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D’autres Héroïdes : les Epistulae heroides de Mark-Alexander Boyd (1592)
Par Sylvie Laigneau-Fontaine
Publication en ligne le 07 février 2022
Résumé
The Scotsman Mark Alexander Boyd proposes, in his 1592 collection, "other heroids", in which he gives voice to more diverse women than Ovid did. The article focuses on four epistles written in a Roman context (letters from Rhea Silvia to Mars, from Lavinia to Turnus, from Sophonisbe to Massinissa and from Pauline to Mundus), analyzes the modalities of Ovid's imitation, while underlining some original elements on Boyd's part.
L’Écossais Mark Alexander Boyd propose, dans son recueil de 1592, « d’autres héroïdes », dans lesquelles il donne la parole à des femmes plus diverses que ne le faisait Ovide. L’article s’intéresse à quatre épîtres écrites dans un contexte romain (lettres de Rhéa Silvia à Mars, de Lavinia à Turnus, de Sophonisbé à Massinissa et de Pauline à Mundus), analyse les modalités d’imitation d’Ovide mises en place, tout en soulignant certains éléments originaux de la part de Boyd.
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D’autres Héroïdes : les Epistulae heroides de Mark-Alexander Boyd (1592) (version PDF) (application/pdf – 993k)
Texte intégral
1Comme l’indiquait en 1981 Henri Lamarque dans un article portant sur « l’édition des œuvres d’Ovide dans la Renaissance française », si les Métamorphoses étaient, dans le premier tiers du XVIe siècle, l’œuvre de ce poète la plus lue et la plus appréciée, « la tendance s’est inversée ensuite au profit des Héroïdes »1 ; celles-ci connaissent alors, en effet, « un grand succès littéraire et éditorial »2. Très vite, après l’editio princeps qui paraît à Milan en 14783, les éditions se multiplient dans toute l’Europe, suivies d’éditions commentées4 et de traductions en vernaculaire. En France, dans les années 1490, le jeune évêque d’Angoulême, Octovien de Saint-Gelais, propose une traduction en décasyllabes à rimes plates, d’abord manuscrite – nous avons conservé quatorze manuscrits « souvent somptueux et richement enluminés »5 –, puis imprimée à Paris en 1499 et très souvent rééditée6 ; en 1552, puis en 1556, Charles Fontaine à son tour fait paraître une traduction des Héroïdes7, dans laquelle, dit Marie Molins, « il assume un travail d’éditeur et de traducteur humaniste parfaitement rigoureux »8 ; à cela s’ajoutent bien entendu les traductions partielles, telle celle de la septième Héroïde que Du Bellay insère à la suite de sa traduction du quatrième livre de l’Énéide 9. Mais le succès des épîtres ovidiennes est également attesté par les nombreuses imitations qu’elles suscitent, selon deux modalités. La première consiste à écrire d’autres héroïdes, en donnant la parole à des héroïnes ne figurant pas dans le recueil ovidien, et parfois très différentes d’elles, ce qui prouve la plasticité du genre : ainsi, entre autres exemples, on peut citer le poète italien installé à la Cour de France Fausto Andrelini, qui rédige une epistola dans laquelle la reine Anne de Bretagne se plaint de la longue absence de son époux, le roi Louis XII retenu à la guerre10, ou encore François Habert, qui fait pour sa part paraître des héroïdes chrétiennes, rédigées par des saintes qui chantent non plus la passion amoureuse mais l’amour divin11. La seconde modalité d’imitation consiste dans des réponses aux lettres figurant dans les Héroïdes antiques. En 1477, dans une édition des Opera d’Ovide parue à Parme, figuraient pour la première fois quelques réponses écrites par un certain A. Sabinus, dont on ne sait toujours pas exactement s’il s’agit du Sabinus qu’évoque Ovide dans l’élégie II, 18 des Amours12 ou plutôt du poète italien Angelus Sabinus (Angelo Sani di Cure)13. Divers humanistes s’engagèrent alors dans cette voie et, en France, l’exemple le plus réussi de ce type de continuation est l’ouvrage de Michel d’Amboise, Les Contrepistres14, dans lesquelles l’auteur a la volonté « de consoler les épistolières, de leur rendre leur dignité »15.
2Mark Alexander Boyd, l’auteur que je souhaite brièvement présenter ici, s’est illustré dans ces deux modalités d’imitation. Né en 1562 dans une noble famille écossaise, Boyd fait ses études à l’université de Glasgow, dont son oncle était archevêque. Étudiant brillant mais semble-t-il agité, il quitte l’Écosse pour des raisons encore assez obscures et arrive en France en 158116, où il mène, selon l’expression de Paul White, « une vie d’étudiant et de soldat de fortune (soldier of fortune) »17, comme le plus célèbre Michel Marulle18 : il fréquente en effet successivement les universités de Paris, d’Orléans et de Bourges (où il suit les cours de droit de Jacques Cujas) puis, chassé de Bourges par la peste, se réfugie à Lyon et passe de là en Italie ; quelques années plus tard, en 1587, il revient à Lyon et s’engage alors dans les armées d’Henri III, en lutte contre Henri de Navarre puis, blessé, se retire à Toulouse où il reprend ses études de droit ; pris dans une émeute qui suit l’assassinat du duc de Guise (décembre 1588), il est emprisonné quelque temps, s’installe ensuite à Bordeaux puis à La Rochelle, avant de s’enrôler de nouveau comme soldat dans les guerres de religion entre Henri IV et la Ligue. En 1595, il retourne finalement en Écosse, où il meurt en 1601, dans le château paternel de Penkill19.
3Parmi d’autres œuvres en latin et une en vernaculaire20, Boyd est, pour ce qui nous intéresse ici, l’auteur de deux ouvrages : Marci Alexandri Scoti Epistolae quindecim, quibus totidem Ovidii respondet. Accedunt et eiusdem Elegiae, Epigrammata illustriumque mulierum Elogia, Bordeaux, Simon Millanges, 1590 et M. Alexandri Bodii epistolae heroides et hymni. Addita est ejusdem literularum prima curia ; curieusement, le lieu d’édition qui figure sur ce dernier ouvrage, est fautif : loin d’avoir été imprimées à Anvers comme indiqué, les Epistolae l’ont été à La Rochelle, chez Jérôme Haultin – comme en témoignent les caractères utilisés et la marque d’imprimeur21 –, en 1592 (une époque où, de fait, Boyd se trouvait en Aquitaine)22. Une cinquantaine d’années plus tard, ce dernier recueil est republié par Arthur Johnston dans ses Delitiae poetarum Scotorum huius aevi illustrium avec quelques modifications23.
4Les Epistolae quindecim ont été analysées par Paul White, dans un chapitre de son ouvrage Renaissance Postscripts. Responding to Ovid’s Heroides in Sixteenth-Century France24 ; il montre en particulier comment le texte de Boyd oscille sans cesse « entre une conformité et une résistance à la dynamique poétique ovidienne » et affirme que le poète écossais privilégie « la représentation sérieuse et réaliste des émotions et de la psychopathologie de l'amour » sur « la réduction ludique et parodique du récit mythologique » à la manière ovidienne25. Les Epistolae heroides ont quant à elles fait l’objet d’une assez récente édition partielle : Carolin Ritter a traduit et commenté quatre des quinze lettres qui constituent le recueil : celles d’Atalante à Méléagre, d’Eurydice à Orphée, de Philomèle à Térée et de Vénus à Adonis26 ; à cela s’ajoute la communication qu’elle a prononcée au congrès de l’International Association of Neo-Latin Studies (IANLS) en août 2018 à propos de la lettre de Julie à Auguste27, malheureusement non publiée dans les actes du congrès.
5Il reste donc des épîtres à examiner, et c’est ce que je me propose de faire ici. Les pièces traitées par Carolin Ritter montrent déjà l’originalité de Boyd : au lieu que ses épistolières soient des héroïnes de la mythologie grecque (Sapho de la quinzième Héroïde mise à part), il n’hésite pas à faire écrire des divinités (Vénus) ou des femmes réelles (Julie). Afin d’avoir un corpus cohérent et néanmoins varié, je me concentrerai sur quatre lettres, toutes écrites dans un contexte romain. L’héroïde 3 est une lettre de Rhéa Silvia à Mars, dans laquelle la jeune femme évoque sa grossesse, explique comment elle a dû de ce fait se tenir éloignée des autres vestales et comment, à sa sœur inquiète, elle a fini par avouer le viol dont elle a été victime, puis demande à Mars de protéger d’Amulius elle-même et ses enfants. L’héroïde 8 est la lettre de Lavinia à Turnus, dans laquelle la fille de Latinus, très amoureuse de Turnus, redoute le combat singulier que celui-ci doit livrer contre Énée et cherche à le détourner de cette idée funeste. L’héroïde 10 est une lettre de Sophonisbé à Massinissa : la Carthaginoise y fustige la faiblesse de Syphax comme de Massinissa et donne aux hommes une leçon d’honneur en préférant la gloire à la vie. L’héroïde 11, enfin, est une lettre de Pauline à Mundus : dans cette anecdote assez peu connue, Mundus, un citoyen romain qui désire en vain les faveurs de la pure matrone Pauline, s’entend avec un prêtre d’Osiris, qui fait croire à la jeune femme qu’elle a été choisie pour recevoir les faveurs du dieu ; le jour dit, Pauline se rend au temple et, à la faveur de la nuit, est violée par Mundus ; la chose découverte, celui-ci est condamné à l’exil et le prêtre exécuté ; chez Boyd, Pauline écrit à Mundus qui est sur le chemin de l’exil pour lui faire des reproches et affirmer sa propre dignité.
6Les sources de Boyd sont donc variées, loin d’être cantonnées à un corpus mythologique, et elles empruntent à l’Antiquité comme à d’autres époques : la lettre de Rhéa à Mars est une amplificatio de Tite-Live, I, 3-4 et une réécriture des Fastes d’Ovide (III, 11-54). Celle de Lavinia à Turnus trouve sa source dans les rares vers que l’Énéide consacre à la fille de Latinus : au chant XII, Amata encourage Turnus à combattre et, dit Virgile : « À ces paroles de sa mère, Lavinia inonda de larmes ses joues brûlantes »28 ; Boyd suggère que l’explication de ces larmes est à trouver dans l’amour qu’elle porte au Rutule – il est probable aussi que l’auteur s’amuse à prendre le contre-pied du Roman d’Énéas, qui traitait sur le mode courtois les amours de Lavinia et Énée. L’épître de Sophonisbé à Massinissa s’inspire de Tite-Live (XXX, 12-15), mais aussi de Pétrarque (Africa, chant V). Enfin, l’anecdote mettant en scène Pauline et Mundus figure dans les Antiquités judaïques de Flavius Josèphe (XVIII, 66-80) – que Boyd l’ait lu en grec ou dans une traduction latine29.
7Le contenu des Epistulae heroides de Boyd est également plus varié que celui des Héroïdes d’Ovide : si la lettre de Lavinia à Turnus est celle d’une amante éplorée qui craint pour la vie de l’homme qu’elle aime, celle de Pauline à Mundus est rédigée par une femme ulcérée d’avoir été abusée et qui exprime de vives récriminations. Rhéa Silvia, quant à elle, écrit au dieu qui l’a violée car elle craint pour sa vie et celle de ses enfants : en ce sens, la situation est proche de celle de l’Héroïde 11 (Canacé à Macarée), mais il n’est nullement question d’amour entre l’épistolière et le destinataire. Enfin, la lettre de Sophonisbé est la plus originale, car dépourvue de toute donnée érotique : l’héroïne n’est pas une amante mais une reine, qui n’a que mépris pour Syphax (qui a préféré se rendre plutôt que de « mourir par une épée libyenne »30) et pour Massinissa (qui, entièrement soumis aux Romains, n’a aucun souci de sa réputation31) ; elle, au contraire, a les yeux fixés sur sa gloire et sa volonté de se montrer digne de son ascendance prestigieuse :
Sic decet, ut memini, Carthaginiensis Elisae
me genus et terrae semina Sidoniae (v. 9-10).
C’est ce qui me convient, je le sais, à moi qui suis de la race
de la Carthaginoise Élissa et un rejeton de la terre de Sidon32.
8Elle ne meurt pas d’amour, mais boit le poison par souci de sa dignité, afin d’échapper au déshonneur de la captivité :
Nec me captiuam Tyriis inimica Quirini
Roma per indignas ludet inulta uias (v. 11-12).
Non, la Rome de Quirinus, ennemie des Tyriens, ne fera pas de moi
une captive dont elle se jouera impunément et de façon indigne.
9Loin d’être une femme perdue et éplorée, Sophonisbé est une véritable héroïne dont la mort correspond aux critères de la « belle mort » et illustre à la perfection le mot de Sénèque : « qui a appris à mourir a désappris à servir »33. Telle semble d’ailleurs être la conception que l’on avait du personnage en France à cette époque : Pierre Van Rutten a par exemple bien montré que, dans sa traduction de la Sophonisbe de l’Italien Trissino (Le Trissin, 1515), Melin de Saint-Gelais (Sophonisbé, 1554) supprime divers passages qui vantaient la beauté de la jeune femme – conformément à sa description dans l’Africa de Pétrarque – « pour accorder plus de relief à la valeur morale de l’héroïne »34.
10Pour autant, malgré cette pièce originale et cette palette de situations diverses, les Epistulae heroides de Boyd constituent une imitatio réussie de l’œuvre du poète de Sulmone. Comme les Héroïdes, ses lettres sont lyriques et pathétiques, avec une forte présence des modalités affectives, exclamatives et interrogatives : « Ah douleur ! s’écrie Rhéa Silvia, les divinités se détournent à la vue de mon accouchement »35 ; « Ah, dit Sophonisbé à Masinissa trop soumis aux ordres des Romains, que t’ont fait les Tyriens ? / pourquoi, malheureux, souhaites-tu la destruction de l’antique Sidon ? »36 ; « Hélas !, se désole Pauline, j’ai été trompée par le caractère sacré du temple »37. Rhéa Silvia mentionne les touchantes prières que lui a adressées sa sœur, les larmes que celle-ci a versées et les questions angoissées qu’elle lui a posées38 ; Lavinia supplie Turnus « par [s]es larmes, par [s]on sein misérable, par le poids de [s]a virginité » de renoncer à combattre39. Sophonisbé elle-même implore Massinissa, « par les dieux de la terre de Libye, / d’épargner [s]on peuple » et de ne pas le soumettre aux Romains40. De plus, comme dans les Héroïdes, une part non négligeable du pathétique vient de l’ironie dramatique : de même en effet que l’on sait d’avance que les recommandations de Laodamie à Protésilas sont vaines puisque son époux est mort dès sa descente du navire sur la plage de Troie, de même tout lecteur de l’Énéide sait que Turnus combattra Énée et trouvera la mort, et reconnaît donc tout autant la vanité des supplications de Lavinia :
Parce tibi, mihi parce tuae, miserere tuorum,
Impia de cerebro praelia pelle tuo ! (v. 23-24)
Épargne-toi, épargne-moi, moi qui suis tienne, prends pitié des tiens,
chasse de ta tête l’idée de ce combat impie !
11Le chiasme qui rapproche les deux pronoms personnels et le possessif tuae soulignent l’amour voué à l’échec de Lavinia ; l’impératif miserere et l’anaphore de parce résonnent douloureusement pour qui sait qu’à la fin du chant XII de l’Enéide, Énée refusera précisément d’« épargner » Turnus, qui l’aura pourtant supplié par ces mots : Dauni miserere senectae (v. 934). Boyd joue ainsi habilement avec le texte de Virgile pour susciter l’émotion.
12Lavinia est la seule femme amoureuse de mon corpus et c’est donc essentiellement dans sa bouche que l’auteur place des motifs tirés de l’élégie érotique : comme les élégiaques, elle appelle Turnus mea lux (v. 27 et 93), évoque le « feu impatient » dont il « brûle » pour elle41 et affirme :
Fida comes tecum gradiar per saxa, per undas,
haerebo lateri laeta puella tuo (v. 95-96).
Avec toi, en fidèle compagne, j’irai à travers les rochers, j’irai à travers les ondes,
toujours présente à tes côtés et je serai une femme heureuse.
13On reconnaît là une forme inversée du seruitium amoris, dans laquelle c’est la femme qui se dit prête à braver, pour l’homme, les éléments naturels les plus hostiles42.
14Boyd emprunte à Ovide deux autres traits de langue caractéristiques : le premier consiste en des comparaisons tirées du monde animal, tout particulièrement fréquentes dans l’Art d’aimer. Ainsi, pour indiquer à quel point elle a été trompée, Pauline se compare aux cerfs attirés dans les filets par des artifices, aux chevaux auxquels on passe par ruse le mors, aux oiseaux pris au piège, aux poissons arrachés à leurs eaux43, comparaisons qui reprennent les motifs topiques de la chasse et de la pêche qui, au début de l’Art d’aimer, métaphorisent la conquête amoureuse. Le second trait est le goût d’Ovide pour les sententiae. Déplorant le sort des femmes, Pauline s’exclame :
Quaeque suam patitur sortem, cui candida uitae
omnia fluxerunt tempora nulla fuit (v. 19-20).
Chacune supporte son sort et nulle ne connaît
une vie qui n’a que des moments faciles.
15Pour mettre en garde Turnus qui s’apprête à attaquer un ennemi protégé par les dieux, Lavinia de son côté affirme :
Quem fortuna colit, mea lux, procul ille periclo
militat et dextro numine tela capit.
Quem fortuna fugit, sub praelia terror eunti
huic comes ac animo frangitur ipse suo (v. 27-30)
Celui qu’honore la Fortune, ma lumière, c’est en toute sécurité
qu’il se bat et il est protégé par la divinité quand il prend ses armes.
Celui que fuit la Fortune, la terreur est sa compagne quand il marche
au combat et il est brisé par son propre courage.
16Comme son illustre prédécesseur, Boyd exhibe ici son aisance verbale et vise à produire ce qu’Hélène Vial a appelé une « poésie-déclamation »44.
17On a d’autre part souvent montré que les héroïnes des Héroïdes sont, par rapport à leur personnage du texte source, moins naïves45 : c’est en particulier le cas de la Didon ovidienne qui, avec le recul du temps, analyse mieux que la Didon virgilienne l’épisode de la grotte. On connaît les vers célèbres : Audieram uocem ; nymphas ululasse putaui ; / Eumenides fatis signa dedere meis46. Comme elle, Pauline fustige la naïveté avec laquelle elle a fait confiance au prêtre d’Osiris :
Improba simplicitas et mens nimis inscia ficti !
hac merui sola credulitate mori (v. 75-76).
Naïveté stupide, esprit incapable de concevoir le mensonge !
c’est du fait de ma seule crédulité que j’ai mérité de mourir.
18Cette simplicitas de Pauline rappelle les paroles de la Médée des Héroïdes, qui comprend que les paroles de Jason l’ont trop facilement émue :
Haec animum (et quota pars haec sunt ?) mouere puellae
simplicis,
19ou encore celles de Phyllis, qui fait à Démophon d’amers reproches :
Fallere credentem non est operosa puellam
gloria. Simplicitas digna fauore fuit47.
20Désormais averties de leur triste destinée, les héroïnes de Boyd comme celles d’Ovide formulent des souhaits impossibles et voudraient voir le passé transformé. Pauline regrette ainsi que la religion isiaque se soit implantée à Rome et qu’Isis et Sérapis, avant d’y venir, ne se soient pas noyés « dans le gouffre du Nil fécond »48. Tout comme Médée, chez Ovide, déplorait que l’ingrat Jason n’ait pas péri sous « la flamme qu’exhalaient les taureaux et leur mufle recourbé »49, Lavinia voudrait que la « perfide poupe troyenne », après avoir quitté la ville de Carthage, ait été « emportée par un tourbillon » et se soit « fracassée sur un rocher dans les eaux de l’Hespérie »50. Par un jeu précieux, Lavinia ne rappelle pas ici la Didon tendre des Héroïdes mais celle, plus farouche, de l’Énéide qui, à la fin du chant IV, regrettait de n’avoir pu « saisir, déchirer [le] corps [d’Énée], et en semer les débris dans les flots »51. Du reste lorsque, mettant Turnus en garde contre la protection des dieux dont jouit Énée, elle lui dit :
Sique mori potuit, miserae post funus Elisae,
ut fugit Tyrias miles et erro manus ? (v. 69-70)
S’il pouvait mourir, comment, après le trépas de la malheureuse Elissa,
a-t-il pu échapper, lui un soldat vagabond, aux troupes tyriennes ?,
21Boyd renvoie encore à l’Énéide, dans laquelle Didon s’exclamait : « Et l’on ne sortira pas les armes ? on ne le poursuivra pas de toute la ville ? et d’autres n’arracheront pas les navires des arsenaux ? Allez, volez, la flamme à la main ; déployez les voiles, fatiguez les rames ! »52. Boyd imagine que les Carthaginois ont obéi à ces ordres ulcérés de Didon et que les Troyens ont effectivement été pourchassés, mais en vain. En revanche, c’est bien aux Héroïdes et non à l’Énéide qu’il emprunte l’image noire d’un Énée perfide, qu’il pousse à l’extrême : chez Ovide, Didon suggérait que le Troyen avait volontairement abandonné sa première épouse dans les flammes de Troie53 ; chez l’Écossais, il apparaît comme un véritable traitre :
Vlla fides olli Danais qui prodidit auro
Pergamon et patrios uendidit aere deos ? (v. 79-80)
Quelle peut être la bonne foi d’un homme qui a vendu Pergame aux Danaens
pour de l’or et a trahi pour de l’argent les dieux de sa patrie ?
22Boyd entrelace ainsi source ovidienne et source virgilienne pour créer une Lavinia à mi-chemin entre les deux Didon, en une hybridité à la fois ludique et cultivée.
23On a dit aussi que, dans les Héroïdes, le réalisme était souvent absent et la fiction épistolaire souvent exhibée comme pure fiction, en particulier dans le cas d’Ariane, qui écrit alors qu’elle se trouve abandonnée sur une île déserte – même si Jean-Christophe Jolivet a montré qu’un passage de Plutarque pouvait permettre de justifier logiquement qu’elle écrive une lettre54. Dans la lettre de Rhéa Silvia à Mars, Boyd semble pareillement faire assez peu de cas de la pure logique épistolaire. Comme Canacé décrivait à son frère Macarée la réaction qu’il avait lui-même eue lorsqu’elle s’était trouvée au bord de la mort durant son accouchement55, Rhéa rapporte longuement à Mars les paroles par lesquelles elle a expliqué à sa sœur56 les circonstances de son viol – circonstances que, par définition, le dieu connaît fort bien. Le passage est en fait pour Boyd l’occasion de se livrer à une belle retractatio du récit ovidien des Fastes. Le locus amoenus dans lequel se déroule la scène est brossé par les deux poètes à grands traits : Ovide évoque les saules ombreux (umbrosae salices), les oiseaux qui gazouillent (uolucres canorae), le doux murmure d’un ruisseau (leue murmur aquae)57 ; Boyd ouvre ainsi l’aveu de Rhéa Silvia à sa sœur Lupina :
Ver erat et foliis nodosa uirebat arundo
et maduit tenui rore reuecta dies (v. 41-42).
C’était le printemps, le roseau noueux se couvrait de feuilles vertes
et le jour revenu était humide de douce rosée.
24Chez les deux poètes, la jeune vestale est chargée d’aller nettoyer dans le cours d’eau les objets du culte58 ; elle s’endort tout à coup et arrive alors le dieu, qui s’empare d’elle. Ce moment est décrit par Ovide en deux vers seulement, qui jouent sur les présents de narration et les polyptotes pour souligner la toute-puissance du dieu59. Boyd insiste plus longuement sur l’érotisme de la scène :
Protinus aduertit Deus ensifer inque supinam
irruit et teneras comprimit ille manus.
Tendit et interius Nymphaeque cohaeret inerti.
Sic abiit pulcher uirginitatis honor (Rhéa à Mars, v. 49-52)
Soudain le dieu porteur d’épée m’aperçoit, il fond sur moi
qui étais allongée et enserre mes tendres bras.
Il se tend60 et pénètre la jeune fille inerte.
C’est ainsi que s’en est allé le bel honneur de ma virginité.
25C’est à l’héroïde 9 que Boyd emprunte cet emploi de nympha au sens de jeune fille61, mais il exploite surtout le motif érotique particulièrement apprécié à la Renaissance de la « belle endormie » (on songe par exemple à la pièce II, 9 de Pontano, dans laquelle Pan viole une nymphe endormie)62. Chez Ovide, après le viol, Rhéa Silvia, qui ne s’est rendu compte de rien, se sent simplement « languissante » (languida, v. 5) et se souvient d’un rêve qu’elle a fait, celui de deux palmiers que son oncle cherchait à abattre. Boyd supprime ce rêve et préfère décrire les sensations ambigües de la jeune femme, avec une insistance frappante : après avoir ressenti, pendant son sommeil, une uoluptas / improba (v. 53-54), elle se réveille, « le haut de la cuisse glissant et enflé » sans savoir pourquoi63 et se met en route pour rentrer languidiore gradu (v. 56), tout en ressentant un sentiment de culpabilité64 ; une fois arrivée, elle se met au lit, « mourante » (moribunda), et « frappe d’une main timide ses entrailles blessées » (ferio uiscera laesa, v. 64) et sa cuisse (femur ferii, v. 65), comme pour effacer le crime65, mais sans succès, car le dieu se présente une seconde fois :
Adfuit heu ! iterum deus ensifer inque supinam
irruit, infelix utque peregit opus… (v. 71-72)
Il était là de nouveau, hélas, le dieu porteur d’épée il fond sur moi
qui étais allongée et, quand il a fini son malheureux office…
26Boyd souligne fortement la réitération de la scène par l’adverbe iterum et la répétition du syntagme inque supinam irruit, tandis que l’on reconnaît le terme opus employé par Ovide dans les Amours pour désigner l’acte sexuel (et alors qualifié de dulce)66. Mais il est difficile de déterminer le sens que l’Écossais attribue à cette scène ; Edward Paleit, dans un article de 2008, montre que les humanistes utilisent les Héroïdes d’Ovide comme un manuel de bonne conduite féminine en matière de sexualité, mais que Boyd a « une attitude envers le genre et la sexualité complexe et souvent difficile à analyser précisément »67 : cette scène est un bon exemple de ce genre de difficulté interprétative, dans la mesure où s’y succèdent des notations qui font de Rhéa Silvia une victime et d’autres qui semblent indiquer qu’elle a pris à la chose un certain plaisir.
27Après le viol, le récit des Fastes et la confession de l’épître diffèrent : Ovide (après l’évocation du rêve) mentionne la grossesse de la vestale puis son accouchement, au cours duquel l’autel de la déesse a tremblé68, et enchaîne sur la destinée des jumeaux fondateurs de Rome. Si Boyd reprend le détail de l’autel qui tremble d’horreur69, il se tourne plutôt ensuite vers la onzième Héroïde d’Ovide, à laquelle il avait déjà emprunté, avec variations, les vers 3 et 79 de sa lettre :
Rhéa Silvia à Mars, v. 3 : Heu tumet ingrato uiciatus pondere uenter.
Rhéa Silvia à Mars, v. 79 : Sic tumet ingrato uiciatus pondere uenter.
Héroïdes, XI, 39 : Jamque tumescebant uitiati pondera uentris70.
28Rhéa Silvia, comme Canacé, évoque en effet assez longuement les circonstances et les douleurs d’un accouchement scandaleux, mais il y a entre les deux récits une différence essentielle : alors que la sœur de Macarée lui écrit a posteriori, après la naissance de leur enfant, Boyd présente les choses avec assez d’ambiguïté pour que l’on puisse imaginer que la vestale accouche au moment même où elle rédige sa missive :
Haec dum memoro, desaeuit in ilia partus […]
Et uigor aethereas paulatim tentat in auras
masculus, et furti pignora nota tui.
Haec dum memoro, distenta per ilia partus
labitur. (v. 81-90)
Et pendant que je raconte cela, le fœtus s’agite dans mon flanc […]
Et, avec une mâle vigueur, il s’efforce de parvenir aux rives
de la lumière et de faire connaître la preuve de ton crime.
Et pendant que je raconte cela, à travers mes flancs distendus le fœtus
glisse.
29Tout dépend de la façon dont on comprend l’expression Haec dum memoro, ou plutôt du complément d’objet second sous-entendu qu’on lui attribue. Est-ce « pendant que je raconte cela (c’est-à-dire le viol) à ma sœur » ? en quel cas le récit est celui d’un fait passé et le présent, comme dans le cas de l’héroïde ovidienne, est un présent de narration et d’euidentia. Est-ce « pendant que je te raconte cela (c’est-à-dire l’aveu à sa sœur) » ? en quel cas, l’accouchement a lieu « en direct » et le présent est un vrai présent d’immédiateté. C’est de cette façon que le comprend Thomas Gärtner, qui voit dans la lettre de Rhéa Silvia à Mars un exemple de ce qu’il appelle les mimetische Briefe, c’est-à-dire les lettres pendant la rédaction desquelles se produit un événement qui impacte fortement ce dont la lettre est en train de parler71.
30C’est un motif qu’il estime particulièrement fréquent et important dans l’héroïde néo-latine, et il est donc surprenant qu’il n’évoque pas la lettre de Sophonisbé à Masinissa. A la fin de celle-ci, en effet, la Carthaginoise boit le poison et lance un ultime cri d’honneur :
Subsidunt lento morientia lumina somno,
hoc tantum fremitu debiliore cano :
Roma potest patriam, potest horrida Roma maritum
demere, sed uitae non mihi iura meae (v. 105-108).
Mes yeux mourants se ferment dans un lourd sommeil
et voici mes dernières paroles, dans un murmure affaibli :
Rome, l’infâme Rome, peut m’enlever ma patrie, m’enlever
mon mari, mais pas mes droits sur ma vie.
31Simone Viarre proposait de distinguer, dans les Héroïdes d’Ovide, les lettres dans lesquelles l’héroïne survivait et celles dans lesquelles sa mort était annoncée72 ; ici, Boyd pousse le motif à l’extrême et innove avec ce qui serait, au théâtre, une mort sur la scène.
32Ainsi, le lecteur qui parcourt les Epistulae heroides de Boyd reconnaît sans difficulté la couleur ovidienne que l’auteur a voulu leur donner. Dans la lettre dédicace des Epistolae heroides à Jacques VI d’Écosse, après avoir qualifié Ovide de priorum primus avec lequel aucun poète contemporain n’a jamais pu rivaliser, il précise :
Ego […] certe certamen cum poetarum plebe non inii, eoque animo demum copias eduxi ut de rei summa dimicarem ; quid perfeci, uideant posteri ! (éd. 1592, fol. A iij r°)
Pour ma part […], assurément, je n’ai pas lutté contre la plèbe des poètes et j’ai guidé mes troupes pour mener le combat suprême ; ce que j’ai réussi à faire, que la postérité le juge !
33Malgré la formule de modestie finale, Boyd paraît tout à fait satisfait de sa production. Laurel Fulkerson, à propos des Héroïdes, a montré il y a quelques années que les femmes y formaient une « communauté » se connaissant et se lisant les unes les autres73. Je ne sais si Boyd a perçu cette lecture féministe de l’œuvre de son prédécesseur, mais il prend grand soin de montrer que ses propres héroïnes participent de cette chaîne de sororité : non seulement, comme nous l’avons vu, Sophonisbé se réfère à plusieurs reprises à Didon mais, pour montrer à quel point les hommes sont cruels envers les femmes, Pauline s’exclame :
Sic doluit Dido, Rhodopaeia Phyllis, et ipsa
quam coluit caesis Lemnia terra uiris.
Tyndaris et pomo quam uicit Acontius, icta
tu, Diomedaeo, Callioneira, dolo (v. 23-25).
Ainsi ont souffert Didon, et Phyllis, la fille du Rhodope, et aussi
celle qu’honore la terre de Lemnos, après le meurtre des hommes,
et la Tyndaride, et celle, touchée par la pomme, qu’a vaincue Acontius,
et toi, Callioneira, victime de la ruse de Diomède.
34Pauline évoque, via leur rédactrice, diverses Héroïdes : la septième (Didon), la deuxième (Phyllis, la périphrase Rhodopeia Phyllis étant reprise du v. 1 d’Ovide), la sixième (« celle qu’honore la terre de Lemnos » est Hypsipyle, reine de cette île74), la dix-septième (la fille de Tyndare est Hélène) et la vingt-et-unième (Cydippe, vaincue par Acontius grâce à la ruse de la pomme). Mais Callioneira est l’autrice de la deuxième des Epistulae heroides de Boyd lui-même. L’une de ses héroïnes clôt donc la longue chaîne formée par celles du poète latin : c’est dire qu’elle ne s’en distingue pas, et que les lettres de Boyd sont, à son avis du moins, à la hauteur de celles d’Ovide.
Notes
1 H. Lamarque, « L’édition des œuvres d’Ovide dans la Renaissance française », dans Ovide en France dans la Renaissance, Cahiers de l’Europe Classique et Néo-Latine, H. Lamarque et A. Baïche éd., Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, 1981, p. 13-40 (p. 24).
2 P. Chiron, « Traduction et "conversion" des épîtres héroïdes d’Ovide à la Renaissance », Anabases, 17, 2013, p. 119-133 (p. 119)
3 P. Ovidii Nasonis Heroidum liber, Milan, J. de Marliano, 1478. Avant cette date, des éditions des Héroïdes (Epistolae) étaient parues dans les œuvres complètes du poète (dont l’editio princeps des Opera, Bologne, Baldassare Azzoguidi, 1471).
4 La plus célèbre est celle d’Antonio Volsco et Domizio Calderino, Epistolae Heroides Ovid[ii], cum commentariis Antonii Volsci et Ubertini, clerici crescentinatis. (Sapho et in Ibim cum expositionibus Domitii Calderini), Venise, J. Taurinus, 1481 et maintes fois rééditée.
5 M. Molins, « Les traductions d’Ovide et de Virgile (1515-1580). Une politique royale », dans La Représentation du « couple » Virgile-Ovide dans la tradition culturelle de l'Antiquité à nos jours, dir. S. Clément-Tarantino et Fl. Klein, Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 2015, p. 283-298 (p. 283) et http://books.openedition.org/septentrion/9043.
6 Épîtres d'Ovide traduites en français par Octovien de Saint Gelais, Paris A Vérard, 1499. Rééd. Paris, Jehan Trepperel 1505 ; Paris, Ph. Le Noir, 1511 ; Paris, veuve Jean Demourant, 1520 ; Paris, Ph. Le Noir, 1528 ; Paris, Du Pré Galliot et P. Vidoue, 1528 ; Paris, Bossozel 1534 ; Paris, Nicolas du Chemin, 1546 ; Lyon, J. de Tournes, 1556 ; Paris, H. de Marnef et G. Cavellat, 1571…
7 Les Epistres d'Ovide, nouvellement mises en vers Françoys par maistre Charles Fontaine Parisien …, Lyon, Jean Temporal et Eustace Barricat, 1552, puis Lyon, Jean de Tournes et Guillaume Gazeau, 1556.
8 M. Molins, Charles Fontaine traducteur. Le poète et ses mécènes à la Renaissance, Genève, Droz, 2011, p. 98.
9 Le quatriesme livre de l'Enéide de Vergile traduict en vers Françoys. La complaincte de Didon à Enée, prinse d'Ovide, Paris, s.n., 1552.
10 Epistola in qua Anna, gloriosissima Francorum regina, exhortatur maritum, potentissimum atque invictissimum Francorum regem Ludovicum duodecimum, ut expectatum in Galliam adventum maturet, postea quam de prostratis a se Venetis triumphavit (manuscrite, musée Condé à Chantilly). Voir H. Dörrie, Der heroische Brief. Bestandaufnahme,Geschichte, Kritik einer humanistisch-barocken Literaturgattung, Berlin, de Gruyter, 1968, qui admet pour cette lettre la date de 1509 (p. 445-446).
11 Epistres heroides, tressalutaires, pour servir d’exemple a toute ame fidele, Paris, Michel Fezandat, 1550, rééd. augmentée de dix épîtres, ibid., 1560. Sur la vogue des héroïdes chrétiennes, voir J. Eickmeyer, Der Jesuitische Heroidenbrief. Zur Christianisierung und Kontextualisierung einer antiken Gattung in der frühen Neuzeit, Berlin-Boston, de Gruyter, 2012. Pour d’autres exemples d’autres héroïdes, voir M. Molins, Charles Fontaine traducteur, op. cit., p. 108-109 : « Imitations d’héroïdes à la manière d’Ovide ».
12 Ovide, Am., II, 18, 27-30 : Quam cito de toto rediit meus orbe Sabinus / Scriptaque diuersis rettulit ipse locis ! / Candida Penelope signum cognouit Vlixis ; / Legit ab Hippolyto scripta nouerca suo…
13 Sur cette polémique, voir l’état de la question par exemple dans R. Lyne, « Writing Back to Ovid in the 1560s and 1570s », Translation and Literature, 13, 2, 2004, p. 143-164 (p. 143-150).
14 Contrepistres d’Ovide, nouvellement inventées et composées par Michel d’Amboyse…, Paris, G. Bret, 1546.
15 S. Provini, « Répondre à Didon », dans Michel d’Amboise humaniste, Camenae n°25, mai 2020 (n.p.) http://saprat.ephe.sorbonne.fr/media/4851e63a5d1fb9bd7bf68ae2c0c4df05/camenae-25-6-provini.pdf. On trouve dans cet article une abondante bibliographie sur l’épître à la Renaissance, à laquelle je renvoie.
16 Voir P. White, Renaissance Postscripts. Responding to Ovid’s Heroides in Sixteenth-Century France, Columbus, The Ohio State University, 2009, p. 208, qui se fonde sur le journal de James Melville, professeur de Boyd en 1578 à l’université de Glasgow : Boyd n’aurait pas hésité à attaquer son maître à l’épée pour se venger d’avoir été renvoyé un mois pour mauvais comportement. I.C. Cunningham fait au contraire remarquer que son nom n’apparaît pas dans les registres de l’université et que sa correspondance de 1592 avec Patrick Sharp, principal de l’Université, est cordiale ; il suggère pour sa part des raisons politiques à l’exil de Boyd (« Marcus Alexander Bodius, Scotus » dans A Palace in the Wild. Essays on Vernacular Culture and Humanism in Late-Medieval and Renaissance Scotland, ed. by L.A.A.J.R. Houwen, A.A. MacDonald, S.L. Mapstine, Louvain, Peeters, 2000, p. 161-172 [p. 161]).
17 P. White, Renaissance Postscripts, op. cit., p. 209.
18 Voir C. Kidwell, Marullus: soldier poet of the Renaissance, Londres, Duckworth, 1989.
19 Je résume ici la biographie que l’on trouve dans C. Ritter, Ovidius redivivus. Die Epistulae Heroides des Mark Alexander Boyd, Hildesheim, Zürick, New York, Olms, 2010, p. 8-13, qui s’inspire elle-même de Sir Robert Sibbald, Scotia illustrata siue Podromus Historiae naturalis, Edinburgh, sumptibus auctoris, 1684, dont « toutes les biographies postérieures dépendent », comme le dit I.C. Cunningham, (« Marcus Alexander Bodius, Scotus » in A Palace in the Wild, op. cit., p. 161).
20 Il s’agit du sonnet Fra bank to bank, qui figure dans la plupart des anthologies de poésie anglaise, par exemple A. Quiller-Couch, The Oxford Book of English Verse: 1250–1918, Oxford, New York, New York University Press, 1997 (19191). Sur ce texte, voir par exemple R. Donaldson, « M. Alex. Boyde : the Authorship of ‘Fra banc to banc’ », dans The Renaissance in Scotland. Studies in Literature, Religion, History and Culture. Offered to John Dunkan, ed. by A.A. MacDonald, M. Lynch, Ian B. Cowan, Leiden, Brill, 1994, p. 344-366.
21 Voir le Répertoire des livres imprimés en France au XVIe siècle, Baden-Baden, V. Koerner, 19682, t. V, p. 385, n°56.
22 Je n’ai trouvé aucune explication à cette indication fallacieuse. Sur les Haultin, grande famille d’imprimeurs d’obédience protestante, voir L. Desgraves, L’Imprimerie à La Rochelle, vol. 2 : Les Haultin, 1571-1623, Genève, Droz, 1960.
23 Amsterdam, Johannes Blaeu, 1637, p. 142-209. Johnston a repris les Epistolae heroides et les Hymni, mais non les lettres. Dans les Epistolae, il a supprimé la lettre de Thisbé à Pyrame et a changé le titre de la lettre de Vénus à Adonis (devenue Veneris lachrymas) ; enfin, il a supprimé le résumé introducteur en prose dont Boyd avait fait précéder chaque épître.
24 P. White, Renaissance Postcripts, op. cit., p. 207-241 sur Boyd.
25 His text oscillates between a compliance with and a resistance to the Ovidian poetic dynamic. The serious, realistic representation of the emotions and of the psychopathology of love vs the playful, parodic reduction of the mythological narrative (op. cit., p. 213 et 241).
26 Ovidius Redivivus, op. cit.
27 Carolin Ritter (U. Göttingen), « Ovids heimliche Rache an Augustus: Der Brief Iulia Augusto aus Mark Alexander Boyds Epistulae Heroides (1592) ».
28 Virgile, Énéide, XII, 64-65 : Accepit vocem lacrimis Lavinia matris / flagrantis perfusa genas. Trad. M. Lefaure, revue et corr. par S. Laigneau, Paris, Le Livre de Poche, 2004, p. 473.
29 Par exemple Josephus de Antiquitatibus ac de Bello judaico, Venise, O. Scoti et frères, 1499 ou Flavii Josephi,... Opera quaedam [de Antiquitatibus Judaeorum ; de Bello judaico ; de Antiquitatibus contra Appionem ; de Imperatrice ratione], Bâle , Froben, 1524.
30 v. 66 : […] Libyco noluit ense mori. Les traductions de Boyd sont personnelles.
31 v. 56 : […] fama nomen inane tuae.
32 Voir aussi v. 43-44 : dignus Elisae / sim sanguis.
33 Sénèque, Lettres à Lucilius, 26, 8 : Qui mori didicit, seruire dedidicit.
34 P. Van Rutten, « La traduction de la Sophonisbe de Trissino par Melin de Saint-Gelais », Meta, 29 (2), 1984, p. 224-226 (p. 224) et https://doi.org/10.7202/004554ar. Il en sera de même un siècle plus tard dans les Harangues héroïques des Scudéry (Paris, Courbé, 1655), qui contient une lettre de « Sophonisbe à Massinisse ».
35 Rhéa à Mars, v. 97 : Proh dolor ! hoc gemino remouentur numina partu.
36 Sophonisbé à Massinissa, v. 49-50 : Proh ! In te Tyrii quid commisere ? Quid optas, / infelix, priscae Sidonis excidium ?
37 Pauline à Mundus, v. 85-86 : Eheu ! / Capta fui sacri relligione loci.
38 Rhéa Silvia à Mars, v. 17-20 : Ilia, quid facies ? Quis te furor urit inermem, / improba ? Difficilem, Siluia, pande forem. / Pande per has lachrymas, Vestae per iura sacelli, / Vulnera dilectae detege, diua, tuae.
39 Lavinia à Turnus, v. 21-22 : Turne, per has lachrymas, per et hoc miserabile, Turne, / pectus, et inuisae uirginitatis onus.
40 Sophonisbé à Masinissa, v. 45-46 : At te per Diuos oro, Masinissa, Libyscae / telluris, generi, perdite, parce tuo !
41 Par exemple Catulle, 68, 92 : Lux mea se nostrum contulit in gremium ; Ovide, Amours, I, 4, 25 : Cum tibi quae faciam, mea lux, dicamue, placebunt. Lavinia à Turnus, v. 89-90 : Si tibi sum tanti, propero si forsitan igni / sic furis… Sur la métaphore érotique du feu dans l’élégie, voir par exemple ma thèse : La Femme et l’amour chez Catulle et les Élégiaques augustéens, Bruxelles, Latomus, 1999, p. 102-110.
42 Cf. Ovide, Amours, I, 9 et Art d’aimer, II, 233-238
43 Pauline à Mundus, v. 12-15 : Artibus annosi ueniunt in retia cerui, / collaque magnanimi fraude teruntur equi, / insidiis cedunt quae tranant aethera pennis, / pisces e mediis eliciuntur aquis. Cf. Ovide, Art d’aimer, 45-46 : Scit bene uenator ceruis ubi retia tendat, / scit bene qua frendens ualle moretur aper…
44 H. Vial, « Métamorphoses de la pratique déclamatoire dans l'œuvre ovidienne », dans Présence de la déclamation antique : controverses et suasoires, textes réunis par R. Poignault et C. Schneider, Clermont-Ferrand, Centre de recherches A. Piganiol-Présence de l'Antiquité, 2015 et https://hal.uca.fr/hal-01818775/document (n.p.).
45 Voir sur ce sujet par exemple A. Barchiesi, « Vers une histoire à rebours de l’élégie latine : les Héroïdes ‘doubles’ (16-21) », dans Élégie et épopée dans la poésie ovidienne (Héroïdes et Amours), éd. J. Fabre-Serris et A. Deremetz, Lille, Presses Universitaires du Septentrion, 1999, p. 53-67.
46 Ovide, Héroïdes, 7, 95-96 : « J’avais entendu une voix ; je la pris pour la clameur des Nymphes ; / c’étaient les Euménides qui donnaient le signal à ma destinée », trad. Th. Baudement, Paris, Gallimard, Folio classique, 1999, p. 89.
47 Médée, Héroïde 12, 89-90 : « Ces mots (et ils furent le moindre de tes artifices) touchèrent l’âme d’une jeune fille naïve ». Phyllis, Héroïde 2, 63-64 : « C’est une bien faible gloire que de tromper une jeune fille crédule. Ma naïveté était digne de récompense » trad. citée (modifiée par moi pour la seconde), p. 123 et 50.
48 Pauline à Mundus, v. 35 : [O utinam] Ambo foecundi periissent gurgite Nili !
49 Ovide, Héroïde 12, 15-16 : Isset anhelatos non praemedicatus in ignes / immemor Aesonides aeraque adunca boum (trad. citée, p. 120).
50 Lavinia à Turnus, v. 15-17 : Optarem Tyria cum perfida soluit ab urbe / legit et Hesperias Troia puppis aquas / acta peregrinum feriisset turbine saxum.
51 Virgile, Énéide, IV, 600-601 : Non potui abreptum diuellere corpus et undis / spargere ? (trad. citée, p. 185).
52 Virgile, Énéide, IV, 592-594 : Non arma expedient totaque ex urbe sequentur, / diripientque rates alii naualibus ? Ite, / ferte citi flammas, date tela, impellite ramos (trad. citée, ibid).
53 Ovide, Héroïdes, 7, 83-84 : Si quaeras ubi sit formosi mater Iuli, / occidit a duro sola relicta uiro (« Si on cherche où est la mère du charmant Iule, elle a péri, laissée seule, abandonnée par son cruel époux », trad. citée, p. 88, modifiée par moi).
54 J.-Chr. Jolivet, Allusion et fiction épistolaire dans les Héroïdes : recherches sur l’intertextualité ovidienne, Rome, E.F.R., diffusion Paris, De Boccard, 2001, p. 252 : « Plutarque nous révèle en effet, dans la Vie de Thésée, qu'Ariane est le premier personnage du monde mythologique à avoir reçu du courrier, une fausse lettre de Thésée, confectionnée à son intention par les femmes de Naxos […] La source désignée par Plutarque pour cet épisode est Péon d'Amathonte dont on ne sait rien par ailleurs. Mais cette vieille histoire n'est peut-être pas sans incidence sur l'Héroïde ».
55 Ovide, Héroïde 11, 49-50 : Cum super incumbens scissa tunicaque comaque / pressa refouisti pectora nostra tuis / et mihi : « Viue, soror, soror o carissima, aisti (« Alors, te précipitant sur moi, arrachant ta tunique et ta chevelure, tu as réchauffé ma poitrine en la pressant contre la tienne : "Vis, sœur, ô ma sœur bien-aimée" », trad. citée, p. 116).
56 Le personnage de la sœur de Rhéa Silvia, peu connu mais nécessaire ici pour justifier le récit du viol, vient peut-être d’Ennius, dans un fragment des Annales duquel Rhéa Silvia raconte un rêve qui l’a terrifiée à une femme à laquelle elle s’adresse par l’expression germana soror (voir Anthologie bilingue de la poésie latine, sous la dir. de Ph. Heuzé, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 2020, p. 59). Son nom ne figure néanmoins pas chez Ennius ; Boyd a peut-être inventé une Lupina à laquelle Rhéa demande de l’aide pour accoucher (v. 90 : optatam proh, soror, affer opem !) sur le modèle de la déesse présidant aux accouchements, Lucine.
57 Ovide, Fastes, III, 17-18.
58 Boyd, Rhéa à Mars, v. 43-44 : Egressae templum Tiberinam uenimus undam, / sacra suburbanis eluerentur aquis (il semble que Boyd sous-entende la conjonction de but) ; Ovide, Fastes, III, 11-12 : Silvia Vestalis […] / sacra lauaturas mane petebat aquas.
59 Ovide, Fastes, III, 21-22 : Mars uidet hanc uisamque cupit potiturque cupitam / et sua diuina furta fefellit ope.
60 Le sens priapéen du verbe tendere est attesté en particulier par Martial (XI, 60, 3).
61 Ovide évoquait Omphale par l’expression nympha Iardanis, v. 103 (dans l’Héroïde 1, 27, nymphae désigne les épouses des guerriers partis à Troie).
62 Sur ce motif érotique, voir V. Leroux, « L’érotisme de la belle endormie », Seizième siècle, 7, 2011, p. 15-35.
63 Rhéa à Mars, v. 55-56 : Dubiae mihi labile turget / foemen. Il est probable que foemen désigne par euphémisme le sexe. R. Estienne, dans son Dictionarium latino-gallicum (Paris, R. Estienne, 1546) précise que femen désigne « le dedans de la cuisse qui touche l’autre ».
64 Ibid., v. 59-60 : Proh ! Scelus admissum, repeto ; tum fontibus urnam / impleui, culpae conscia sola meae (« Hélas ! Un crime a été commis, répétè-je ; alors, j’ai rempli d’eau / mon vase, en étant seule consciente de ma faute »).
65 Ibid., v. 65-66 : […] crebroque putaui / crimen contactu posse fugare meo.
66 Ovide, Amours, I, 4, 47-48 : Saepe mihi dominaeque meae properata uoluptas / ueste sub iniecta dulce peregit opus.
67 E. Paleit, « Sexual and Political Liberty and neo-latin poetics : the Heroides of Mark Alexander Boyd », Renaissance Studies, 22 (3), 2008, p. 351-367 (p. 360 : « In the Heroides et Hymni, Boyd writes as women, not as men ; and this does generate a more complex, conflicted attitude to gender and sexual properties »).
68 Ovide, Fastes, III, 47 : Ara deae certe tremuit pariente ministra.
69 Rhéa Silvia à Mars, v. 98 : Araque Tyrrhenae contremit icta deae.
70 Rhéa Silvia à Mars, v. 3 : « Hélas, mes flancs coupables s’arrondissent d’un poids détesté », v. 79 : « Ainsi mes flancs coupables s’arrondissent d’un poids détesté » ; Héroïde 11, 39 : « Déjà s’arrondissaient mes flancs coupables ».
71 Th. Gärtner, « Mimetische Briefe. Eine Sondergestaltung neulateinischer Heroidenbriefe », in Acta Conventus Neo-Latini Vindobonensis, éd. A. Steiner-Weber – Fr. Römer, Leiden, Brill, 2018, p. 268-276 (p. 273-274 sur la lettre de Rhéa Silvia à Mars).
72 S. Viarre, « Messages extrêmes dans les Héroïdes d’Ovide », dans Epistulae antiquae, L. Nadjo et E. Gavoille éd., Louvains, Peeters, 2002, p. 209-221.
73 L. Fulkerson, The Ovidian heroine as author : reading, writing, and community in the Heroides, Cambridge, Cambridge University Press, 2005.
74 Boyd, avec l’expression caesis uiris, souligne sa culture, en faisant référence à un épisode antérieur à l’histoire d’amour entre Hypsipyle et Jason : punies par Vénus, les femmes de l’île de Lemnos avaient une odeur nauséabonde et étaient pour cette raison fuies par leurs époux. Par vengeance, elles décidèrent de tuer tous les hommes et seule Hypsipyle sauva son père, à qui il permit de fuir. Elle devint alors reine de Lemnos (voir Apollodore, Bibliothèque, I, 9, 17).
Pour citer ce document
Quelques mots à propos de : Sylvie Laigneau-Fontaine
Université de Bourgogne Franche Comté
Ancienne élève de l’ENS Paris, agrégée de lettre classiques, Sylvie Laigneau-Fontaine, professeure à l’université de Dijon, travaille sur la littérature latine classique (nouvelle traduction de L’Art d’aimer, 2020) et sur le latin de la Renaissance (éditions des Nugae de Bourbon, 2008, et des Epigrammata Ducher, 2015) et s’intéresse à la poétique et aux transferts culturels entre les deux époques.
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