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Les infidélités de Marie-Jeanne L’Héritier au service de l’esprit ovidien : l’exemple de la traduction de l’Héroïde VIII
Par Océane Puche
Publication en ligne le 07 février 2022
Résumé
Comparing the translation of the eighth ovidian letter by Marie-Jeanne L’Héritier with its main intertext which is Racine’s Hermione sheds some light upon a translating-rewriting process that serves the Modern ideology. The translater considers indeed the letter that Hermione adresses to Oreste as an example of litterary Modernity because it is not only a generic rewriting of the myth but also a recomposition of Helen’s daughter’s ethos. In her own translation, L’Héritier contests how Racine, a true Ancient author, treated this caracter and, paradoxically, she is unfaithful to the latin text in order to defend more strongly the elegiac version of Ovid and above all Hermione’s glory.
La comparaison de la huitième épître d’Ovide traduite par Marie-Jeanne L’Héritier avec son intertexte majeur qu’est l’Hermione de Racine met en évidence un processus de traduction-réécriture au service de l’idéologie des Modernes. L’Héritier voit en effet dans la lettre d’« Hermione à Oreste » un exemple de Modernité littéraire parce qu’elle est une réécriture générique qui s’accompagne d’une recomposition de l’éthos de l’héroïne. Au sein de sa traduction, L’Héritier dénonce le traitement du personnage que le dramaturge, partisan des Anciens, a offert dans sa tragédie et, paradoxalement, elle fait quelques infidélités au poète de Sulmone pour mieux souscrire à cette réécriture élégiaque qui défend la gloire de la fille d’Hélène.
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Les infidélités de Marie-Jeanne L’Héritier au service de l’esprit ovidien : l’exemple de la traduction de l’Héroïde VIII (version PDF) (application/pdf – 885k)
Texte intégral
1Si on se souvient encore un peu aujourd’hui de Marie-Jeanne L’Héritier, ce n’est que pour ses histoires – les plus célèbres sont « Marmoisan » ou encore « Les Enchantements de l’éloquence » – qu’elle a composées en collaboration avec son oncle Charles Perrault entre 1690 et 1700. En revanche, les Épîtres Héroïques d’Ovide traduites en vers françois, publiées à la fin de sa vie, en 1732, sont tombées dans l’oubli malgré le double intérêt qu’elles représentent. Elles constituent en effet la première traduction féminine intégrale du recueil ovidien en France et l’unique ouvrage de traduction dans la production littéraire de l’autrice qui n’était pas philologue et n’a pas traduit d’autres textes latins. Les raisons pour lesquelles cette femme a décidé de traduire les épîtres ovidiennes sont de plusieurs ordres : le recueil est particulièrement prisé tout au long du XVIIe siècle, ce que prouve notamment le grand nombre de traductions qui sont parues au cours du siècle. J’en ai dénombré une dizaine à la suite desquelles l’autrice inscrit son ouvrage et je n’énumérerai ici que les plus remarquables que L’Héritier cite (ou omet de citer) dans son Avertissement, à savoir celles de Pierre Deimier en 1612, de Gaspard Bachet de Méziriac en 1616, de Du Perron, Desportes, de la Brosse et Lingendes en 1616, de Michel de Marolles – le traducteur en série du XVIIe siècle – en 1661, de Thomas Corneille en 1669 ou bien encore de l’Abbé Barrin en 1676. Les Héroïdes sont assurément du goût de la société française à la fois pour leur sujet – des lettres d’amour – et pour leur auteur qui est considéré comme le « plus gentil et le plus ingénieux des poètes latins1 » selon Gaspard Bachet de Méziriac. C’est en particulier son style que la société des lettres du XVIIe siècle semble apprécier, style auquel elle identifie le poète lui-même : il est, en apparence, naturel et facile. L’association d’Ovide à son œuvre ne se limite pas à son seul style puisqu’on lui prête de nombreuses amantes de sorte qu’il entre dans la catégorie des auteurs galants. L’adjectif désigne ici, comme l’a montré Marie-Claire Châtelain2, à la fois son style et son comportement, à savoir sa fréquentation assidue des femmes et une constante volonté de les séduire. Or, L’Héritier voit en Ovide un auteur galant mais elle redéfinit dans sa propre production cette catégorie littéraire et éthique. Elle réélabore en effet cette dernière dans deux fictions que sont « Le Triomphe de Madame Deshoulières3 » et L’Apothéose de Mademoiselle de Scudéry4, composées successivement en 1696 et en 1701, à l’occasion de la mort de ces deux autrices dont elle était très proche. Elle imagine alors que les défuntes ne restent pas aux Enfers mais sont menées au Parnasse sous la conduite du poète Ovide « adorateur du beau sexe ». Il n’est nullement question de séduction : Ovide est un poète qui se met au service des femmes et en particulier des femmes de lettres pour célébrer leur gloire littéraire, et la relation qu’il entretient avec elles est entièrement désexualisée. L’Héritier s’inscrit en cela dans l’entreprise de (re)définition de la galanterie initiée par Madeleine de Scudéry dès les années 1650-16605.
2Je vais m’efforcer de montrer, à travers l’étude de la traduction de la huitième épître, à savoir celle d’Hermione à Oreste, que les infidélités de L’Héritier sont mises au service de l’esprit ovidien. Il s’agit là de notions assez traditionnelles dans les études de traduction mais elles sont particulièrement utiles pour aborder la question de la traduction au début du XVIIIe siècle. En effet, L’Héritier a assisté et prend part, selon moi, avec cet ouvrage, à la fameuse Querelle des Anciens et des Modernes et plus précisément à son second volet lors duquel la philologue et traductrice Anne Dacier, cheffe du parti des Anciens, s’est opposée à Houdar de La Motte, à la tête des Modernes. Si la première défend une traduction en prose, respectueuse de la lettre, c’est-à-dire de la langue de départ ou langue source, le second prône en revanche une traduction qui donne la part belle à la langue cible ou langue d’arrivée6 et qui cherche à adapter le texte à la société et aux mœurs de celle-ci tout en en conservant l’esprit. En autrice moderne, L’Héritier privilégie la langue française et les mœurs de son temps. Cependant, je ne relèverai pas tous les éléments qui prouvent que cette traduction s’écarte de la lettre ovidienne. Je vais chercher à mettre en lumière les infidélités, dans le sens d’écarts significatifs, que mon autrice fait par rapport au texte de départ pour servir l’esprit ovidien. J’entends par esprit ovidien les intentions que L’Héritier prête au poète, ce que je déduis des fictions évoquées plus haut, à savoir qu’Ovide est un adorateur du beau sexe et qu’il s’efforce de défendre la réputation des héroïnes du recueil, que L'Héritier appelle « gloire7 ». La huitième épître du recueil, celle d’« Hermione à Oreste », est traduite en quatrains d’alexandrins, c’est-à-dire la forme la plus répandue dans l’ensemble du recueil. Comme les autres, elle est précédée d’un « Sujet » ou argumentum qui donne aux lecteurs et aux lectrices des informations sur la destinatrice de la lettre et sur son destinataire. C’est un endroit stratégique car c’est là que L’Héritier dresse une grille de lecture de la lettre et donne à ses lecteurs et lectrices des clés d’interprétations. J’examinerai tout d’abord la façon dont L’Héritier présente l’épître dans son sujet et montrerai que ce qui est en jeu dans la traduction de 1732 c’est la caractérisation du personnage d’Hermione par Ovide par rapport à celle de la tradition antique et par rapport à celle que Racine a proposée dans son Andromaque. Dans un second temps, je montrerai que les éléments que L’Héritier ajoute dans sa traduction lui permettent, d’une part, de répondre à la caractérisation d’Hermione par Racine, et d’autre part, de donner raison à Ovide et de poursuivre son entreprise.
Le « Sujet de l’épître » : une (re)caractérisation de l’héroïne
3Pour comprendre le « Sujet de l’épître » de L’Héritier, il est nécessaire de lire en parallèle les argumenta de la traduction des Épîtres par l’Abbé Barrin en 1702. En effet, la traductrice construit tout au long du recueil ses « sujets » par rapport à ceux prêtés à l’Abbé Barrin8 mais qui sont d’un auteur inconnu à ce jour9. En confrontant ces deux textes, on constate assez rapidement que L’Héritier suit bien la trame de son prédécesseur mais qu’elle a tendance à en développer ou modifier le contenu. Elle commence par clarifier, ce que l’on ne trouve pas dans le texte de 1702, la généalogie des personnages : « Hermione étoit fille de Menelas et d'Helene ; et Oreste fils d'Agamemnon et de Clitemnestre. Ainsi Hermione et Oreste étoient doublement cousins Germains10 ». L’Héritier justifie, dans cette remarque, un usage qu’elle considère comme surprenant dans le texte ovidien à savoir qu’Hermione appelle Oreste « son frère ». Il s’agit pour l’autrice d’éloigner tout soupçon de relations incestueuses qui pourrait porter atteinte à la réputation de l’héroïne. L’Héritier a, pour les cas d’héroïnes coupables de ce genre d’amour, telles Phèdre ou Canacé, fait en sorte de gommer dans sa traduction tout indice de l’inceste. Ce premier paragraphe d’introduction qui permet de rendre intelligible le texte ovidien aux lecteurs du XVIIe siècle est également l’occasion d’énoncer une première fois l’amour qu’Hermione porte à son cousin : « Oreste lui étoit fort cher, et Tindare l'avoit uni à elle par le titre d'Epoux.11 » Elle suggère alors que les deux jeunes gens se sont mariés par amour. Cela est d’autant plus remarquable que l’autrice le répète une seconde fois dans le paragraphe suivant qui suit la trame du texte de 1702 tout en le développant. Les deux textes commencent par « Pendant la guerre de Troye où Ménélas étoit allé pour ravoir Hélène sa femme12 / pour se faire rendre Hélène son épouse13 ». Il s’agit là de donner dans les deux textes le contexte dans lequel le mariage d’Hermione et d’Oreste a été célébré : le texte de 1702 n’allègue pour justifier le mariage des deux jeunes gens que l’absence du roi de Sparte et la régence de Tindare : « Tindare son BeauPere [sic], qui en son absence avoit le soin de son Royaume et de ses affaires, marie Hermione sa fille à Oreste son Cousin Germain14 ». L’Héritier, quant à elle, développe les raisons qui ont poussé Tindare à célébrer l’union des deux jeunes gens :
Tindare son Beau-pere qui dans son absence prenoit soin de son Royaume et de sa Famille, s'apperçut de l'inclination qu'Horeste et Hermione avoient l'un pour l'autre. Ce Prince qui étoit Ayeul de ces deux jeunes Amans trouva qu'ils se convenoient parfaitement et fit célébrer leur mariage.15
4Le terme « inclination » de même que le verbe « se convenir » accompagné de l’adverbe à sens intensif « parfaitement » montrent que L’Héritier éprouve le besoin d’insister sur l’amour qui lie Hermione au fils d’Agamemnon, contrairement à son prédécesseur. Plus loin, les deux sujets évoquent avec des formules assez similaires le mariage que Ménélas, ignorant la première union, a conclu pour sa fille avec Pyrrhus qui s’en empare. Là encore, L’Héritier insiste plus que son prédécesseur sur le rapt d’Hermione : si le texte de 1702 évoque bien l’empressement du fils d’Achille (« [il]ne fût pas si-tôt de retour, qu'il alla la prendre de force dans la maison d'Oreste16 »), celui de 1732 souligne l’irrationalité et la violence du personnage : « [il] ne fut pas si-tôt de retour, que malgré toutes les raisons qu'on lui avoit dites sur ce sujet, il alla, suivi d'une Troupe audacieuse dans le Palais d'Oreste et enleva violemment Hermione17 ». Il faut relever ici la proposition concessive, l’adjectif « audacieux » qui qualifie la « Troupe » et l’adverbe « violemment ». Dans le texte de 1702, il n’y a guère que la comparaison du dernier paragraphe qui insiste sur la haine que porte Hermione à cet autre époux et, par conséquent, sur l’amour de cette dernière pour Oreste (« Cette pauvre Princesse qui haïssoit ce nouveau Mary plus que la Mort18 ») ce que L’Héritier garde en en faisant un adverbe et en désignant Pyrrhus différemment : « Cette désolée Princesse qui haïssoit mortellement son Ravisseur19 », ce qui rend les sentiments de la fille d’Hélène plus intenses et plus justes. On peut enfin relever la légère variation qu'introduit L'Héritier par rapport à l'argumentum de 1702. En effet, Hermione et Oreste ne vivent pas en parfaite « amitié » mais avec « tendresse ». Ce terme typique du vocabulaire galant désigne, dans la redéfinition scudérienne du terme20, des sentiments partagés et une union harmonieuse entre les deux amants (et on verra plus loin dans l’analyse de la traduction que ce terme ne reste pas lettre morte). Enfin, la réécriture de l’argumentum du texte de 1702 à laquelle procède L’Héritier prend toute sa signification dans le dernier paragraphe du sujet de L’Héritier :
C'est ce que rapportent divers Auteurs, que le Fameux Monsieur Racine n'a pas suivis dans sa belle Tragédie d'Andromaque, qui cependant, malgré cette négligence historique, n'en a pas moins eu l'art de plaire.21
5Ce paragraphe ne concerne pas le contenu de l'épître mais plutôt la façon dont ce sujet mythologique a été traité par la postérité et plus particulièrement par « le Fameux Monsieur Racine ». Cette référence directe est assez remarquable puisque c'est un des seuls endroits dans l'ensemble du recueil où L’Héritier fait référence explicitement à un auteur contemporain22. La traductrice reconnaît volontiers la grandeur et le succès d'Andromaque, précisément parce que le dramaturge a proposé une tragédie à l'intrigue et au style galant, qui le place du côté de la Modernité. Cependant, l'incise à valeur concessive « malgré cette négligence historique » semble entamer une discussion sur la version du mythe qu'a choisie le dramaturge pour sa tragédie. Deux « camps » sont ainsi désignés : le premier regroupe les « divers » auteurs, dont fait partie Ovide, ayant traité le personnage d'Hermione comme une princesse enlevée à son époux et haïssant son ravisseur ; le second fait référence au seul Racine, isolé dans sa « négligence historique », qui a fait de l’héroïne la terrible amante éconduite par Pyrrhus. L’Héritier pointe l’erreur dans l’« histoire » que le dramaturge raconte dans sa pièce – et que nous allons essayer de comprendre – alors même que ce dernier s’est défendu, dans ses préfaces, de bien suivre la tradition.
6Dans ses deux préfaces à Andromaque, Racine revendique une triple filiation et s'inscrit pleinement dans la lignée des auteurs anciens tant grecs que latins, à commencer par Virgile. En effet, le texte préfaciel dans sa première (1668) et dans sa deuxième version (1673) s'ouvre sur plusieurs citations du chant III de l'Énéide23, dont Racine tire le sujet de sa tragédie et à la suite desquelles il fait la déclaration suivante :
Voilà, en peu de vers, tout le sujet de cette tragédie. Voilà le lieu de la scène, l'action qui s'y passe, les quatre principaux acteurs, et même leurs caractères, excepté celui d'Hermione dont la jalousie et les emportements sont assez marqués dans l'Andromaque d'Euripide.24
7Racine cherche ainsi à inscrire sa tragédie dans une filiation avec les auteurs antiques et en particulier, par ordre d'importance, avec Virgile et Euripide. Cette volonté est d'ailleurs plus manifeste dans la première préface dans laquelle il ajoute à ces deux intertextes un troisième :
Toute la liberté que j'ai prise, ç'a été d'adoucir un peu la férocité de Pyrrhus, que Sénèque, dans sa Troade, et Virgile dans le second livre de l'Énéide, ont poussé beaucoup plus loin que je n'ai cru le devoir faire.25
8En 1673, Racine retire ce développement pour préciser ce qu'il emprunte à Euripide et pour répondre aux critiques qu'a soulevées sa pièce :
C'est presque la seule chose que j'emprunte ici de cet auteur. Car, quoique ma tragédie porte le même nom que la sienne, le sujet en est cependant très différent. Andromaque dans Euripide, craint pour la vie de Molossus, qui est un fils qu'elle a eu de Pyrrhus et qu'Hermione veut faire mourir avec sa mère. Mais ici il ne s'agit point de Molossus : Andromaque ne connaît point d'autre mari qu'Hector, ni d'autre fils qu'Astyanax. J'ai cru en cela me conformer à l'idée que nous avons maintenant de cette princesse.26
9La référence à la fin de cette seconde préface à l’Andromaque d'Euripide permet au dramaturge de minimiser les libertés qu’il a prises avec les modèles anciens et de se défendre de s’en être trop éloigné :
Je ne crois pas que j'eusse besoin de cet exemple d'Euripide pour justifier le peu de liberté que j'ai prise. Car il y a bien de la différence entre détruire le principal fondement d'une fable et en altérer quelques incidents, qui changent presque de face dans toutes les mains qui les traitent.27
10Tout en revendiquant une certaine liberté de composition, Racine s'efforce de s'inscrire dans la tradition des auteurs anciens et de leur pratique poétique (ses sources sont Virgile, Euripide et Sénèque mais aussi Homère – en particulier le chant IV de l'Iliade – qu'il ne cite dans aucune des deux préfaces28). Racine traite d’une façon particulière ce sujet post-guerre de Troie, assurément, mais il s'efforce de conserver le caractère violent et jaloux de l’Hermione d'Euripide. Or, l'épître d'Ovide présente la fille d'Hélène sous un angle complètement différent et bien loin du modèle grec. En effet, malgré ce qu’affirme L'Héritier dans le sujet de l’épître à savoir que « divers auteurs » ont traité le personnage d’Hermione de la même manière, les sources du texte latin sont plus difficilement identifiables et le traitement ovidien tant du personnage que de l'intrigue apparaît dès lors assez marginal. Dans son étude, Howard Jacobson29 affirme en effet que le chant III de L'Iliade pas plus que le chant IV de l'Odyssée30, ni même les fragments d'Hésiode, de Sapho ou la pièce de Pacuvius, ne font allusion à un quelconque antagonisme entre Pyrrhus et Hermione. Le seul texte dont Ovide aurait pu s'inspirer est la tragédie perdue de Sophocle, Hermione, mais si peu de choses sont parvenues à la postérité que l’on ne peut confirmer que cette pièce constitue l'intertexte principal de l'épître VIII. Prolongeant et confirmant les travaux de H. Jacobson, Angela Pestelli31 propose dès lors de ne plus chercher la « source » d'Ovide mais bien plutôt d'envisager, d'un point de vue générique, cette Hermione comme une réponse aux autres textes, épiques et tragiques. Le changement de caractère de l’héroïne serait dû uniquement au genre littéraire dans lequel il est traité et l’élégie la rendrait, par conséquent, plus douce et moins cruelle. Quel que soit l’état des recherches sur ce point, H. Jacobson et A. Pestelli garantissent l'originalité de l'intrigue et du personnage élégiaque dans les Héroïdes. L’Héritier fait donc preuve de mauvaise foi en plaçant la lettre d'Ovide dans la lignée de prétendus auteurs là où les commentateurs ne distinguent qu'une seule source possible, elle-même perdue (la pièce de Sophocle), et en cherchant à en faire la seule « bonne » version de l’histoire d’Hermione, au prix de la vérité.
11Par le biais des dialogues intertextuels qu’elle engage dans son « Sujet de l’épître », L’Héritier souscrit à la version ovidienne de l’épisode mythologique – comme elle a pu le faire pour d’autres lettres comme celles de « Canacé à Macarée » ou de « Sapho à Phaon » – et conteste celle de Racine parce qu’elle fait de l’héroïne une femme cruelle et odieuse, capable de s’éprendre de son ravisseur et de mépriser celui qui veut la sauver. Cette clé de lecture permet alors de comprendre, comme je vais le montrer, que la traduction de l’épître consiste, par de subtils déplacements lexicaux, à accentuer l’éthos de l’héroïne ovidienne tout en pointant du doigt le traitement qu’en a fait Racine.
Analyse de la traduction : des infidélités à la lettre ovidienne au service de la défense d’Hermione
12L’Héritier réécrit le texte ovidien32 en partisane des Modernes et le réinscrit dans son contexte socio-culturel, par le biais de l’ajout systématique d’une série de termes, ce que j’ai appelé relexicalisation33. La construction de « son » Hermione par la traduction du texte d’Ovide et en réponse à Racine passe par ce même procédé. Je vais alors étudier les occurrences des termes qui construisent l’éthos de l’Hermione racinienne et les comparer à ceux de la traduction de l’épître. Puis, je montrerai que L’Héritier reprend le motif de la fatalité, traditionnel chez le dramaturge, et l’ajoute au texte d’Ovide pour mieux offrir une réécriture de la lettre qui s’oppose à la caractérisation racinienne du personnage d’Hermione.
13La caractérisation de l’héroïne dans l'Andromaque de Racine se fait dès le prologue, dans lequel Oreste, retrouvant Pylade, évoque la jeune femme dans des termes qui traduisent la rudesse du personnage. Hermione est, aux yeux d’Oreste, un personnage cruel et inhumain parce qu’elle l’a éconduit au profit de Pyrrhus. Ces deux termes, typiques du vocabulaire galant, décrivent habituellement la femme courtisée qui résiste à un amant. Ils sont employés à différentes reprises dans la pièce34 : pour le premier, il qualifie Hermione dans sept cas sur quatorze et, pour le second, il la désigne encore dans deux cas sur trois. Toutefois, malgré la dimension galante de la pièce35, il semblerait que ces termes soient réinvestis de leur sens plein et ce d’autant plus que la fille d’Hélène est à l'origine même de l'intrigue et des différents bouleversements qui conduisent au régicide et à la « folie » d'Oreste. Chez Racine, elle se montre implacable, manipulatrice et effectivement cruelle envers le fils d’Agamemnon notamment lorsqu’elle lui reproche la mort de Pyrrhus qu'elle avait elle-même réclamée.
14Au contraire, L'Héritier tente de construire, en la superposant à l'Hermione ovidienne, une héroïne fragile et vulnérable en employant à son sujet des termes qui relèvent du vocabulaire galant :
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15Ces trois occurrences sont ajoutées au moment où il est question de l’enfance d’Hermione (« dans l'âge le plus tendre » et « dans mes plus tendres ans »), c'est-à-dire au moment où elle était innocente et vulnérable. Les autres ajouts vont d'ailleurs dans ce sens, qu'il s'agisse de l'apposition « et tremblante d'effroi » ou de l'exclamation « Quel malheur ! », dans la traduction des vers 79-80, qui constituent une amplification et une exagération du texte ovidien. Chez Racine, le terme n'est employé qu'à huit reprises et selon une répartition et des emplois différents :
Oreste :
Voilà comme je crus étouffer ma tendresse42
Pylade :
Contre le fils d'Hector tous les Grecs conjurés.
Loin de leur accorder ce fils de sa maîtresse
Leur haine ne fera qu'irriter sa tendresse.43
Hermione :
Le croirai-je, Seigneur, qu'un reste de tendresse
Vous fasse ici chercher une princesse ?44
Hermione :
Que m'importe, Seigneur, sa haine ou sa tendresse ? 45
Pyrrhus :
Tu l'as vu, comme elle m'a traité
Je pensais en voyant sa tendresse alarmée,
Que son fils me la dût renvoyer désarmée.46
Pyrrhus :
Je t'entends. Mais excuse un reste de tendresse.47
Hermione :
Je veux croire avec vous qu'il redoute la Grèce,
Qu'il suit son intérêt plutôt que sa tendresse.48
16La tendresse, chez Racine, n’est jamais du côté d’Hermione : ce sont les personnages masculins, Oreste et Pyrrhus, qui sont tendres (hormis au v. 646, il s’agit d’Andromaque). Étant donné que L’Héritier ajoute, dans son texte, les termes « tendre » et « tendresse » à plusieurs reprises, qu’elle applique ces ajouts presque exclusivement à la fille d’Hélène, qu’elle est la seule, parmi les traducteurs, à procéder ainsi et qu’elle a désigné Racine dans son « Sujet de l’épître », on peut penser qu’elle se sert bien de la relexicalisation de la huitième épître comme un moyen de compléter ou de renforcer l’éthos de l’Hermione ovidienne par le vocabulaire de la tendresse pour corriger Racine. En effet, elle restitue, en suivant le texte latin, la fragilité psychologique d’Hermione et elle dote cette dernière de « tendresse », c’est-à-dire d’un trait de caractère qui la rend capable d’aimer et d’être aimée, ce que le dramaturge refuse au personnage dans sa pièce. Cette stratégie de réécriture-correction se retrouve dans d’autres passages de la lettre et notamment dans le traitement du changement d’adresse qui survient aux v. 90 et suivants :
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17L’Héritier ne suit pas Ovide et n’opère pas le glissement qui fait temporairement d’Hélène la destinataire de la lettre. Or, par ce changement d’adresse, le poète souligne les conséquences de la relation qu’Hermione entretient avec sa mère, relation marquée par l’absence de cette dernière et sa beauté indépassable qui ont fragilisé l’héroïne. L’Hermione de L’Héritier, pour sa part, n’opère pas de changement d’adresse et continue de s’adresser avec constance à son amant qu’elle aime « tendrement ». Cette digression reste un argument pour montrer sa vulnérabilité et persuader Oreste de venir l’arracher aux griffes de Pyrrhus. Toutefois L’Héritier maintient l’adresse à Oreste et ne suit pas ici Ovide pour rejeter le personnage racinien auquel on peut reprocher sa versatilité et son inconstance en amour.
18Le passage dans lequel l’héroïne évoque ses nuits passées avec Pyrrhus, lors de sa captivité, confirme le projet de réécriture de L’Héritier :
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19L’Héritier ne restitue pas les deux distiques centraux du passage. On peut expliquer cette omission de deux manières : elle peut, d’une part, chercher à respecter les bienséances en taisant les caresses (tetigi Scyria membra) qu'Hermione accorde la nuit par erreur à son ravisseur. Ce ne sont certes pas les vers les plus sulfureux des Héroïdes et L'Héritier aurait pu les traduire même de façon édulcorée53. Cette omission peut s’expliquer par l'effet qu’elle produit sur la construction du personnage : si Hermione n'a pas partagé les nuits de Pyrrhus et n’a pas caressé ce dernier plutôt qu'Oreste, elle est alors, contrairement à la tragédie de Racine, constante et amoureuse du seul fils d'Agamemnon. Ces vers n’auraient donc pas été traduits parce qu'ils vont à l'encontre de l’éthos que L'Héritier essaye de (re)construire par-dessus celui qu’Ovide a prêté à son personnage.
20L’Héritier complète sa stratégie de réécriture du personnage en réponse à Racine en ayant recours à un motif caractéristique de la tragédie racinienne, la fatalité. Ce dernier est présent chez Ovide à deux endroits, aux vers 65 et 87-88 de la lettre. L’Héritier l’ajoute à six reprises dans d’autres passages sans qu’il corresponde à aucun terme latin :
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21Ces ajouts interviennent chaque fois, et de manière significative, dans les interstices textuels qui résultent de la traduction d’un distique par un quatrain et qui portent, parce qu'ils sont « ajoutés » au texte d'Ovide, le projet de la traductrice. Les éléments indiqués en italique sont en effet complètement étrangers au texte original, ne peuvent s'expliquer par aucun élément lexical, et ne se trouvent dans aucune des traductions antérieures à 1732 : il s'agit donc de ce que j’ai appelé66 dans ma typologie des procédés de traduction de L’Héritier des ajouts ex nihilo. Ces derniers sont d'ailleurs marqués par un style hyperbolique qui démontre la volonté de L'Héritier d’accentuer le topos de la fatalité ou du destin : on peut relever les adjectifs « mauvais » ou « funeste », employés sous leur forme intensive et liés à « l'horreur », ou au « coup ». Ces ajouts apportent un nouvel élément au texte ovidien car ils font d’Hermione une victime du sort, ce qui contredit la pièce de Racine. En effet, comme le fait remarquer Éléonore Zimmerman, le dramaturge a justement évacué toute transcendance dans sa pièce et s’appuie exclusivement sur la psychologie des personnages et la confrontation de leur intérêt propre pour construire son intrigue67. En faisant de l'héroïne une victime du sort, L'Héritier complète sa caractérisation du personnage et la rend plus pathétique, plus fragile et plus inoffensive qu’elle ne l’est déjà chez Ovide. Bien plus, le recours à la fatalité fait allusion, pour le lectorat du XVIIe siècle, à la tragédie racinienne et invite ce dernier à considérer la traduction de la lettre par L’Héritier comme une correction de l’éthos de l’héroïne de 1668.
22Cette étude de l'épître VIII de Marie-Jeanne L’Héritier met en évidence les infidélités significatives que l’autrice fait au texte d’Ovide. Toutefois, ces infidélités s’expliquent paradoxalement par sa volonté assez marquée de défendre la version élégiaque d’Hermione que le poète de Sulmone a composée. L’étude des sources – pour ce qu’il en reste – a montré en effet qu’Ovide est loin de suivre une tradition et qu’il réélabore de façon originale l’éthos de la fille d’Hélène dans la forme de l’épître élégiaque en en faisant un personnage vulnérable et aimant. Il s’agit déjà d’une réponse au traitement tragique de ce personnage. L’Héritier, dès le sujet de l’épître, réinscrit ce texte dans le contexte du XVIIe siècle marqué par la querelle des Anciens et des Modernes et fait d’Ovide, qui est pourtant un auteur de l’Antiquité, un vecteur de la modernité en rejetant la version racinienne trop esclave de la tradition – malgré la galanterie qu’on lui reconnaît. Par l’ajout systématique du terme « tendresse » qu’elle applique à Hermione, par l’ajout des termes « destins » et « sort » dont l’héroïne serait la victime et par l’escamotage de vers qui la rendraient trop versatile et inconstante en amour, ce qui constitue l’éthos de l’Hermione racinienne, L’Héritier, tout en s’écartant du texte d’Ovide, participe finalement à l’entreprise initiale de ce dernier qui consiste à montrer la fille d’Hélène plus fragile et innocente.
23L’Héritier, au prix de modifications notables du texte latin et d’une certaine mauvaise foi dans son « sujet », se montre donc fidèle à l’esprit ovidien qu’elle a défini dans ses fictions en l’honneur de Madame Deshoulières et Madeleine de Scudéry : il est le défenseur de la réputation et de la gloire des héroïnes. Cette entreprise doit être mise dans la perspective de la Querelle des femmes, qui a été pendant longtemps ignorée par la critique alors même qu’elle était un des enjeux de la Querelle des Anciens et des Modernes. On pourrait en effet voir dans Hermione un personnage qui réunit les défauts que Boileau prête aux femmes dans sa « Satire X » et auxquels Charles Perrault, dans son Apologie des Femmes notamment, et L’Héritier dans ses Épîtres Héroïques mais également dans « Le Triomphe de Madame Deshoulières », L’Apothéose de Mademoiselle de Scudéry et l’ensemble de ses histoires, ont tenté de répondre.
Notes
1 C.-G. Bachet de Méziriac, Les epistres d'Ovide traduites en vers françois avec des commentaires fort curieux, dans Commentaires d'Ovide sur les epistres par Gaspard Bachet avec plusieurs autres ouvrages du même auteur [1616], Nouvelle édition, Tome I, La Haye, 1716. Ici comme à la suite dans les notes, placez toujours le lieu avant le nom de l’éditeur, séparé par une virgule
2 M.-C. Chatelain, Ovide savant, Ovide galant. Ovide en France dans la seconde moitié du XVIIe siècle, Paris, H. Champion, 2008.
3 M.-J. L’Héritier, « Le Triomphe de Madame Deshoulières », dans Œuvres Meslées, J. Guignard, Paris, 1696.
4 M.-J. L’Héritier, L'Apothéose de Mademoiselle de Scudéry, Paris, J. Moreau, 1702.
5 Je renvoie pour la redéfinition de la galanterie par Scudéry et par celles que l’on a appelées les « Précieuses » à l’article de M. Dufour-Maître (« Trouble dans la galanterie ? Préciosité et questions de genre », Littératures classiques, 90, 107-18) mais aussi à l’ouvrage de D. Denis (Le Parnasse galant, Paris, Champion, 2001).
6 Je renvoie à l’ouvrage de J.-R. Ladmiral (Sourcier ou cibliste, Belles-Lettres, Coll. « Traductologiques », 2014) pour les concepts de langue source et de langue cible.
7 L’Héritier s’inscrit là dans une entreprise initiée déjà par Madeleine de Scudéry dans ses deux recueils des Harangues des femmes illustres que l’on a souvent attribués à Georges de Scudéry, son frère (voir le travail de R. Galli Pellegrini, « Les Femmes Illustres di Georges de Scudéry » dans La Prosa francese del primo seicento, SASTE, Turin, 1977, p. 91-146). Le projet de célébration de la gloire féminine est d’autant plus manifeste qu’il prend la forme d’une gravure représentant un trophée militaire au-dessus duquel est inscrit « À la gloire du sexe ». Il faut comprendre par-là que la gloire féminine se définit par opposition à la gloire masculine qui est avant tout guerrière. Chez Scudéry, comme chez L’Héritier, les femmes sont glorieuses par leur vertu et par leur réputation exempte de tout reproche.
8 Je pourrais mettre en parallèle les différents argumenta des traductions antérieures à 1732 et que L’Héritier connaît très bien mais, pour plus de clarté, je me limiterai à celui du pseudo Abbé Barrin.
9 J’ai montré, dans ma thèse, que cette traduction des Héroïdes d’Ovide est un recueil illégal – ce qu’indique le nom de l’imprimeur Pierre Marteau sur la première de couverture – qui réunit les traductions de l’Abbé Barrin, de Thomas Corneille et de l’Abbé de Marolles. J’ai également mis en lumière les rapports intertextuels que L’Héritier entretient avec les argumenta de cette édition qu’elle corrige ou amplifie. O. Puche, op. cit., p. 143.
10 M.-J. L’Héritier, Les Épîtres héroïques d’Ovide traduites en vers françois, Paris, Brunet fils, 1732, p. 112.
11 Ibid., p. 112.
12 L’Abbé J. Barrin, Les Épîtres amoureuses d’Ovide traduites en vers françois, Nouvelle édition augmentée et embellie de belles figures, Cologne, P. Marteau, 1702, p. 187
13 M.-J. L’Héritier, op. cit., 1732, p. 112.
14 L’Abbé J. Barrin, op. cit., p. 187.
15 M.-J. L’Héritier, op. cit., 1732, p. 112.
16 L’Abbé J. Barrin, op. cit., p. 187.
17 M.-J. L’Héritier, op. cit., 1732, p.112-113.
18 M.-J. L’Héritier, op. cit., 1732, p. 113.
19 Ibid.
20 Le terme « amants » est employé de manière désexualisée : Hermione et Oreste s’aiment dans le sens précieux et scudérien du terme à savoir qu’ils ont des sentiments, et plus particulièrement de la tendresse, l’un pour l’autre. Je renvoie à ce que j’ai dit plus haut, dans la note 6, au sujet de la redéfinition de la galanterie par Scudéry.
21 M.-J. L’Héritier, op. cit., 1732, p. 113.
22 Ailleurs, dans son argumentum de la lettre de « Pâris à Hélène », elle fait référence au Seigneur de Lingendes et lui reproche en particulier d’avoir « retranché un grand nombre de vers ». Hormis cela, L’Héritier ne se place jamais explicitement en dialogue avec des auteurs ou des autrices contemporains.
23 Racine résume en effet l’intrigue de sa pièce en citant le chant III de l’Énéide et en particulier les v. 292-293 ; 301 ; 303-305 ; 320-328 ; 330-333.
24 J. Racine, Andromaque [1668], G. Forestier et J. Morel (éd.), Paris, Classiques Garnier, 2010, p. 130 (première préface) et p. 131 (deuxième préface).
25 Ibid., p.130.
26 Ibid., p. 131.
27 Ibid., p. 132.
28 C’est ce que fait remarquer J. Morel dans sa notice sur Andromaque, op. cit., p. 125-126.
29 H. Jacobson, Ovid’s Heroides, Princeton, 1974.
30 Homère, Iliade, III, vers 174-175 et Odyssée, IV, vers 1-7.
31 A. Pestelli, Heroidum epistula VIII. Hermione Oresti, Florence, Le Monnier, 2007.
32 Dans l’analyse qui suit, j’ai utilisé le texte d’Ovide tel qu’il est édité par Heinsius dans l’édition Ad usum Delphini de D. Crispin, parue en 1689 (Ovide, Epistularum Heroidum Liber: interpretatione & notis illustravit D. Crispinus Helvetius; jussu Christianissimi Regis Ad usum Serenissimi Delphini, [1689], Londres, Bye & Law, 1795). C’est probablement le texte avec lequel L’Héritier a travaillé bien qu’elle n’en parle pas dans son Avertissement.
33 O. Puche, op. cit., pp. 295-304.
34 L'adjectif « cruel » apparaît vingt-trois fois mais il s'applique aux personnages en scène quatorze fois. Il désigne Hermione à sept reprises : I, 2, v. 141 ; II, 2, v. 504 et 557 ; III, 1, v. 763 ; III, 2, v. 825 ; III, 5, v. 887 ; IV, 2, v. 1131) ; Oreste à quatre reprises : IV, 5, v. 1356 et 1366 ; V, 1, v. 1397 ; V, 3, vers 1556 ; à six reprises des inanimés qui ne sont pas des métonymies pour l'un des personnages ( I, 1, v. 19 ; I, 2, vers 211 ; I, 4, v. 275 et 359 ; III, 8, v. 997 et 1034), à deux reprises les Grecs (II, 2, v. 491 ; V, 3, v. 1539), à deux reprises Pyrrhus ( I, 4, v. 322 ; III, 1, v. 740), une fois Cléone (II, 1, v. 427) et enfin une fois indirectement Achille (III, 4, v. 863).
35 Je renvoie, pour ce qui est de la question de la galanterie de l’Andromaque de Racine à l’article de G. Rivaz « Peut-on parler de tragédie “galante” (1656-1667) ? », Dix-septième siècle, 216, p. 469-484.
36 Ovide, Les Héroïdes, VIII, v. 79-80 : « Et moi, j’arrachais mes cheveux qui n’étaient pas encore longs et je criais : “Sans moi, mère, tu pars sans moi ?” » (Traduction personnelle).
37 M.-J. L’Héritier, Les Épîtres héroïques d’Ovide traduites en vers françois, op. cit, 1732, p. 120.
38 « Hermione à Oreste », v. 89-90 : « Quand j’étais petite, j’ai vécu sans ma mère, mon père faisait la guerre, et si tous deux étaient vivants, de tous deux j'étais privée. » (Traduction personnelle).
39 M.-J. L’Héritier, Les Épîtres héroïques d’Ovide traduites en vers françois, op. cit., 1732, p. 121.
40 Ovide, Les Héroïdes, III, v. 97-98 : « Je suis allée à ta rencontre quand tu es revenue, et, je dirai la vérité, le visage de ma mère m'était inconnu. » (Traduction personnelle).
41 M.-J. L’Héritier, Les Épîtres héroïques d’Ovide traduites en vers françois, op. cit., 1732, p. 122.
42 J. Racine, op. cit., I, 1, v. 57.
43 Ibid., I, 1, v. 138.
44 Ibid., II, 2, v. 477.
45 Ibid., II, 2, v. 561.
46 Ibid., II, 5, v. 644b-646.
47 Ibid., II, 5, v. 702.
48 Ibid., III, 2, v. 814.
49 Ovide, Les Héroïdes, VIII, v. 91-100 : « Pour toi, mère, ma bouche hésitante de petite fille n’a pas prononcé, dans les premières années, de mots tendres. Et moi je n'ai pas enlacé ton cou de mes frêles bras et, en fardeau chéri, je n'ai pas pris place sur tes genoux. Tu n'as pas soigné ma parure et, promise à mon époux, je n'ai pas pénétré la chambre nuptiale, nouvelle pour moi, préparée par ma mère. Je suis allée à ta rencontre quand tu es revenue, et, je dirai la vérité, le visage de ma mère m'était inconnu. Mais je compris que tu étais Hélène parce que tu étais la plus belle. Toi-même, tu cherchais à savoir qui était ta fille. » (Traduction personnelle).
50 M.-J. L’Héritier, op. cit., 1732, p. 121-122.
51 Ovide, Les Héroïdes, VIII, v. 109-114 : « Au lieu du sommeil, mes yeux s'emplissent de larmes prêtes à couler et, autant qu'il m'est possible, je fuis cet homme comme un ennemi. Souvent mes maux me frappent de stupeur, oublieuse de ma situation et du lieu dans lequel je me trouve, je touche de la main, sans m’en rendre compte, les membres du Scyrien et dès que je reprends conscience et constate mon impiété, je m’éloigne de ce corps que j'ai par malheur touché et je crois avoir les mains souillées. Souvent à la place du nom de Néoptolème c'est le nom d'Oreste qui m'échappe, et j'aime, comme un présage, cette erreur qui sort de ma bouche. » (Traduction personnelle).
52 M.-J. L’Héritier, op. cit.,1732, p. 123.
53 Dans la lettre de Sapho à Phaon notamment, elle traduit les passages les plus érotiques en les édulcorant. Je renvoie pour cela à l’analyse que j’ai menée sur cette lettre et en particulier sur la désexualisation systématique des propos qu’Ovide prête à la poétesse grecque (voir O. Puche, op. cit., p. 620-621).
54 Ovide, Les Héroïdes, VIII, vers 12-13 : « Esclave, qu'aurais-je subi de plus grave si, à la prise de Lacédémone, une troupe barbare avait enlevé les femmes grecques ? » (Traduction personnelle).
55 M.-J. L’Héritier, op. cit., 1732, p. 115.
56 Ovide, Les Héroïdes, VIII, v. 14-15 : « L'Achaïe victorieuse outragea bien moins Andromaque lorsque le feu danaéen brûlait les richesses phrygiennes. » (Traduction personnelle).
57 58 M.-J. L’Héritier, op. cit., 1732, p. 115.
58 Ovide, Les Héroïdes, VIII, vers 51-52 : « J'aurais voulu que ton courage s’illustre en une meilleure occasion. La cause de ton action n'a pas été choisie mais donnée. » (Traduction personnelle).
59 M.-J. L’Héritier, op. cit., 1732, p. 118.
60 Ovide, Les Héroïdes, VIII, vers 63-64 : « Seules les larmes me restent et toujours je les répands, mes joues que je ne soigne plus, sont mouillées par une source intarissable. » (Traduction personnelle).
61 M.-J. L’Héritier, op. cit., 1732, p. 119.
62 Ovide, Les Héroïdes, VIII, v. 81-82 : à la place de Vix coniunx aberas que donne l’édition de la CUF, on trouve également Nam coniunx aberat. Pour la traduction, je garde la troisième personne, qui est également le choix d’Heinsius dont le texte est repris dans l’édition Ad usum Delphini. Il est d’ailleurs précisé dans le commentaire de ce passage qu’il faut sous-entendre le complément du nom matris de conjunx (Ovide, Epistularum Heroidum Liber: interpretatione & notis illustravit D. Cripinus Helvetius; jussu Christianissimi Regis ad Usum Serenissimi Delphini, (1689), Londres, Bye &Law, 1795, p. 83). Je propose donc pour les v. 81-82 de l’épître la traduction suivante : « À peine son époux fut-il parti, de peur que l'on ne me crût pas du sang de Pelops, voilà que je fus une proie toute désignée pour Néoptolème. »
63 M.-J. L’Héritier, op. cit., 1732, p.121.
64 Ovide, Les Héroïdes, VIII, v. 115-116 : « Souvent à la place du nom de Néoptolème c'est le nom d'Oreste qui m'échappe, et je chéris, comme un présage, ce lapsus. » (Traduction personnelle)
65 M.-J. L’Héritier, op. cit., 1732, p. 123.
66 O. Puche, op. cit., pp. 293-353 et en particulier pp. 316-318.
67 Dans son ouvrage qui traite du destin et de la liberté dans les pièces de Racine, É. Zimmerman considère que dans l'Andromaque de Racine : « Tout demeure sur le niveau d'une psychologie très humaine dans cette pièce, toute transcendance, toute métaphysique est exclue systématiquement. Un seul personnage tient parfois un autre langage : Oreste conserve quelque chose de son origine antique. Quoique Racine ne fasse guère allusion au passé du fils de Clytemnestre, le mot « destin » revient fréquemment dans sa bouche. » (La Liberté et le destin dans le théâtre de Jean Racine [1982], Genève, Slatkine Reprints, 1999, p. 62).
Pour citer ce document
Quelques mots à propos de : Océane Puche
Chercheuse associée au laboratoire HALMA de l’Université de Lille
Océane Puche est enseignante au lycée Saint Jean de Douai. Elle est chercheuse associée au laboratoire HALMA de l’Université de Lille après avoir soutenu, en 2020, sa thèse qui porte sur les Épîtres Héroïques de Marie-Jeanne L’Héritier : traduction et réception d’Ovide au XVIIe siècle. Ses recherches portent sur l’écriture, la réécriture et la traduction au féminin.
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