Stylistique d’une réception polyphonique dans l’Héroïde XV d’Ovide : narrataires, lecteurs et public 

Par Eleonora Tola
Publication en ligne le 16 février 2022

Résumé

Since Heroides XV (Sappho to Phaon) introduces the cycle of double letters in Ovid’s collection, it features as a programmatic ‘margin’. Many literary and generic aspects support the authenticity of this letter despite its peculiarities. Furthermore, the inclusion of a historical Greek poet as its narrator produces some identifications with Ovid as its primary author. From a stylistic reading, I examine the shaping of reception in this Heroides by analyzing its wavering internal and external recipients. I aim to identify the way that Ovid arranges his narrator(s), his own readers, and the traces of a possible audience through a complex interweaving of elegiac, epistolary, lyric and dramatic features.

Puisque l’Héroïde XV d’Ovide (Sapho à Phaon) annonce le cycle des élégies doubles du recueil, elle tient lieu de ‘marge’ textuelle comportant des effets poétiques. De nombreux aspects littéraires et génériques appuient l’authenticité de cette lettre en dépit de ses singularités. Plus exactement, l’écart qu’elle introduit vis-à-vis du statut mythique des autres énonciatrices à travers l’inclusion d’une poétesse grecque historique produit des jeux d’identification avec l’émetteur primaire de l’épître, voire Ovide. À partir d’une approche stylistique, on examine dans l’Héroïde XV la construction ovidienne de la réception à travers le tissage étagé de ses destinataires internes et externes. Nous dégageons la manière dont le poète augustéen agence son / ses narrataires, ses lecteurs « hors-texte » et les traces d’un public éventuel au carrefour des codes élégiaque, épistolaire et lyrique allant jusqu’au dramatique.

Mots-Clés

Texte intégral

1LHéroïde XV d’Ovide clôt la première série des lettres du recueil tel qu’il était à ses origines1. Aussi, puisque l’épître que Sapho adresse à Phaon introduit le cycle des élégies doubles (16-21), elle tient lieu de marge textuelle comportant des effets poétiques2. À cette spécificité s’adjoignent principalement trois aspects : tout d’abord, l’autonomie de l’histoire du texte vis-à-vis du reste des Héroïdes3 ; deuxièmement, l’écart qu’introduit l’épître par rapport au statut mythique des émettrices des lettres précédentes, s’agissant, dans ce cas, d’une poétesse historique. Enfin, le rôle emblématique de celle-ci dans la tradition littéraire gréco-romaine4. Mieux encore : Sapho s’érige comme l’un des auctores principaux d’une poésie amoureuse qui fonde, comme nul ne l’ignore, l’écriture ovidienne.

2L’autonomie de la tradition philologique de l’Héroïde XV a engendré des débats multiples sur son authenticité, surtout à partir des postulats de Friedrich Wilhelm Schneidewin dans un bref article paru dans le journal Rheinisches Museum für Philologie en 18435. Or, au deuxième livre de ses Amours6, Ovide nous dit qu’il avait composé une lettre de Sapho à Phaon, à laquelle feront aussi allusion deux grammairiens de l’antiquité tardive7. On reconnaît désormais Ovide comme l’auteur de l’Héroïde XV, notamment depuis l’étude de Gianpiero Rosati (1996), si bien que, comme le résume l’édition d’Henri Bornecque, Marcel Prévost, Danielle Porte8, « nous n’avons aucune raison sérieuse pour mettre en doute l’authenticité de la pièce que nous possédons ». En revanche, de nombreux aspects littéraires et génériques semblent appuyer l’authenticité de cette lettre en dépit de ses singularités9. Plus exactement, l’écart du statut mythique des autres énonciatrices des Héroïdes et l’inclusion d’un personnage reconnaissable dans la ‘réalité’ extratextuelle produisent des jeux d’identification avec son émetteur primaire, voire Ovide. Il en résulte une sorte de programme du poète augustéen prêtant sa voix à une poétesse moins encore historique que symbolique. Cette voix rappelle aux lecteurs de la lettre une matrice lyrico-amoureuse qui était au centre des réflexions littéraires et culturelles à l’époque ovidienne10.

3À partir d’une approche stylistique de l’Héroïde XV, on y examinera la construction ovidienne de la réception à travers le tissage de ses destinataires internes et externes. Nous dégagerons la manière dont Ovide agence son / ses narrataires11, ses lecteurs « hors-texte » et les traces d’un public éventuel au carrefour des codes élégiaque, épistolaire et lyrique allant jusqu’au dramatique.

La composita uox de Sapho (et d’Ovide)

4Dans le cadre des recommandations qu’il adresse aux femmes au livre III de son Art d’aimer, le praeceptor amoris souligne l’importance de quelques lectures12. Son énumération de quelques auteurs gréco-romains ainsi que de son Ars et de ses Amores (339-344) aboutit à une auto-proclamation littéraire bien connue :

Ov. Ars 3, 345-346 :

Vel tibi composita P cantetur Epistula uoce ;
        Ignotum hoc aliis // īllĕ nŏuāuĭt ŏpūs. »

[…] ou bien [Si tu es vraiment une femme cultivée] déclame avec art l’une de ses lettres : c’est un genre inconnu avant lui et qu’il [Ovide] a créé13.

5Le poète s’y présente comme l’auteur d’un genre inédit (ignotum… opus) à travers ses Héroïdes comprises comme le résultat d’une innovation (nouauit) esthétique complexe (composita… Epistula uoce). Mieux encore : la référence à cette complexité est dite par un terme qui, détaché devant la césure penthémimère (P)14 de l’hexamètre du distique (composita), exhibe un sémantisme riche de sens méta-poétiques : si compositum (345) peut désigner l’idée d’un texte littéraire bien arrangé (OLD s.v. 4), il n’exclut pas celle d’une mixité hétérogène, voire d’un mélange d’ingrédients différents (OLD s.v. 3)15. Or, la surimposition de sources et genres multiples qu’opère Ovide dans ses Héroïdes est un aspect bien travaillé par la critique. De fait, ce recueil surgit au croisement d’une écriture fictive de soi16, de modalités épistolaires17 et de l’univers érotico-élégiaque18. Le support métrique donne la mesure d’une telle complexité. Comme l’a bien montré Jacqueline Dangel, le distique élégiaque repose sur une alliance rythmique paradoxale : un hexamètre suggérant la solennité épique suivi d’un pentamètre dont le deuxième hémistiche fixe (// ‒ UU ‒ UU x) rappelle, en revanche, les principes d’une lyrique éolienne métrico-syllabique19. Certes, le distique est employé par Ovide dans la totalité de ses Héroïdes et, plus largement encore, dans ses ouvrages érotiques. Il reste que dans l’épître de Sapho à Phaon le support métrique relève plus visiblement d’une poétique de tensions à partir d’un énonciateur qui inscrit, voire « greffe » la poésie saphique historique dans le discours élégiaque (et romain) d’Ovide20. Cette complexité évoque l’œuvre même de Sapho, dont la nature polymétrique avait déjà assemblé le lyrique et l’élégiaque sous sa forme grecque plus proche de l’épigramme21. À cette pluralité générique s’ajoutent encore les ambiguïtés de la strophe saphique romanisée : trois hendécasyllabes à base trochaïque (‒ U / ‒ ‒ / ‒ UU / ‒ U / ‒ x) y débouchent sur un adonique dont la dipodie dactylique (‒ UU / ‒ x) est assimilable à la clausule d’un hexamètre (‒ UU / ‒ x)22.

6Le discours amoureux de l’Héroïde XV surimpose alors le lyrique et l’élégiaque en interface épique. Étant donné que le texte exhibe dans ses propres seuils un cadre épistolaire (littera, 1 ; epistula, 219)23, sa scénographie énonciative s’avère un lieu privilégié pour l’étude de cette surimposition. De fait, l’agencement des destinataires de l’épître de Sapho contribue à une composita uox incluant son énonciatrice primaire et, en arrière-plan, le poète augustéen. Le début de l’Héroïde est programmatique à ce sujet :  

Her. XV, 1-8 :

Ecquid, ut inspecta est studiosae littera dextrae,
        Protinus est oculis // cognita nostra tuis ?         DD
An, nisi legisses
P auctoris nomina Sapphus,
        Hoc breue nescires // unde ueniret opus ?         DS
Forsitan et quare
P mea sint H alterna requiras        5
        Carmina, cum lyricis // sim magis apta modis.        DD
Flendus a|mor
T meus| est ; P ele|gi H quoque| flebile| carmen ;
        Non facit ad lacrimas // barbitos ulla meas.        DD

Est-ce qu’à l’aspect de cette écriture d’une main appliquée la mienne fut aussitôt reconnue par tes yeux ? Ou bien, si tu n’avais lu le nom de Sapho, son auteur, ne saurais-tu d’où vient ce bref ouvrage ? Peut-être aussi demanderas-tu pourquoi mes vers sont alternés, alors que je suis plus apte aux modes lyriques. Il me faut pleurer sur mon amour : l’Élégie est aussi le chant des pleurs24 ; aucun luth ne s’accorde avec mes larmes.

7L’énonciatrice et son interlocuteur primaire se juxtaposent dans une question encadrante à la fin du deuxième vers (nostra tuis). Bien qu’un lecteur coutumier d’Ovide soit placé ainsi dans un contexte énonciatif propre aux Héroïdes, le participe cognita qui complète le deuxième hémistiche du pentamètre introduit les premiers brouillages dans la réception de la lettre. Plus exactement, il réfère à Phaon du point de vue diégétique, mais il détourne aussi l’attention du lecteur vers un acte de reconnaissance esthétique qui fait sens au distique suivant. Le verbe nescires (4) complète l’idée d’une reconnaissance possible au sein d’une écriture inédite, d’autant plus que ce pentamètre présente un motif métrique de rupture (DS) vis-à-vis des autres pentamètres de la salutatio (DD). En position symétrique au deuxième hémistiche du vers 3, le terme auctoris aboutit enfin à une mention de l’énonciatrice à la troisième personne (Sapphus)25. Il en résulte deux dualités concernant l’émetteur et l’interlocuteur de l’épître : si le premier est tout à la fois fictif et historique — Sapho, voire Ovide —, son narrataire principal — Phaon — s’entremêle avec une audience secondaire plus large. Mieux encore : Phaon est invité à lire (legisses 3) la littera de Sapho en même temps que cette audience élargie, soit les lecteurs d’Ovide, sont invités à identifier un decet métrico-générique et thématique (carmina… magis apta, 6)26. Ce lecteur « hors-texte » reconnaît de ce fait l’énonciateur romain qui se cache sous la voix de la poétesse grecque et il reste impliqué dans une polyphonie programmatique dès l’incipit de l’Héroïde. Aussi, est-il introduit dans une double tension rythmique : d’une part, dans la mixité propre au distique élégiaque qui fusionne, comme on l’a remarqué, de visées épiques et lyriques ; d’autre part, dans un effet de rupture des attentes à partir d’un distique élégiaque déplaçant le rythme lyrique lié traditionnellement à Sapho (lyricis… modis 6). Les alterna… carmina (5-6) désignant l’élégie offrent ainsi une réflexion générique qui s’achève au dernier distique27. Celui-ci jette de la lumière sur les dualités précédentes en justifiant l’utilisation du genre élégiaque (elegi 7) par une poétesse lyrique (barbitos 8)28 à travers le motif de la plainte amoureuse (flendus amor 7 ; lacrimas… meas 8)29. Cette fusion laisse transparaître un miroitement auctorial (Sapho – Ovide), si bien que l’épître fait éclater, dès son début, la possibilité d’une scène amoureuse restreinte. S’y ajoute, comme l’a bien signalé J. Dangel30, la possibilité d’une « lecture double de la dénomination de la poétesse » au vers 3 (Sapphus), qui fait côtoyer le nom grec (Sappho)31 avec son correspondant romain. Quoiqu’il s’agisse, bien sûr, d’une lecture analogique, elle permet de souligner phoniquement la surimposition de l’écriture élégiaque ovidienne et du lyrisme éolien grec. De ce fait, dans la scénographie énonciative de l’Héroïde interviennent, du moins, deux énonciateurs (Sapho - Ovide) et deux destinataires (Phaon - lecteurs ovidiens). Le reste de la lettre multiplie cette démarche avec de nouveaux changements référentiels.

Du lecteur au public

8Si les convergences entre l’énonciatrice de l’Héroïde XV et Ovide donnent à voir une réflexion sur les genres littéraires du fait de leur ancrage historique commun, la mise en œuvre des interlocuteurs y ajoute une alternance qui n’est pas sans évoquer, au niveau du tissage des voix, l’image métrique des alterna carmina. Plus précisément, les narrataires de Sapho varient au cours de son discours et contribuent à une réception étagée riche de sens :

  1. Phaon, le destinataire principal de la lettre, qui est désigné par Sapho soit à la deuxième soit à la troisième personne32 ;

  2. les Filles de Sicile (53-56) ;

  3. Vénus (57-58) ;

  4. Aurore (87-92) ;

  5. une Naïade (175-176) ;

  6. l’air (177-178) ;

  7. l’Amour (179-180) ;

  8. les Lesbiennes (201-206)

9Cette uariatio énonciative permet d’inclure un lecteur « hors-texte », voire un public secondaire plus proche d’un contexte dramatique33. Outre l’usage d’une troisième personne capable de dédoubler l’émetteur et le narrataire principaux de la lettre, on y retrouve d’autres indices orientés vers un récepteur externe, tels l’emploi de parenthèses ou ajouts explicatifs (43), de questions rhétoriques (77-78 ; 85-86)34, d’autre voix à travers le discours direct35 et d’une sorte de monologue de la poétesse dans son appel conclusif aux Lesbides (199-202). Comme nul ne l’ignore, à l’époque augustéenne se sont propagées à Rome les recitationes publiques, notamment après celle qu’organisa pour la première fois Asinius Pollion36, lui-même orateur et poète. Cette nouvelle forme théâtrale faisait côtoyer les outils de l’art oratoire avec les modalités dramatiques37, tel que nous le rappelle Ovide dans les Tristes au sujet du succès de ses ouvrages au théâtre38 :

Tr. II, 519-520 :

Et mea sunt populo P saltata poemata saepe,
        saepe oculos etiam // detinuere tuos.

Mes poèmes aussi ont été souvent dansés en public, souvent même ils ont captivé tes regards39.

10Dans l’élégie quasi-épistolaire du livre II des Tristes, la refutatio du poète banni inclut une référence à la saltatio de ses poèmes (519), voire à la danse en pantomime propre aux acteurs romains40. Si Auguste est présenté ici dans son statut de public habitué à ces pratiques (saepe ; saepe), l’insistance sur son regard (oculos… tuos 520) exhibe la nature spectaculaire d’un évènement qui rapprochait le texte (poemata 519) de sa mise en scène. Or, le tissage rhétorico-dramatique de l’allocution de Sapho à Phaon dans la première section de l’épître suggère aussi ce rapprochement :

Her. XV, 41-44 :

At, mea cum legeres P, etiam formosa uidebar ;
        Vnam iurabas // usque decere loqui.
Cantabam,T memini P (meminerunt omnia amantes) ;        SDDS
        Oscula cantanti // tu mihi rapta dabas.         DS

Cependant, lorsque tu me lisais, moi aussi je te paraissais belle : tu jurais qu’à moi seule il convenait de parler toujours. Je chantais, il m’en souvient (les amants se souviennent de tout) : pendant que je chantais, tu me donnais des baisers que tu me volais.

11Comme on l’a déjà remarqué, le nom de Sapphus (3) apparentait l’acte de la lecture à une identification auctoriale dans l’incipit. Ici, ce même acte (legeres 41) permet d’opposer un passé amoureux et littéraire au présent du souvenir. Mieux encore : la double reprise du verbe canto (cantabam 43 ; cantanti 44) renvoie au statut lyrique de l’énonciatrice de l’épître alors que celle de la forme memini (43) inscrit Sapho-historique dans un nouveau discours amoureux apte à ‘rappeler’ aux lecteurs les pratiques érotico-élégiaques du poète de l’Art d’aimer et des Amours. La sententia parenthétique que le personnage féminin introduit dans son argumentaire (meminerunt omnia amantes 43) agit de ce fait comme un clin d’œil pour un récepteur « hors-texte » : la répétition d’ordre rhétorique s’instaure comme une sorte « d’aparté théâtral »41 qui dépasse le narrataire principal de la lettre pour atteindre un public capable d’identifier une nouvelle version élégiaque de la poétesse grecque. Il n’est pas jusqu’à l’inversion rythmique des parties structurellement symétriques de l’hexamètre et du pentamètre du dernier distique (SD- / DS //) qui n’achève cette alliance du lyrique et de l’élégiaque. Les questions du personnage féminin tout au long de l’Héroïde confirment cette lecture :

Her. XV, 77-78 :

Cui colar infelix, P aut cui placuisse laborem ?         DSSD
        Ille mei cultus // unicus auctor abest.         DS

Pour qui me parer, malheureuse ? À qui m’efforcer de plaire ? L’unique auteur de ma parure est loin.

12Au sein de sa querela élégiaque, la poétesse insiste sur l’absence de l’auteur de sa passion (unicus auctor abest 78)42 à partir d’une architecture phrastique et phonique qui reprend quelques traits propres à la poésie de Sapho-historique conforme au jugement antique, tels la uariatio et la répétition43. Plus exactement, à la symétrie verbale et sonore traduisant la hantise de l’absence (cui colar… aut cui placuisse)44 fait pendant la régularité rythmique des deux attaques du distique (DS- / DS-). L’irruption d’autres voix qui interrompent l’allocution à Phaon vers la deuxième moitié de l’Héroïde fait ressortir, une fois encore, l’entrelacement d’effets rhétoriques, rythmiques et dramatiques. Le discours de la Naïade est instructif à ce sujet :

Her. XV, 167-172 :

Hinc se Deucalion, P Pyrrhae H succensus amore,
        Misit, et illaeso // corpore pressit aquas.
Nec
mora, uersus amor P figit lentissima Pyrrhae
        Pectora ; Deucalion // igne leuatus abit.        170
Hanc legem
Tlocus ille tenet.H Pete protinus altam
        Leucada, nec saxo // desiluisse time. »

De là s’est précipité Deucalion, enflammé d’amour pour Pyrrha, et son corps plongea dans les eaux sans dommage. Aussitôt l’amour retourné transperce le cœur de l’insensible Pyrrha ; Deucalion fut délivré de sa flamme. Telle est la propriété de ce lieu. Gagne sur-le-champ les hauteurs de Leucade et n’aie pas peur de sauter en bas du rocher ».

13Lorsque la nymphe exhorte la poétesse à se jeter du rocher de Leucade pour soulager sa souffrance amoureuse, elle y surimpose l’une des légendes programmatiques du premier livre des Métamorphoses d’Ovide (Deucalion et Pyrrha)45. Les anaphores et paronomases insistantes qui sous-tendent son incitation contribuent à en estomper les frontières mythiques, historiques et littéraires (amore 167 ; corpore 168 ; mora / amor 169 ; pectora 170). D’une part, l’allusion aux Métamorphoses évoque l’idée d’une nouitas, non seulement du fait que dans le carmen perpetuum la pietas des personnages donne lieu à une nouvelle lignée d’homme et de femmes, mais aussi vis-à-vis d’une tradition dominante qui attribuait à Sapho l’inauguration du « saut de Leucade »46. D’autre part, le motif d’un uersus amor (169) confère à cette histoire mythique un statut érotique inouï résultant probablement, comme l’a précisé G. Rosati47, d’une analogie phonico-étymologique entre Deucalion et « Leucarion ». De ce fait, dans le discours emboîté de la Naïade interviennent en même temps Ovide-auteur des Métamorphoses et Sapho-poétesse lyrique ‘transformée’ en énonciatrice élégiaque au sein d’une mise en relief de déictiques (hinc 167 ; hanc 171) déplaçant l’appel à Phaon vers l’attention d’une audience externe. L’adresse de Sapho aux Lesbides vers la conclusion de l’épître souligne ces croisements dans un monologue qui suggère encore une scène dramatique :

Her. XV, 199-206 :

[Lesbides aequoreae, nupturaque nuptaque proles,
        Lesbides, Aeolia // nomina dicta lyra,]         DD        200
Lesbides, infamem quae me fecistis amatae,
        Desinite ad citharas // turba uenire mea.         DD
Abstulit omne Phaon quod uobis ante placebat.
        Me miseram ! dixi // quam modo paene meus.         DS
Efficite ut redeat, uates quoque uestra redibit ;
        205
        Ingenio uires // ille dat, ille rapit.         DS

Lesbiennes, filles de la mer, jeunes filles mariées ou destinées aux noces ; Lesbiennes, noms qui ont été célébrés par ma lyre éolienne48 ; Lesbiennes, de qui l’amour a fait mon déshonneur, troupe de mes compagnes, cessez d’accourir à mes chants. Phaon a tout emporté de ce qui naguère vous charmait. Malheureuse ! J’étais tout près de dire : il est à moi. Faites qu’il revienne ; avec lui reviendra votre poétesse. C’est lui qui donne des forces à mon génie, lui qui les enlève.

14La transformation qu’opère Ovide de la poétesse lyrique aboutit ici à un stylème élégiaque bien connu à l’époque augustéenne (Me miseram ! 204), si bien que l’énonciatrice assure sa nouvelle place dans une pratique coutumière d’Ovide. Mieux encore : si l’agencement symétrique des schémas des quatre pentamètres (DD ; DD ; DS ; DS) évoque la régularité de la strophe saphique, la distribution verbale qui clôt le passage n’est pas étrangère à un refrain adonique (ille dat, ille rapit 206)49. La triple reprise suivie du mot Lesbides (199 ; 200 ; 201) dans le même passage semble confirmer cette résonance à la lumière des trois hendécasyllabes qui, comme on l’a signalé, définissent la strophe saphique romanisée. Or, le dernier distique de l’Héroïde XV achève cette fusion de discours fondée sur une alternance de narrataires. Plus précisément, il s’agit d’insister sur une écriture épistolaire incluant un public qui décode l’interaction d’indices textuels et spectaculaires50, voire l’actio du personnage où confluent les niveaux lexique, phonique et métrique du discours ovidien. Le distique qui clôt l’Héroïde en donne la mesure :

Her. XV, 219-220 :

Hoc saltem Tmiserae Pcrudelis epistula dicat,         SDSD
        Vt mihi Leucadiae // fata petantur aquae.

[…] qu’au moins une lettre cruelle le dise à mon infortune, pour que j’aille chercher mon destin dans les ondes de Leucade.

15Ovide rassemble le lyrique grec en clé élégiaque (T miserae P) et l’épistolaire de l’échange fictif (epistula) dans un hexamètre dont l’attaque spondaïque renvoie au ton lyrique d’un asclépiade mineur (SDS)51. On ne saurait exclure de ces convergences l’allusion à un cadre dramatique à partir d’une lecture analogique de l’adverbe saltem (219) avec le verbe salto désignant, comme on l’a signalé, les représentations au théâtre52.

Conclusion

16Les spécificités de la lettre de Sapho vis-à-vis du reste du recueil approfondissent alors la poétique de tensions propre aux Héroïdes et à leur support élégiaque en modalité épistolaire. La singularité de l’énonciatrice de cette épître, son statut littéraire extratextuel et l’alternance de ses destinataires aboutissent à un nouveau discours amoureux. Des voix multiples s’y succèdent et montrent en filigrane la construction ovidienne d’une lettre « à la Sapho ». Au cœur de cette dynamique, l’adresse épistolaire dépasse le narrataire principal du personnage et vise une audience plus large capable d’identifier, voire de démasquer les personae qui scandent cet entre-deux lyrico-élégiaque et dramatique.

Notes

1 Voir G. Rosati, Ovidio. Lettere di eroine, Milano, BUR, 1989, p. 278.

2 Sur le rôle stratégique de ce placement dans le recueil, voir G. Rosati, « Sabinus, the Heroides and the Poet-nightingale. Some observations on the Authenticity of the Epistula Sapphus », dans Classical Quarterly, n° 46, 1996, p. 211 sq. Quant aux valeurs méta-génériques des épîtres doubles, se reporter à A. Barchiesi, « Narratività e convenzione nelle Heroides », dans P. Ovidii Nasonis Epistulae heroidum 1-3, Firenze, Le Monnier, 1992, p. 15-41. G. B. Conte, « Proems in the Middle », dans Yale Classical Studies, n° 29, 1992, p. 147-159, parle d’un « proème » apte à revendiquer, dans la moitié du recueil, une écriture inédite par rapport aux modes lyriques propres à Sapho, comme le proclame le poète au début de la lettre (Her. XV, 5-6).

3  Cette épître a commencé à circuler en 1420 sans association immédiate avec l’œuvre d’Ovide. Voir H. Bornecque, M. Prévost, D. Porte, Ovide. Héroïdes, CUF, 1999 [19281], p. XV-XXI. État de la question très complet chez T. S. Thorsen, Scribentis imagines in Ovidian Authorship and Scholarship. A Study of the Epistula Sapphus (Heroides 15), Dissertation Submitted in Accordance with the Requirements of the Degree Doctor Atrium at the University of Bergen, 2006, p. 75-120.

4 Voir E. Malcovati, « La fortuna di Saffo nella letteratura latina », dans Athenaeum, n° 44, 1966, p. 3-31 ; T. S. Thorsen-S. Harrison, Roman Receptions of Sappho, Oxford, 2019.

5 F. W. Schneidewin attribuait l’Héroïde XV à l’humaniste Angelo Sabino (s. XV). Pour des arguments lexiques, métriques et expressifs contre l’authenticité de l’épître, voir R. Tarrant, « The Authenticity of the Letter of Sappho to Phaon (Heroides 15) », dans Harvard Studies in Classical Philology, n° 85, 1981, p. 133-153 ; Ch. E. Murgia, « Imitation and Authenticity in Ovid : Metamorphoses 1.477 and Heroides 15 », dans American Journal of Philology, n° 106, 1985, p. 464 sq. ; P. Knox, Ovid. Heroides. Select Epistles, Cambridge, 1995. Pour une interprétation contraire, voir l’édition de H. Dörrie, P. Ovidii Nasonis Epistulae Heroidum, Berlin-New York, 1971 ; G. Rosati, op. cit., 1996 ; J. Farrell, « Reading and Writing the Heroides », dans Harvard Studies in Classical Philology, n° 98, 1998, p. 307-338 ; N. Holzberg, Ovid. Dichter und Werk, München, 19982 ; F. Bessone, « Saffo, la lirica, l’elegia : su Ovidio, Heroides 15 », dans Materiali e discussioni per l'analisi dei testi classici, n° 51, 2002-2003, p. 225 sq. ; A. Ramírez de Verger, « La carta de Safo a Faón de Ovidio (Her. XV) », Emerita, n° 77, 2009, p. 187-222. Excellent résumé des divers arguments chez T. S. Thorsen, op. cit., 2006, p. 119-120 et A. Deremetz, « L’Héroïde XV ou le paradoxe de l’élégie », Amor scribendi, Lectures des Héroïdes d’Ovide, éd. H. Casanova-Robin, Grenoble, J. Millon, 2007.

6 Am. 2, 18, 26 (Dicat et Aoniam Lesbis amata lyram) ; Am. 2, 18, 34 (Det uotam Phoebo Lesbis amata lyram).

7 Probus (Keil IV, 30, 19) et Marius Plotius Sacerdos (Keil VI, 482, 1). Voir T. S. Thorsen, op. cit., 2006, p. 77-78. Deux mentions du rapport de cette lettre avec Ovide se trouvent chez Ausone (Epigr. CIII, 11-14 ; Cupido Cruciatus I, 24).

8 H. Bornecque, M. Prévost, D. Porte, op. cit., p. XVII.

9 Voir J. Dangel, « Intertextualité et intergénéricité dans les Héroïdes d’Ovide : la métrique à l’œuvre », dans Amor Scribendi. Lectures des « Héroïdes » d’Ovide. Textes réunis et présentés par H. Casanova-Robin, Grenoble, J. Millon, 2007, p. 13-35.

10 Voir F. Bessone, op. cit., p. 215 ; 225 sq.

11  Quant à une distinction narratologique entre les notions de « narrataire » et « lecteur », voir Y. Reuter, L’analyse du récit, Armand Colin, 2009, p. 12. Si le premier « n’existe que dans et par le texte, au travers de ses mots ou de ceux qui le désignent », l’existence du second « se situe dans le “hors-texte” ».

12 Le catalogue inclut Callimaque (329), Anacréon (330), Sapho (331), Ménandre (332), Properce, Gallus et Tibulle (333-334). Ovide conseille aussi la lecture des Argonautiques de Varron d’Atax (335-336), un poème épique fondé sur l’ouvrage homonyme d’Apollonios de Rhodes, ainsi que celle de l’Énéide virgilienne (337-338).

13 Pour le texte latin et la traduction de l’Art d’aimer, nous suivons l’édition de H. Bornecque, Ovide, l’Art d’aimer, CUF, 1967, sauf indication contraire.

14  Nous indiquons ainsi la césure penthémimère de l’hexamètre. Les lettres T et H désigneront, respectivement, les césures trihémimère et hephtémimère du vers.

15 Voir Ov. Am. II, 5, 22 (Compositi iuuenes unus et alter erant) ; Ars II, 385 (Hoc bene compositos, hoc firmos soluit amores) ; Her. XX, 29-30 (Te mihi compositis,… a me / Adstrinxit uerbis ingeniosus Amor).

16 Quant à l’idée d’une « fiction du non-fictif », voir J. Rousset, Forme et signification, Corti, 1962.

17 Comme le rappelle G. B. Conte, Latin Literature. A History, Oxford, 1999, p. 357-358, le genre épistolaire présente des formules régulières qui ouvrent et achèvent les lettres, des références aux réponses des destinataires, des topiques épistolaires anciennes (la lettre comme un moyen de conversation et soulagement face à la solitude de l’énonciateur, l’illusion de la présence des destinataires, etc.). Voir aussi G. Tissol, Epistulae ex Ponto, Book I, Cambridge, 2014, p. 2-6, au sujet des Pontiques d’Ovide.

18  Voir V. Rimell, « Epistolary Fictions: Authorial Identity in Heroides 15 », dans Proceedings of the Cambridge Philological Society, n° 45, 1999, p. 109-135 ; L. Fulkerson, « The Heroides: Female Elegy? », dans A Companion to Ovid, P. E. Knox (éd.), Chichester, Wiley-Blackwell, 2009, p. 78-89 ; T. S. Thorsen, Ovid’s Early Poetry. From his Single Heroides to his Remedia Amoris, Cambridge, 2014.

19 Cf. J. Dangel, « L’hexamètre latin : une stylistique des styles métriques », dans Florentia iliberritana, n°10, 1999, p. 63-94. Pour une étude de ces paradoxes rythmiques dans les Tristes et les Pontiques d’Ovide, se reporter à E. Tola, La métamorphose poétique dans les Tristes et les Pontiques d’Ovide. Le poème inépuisable, Paris-Louvain- Dudley, Ma., 2004.

20  Au sujet de l’Héroïde IV, S. Casali, « Strategies of Tension (Ovid, Heroides 4) », Proceedings of the Cambridge Philological Society, n° 41, 1995, p. 1-15, montre les tensions entre le code élégiaque et les filiations génériques des héroïnes du recueil.

21 Voir J. Dangel, « Réécriture topique en réception polyphonique : Sapho lyrique revisitée par Ovide élégiaque (Héroïde XV) », dans Latomus, n° 67, 2008, p. 114-129. Intéressante à ce sujet est la dernière lettre des Héroïdes (Cydippe à Acontius), qui laisse transparaître une invitation à lire dans l’épigramme une origine de l’élégie érotique romaine.

22 Dans la strophe grecque, un troisième hendécasyllabe plus long que les deux précédents clôt l’ensemble strophique. Voir J. Dangel, « Sénèque, poeta fabricator : lyrique chorale et évidence tragique », dans Le poète architecte. Arts métriques et Art poétique latins, J. Dangel (éd.), Louvain-Paris, 2001, p. 222-227.

23 Pour le texte latin et les traductions de l’Héroïde XV, nous utilisons principalement l’édition d’H. Bornecque et al., op. cit. Cependant, en raison de la complexité de l’histoire du texte (notamment de l’épître XV), nous indiquerons les cas où nous nous en éloignons.

24  Pour le deuxième hémistiche de ce vers problématique (T. S. Thorsen, op. cit., 2006, p. 229-230, notamment n. 574), nous préférons la lectio du manuscrit F, contra elegia chez H. Bornecque, op. cit., et P. Knox, op. cit., 1995, et elegiae chez A. Palmer, P. Ouidi Nasonis Heroides, Oxford, 1898. Le choix du terme elegi répond à une désignation habituelle du genre élégiaque (OLD s.v.) avec l’adjonction de quoque, comme le précise F. Bessone, op. cit., p. 216, n. 24. Bessone souligne la « struttura sillogistica » du vers à la lumière du rapport forme-contenu chez Ovide dans Tr. V, 1, 5 (flebilis UT noster status est, ITA flebile carmen).

25 Voir aussi Her. XV, 155 et 217.

26 Pour un decet générique similaire dans l’écriture ovidienne de l’exil, voir Tr. I, 1, 3 ; I, 7, 3 ; III, 1, 10 ; III, 13 (14), 22 ; V, 1, 6 ; 48.

27 La référence à un breue opus (4) pourrait désigner en périphrase le distique. C’est ainsi que définissent un poema Lucilius (Sat. IX, fragment 3 Charpin) et Varron (Men., fr. 398 Büch. = Non., 428,19), à partir d’un distique qui inclut la lettre (epistula) et l’épigramme (epigrammation poema), forme qu’a pratiquée la Sapho historique (J. Dangel, op. cit., 2007, p. 33, spéc. n. 39).

28  Quant au mot barbiton compris comme « the lyre, a Greek word, feminine only here in Latin », voir P. Knox, op. cit., p. 280. Le rapport avec la poétesse grecque est d’autant plus fort que ce vers reprend un vers de la Sapho historique (fr. 150 V). Pour une interprétation programmatique à la lumière du rapport entre l’élégie et la plainte, voir F. Bessone, op. cit., p. 216-217. Quant à la corrélation Sapho-Ovide à travers des proclamations méta-poétiques, voir Tr. V, 1, 5 ; 48.

29 Quant au motif insistant des pleurs dans les élégies d’exil, voir Ov. Tr. I, 1, 122 ; I, 3, 17 ; I, 3, 71 ; III, 2, 19 ; III, 11 (12) 37 ; IV, 3, 37 (bis) ; IV, 10, 79 ; Pont. I, 4, 53 ; I, 9, 17 (voir E. Tola, op. cit., p. 85-128).

30 Voir J. Dangel, op. cit., 2008. Comme le précise l’auteur, cette forme Sapphus au nominatif est unique dans l’Héroïde, où prévaut le nom Sappho (155 ; 183 ; 217).

31 Voir Ov. Ars III, 331.

32 Her. XV, 11 (Arua Phaon celebrat diuersa Typhoïdos Aetnae « Phaon habite les campagnes lointaines de l’Etna Typhiéen ») ; Her. XV, 203 (Abstulit omne Phaon quod uobis ante placebat, « Phaon a tout emporté de ce qui naguère vous charmait »).

33 La présence de Sapho dans la comédie est attestée, du moins, dans six pièces d’Amipsias (s. V-IV a. C. ; PCG II 15) et dans les textes d’Antiphane (s. IV a. C. ; PCG II 194-5), d’Amphide (s. IV a. C. ; PCG II 31), d’Ephippe (s. IV a. C. ; PCG V 20), de Timocles (s. IV a. C. ; PCG VII 32) et Diphile (s. IV-III a. C. ; PCG V 70-1). Le nom de la poétesse en était le titre. Il y a d’autres comédies apparentées à Sapho dont nous avons notice : deux pièces ayant pour titre Phaon, une pièce du comique Platon (s. V-IV a. C. ; PCG VII 188-98), un texte d’Antiphane (PCG II 213), cinq pièces d’Antiphane sous le nom de Leucadia (PCG II 139-40), une comédie d’Amphides (PCG II 26), d’Alexis (s. IV-III a. C. ; PCG II 135-7), de Diphile (PCG V 52) et de Ménandre (s. IV-III a. C. ; fr. 258 Thierfelder et Körte).

34 Her. XV, 85-86 (Quid mirum si me primae lanuginis aetas /  Abstulit, atque anni quos uir amare potest ?).

35 Celui du frater à Sapho (119-120) et celui de la nymphe à Sapho (163-172).

36 F. Dupont, « Recitatio and the Reorganization of the Space of Public Discourse », dans The Roman Cultural Revolution, Thomas Habinek-Alessandro Schiesaro (éds.), Cambridge, 1997, p. 45 ; F. Dupont, L’acteur-roi. Le théâtre dans la Rome antique, 2003, p. 399 ; David Konstan, « Friendship and Patronage », dans Stephen Harrison (éd.), A Companion to Latin Literature, Oxford, 2007, p. 355.

37 J. C. McKeown, Ovid : Amores I : Text and Prolegomena, Liverpool, 1987, p. 68.

38 Voir E. Bérchez Castaño, « Ovidio lector de Ovidio », dans Revista de Estudios Latinos, n° 9, 2009, p. 112. Ovide signale à plusieurs reprises que ses ouvrages étaient représentés au théâtre (Ars III, 345-346 ; Tr. V, 7, 25-30 : Carmina quod pleno saltari nostra theatro, / uersibus et plaudi // scribis, amice, meis). Les contradictions du poète à cet égard (voir Tr. II, 553) relèvent de la poétique propre aux textes ovidiens de l’exil (E. Tola, « Distant Mores, distant mores : Persuading the Reader from the Margins in Tristia 2 », Arethusa 53, 2021, p. 175-190).

39 Pour le texte latin des Tristes et ses traductions, nous suivons l’édition de J. André, Ovide, Tristes, CUF, 1987, sauf indication contraire.

40 OLD s.v. 1 : « to dance » ; 2b « to represent (songs, stories, etc.) by dancing (Ov. Tr. 2, 519) ». F. Dupont, op. cit., 2003, p. 9 (« saltatio désigne la danse mimétique des acteurs romains »). Voir aussi p. 126-127. À ce sujet, voir Suet. Vie de Virgile 26 ; Tac. Dial. 13. Sénèque le rhéteur (Con. IV, préf. 2) signale que la pratique des lectures publiques est apparue en même temps que la pantomime.

41  À ce sujet, voir J. -P. Aygon, « Les apartés dans le théâtre de Sénèque : mode de sélection et corpus », dans L’aparté dans le théâtre antique, P. Paré-Rey (dir.), Presses Universitaires de Vincennes, 2014, p. 103-127 ; P. Paré Rey, « Dramaturgie de l’aparté dans les tragédies de Sénèque », ibid., p. 129-148.

42 Le sens du terme auctor comme modèle, voire exemple (OLD s.v. 4) fait glisser le discours du personnage vers une réflexion esthétique.

43 Voir Démétrios, Sur le Style 132 (variété) ; 141 (répétition) ; Quintilien, Institution oratoire IX, 4, 50 ; 166 ; Pseudo-Longin, Du Sublime X, 1. Au sujet de la strophe saphique, voir L. Morgan, Musa pedestris. Metre and Meaning in Roman Verse, Oxford, 2011, p. 201-212.

44 S’y ajoute une accumulation de fragmentations et redistributions phoniques des mots tout au long du passage.

45 Met. I, 313-415. Suite au châtiment qu’impose Jupiter aux hommes à cause de l’impietas de Lycaon, seuls Deucalion et Pyrrha sont épargnés par leur pietas. Après avoir consulté l’oracle de Thémis, ils lancent des pierres en arrière, dont surgit une nouvelle lignée d’hommes et femmes.

46 G. Rosati, op. cit., 1989, p. 202, n. 30 : « Il primo collegamento col nome di Saffo è documentato nel poeta comico Menandro ». Quant à la tradition alexandrine, voir aussi Ramírez de Verger, op. cit., p. 211.

47 G. Rosati, ibid., p. 292, n. 30 : « Si suppone che la notizia di un rapporto fra Deucalione e la rupe di Leucade abbia avuto origine da un collegamento ‘etimologico’ (operato da poeti o mitografi alessandrini) fra i due nomi (sotto la forma di Leucarione) ».

48 Traduction personnelle. La suite est la traduction de la CUF. Voir supra, note 23.

49 Même procédé dans Her. XV, 40 (Nulla futura tua est, nulla futura tua est). Voir J. Dangel, op. cit., 2008. D’autres reprises symétriques dans Her. XV, 105 (Non mandata dedi ; neque enim mandata dedissem) ; 184 (Conuenit illa mihi, conuenit illa tibi) ; 209 (Qui mea uerba ferunt, uellem tua uela referrent).

50  Y contribue l’insistance sur le regard tout au long de l’épître : Her. XV, 2 (oculis… tuis) ; 18 (oculis… meis) ; 22 (oculis … meis) ; 111 (oculis) ; 118 (oculos… meos) ; 141 (oculi ) ; 162 (ante oculos… meos) ; 174 (oculi… mei).

51 Pour ce type de vers (- ― - UU ― || - UU ― U -), voir J. Dangel, op. cit., 2001, p. 229-230. Quant à ses visées subjectives, voire intimistes, se reporter à J. Veremans, « L’asclépiade mineur chez Horace, Sénèque, Terentianus Maurus, Prudence, Martianus Cappella et Luxorius », dans Latomus, n° 35, 1976, p. 12-42.

52 OLD s.v.

Pour citer ce document

Par Eleonora Tola, «Stylistique d’une réception polyphonique dans l’Héroïde XV d’Ovide : narrataires, lecteurs et public », Cahiers FoReLLIS - Formes et Représentations en Linguistique, Littérature et dans les arts de l'Image et de la Scène [En ligne], Revue électronique, Réceptions plurielles des Héroïdes d’Ovide, mis à jour le : 16/02/2022, URL : https://cahiersforell.edel.univ-poitiers.fr:443/cahiersforell/index.php?id=953.

Quelques mots à propos de :  Eleonora Tola

Docteur en Études Latines de l’Université de Paris – Sorbonne
Eleonora Tola est chercheuse au CONICET d’Argentine et professeur de latin à l’Universidad Nacional de Córdoba du même pays. Depuis 2019 elle est Membre associé du CELIS (Université Clermont Auvergne). Elle est l’auteur de trois livres et de nombreuses publications scientifiques internationales. Ses domaines de recherche portent notamment sur des aspects sociopoétiques de la littérature latine augustéenne, néronienne et flavienne

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