- Accueil
- > Revue papier (Archives 1993-2001)
- > Complexité syntaxique et sémantique
- > Éléments pour une définition des valeurs de la forme gonna en anglais, à partir du corpus électronique COLT1
Éléments pour une définition des valeurs de la forme gonna en anglais, à partir du corpus électronique COLT1
Par Gilles COL et Jean-Louis DUCHET
Publication en ligne le 29 novembre 2017
Résumé
La forme gonna est méconnue des descriptions grammaticales de l’anglais, généralement et à tort caractérisée comme un américanisme, et elle est considérée, dans le meilleur des cas, comme la forme réduite de (be) going to. Curieusement, les linguistes, même ceux travaillant sur l’oral, ne la font guère apparaître dans leurs transcriptions, et cet évitement fait que les témoignages historiques manquent sur son apparition dans le système de l’anglais.
Seule exception notable, le corpus COLT (Corpus of London Teenage Language), accessible depuis peu permet de donner une image nouvelle de ce marqueur de l’anglais parlé.
L’utilisation de (be) gonna et de be going to dans le même univers discursif amène à formuler l’hypothèse d’une différenciation fonctionnelle progressive de ces deux marqueurs, perceptible notamment dans leur préférences combinatoires avec les pronoms personnels et les adverbes, et leur combinabilité syntaxique qui commence à diverger. Cette situation d’émergence d’une nouvelle différence linguistique, dans laquelle pourtant les deux marqueurs sont encore ressentis comme synonymes par les locuteurs natifs, amène à les reconsidérer en termes opérationnels et topologiques.
Un « noyau de sens » prospectif clairement orienté dans le cas de be going to tend dans gonna, où phonologiquement et morphologiquement a été escamotée la présence de to, à céder le pas à une problématique de validation qui est celle de la modalité.
Table des matières
Texte intégral
Ouverture
1Le marqueur (be) gonna est la forme dite contractée de be going to, périphrase combinant le verbe go affecté de la marque aspectuelle be+ing et l’infinitif d’un verbe construit avec to. L’objet d’étude est donc une forme verbale, que l’on rencontre plutôt dans la langue orale et plus particulièrement en anglais dit « non-standard ». On ne donne généralement pas de valeurs propres à gonna, que l’on identifie globalement à be going to (mais avec un rythme différent lié au débit de l’oral), donc plus ou moins avec les mêmes valeurs que la forme d’origine, bien qu’employé dans d’autres contextes et par d’autres locuteurs. On ne traite pas vraiment de gonna dans les ouvrages de grammaire anglaise non plus, be going to n’étant guère mieux traité. En fait, on ne voit généralement pas de vraies différences sémantiques entre les deux, et les anglophones interrogés affirment les employer sans réelle distinction, sauf à considérer le registre ou la différence langue écrite / langue orale.
2Cet état des lieux, tout sommaire qu’il soit, montre que (1) on manque de critères de distinction adaptés à un phénomène linguistique et sémantique de ce genre, si l’on veut partir de l’hypothèse générale que la pérennisation de deux formes va générer une distinction fonctionnelle ; (2) la définition de ces critères passe par une analyse à grande échelle des emplois de gonna, (3) pour travailler sur une forme comme celle-ci, il va falloir des outils d’analyse issus de différents domaines (phonologique, syntaxique, morphologique, sémantique).
3Il ne s’agit donc pas dans ce travail de se poser la question de la grammaticalité de la forme gonna, ni de son éventuel statut d’auxiliaire – c’est la problématique déjà soulevée par be going to, et que nous aborderons ailleurs2. Il s’agit plutôt de travailler sur une forme orale et donc non stabilisée, et qui pose des problèmes multiples recoupant plusieurs domaines. L’étude qui s’ouvre ici se donne effectivement plusieurs objectifs, tant au niveau méthodologique (le traitement d’un corpus électronique étant vu comme un moyen d’accès à une réalité linguistique mal mesurée et mal représentée), qu’analytique (on est amené à travailler sur des problèmes relevant de différents domaines de la linguistique), que théorique (évolutions et déformations dans un cadre théorique, celui des opérations énonciatives).
4La question de départ est le statut de la forme contractée gonna, et, pour commencer, à un niveau morpho-phonétique : qu’en est-il de la forme à proprement parler, de sa formation, de sa graphie, de son évolution ? Quel rôle exact joue ce qui était à l’origine la préposition to ? A-t-il des conséquences sur les valeurs du marqueur dans son entier, et lesquelles ?
5Les réponses à cette première grande question nous amèneront à poser dans un premier temps l’hypothèse que les valeurs sémantiques de gonna relèvent du type de repérage énonciatif lié à be (be gonna) qui lui est associé. Le statut d’infinitif du verbe associé à gonna (gonna + V) sera alors à redéfinir. À partir de là, on pourra délimiter un premier champ de valeurs possibles. Les observations sur le corpus vont nous permettre de dégager la forme schématique du marqueur, et ensuite de revenir aux analyses en termes topologiques.
1. Formation de gonna
6La graphie généralement retenue pour représenter la contraction de going to est gonna ou gonna’. On la trouve sous cette forme en anglais écrit et elle est considérée comme la transcription d’un phénomène phonétique de réduction. La périphrase going to est déjà attestée chez Shakespeare : André Crépin (1994) en signale 8 occurrences (p. 144). En voici un exemple :
Bardolph. « Sir, the Germans desire to have three of your horses : the duke himself will be to-morrow at court, and they are going to meet him ».
W. Shakespeare, The Merry Wives of Windsor, Act IV, Scene 3.
7L’apparition de gonna est difficile à dater, du fait de l’évitement graphique dont cette forme semble être victime. L’OED a pour elle une entrée de taille modeste avec, à l’appui, quatre citations toutes datées du XXe siècle :
gonna (£6#n3), colloq. (esp. U.S.) or vulgar pronunciation of going to (see go v. 47 b).
[Cf. the earlier Sc. ganna, gaunna: see Eng. Dial. Dict. s.v. Go, quots. 1806, etc.]
1913 C. E. Mulford Coming of Cassidy ix. 149 Yoíre gonna get a good lickiní.
1929 E. W. Springs Above Bright Blue Sky 136, 5684 has a busted cylinder. Gonna put a new motor in it.
1952 A. Baron With Hope, Farewell 56 Put íem all in clover, thatís what Iím gonna do.
1967 M. Shulman Kill 3 ii. iv. 81 Iím gonna keep on yelling tell you let me out.
8Le marqueur gonna est aujourd’hui attesté dans le dictionnaire de John Wells (1990) par une entrée particulière. Il est néanmoins généralement considéré comme un américanisme, surtout en ce qui concerne la réduction de [nt] à [n]. Nous avons néanmoins tenté de le dépister en anglais britannique, et c’est ce que nous avons réussi à faire grâce au corpus COLT (v. 3.2 ci-dessous).
9La graphie gonna’ est en effet issue de toute une série de processus phonétiques qui commencent par le phénomène, typique des mots grammaticaux3, de réduction accentuelle avec le passage corrélatif du timbre vocalique à une valeur centrale, en l’occurrence, pour to, de [tu…] à [t´]. La réduction accentuelle et la centralisation vocalique qui l’accompagne sont, de manière générale, dans la phonologie de l’anglais, un facteur facilitant pour des phénomènes d’assimilation, de palatalisation4 en présence de [j] et de compression syllabique. Dans le cas de gonna, il se produit un phénomène d’assimilation de la nasale vélaire [N] dans [g´UINt´] par le trait apico-alvéolaire du [t] qui le suit pour aboutir à [g´UInt´]. Vient à sa suite un abrègement par smoothing de la séquence diphtongue + voyelle en une diphtongue [OI] d’où [gOInt´] et enfin de réduction de la diphtongue à la voyelle brève [gÅnt´].
10Le passage de [nt] à [n] est typique de l’anglais américain, à la frontière entre une syllabe accentuée et inaccentuée (cf. twenty [twEni]) mais possible en anglais britannique dans les mots grammaticaux, comme dans innit (pour isn’t it?) omniprésent dans notre corpus, et comparable en cela à l’assimilation-réduction des deux occlusives apicales dans used to, par exemple. Enfin, comme pour tous les marqueurs grammaticaux, gonna oppose deux variantes, l’une accentuable [« gÅn´], et l’autre habituellement réduite [g´n´].
11J. Wells relève dans son dictionnaire plusieurs transcriptions possibles de gonna. Il va jusqu’à affirmer que : « There is no real RP strong form for this informal contraction of going to, although spelling pronunciations [gOn ´], [g0000øn´] are sometimes used in reading ».
12Il poursuit cependant : « There is an AmE strong form [gO…n´], [gA…n´]. Before a vowel sound, the contracted weak form [g´nu] is sometimes used. (p. 310). » J. Wells donne également d’autres transcriptions possibles à l’entrée go : « The phrase going to, when used as a modal (showing the future), has a casual weak form [g´n´] also [g´UIn´], [g´nt´], [g´UInt´], [goU•´n´], [goU•´nt3´] ».
13La présentation de go amène à faire deux remarques, d’ordre sémantique et opérationnel, et d’ordre phonologique.
14D’après J. Wells, il semble que going to et gonna expriment le « futur » de la même façon, que le marqueur soit sous une forme contractée ou non – sans parler de la possibilité de distinguer purement et simplement deux marqueurs distincts. Il va donc falloir replacer la définition donnée par J. Wells dans une perspective plus précise de la référence à l’avenir, afin de mettre en évidence une éventuelle différence entre les deux formes.
15L’autre remarque concerne la multiplication des transcriptions de gonna’. La graphie elle-même pose un problème car en fait, gonna’ n’est que la représentation d’une série de possibilités phonétiques. Or des exemples comme les suivants ne doivent pas nous faire oublier que la distinction entre going to et gonna’ n’est pas toujours aussi évidente, et que, d’autre part, certaines prononciations conservent <t> et celui-ci peut même apparaître dans la graphie (en anglais britannique) :
(1) Now we’re told that Nelson Mandela and the Queen should hit it off, that they’rego(…) to [gonna’?] have a definite rapport. (SkyNews, 20/03/95)
(2) Aye Mad Franckie. He’s goin’t’ fuck us later. Yeh! I’m goin’t’ give ‘im his red wings.
– Well. He’s goin’t have t’ fuck me first!
[…] … OOOh. He’s goin’t’ glass ‘im… I can’t look! (Viz n° 76, 1996)
16Ainsi, il semble y avoir un flottement sur la présence ou l’absence de to dans la prononciation et dans les transcriptions de gonna’ ou de going to. Ce flottement a des conséquences au niveau de la construction de la relation prédicative et des opérations énonciatives, qu’il faut explorer.
2. Problèmes théoriques soulevés par gonna
17La question principale soulevée par la description du phénomène de contraction de going to, et les différentes réalisations possibles montrant un certain flottement sur la présence ou l’absence de <t> dans les transcriptions est celle du statut de la forme verbale qui suit gonna. Qu’a-t-on vraiment après gonna ? Un infinitif, dans la mesure où on peut trouver dans la graphie même le marqueur de l’infinitif to (cf. goint’, et ce que dit J. Wells) ? Ou bien la base verbale, dans la mesure où, quand on a gonna, on n’a plus de trace graphique ni phonique du marqueur de l’infinitif.
18La différence entre infinitif et base verbale n’est pas seulement une différence graphique ou morphologique. Elle a des conséquences au niveau des opérations prédicatives et énonciatives en jeu. To+base verbale est en effet souvent considéré (Jean Chuquet (1986) J. Chuquet et Alain Deschamps (1997), Gilles Col (1995 et 1996, pour son rôle dans la référence à l’à-venir)) comme un marqueur de relation prédicative « incomplète », ou encore de relation prédicative « constructible » : la relation prédicative est considérée comme validable, donc le chemin vers l’Intérieur du domaine notionnel (ou vers p) représenté par l’infinitif est tracé. Si to+base verbale disparaît dans le passage de going to à gonna, alors on ne peut plus considérer que l’on a affaire à une relation prédicative validable. On se situe à un niveau de plus grande indétermination concernant la validation, et il n’y a pas de chemin tracé vers l’Intérieur du domaine (ou vers p) : on a p / p’ par « gommage de tout ce qui peut faire penser au choix de p » (J. Chuquet, 1986, 121). Par conséquent, on ne se situe plus dans une problématique d’accès à l’Intérieur du domaine. La base verbale dite « nue » renvoie à la notion dans son entier, sans qu’une zone particulière du domaine notionnel soit distinguée par rapport à l’autre, donc sans que la validation de la relation prédicative soit en jeu.
19Le phénomène que l’on étudie ici est cependant plus complexe si on prend en compte le flottement sur la graphie, donc si on ne perd pas de vue l’aspect phonologique et morphologique. Comme on a constaté un flottement sur la présence / absence de <t> dans les réalisations de la forme contractée, on pourrait également considérer que l’on est toujours en présence de to+base verbale dans les trois cas going to, gonna’ et [g´nt´]. Ainsi, le rôle de to+base verbale reste pertinent, mais il semble nécessaire de le réinterpréter en mettant en parallèle gonna’ et gonta’. Ces deux marqueurs semblent effectivement pouvoir jouer le rôle de marqueur de constructibilité de la relation prédicative. A-t-on toujours affaire à l’infinitif quand to est contracté, dans la mesure où il ne disparaît pas complètement ? Quelles sont les conséquences de la déconstruction et du « gommage du choix de p », sur la prédiction effectuée, et sur la référence à l’avenir ?
20On peut formuler l’hypothèse qu’avec gonna nous nous situons à un état intermédiaire entre l’infinitif et la base verbale nue. On peut en effet constater une équivalence distributionnelle de gonna avec going construit avec to. Mais le processus morphologique et phonologique que nous avons décrit n’a été rendu possible que par un certain degré d’intégration grammaticale de la périphrase qui, réduite à gonna, peut du coup être réanalysée comme un marqueur grammatical qui régit une base verbale. L’indice de cette émancipation grammaticale va se trouver dans l’émancipation qui se constate aussi à l’égard de be (cf. plus loin sur la possibilité d’avoir ø gonna, mais jamais ø going to). Malgré l’« hésitation » résiduelle concernant la forme du verbe qui suit gonna, il semble que ce dernier développe des valeurs sémantiques propres, distinguables de celles de be going to. On suggère une ligne de partage entre (1) une unité grammaticale morphologiquement « pleine » (be going to) avec une valeur de prédiction sur la validation d’une relation prédicative <aRb>, et qui, en interaction avec le co-texte, permet le déploiement de certaines valeurs comme volonté, intention, etc., et (2) une unité grammaticale morphologiquement « réduite » (gonna) avec des valeurs qui ne sont pas totalement distinctes de celles de going to, mais pour laquelle certains paramètres (co-textuels, syntaxiques, morphologiques, topologiques, etc.) montrent que l’on s’approche d’un auxiliaire qui marquerait une opération de modalisation (position par rapport à la validation), et donc une possible bifurcation, c’est-à-dire un choix entre deux valeurs notionnelles, p ou p’. On essaiera de montrer qu’avec be going to, on a une distance entre la prédiction de la validation et la validation, donc un écart entre p/p’ et p, mais que l’on a qu’un seul chemin vers p (la validation) ; alors qu’avec gonna, on a bien un écart entre p/p’ et p, mais qu’en plus, il y a possibilité d’une bifurcation vers p’, donc la possibilité d’un autre chemin.
3. Analyses de certains paramÈtres
213.1. Le point de vue de Dwight Bolinger
22Dans une analyse très précise de la forme contractée de want to, Dwight Bolinger établit une distinction entre want to et wanna qui relève d’un constat simple : « The difficulty is that wanna is now something slightly different from the sum of its former parts » (cf. 1981, 200). Il note dans une autre étude, à propos de got to et gotta, que la forme pleine exprime davantage de valeurs que la forme réduite :
At last, I have got to love her (‘I have been privileged to’, ‘I have come to’, ‘I am obliged to’)
At last, I’ve gotta love her (‘I am obliged to’).
D. Bolinger, 1980, 294.
23Il y a donc bien des nuances à établir entre les différentes formes de ces unités grammaticales. D. Bolinger va jusqu’à proposer, concernant une des formes les plus courantes de l’anglais, wanna, un statut de quasi-auxiliaire : « I believe there is evidence that wanna is now felt to be more than a reflex of choosing a register. I argue for a quasi-auxiliary status » (1981, 197). La position de D. Bolinger à propos de gonna est elle aussi très claire, et diffère de notre hypothèse. Pour lui, gonna, de même que usta (used to) est « clearly aspectual […] as for meaning » (1980, 295).
24L’intérêt de ces deux études est tout de même de mettre en évidence l’existence de valeurs propres aux formes contractées, mais outre le fait que D. Bolinger ne fait que quelques allusions à gonna, il affirme par ailleurs que « I’m gonna go tomorrow and I’m going to go tomorrow have the same ‘linguistic meaning’ » (1981, 203-204). En définitive, le sens aspectuel que D. Bolinger voit dans gonna ne vient que du sens du verbe go lui-même qui, certes, doit être pris totalement en compte, mais qui se trouve retravaillé dans le champs intersubjectif qu’est l’énonciation et tend à se distinguer de la forme pleine (ne serait-ce parce que la marque aspectuelle de be+ing elle-même tend à disparaître dans gonna).
25Nous allons donc maintenant procéder aux analyses de différents paramètres comme la nature et la fréquence de certains adverbes dans le co-texte, la possibilité de disparition de be devant gonna, le choix de certains pronoms personnels, des co-occurrences «non-grammaticales » comme will et gonna, et d’autres phénomènes discursifs. Mais nous commençons par présenter le corpus qui a servi à notre étude.
3.2. Présentation du corpus
26Le Bergen Corpus of London Teenage Language (COLT) tente de rompre avec les caractéristiques des premiers corpus d’anglais dont Graeme Kennedy (1998) relève qu’ils sont « of speakers who were predominantly highly educated adults » (p. 32).
27Il a été constitué à partir de la constatation que « the fact that teenage language was largely unexplored could be remedied by the collection of a reasonably large corpus of teenage talk ». L’objectif poursuivi par Anna-Brita Stenström et al. (1999) a été de permettre « new insights into language development and language change, not least from the point of view of grammaticalisation » (p. 1).
28Il se présente comme un corpus de 914372 mots (balisage compris) divisé en 377 segments d’une longueur variable, comprise entre 500 et 1500 mots. Dans chaque segment le balisage de l’en-tête représente environ 200 mots et le balisage des tours de parole représente une proportion fixe du texte de sorte que l’on peut estimer à 500000 mots le texte proprement dit du corpus. 6% seulement du corpus provient de locuteurs adultes avec lesquels parlaient les locuteurs enregistrés, cibles de l’enquête. Le corpus est donc d’une grande homogénéité sociolinguistique en termes de classe d’âge. Il a en revanche été varié en termes d’appartenance sociale et il se répartit également entre trois niveaux.
29La transcription orthographique de l’ensemble du corpus, qui a été faite par Longman pour être intégrée au British National Corpus (BNC), a soigneusement distingué, pour ce qui nous concerne, la graphie gonna et la graphie going to. La graphie wanna est également utilisée.
30L’OED établit explicitement une distinction entre gonna et wanna:
gonna (£6#n3), colloq. (esp. U.S.) or vulgar pronunciation of going to
wanna (£w#n3), repr. colloq. pronunc. of want to or want
31Le premier des deux, gonna, est étiqueté comme « vulgar ». Aussi bien dans le London-Lund Corpus que dans le LOB (Lancaster-Oslo-Bergen) les occurrences de gonna n’apparaissent pas.
32Mieux, dans les scripts de films contemporains, les nombreuses occurrences de going to dans la transcription orthographique semblent oblitérer les occurrences probables de gonna dans l’interprétation des acteurs5.
33Le corpus COLT, au contraire, fait apparaître par sa transcription une coexistence, et, sans doute, de ce fait, une concurrence entre going to et gonna. Sur un corpus global de 500000 mots, les chiffres bruts d’occurrences sont les suivants:
34going to : 361 occurrences
35gonna : 1359 occurrences
36Le marqueur gonna représente à lui seul 0,2% des mots du corpus.
37Le poids relatif de gonna semble important mais celui de going to n’est pas marginal.
38Une confrontation de leurs emplois en contexte a donc paru nécessaire.
39Tout d’abord, sur le plan phonologique, tel que peut nous le restituer la transcription graphique6conduite par Longman et revue à Bergen, on remarque une convergence des phénomènes de réduction vocalique et d’assimilation-élision consonantique, qui semblent être de règle et qui doivent donc être plus fréquents dans l’ensemble des locuteurs britanniques que ne le laissent croire les autres corpus :
(3) <u who=4-1 id=269> It’s a bit difficult with Catherine.
<u who=4-many id=270> <unclear>
<u who=4-1 id=271> I dunno we can’t because of this fucking new computer system innit.
<u who=4-many id=272> <unclear>
<u who=4-1 id=273> Oh God
<u who=4-2 id=274> Are you going to <unclear> tomorrow?
<u who=4-1 id=275> Yeah I’ve bloody got to haven’t I. ...(5) How long are we gonna be at West Side Story <unclear> because like I wanna go home and like
<u who=4-2 id=276> Yeah I know, don’t you think it’s out of order right that we er that we erm cos he said it’s only gonna be on Thursdays right and sometimes Tuesdays and it’s <unclear> every fucking week.
<u who=4-1 id=277> I know and like ...(4) on Friday yeah I mean we’re gonna be there for about an hour and a half probably yeah, and I wanna go home and I wanna drop my bag off and I wanna change my clothes and that’s gonna be like seven o’clock or eight o’clock like cos I wanna come round to band practice tomorrow… (B133701)
40Les phénomènes phonologiques que nous avons analysés ci-dessus trouvent une illustration claire dans un ensemble de marqueurs grammaticaux : dunno (don’t know), innit (isn’t it), wanna (want to), gonna.
41Leur co-occurrence en contexte rapproché est susceptible d’apporter surtout un éclairage particulièrement probant quant à leur emploi dans le discours.
4. Analyses en contexte
4.1. Les adverbes
42Nous avons analysé les occurrences de certains adverbes7, (cf. Tableau n° 1, page suivante) de manière identique pour chaque marqueur.
43Ainsi, du point de vue de ce paramètre, on constate que gonna est davantage associé à des adverbes de temporalité que be going to (environ 6% des occurrences de gonna avec adverbes contiennent un adverbe de temporalité, vs. 2,38% pour be going to). Le chiffre est moins marquant pour les adverbes de modalité (4,78%), mais la différence par rapport à be going to est tout de même nette (2,65%). Ces remarques sur les adverbes, toutes partielles qu’elles puissent être, montrent cependant que la présence de marqueurs prospectifs fait que gonna n’indique pas seul la référence à l’à-venir ; gonna a, davantage que be going to, besoin du co-texte pour exprimer une prédiction.
Paramètre : adverbes, modaux et temporels |
Adverbe + gonna |
gonna + Adverbe |
be going to |
just |
36 |
3 |
7 |
really |
5 |
4 |
0 |
definitely |
3 |
0 |
0 |
probably |
7 |
0 |
1 |
only |
6 |
0 |
2 |
TOTAL |
57 |
7 |
10 |
soit, pour les deux co-textes (en %) |
4,78% |
2,65% |
|
tomorrow |
- |
13 |
1 |
tonight |
- |
15 |
0 |
now |
- |
33 |
6 |
next +item |
- |
15 |
2 |
soon |
- |
7 |
0 |
TOTAL |
- |
83 |
9 |
soit, pour gonna + adverbes seul, en % |
- |
6,20% |
2,38% |
Total adverbes |
147 (10,94%) (sur 1337 occurrences) |
19 (5,57%) (sur 377 occurrences) |
44Tableau 1 : occurrence des adverbes de modalité et des adverbes de temporalité avec gonna (avec différence de portée), et be going to.
45L’observation sur des éléments du co-texte nous amènent à préciser ce phénomène d’interaction que l’on constate avec nos deux marqueurs. On a montré dans une étude antérieure qu’il existait un phénomène de « compensation » entre le co-texte et le noyau de sens d’une unité grammaticale (cf. G. Col, 1997). Ainsi, l’auxiliaire de modalité will qui indique, entre autres valeurs, l’avenir, l’indique prioritairement quand il est accompagné de repères indiquant l’avenir (adverbe ou proposition subordonnée), alors qu’on ne s’attend pas à ce recours à des éléments extérieurs vu que will et la référence à l’avenir sont liés. Il y a en quelque sorte avec will un phénomène de filtrage de la valeur prospective grâce aux adverbes. Au contraire, le marqueur aspectuel be+ing, qui est une unité susceptible d’avoir des valeurs prospectives mais pas seulement, donc qui n’indique pas a priori l’avenir, a, de manière assez prévisible, véritablement besoin d’adverbes. Mais là où on attend des adverbes de référence à l’avenir, comme on a remarqué avec will, on relève des adverbes indiquant une déstabilisation de l’occurrence de procès, donc essentiellement des adverbes de modalité. On a donc affaire avec will, d’un côté, et be+ing, de l’autre, à un phénomène d’équilibre entre le noyau de sens fourni par le marqueur et les éléments du co-texte.
46Pour gonna, l’interaction adverbe / noyau de sens donne une situation encore différente de will et de be+ing. On trouve bien dans le corpus des adverbes de référence temporelle prospective (comme avec will), mais ceux-ci ne créent pas de filtrage ; ils sont plutôt à l’origine même de l’expression de cette valeur à partir du noyau de sens de déplacement de go. Sans eux, gonna exprime autre chose que simplement du prospectif (de l’intention par exemple). Donc le cas de gonna est bien différent des deux autres (will ou be+ing). Quant à be going to, le sens prospectif est donné (déplacement, direction, et ce depuis qu’il est apparu comme périphrase au XVIe s.), et les adverbes se contentent, pourrait-on dire, de préciser la référence proprement dite (le moment de validation), ou les modalités de la validation (plus ou moins grande certitude) ; mais ils ne filtrent pas la valeur prospective ni ne la créent.
47On tire d’ores et déjà deux grandes conséquences de ces analyses : (1) gonna n’indique pas prioritairement l’avenir, vu qu’il se sert de marqueurs plus explicitement prospectifs pour le faire, (2) on voit qu’apparaît ici une première vraie distinction entre la forme pleine et la forme contractée, en tenant compte du fait que gonna, ce n’est pas seulement going associéà to, mais une entité propre et entière.
4.2. Analyses de certains faits syntaxiques et discursifs
48Une première constatation est simple et évidente. Comparons les énoncés suivants :
(8) I’m going to London
*I’m gonna London.
49Certes, on travaille ici sur des emplois qui ont explicitement un sens spatial et non temporel. Mais l’impossibilité de la forme contractée avec un emploi à sens purement spatial montre que la possibilité même de gonna est restreinte aux emplois qui introduisent un terme relateur, ce qui induit une première différenciation entre deux emplois de to.
50Il est permis de poser l’hypothèse que ce processus de différenciation ne s’arrête pas là et qu’il va pouvoir jouer à nouveau pour séparer be gonna de be going to.
4.2.1. Les pronoms personnels
51Un paramètre éloquent quant aux différences à établir entre be going to et gonna est la présence des pronoms personnels. Notre analyse du corpus montre que ceux-ci apparaissent en majorité avec la forme contractée.
(9) He’s gonna buy me one of them knickers, one of them erm ... them briefs, the ones I like that he bought you,…
(10) Say extra, you know what I mean ? I was gonna buy the extra, yeah. I want this. Yeah....
(11) [bringing it with me.] [I’ve got I] I’m gonna go get some there. ... and erm <unclear> getting the pay phone, and, cos <unclear> I wanna buy them…
(12) I’m getting a car like that. Cos I’m gonna mash [mine up.] [I] [I] know.u
(13) It’s still that house though so they’re gonna <unclear> chair in it. So what you think, they got more things there?
52Si on examine le tableau n° 2, on voit que la différence est très nette :
Formes de begonna (1337 occurrences), et type de pronom personnel |
Forme pleine (ex. : I am gonna) |
Forme contractée (ex. : I’m gonna) |
Absence de BE (ex. : I gonna) |
I |
2 |
289 |
5 |
YOU |
0 |
48 |
18 |
SHE / HE |
2 |
79 |
1 |
IT |
0 |
51 |
0 |
WE |
0 |
54 |
2 |
THEY |
0 |
34 |
0 |
53Tableau 2 : Formes de l’auxiliaire be avec gonna, suivant le type de pronom personnel, et dans les assertions.
54On remarque aussi que le pronom le plus fréquent est la première personne du singulier (289 occurrences). Ceci pourrait montrer que l’origine des repérages de modalité avec gonna se fait directement par rapport au locuteur d’origine. Un autre phénomène qui se dégage de ces observations est la forme gonna sans l’auxiliaire be.
(14) What else you gonna do?
Dunno.
What?
Dunno. Cos I’ve gotta make up for the sleep I lost, erm, yesterday.
(15)…and you gonna have to explain this this morning, so just watch. This is… an aid.
(16) We have to, erm… She gonna give us a photo or something and…
(17) I gonna laugh, man, I’m gonna laugh, if he takes it back, probably.
55L’impossibilité de *ø going to d’un côté, et la possibilité de ø gonna de l’autre, en co-occurrence fréquente avec le pronom you, nous amène à penser (1) que dans certains types d’emploi, gonna tend nettement vers un comportement d’auxiliaire, et (2) en tant que tel, il permet d’exprimer des nuances modales qui n’apparaissent pas dans la forme pleine, ni dans la périphrase avec be. La problématique même du statut d’auxiliaire est discutée ailleurs (G. Col et J.-L. Duchet, 2000), mais les différences de comportements syntaxiques ne sont pas indépendantes des différences sémantiques. La haute fréquence de you avec ø gonna montre en effet qu’un certain type de contexte favorise la disparition de be : les relations intersubjectives directes, et plus spécifiquement, les relations intersubjectives dans l’interrogation. Le problème de la validation de la relation prédicative (le propre des questions) est alors posé ; on est bien dans une problématique de type modal.
4.2.2. Les reprises
56En reprise d’auxiliaire, going to joue le jeu d’une forme pleine de gonna qui ne serait pas possible dans le même contexte :
(18) <u who=4-25 id=472> No not Aaron.
<u who=4-20 id=473> Imagine that ...
<u who=4-25 id=474> No I, I, I sort of, smelt Patrick’s feet once, and I thought if it was possible to faint... on smells then I was going to, you know. I swear to God they’re the most nasty things... sort of like Aaron’s
57On peut trouver gonna dans des prises de parole interrompues, mais pas en reprise:
(19) <u who=6-12 id=268> Hello Chanade.
<u who=6-1 id=269> <laughing>She’s gone red</>.
<u who=6-12 id=270> She always talks to me.
<u who=6-7 id=271> <laughing>You are going to start to liven up</>.
<u who=6-1 id=272> Well [I’m gonna]
<u who=6-7 id=273> [Ooh ooh!]
<u who=6-1 id=274> no cos why you all go in the sitting room
58En revanche, lorsque be going to a joué dans le discours un rôle rhématique, la reprise thématisée du prédicat sera le fait de gonna :
(20) <unclear>, okay, so last week we <unclear> we did <unclear> if you remember, erm, now this week we’re going to do [some sound tracks,]
<u who=13-1 id=15> [can I borrow this?]
<u who=13-3 id=16> gonna make some sound machines [alright]
<u who=13-2 id=17> [I can’t] I can’t
<u who=13-3 id=18> obviously we’ve got to work together on all, are you listening to me? on all the different parts of the body, you want them all to come alive, okay, so, this week as I say we’re going to concentrate, on sound (B136401)
59On constate en outre que l’introduction rhématique ultérieure de concentrate motive à nouveau l’occurrence de be going to. Ce fonctionnement discursif est cependant celui d’un locuteur adulte identifiable dans le corpus comme le professeur dans une salle de classe de Camden.
4.2.3. Les interrogatives
60Considérons un autre exemple de reprise alternée, en contexte interrogatif, tiré cette fois des propos de Lisa, 13 ans :
(21) u who=7-3 id=39> Anyway, right, <nv>sigh</nv>, we’re gonna go now aren’t we? Are we going to go?
<u who=7-2 id=40> Yeah. [Do you know]
<u who=7-3 id=41> [Right.] (B135301)
61C’est la modalité interrogative qui semble ici déterminante dans l’emploi de be going to sans que pour autant on puisse dire que Are we gonna go? serait impossible. Mais la présence de be going to semble tout de même due au fait que la périphrase soit ici le vecteur d’une vraie question, qui reprend la « fausse » question qu’est le tag final de la première réplique aren’t we?
4.2.4. Co-occurrence de will et gonna
62Nous avons enfin observé dans le corpus la co-occurrence de will et de gonna :
(22) I really have got stomach ache though.
Well no wonder.
[…]
<laughing> Why do you say no wonder?
I can’t, I mean that really is just gross.
You have the most
It’s like Dracula. God. What’ll they gonnasay at the swimming pool tomorrow?
Dad they’re not gonna be looking at your legs, I hate to tell you this.
The attendants do.
What, is it that fat woman making sure everyone’s watching her before she dives in?
<laughing>Oh God yeah.
Is that the attendant?
No no
63Si les co-occurrences de will et de be going to sont très rares – mais elles existent, voir G. Col, 1995, 197) – celles de will avec gonna le semble moins. Ce qui est intéressant de constater dans l’exemple (22), c’est que la reprise par gonna s’accompagne de la présence de be+ing, donc d’un marqueur qui filtre la valeur épistémique de will. Ainsi, on remarque (1) que le statut d’auxiliaire de gonna est loin d’être fixé (mais, encore une fois, ce n’est pas une découverte), (2) que gonna apparaît malgré tout ici sans be, et avec un pronom personnel, ce qui va dans le sens d’une sorte d’autonomie de gonna par rapport à be going to, et enfin (3) qu’il reprend dans un nouvel énoncé les valeurs de will mais sous la forme de gonna+be+ing, c’est-à-dire avec le marqueur qui permet l’émergence de la valeur épistémique de will lui-même.
64Il est donc révélateur de voir une prédominance de la co-occurrence de be + ing avec gonna sur celle avec going + to, comme en témoignent encore les deux exemples suivants et les chiffres du tableau récapitulatif ci-dessous
(23) […] but at the moment, German and French are just gonna be translating something, there’ll be giving an extract and a translation…
(24) No, I’m just trying to work out how long I’m gonna be practising for West Side Story tomorrow.
Paramètre : marqueur + be+V.ing |
gonna (1337 occurrences) |
be going to (377 occurrences) |
be+V.ing |
29 |
6 |
be+Ving avec adverbe prospectif |
6 |
1 |
Total |
2,16% |
1,59% |
65Tableau 3 : occurrence d’un marqueur épistémique (be+V.ing) avec gonna et avec be going to
66Avec ces observations faites, autant du point de vue des éléments du co-texte que du point de vue de la morphologie même du marqueur et de son comportement syntaxique, nous allons maintenant essayer de proposer des éléments de formalisation, à savoir la forme schématique de gonna, et ensuite de proposer une analyse en termes topologiques.
5. Propositions pour une formalisation de gonna
5.1. Paramètres de la scène verbale
67C’est en nous inspirant des travaux de Bernard Victorri (1999), que nous allons chercher à décrire la forme schématique du marqueur en termes de convocation-évocation sur une scène verbale. Pour reprendre, de manière simplifiée, le point de vue de B. Victorri, nous allons postuler avec lui
que l’activité de langage consiste à construire un espace cognitif […], un champ intersubjectif partagé par des interlocuteurs. L’objectif de l’énonciation est de créer, de stabiliser et d’enrichir cet espace, de manière à lui donner une forme d’existence. […] Quand les interlocuteurs prennent […] la parole, ils modifient cette scène verbale, y ajoutant de nouveaux éléments, les faisant évoluer, changer de point de vue sur la scène.
68L’objectif d’une telle démarche est en définitive d’expliciter les « différents effets de sens d’une unité dans divers énoncés en termes d’interaction avec les formes schématiques des autres unités présentes dans ces énoncés et avec les éléments pertinents de leur contexte ». Les scènes verbales ont des propriétés qu’il serait trop long de développer ici, mais on retiendra surtout qu’elles sont dotées d’une dynamique, d’une dimension, d’un point de vue auquel est associée une fenêtre de monstration, ainsi que d’autres propriétés telles que d’avoir des relations entre elles.
69Un des critères déterminants, pour nos analyses, est celui de la fenêtre de monstration. On pourrait la définir comme un paramètre de la scène verbale construite par le procès. Cette scène est dotée d’un point de vue, comme on vient de le voir, et ce qui est vu sur la scène à travers un point de vue est montré dans une « fenêtre ». Ainsi, et pour reprendre l’exemple de B. Victorri (1999, 92), l’aspect inaccompli marque que la fin du procès n’est pas montrée, mais suggérée, alors qu’avec l’accompli, la fin est montrée : on la voit sur la scène.
70Le contenu de la fenêtre, ce qui est montré en quelque sorte, nous permet de proposer une première distinction entre be going to et gonna. Il semble effectivement qu’avec be going to, le point d’aboutissement du mouvement, c’est-à-dire, la validation du procès sur laquelle est faite une prédiction, est montrée dans la fenêtre. Ce n’est pas le cas avec gonna : la validation du procès prédiqué est seulement suggérée mais pas montrée dans la fenêtre elle-même. Cette hypothèse permet de rendre compte de plusieurs paramètres co-textuels exposés dans le paragraphe précédent : la présence de marqueurs épistémiques comme certains adverbes (probably, just,… ou encore, tomorrow, now, tonight,…) (cf. Tableau n° 1), ainsi que la marque aspectuelle d’inaccompli be+ing (cf. Tableau n° 3).
71Il est intéressant par ailleurs de remarquer que now est l’adverbe le plus souvent associé à gonna. Ce qui peut sembler contradictoire est que now indique généralement un point de départ. Sur ce point nous adoptons l’analyse de Paul Boucher (1984 et 1993). Les études sur le français montrent aussi que l’adverbe maintenant fonctionne, selon Dominique Jouve (1992, 362), « comme un terme marqué, désignant un moment précis qui se présente comme un « à partir de », un « ici » immobilisé, figé comme scène [le sens de « scène » selon D. Jouve est différent de celui utilisé pour caractériser une scène verbale] ». Pour Pierre Achard (1992, 589), maintenant est plus spécifiquement « l’opérateur minimal signalant l’existence virtuelle d’une situation énonciative alternative ». Selon lui, « maintenant problématise le contexte postérieur par rapport à une position alternative possible ». L’adverbe anglais now partage certains points communs avec son équivalent français et fait par conséquent qu’avec gonna, on se situe dans une problématique du point de départ. Mais on rencontre également des adverbes proprement prospectifs avec gonna (tonight, tomorrow,…). La problématique du prospectif existe bel et bien avec gonna, mais on se rend compte que la prédiction exprimée par gonna est étroitement liée à la présence de différentes unités dans le co-texte, qui n’ont parfois rien de prospectif (joue ici le phénomène de compensation entre co-texte et noyau de sens). Pour reprendre les termes de B. Victorri (1999), pour qui la description d’une unité grammaticale ou lexicale se fait en deux grandes étapes8, gonna a comme noyau de sens l’idée d’un mouvement sans orientation particulière, sans point d’arrivée clairement défini, et « convoque » donc des éléments de temporalité ou de modalité pour « évoquer » du prospectif. Now est en effet un adverbe de « point de départ », et ne dit rien sur l’arrivée à proprement parler, mais d’autres adverbes, comme tonight, précisent le point d’arrivée. Le mouvement métaphorique exprimé par gonna est donc régulé par des éléments extérieurs convoqués dans le co-texte afin d’évoquer du prospectif.
72Avec be going to, la situation et le jeu de la convocation - évocation ne sont pas les mêmes. On relève déjà moins d’adverbes qu’avec gonna (2,65% des occurrences) et peu d’occurrences de be+ing (1,59%). Ainsi, on peut dire qu’il convoque peu de marqueurs de temporalité comme gonna peut le faire. Une des raisons pourrait être que son noyau de sens est celui de « mouvement vers », mouvement orienté vers un point précis (ce que l’on retrouve au niveau morphologique : on a un infinitif « entier », et non une forme encore intermédiaire entre infinitif et base verbale comme avec gonna). On retrouvera par ailleurs la problématique du « point d’arrivée » quand on traitera des différences entre les deux marqueurs d’un point de vue topologique. Cependant, parmi les adverbes à haute fréquence dans le corpus, on relève encore une fois now (6 sur 9 occurrences). Donc le « point de départ » est lui aussi convoqué sur la scène verbale dans les emplois de be going to. Mais les raisons de la présence de now sont plutôt à mettre du côté de l’idée contenue dans « go to » de mouvement vers, et pas de mouvement de : le point d’arrivée n’est effectivement pas véritablement contenu dans be going to, et le marqueur a besoin de le convoquer. Be going to évoque donc de la temporalité prospective orientée, alors que gonna évoque plutôt de la temporalité prospective sans plus. Par ailleurs, il ne convoque pas les mêmes éléments que gonna pour y arriver. C’est ainsi que l’on retrouve l’idée que la fin du procès, le point d’aboutissement du mouvement, donc la validation du procès en ce qui concerne nos marqueurs, n’est que suggérée dans la « fenêtre de monstration » avec gonna, alors qu’avec be going to, elle est véritablement contenue dans la fenêtre.
5.2. Point de vue topologique
73Si on reprend nos réflexions sur la morphologie même de gonna, on arrive à l’idée que la forme verbale qui suit n’est ni un infinitif complet, ni une base verbale nue, mais une forme intermédiaire en quelque sorte, comme on l’évoquait plus haut. On n’a donc, avec gonna + verbe, ni « gommage de tout ce qui peut faire penser au choix de p » pour reprendre la formulation de J. Chuquet (1986, 119 et 121) au sujet des bases verbales sans to, ni le choix de p qu’appelle going to.
74Avec gonna, on se situe dans une problématique de validation. La présence des adverbes est là pour rappeler que la validation peut être problématique (cf. probably, qui est le second adverbe le plus fréquent) : l’énonciateur peut avoir besoin de renforcer la validation, de raccourcir le chemin vers p (ou p’) ou au contraire de le rallonger, de l’arrêter, de le détourner, bref, il y a un travail sur l’accès proprement dit à la validation. On n’a donc pas un accès simplement « unique » à la validation : il y a un chemin, donc une distance, ce qui pose en définitive un problème d’accès à ce vers quoi on se dirige. La validation du procès associé à gonna est seulement suggérée, justement parce que ce qui est en jeu est davantage l’accès à la valeur posée que la validation elle- même.
75La situation n’est pas la même avec be going to. Les adverbes rencontrés dans le corpus9 servent à spécifier le moment de validation (tomorrow, par exemple) ou à renforcer le choix d’une valeur notionnelle (just, qui représente 70% des occurences d’adverbes de modalités avec be going to). On est donc dans une problématique où le choix entre p et p’ est déjà fait, donc le chemin déjà tracé, et le travail énonciatif porte sur la réduction de la distance. C’est en ce sens que la validation est montrée, parce qu’elle est l’objet de la valuation déjà effectuée par l’énonciateur. Avec be going to, on n’a pas d’alternative entre deux valeurs.
76Avec gonna, just est également très fréquent (63% des occurrences d’adverbes de modalité), mais il n’est pas le seul (probably est assez fréquent aussi), et il n’a pas le même rôle.
77Quand les adverbes de temps apparaissent avec gonna, ils spécifient le point d’arrivée. Les chiffres ont montré que cette spécification est rendue moins nécessaire et, partant, moins fréquente lors de l’emploi de going to. Cette différence peut s’expliquer par le fait qu’avec going to, le chemin vers p est tracé et l’accès à la validation posé, alors que gonna a besoin d’éléments extérieurs pour tracer le chemin vers la validation et ouvrir l’accès.
Bibliographie
Achard, P.,
1992, « Entre deixis et anaphore : le renvoi du contexte en situation. les opérateurs « alors » et « maintenant » en français », La Deixis, M.-A. Morel et L. Danon-Boileau (eds), Presses Universitaires de France, Paris, 583-592.
Bolinger, D.
1980, « Wanna and the Gradience of Auxiliaries », in Wege zur Universalien Forschung, G. Brettschneider G. et C. Lehman (eds), Gunter Narr Verlag, Tübingen.
Bolinger, D.
1981, « Consonance, Dissonance and Grammaticality: The Case of Wanna » in Language and Communication, Vol 1, 2/3, 186-206.
Boucher, P.
1984 , « Deixis et discours: une tentative de description formelle de quelques adverbes déictiques anglais dans le discours narratif. Vers une topologiue de l’espace discursif », RANAM, XVII, 35-59, et en part. pp.
Boucher, P.
1993, « Deixis revisited: connective and pragmatic functions of now, then, here and there », in L. Danon-Boileau, J.‑L. Duchet, éd., Opérations énonciatives et interprétation de l’énoncé, Paris : Ophrys, 7-25.
Chuquet, J.
1986, TO et l’infinitif anglais (Ophrys).
Chuquet, J. & Deschamps, A.
1997, « L’absence mérite-elle zéro ? », Travaux du Cerlico 10, (Presses Universitaires de Rennes).
Col, G.
1995, L’expression de l’avenir en anglais contemporain. Opérations et marqueurs. (Thèse, Dijon).
Col, G.
1996, « Absence de marque spécifique de futur en anglais », Travaux du Cerlico 9.
Col, G.
1997, « Co-texte et référence à l’à-venir. Analyses comparatives de deux marqueurs polysémiques : will et be+ing », Co-texte et calcul du sens, Guimier C. (ed.), Caen, Presses universitaires, 197-213.
Col, G. et Duchet, J.-L.,
2000, « Forme non-stable et grammaticalisation », communication affichée au 14° colloque du CerLiCO, Rennes.
Crepin, A.
1994, Deux mille ans de langue anglaise. (Nathan).
Culioli, A.
1999, « Continuity and modality » in Pour une Linguistique de l’énonciation, tome 2 (Ophrys), 83-93.
Deschamps, A.
1999, « Essai de formalisation du système modal de l’anglais », dans A. Deschamps, et J. Guillemin-Flescher (eds), Les Opérations de détermination, (Ophrys), 269-285.
Fuchs, C. & Victorri, B.
1992, « Construire une espace sémantique pour représenter la polysémie d’un marqueur grammatical : l’exemple de « encore » », Linguisticae Investigationes, XVI : 1, Amsterdam, Benjamins, 125-153.
Groussier, M.-L.
1981, « La préposition to devant l’infinitif en anglais contemporain », in : Analyse des prépositions, 3e Colloque franco-allemand de linguistique théorique, Max Niemeyer Verlag, Tübingen, 40-66.
Jouve, D.
1992, « ‘Maintenant’ et la deixis temporelle », La Deixis, M.-A. Morel et L. Danon-Boileau (eds), Presses Universitaires de France, Paris, 355-363.
kennedy, Graeme,
1998, An Introduction to Corpus Linguistics, London: Longman, 315 p.
Stenström, Anna-Brita, Andersen, G., Hasund, K., Monstad, K. and Aas, H.
1999, Users’ Manual to accompany The Bergen Corpus of London Teenage Language (COLT), CD-ROM de l’ICAME, University of Bergen, 34 p. [manuals/colt.pdf].
Wells, J.
1990, Pronunciation Dictionary (Longman).
Victorri, B.
1992, « Un modèle opératoire de construction dynamique de la signification », La théorie d’Antoine Culioli. Ouvertures et incidences, Gap, Ophrys, 185-201.
Victorri, B.
1998, « La construction dynamique du sens : un défi pour l’intelligence artificielle ». in Actes de la conférence RFIA’98, Reconnaissance de formes et intelligence artificielle, vol. 2, pp.15-29, Clermont-Ferrand, 1998.
Victorri, B.
1999, « Le sens grammatical », Langages, n° 136.
Notes
1 Nous remercions Pierre-Don Giancarli et Catherine Collin pour leur relecture perspicace et leurs remarques qui ont contribué à clarifier plus d’un point de notre exposé.
2 . Col & Duchet (2000).
3 . A cet égard, going to et, a fortiori, gonna font partie, dans les termes de
B. Victorri (1999), « de manière incontestable du pôle grammatical » à l’extrémité du « continuum » qui va du lexical au grammatical (p. 86).
4 . Cf., par exemple, would you [wUdju] aboutissant à [wUdZ´].
5 . Dans le script de Shallow Grave, par exemple, la seule occurrence transcrite de gonna relevée est la suivante : « Well, Brian McKinley, if you want to talk to my girlfriend, you talk to me first. If you want to dance with her, then you apply in writing three weeks in advance or you're gonna end up inside a fucking bin-bag. You didn't apply, so you don't dance. » Il est à noter qu’elle apparaît devant voyelle. Sur la bande du film la séquence est d’ailleurs prononcée avec un r de liaison devant le e de end up, ce qui signe la disparition de toute présence de to dans gonna, et qui imposait donc une transcription qui ne pouvait être <going to>. Cette transcription isolée pèse peu face à des dizaines d’occurrences de going to dont on sait que, dans le jeu des acteurs, elles correspondent en fait à une articulation de gonna. C'est le cas dans ce même scénario où le script note : « David –Listen, it's important. We need to talk about what we're going to do. » (l. 1313) ou « Alex – A spade, we need a spade – I wish you would concentrate – we need a spade if we're going to dig a pit. » (l. 1007). Dans les deux cas, le jeu de l’acteur fait apparaître gonna.
6 . En attendant de pouvoir disposer des enregistrements numérisés, qui seront accessibles dans un avenir proche selon les responsables du corpus.
7 . Les adverbes ne concernent que 10% des occurrences totales de gonna dans le corpus COLT. Cependant, leur présence même est un phénomène à traiter dans l'analyse, ainsi qu'un moyen de distinguer les particularités respectives des deux marqueurs.
8 . « Décrire une unité grammaticale comporte donc deux étapes : d'une part, déterminer ce qui doit être présent dans le champ intersubjectif pour que l'unité puisse jouer son rôle dans cette construction : ces éléments, nécessaires au bon fonctionnement de l'unité, mais dont elle n'est pas elle-même porteuse, nous dirons que l'unité les convoque ; d'autre part, déterminer ce que l'unité apporte à la construction en agissant sur les éléments qu'elle a convoqués ; cette action a un effet sur la scène verbale en construction : c'est cela que l'unité évoque », B. Victorri, 1999, 96.
9 . On a, rappelons-le, recherché les mêmes adverbes pour chacun des marqueurs (cf. les tableaux en annexe), afin de pouvoir procéder à des analyses comparatives. Il nous fallait partir de points communs pour établir les distinctions entre be going to et gonna.