romanesque dont jamais je n’ai pu me guérir », et au livre V : « car quelques années d’expérience n’avoient pu me guérir encore radicalement de mes visions romanesques » (OC I, p. 176).
81 Gide, Essais critiques, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1999, p. 560.
82 Henri Coulet, « Le topos du roman corrupteur », in L’épreuve du lecteur, Livres et lectures dans le roman de l’Ancien régime, éd. J. Herman et P. Pelckmans, Louvain, Peeters, 1995, p.175-190.
83 Le Danger des romans [1770], in Anthologie du Conte en France, 1755-1799 : philosophes et cœurs sensibles, Union générale d’édition, 1981, p. 255-262.
84 Genlis, Le Mari corrupteur, in Nouvelles, Maradan, 1804.
85 Marie-Jeanne Lhéritier, Les Enchantements de l’éloquence, in Œuvres meslées, Jean Guignard, 1696.
86 « [Corneille] peint les hommes comme ils devraient être, [Racine] les peint tels qu’ils sont » (La Bruyère, Les Caractères, « Des ouvrages de l’esprit », 54).
87 Marguerite-Jeanne Staal de Launay, Mémoires [1755], Mercure de France, 1970, p. 30.
88 Benjamin Constant, op. cit., p. 122.
89 OC II, p. 563
90 Staal-Delaunay, op. cit, p. 34.
91 Monsieur Nicolas (op. cit.), p. 164.
92 OC IV, p. 420-421.
93 Isabelle de Charrière, Trois femmes [1798], L’âge d’homme, 1996.
94 OC IV, p. 535.
95 Ibid.
96 Sur ces questions, voir Jean Starobinski, « Se mettre à la place » [1976], in L’œil vivant, Gallimard, 1999, p. 93-119.
97 Ligne, Mémoires, lettres et pensées, Paris, François Bourin, 1989.
98 Manon Roland, Mémoires (op. cit.), p. 324.
99 Augustin condamnait déjà les pleurs qu’il versait enfant en lisant le livre IV de L’Énéide (Les Confessions, Paris, Gallimard, 1993, p. 24).
100 Condillac, Essai sur l’origine des connaissances humaines [1746], Vrin, 2014, §84, p. 127.
101 Fénelon, Traité de l’éducation des filles [1687], Klincksieck, 1994, p. 40.
102 Ibid.
103 Rousseau, OC I, p. 1134.
104 Charrière, Saint-Anne [1799], Amsterdam, Rodopi, p. 65.
105 P. Quignard, Le Lecteur [1976], Gallimard, 2014, p. 46.
106 « J’ai été nourri aux lettres dès mon enfance », dit Descartes dans le Discours de la méthode [1637] (Œuvres, t. 6, Vrin, 1996, p. 4).
107 OC IV, p. 347. Dès son premier Discours [1750], Rousseau déplorait « les désastres affreux que l’imprimerie a déjà causés en Europe » (OC III, p. 28).
108 OC IV, p. 357.
109 Correspondance Complète, t. III, Lettre 319, Septembre 1755, p. 165.
110 OC IV, p. 927.
111 « J’aurais passé dans le sein de ma religion, de ma patrie, de ma famille et de mes amis, une vie paisible et douce », OC I, p. 43.
112 Nous étudions plusieurs réécritures de l’épisode rousseauiste dans « Rêves héroïques. Lire Plutarque à la manière de Rousseau » (art. cit.). Il est notamment remarquable que Stendhal emprunte à Rousseau son jugement ambigu sur les lectures d’enfance, mais pour l’appliquer à l’influence que La Nouvelle Héloïse a exercée sur lui (Stendhal, Correspondance générale, Champion, 1997-1999, t. 1, p. 221).
113 OC I, p. 30.
114 George Sand, Lettres d’un voyageur, op. cit., p. 453-455.
115 Gide dans Si le grain ne meurt [1926] (Gallimard, 1955, p. 175 sq) ; Beauvoir dans les Mémoires d’une jeune fille rangée (Gallimard, 1958, p. 31-35 et p. 70) ; Sartre dans toute la première partie des Mots, Sarraute dans Enfance (Gallimard, 1983, p. 265-267) ; un livre de Marianne Berissi est consacré aux premières lectures de Leiris (Littérature sans mémoire : lectures d’enfance de Michel Leiris, Presses de l’Université d’Artois, 2012) ; Perec dans W ou le souvenir d’enfance (Denoël, 1975, p. 191-195).
116 Marguerite Yourcenar, « Les miettes de l’enfance » dans Quoi ? L’éternité [1988], in Essais et Mémoires, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1991, p. 1345.
Pour citer ce document
Quelques mots à propos de : Nicolas Fréry
Nicolas Fréry est agrégé de Lettres modernes, ancien élève de l’ENS de Paris et doctorant contractuel à la faculté de lettres de Sorbonne Université. Il a écrit Marivaux. La Dispute, La Fausse Suivante, La Double Inconstance, éd. Atlande, coll. « Clefs Concours », 2018 (à l’exception du chapitre d’étude linguistique).
Droits d'auteur
This is an Open Access article distributed under the terms of the Creative Commons Attribution License CC BY-NC 3.0 (https://creativecommons.org/licenses/by-nc/3.0/fr/) / Article distribué selon les termes de la licence Creative Commons CC BY-NC.3.0 (https://creativecommons.org/licenses/by-nc/3.0/fr/)