TEXTE SOUMIS À LA RÉFLEXION DES COMMUNICANTS

Par Martine MARQUILLÓ LARRUY (pour le comité scientifique)
Publication en ligne le 13 septembre 2018

Texte intégral

PROBLÉMATIQUE GÉNÉRALE

1L’objectif de ces journées d’étude est de réfléchir aux questions théoriques et épistémologiques qui sous-tendent la didactique du français. Comme dans toute discipline, il est naturel de temps à autre de chercher à dresser un état des lieux des connaissances partagées. On constate que les interrogations sur le statut et les frontières de la dicipline émergent de manière récurrente depuis quelque temps lors de rencontres organisées par l’Association dflm : on pense, par exemple, aux questionnements qui sont à l’origine des journées de Saint-Cloud et dont fait foi l’ouvrage Didactique du Français état d’une discipline (Nathan, 1996), on pense également à plusieurs publications, que celles-ci soient hexagonales ou non, et ce sans oublier les discussions de couloir lors de telle ou telle rencontre. Ainsi, par exemple, comment faut-il qualifier la didactique du français ? S’agit-il d’une discipline ? d’un domaine ? d’un champ ? d’une science ? ou seulement d’un « ensemble de préoccupations » ?

2Les interrogations épistémologiques de la didactique du français sont de divers ordres. Plusieurs modes d’entrée dans la réflexion étaient donc possibles, nous avons choisi de privilégier trois axes qui structureront les réflexions de chacun des trois ateliers de travail. De manière générale, toutefois, on souhaiterait que ce colloque soit l’occasion de recentrer le débat sur la spécificité de l’objet « français ». Les contacts avec les didacticiens d’autres disciplines notamment ceux de sciences – journées dflm de Montpellier en 97, colloque dflm de Bruxelles en 98 – ont été particulièrement féconds par les effets de miroir qu’ils ont permis... Il est maintenant opportun de chercher à cerner plus précisément ce qui constitue l’originalité de notre domaine : au-delà du caractère central de la langue dans les apprentissages en général et dans les rapports sociaux en particulier, faut-il oublier que le français est à la fois le médium et la finalité de l’enseignement / apprentissage ? Ceci soulève des difficultés qui renvoient à des débats de nature « méta », qu’ils soient linguistiques, cognitifs ou sociaux... On précisera, également, que l’on a considéré « français » comme terme générique c’est-à-dire comme terme fédérateur de variantes contextuelles dont il est habituellement dissocié puisque l’on souhaiterait ici une confrontation de points de vue avec les domaines « cousins » du français langue seconde (ls) et étrangère (le) afin de revenir sur des « cloisonnements historiquement fondés mais épistémologiquement problématiques ».

3Un premier ordre d’interrogations portera sur des questions de défini­tions, de modélisations et de constitution du domaine de la didactique du français : les paramètres et les facteurs à prendre en compte, les concepts utilisés et leur degré d’opérationnalité, les évolutions dans les savoirs issus des recherches produites lors de ces vingt dernières années...

4Se posera ensuite dans un deuxième lieu la délicate question de la délimitation territoriale. Se trouvent ainsi pointés les rapports avec des disciplines comme la linguistique, la psychologie, les sciences de l’éducation, la sociologie, qui sont qualifiées de « contributoires » ou de « référence » par les uns, de « connexes » par les autres, mais aussi d’« impliquées » par ceux qui ne veulent pas d’une didactique qui serait trop « appliquée ». Dès lors la didactique du français peut-elle revendiquer une autonomie disciplinaire et ceci doit-il avoir pour conséquence une obligation d’élaboration de ses propres descriptions de la langue (on évoquera à ce sujet les travaux de Chervel qui ont mis en évidence une relative autonomie des savoirs scolaires par rapport aux savoirs savants) ? Ou, au contraire, la didactique du français est-elle dépendante voire tributaire de disciplines « mères », comme la linguistique, en cela même qu’elle s’appuie sur les savoirs qui y sont élaborés ? Cette dichotomie n’est-elle pas elle-même pernicieuse ? Entre l’autonomie et la dépendance n’existerait-il pas d’autres voies ? La métaphore du « carrefour » serait-elle plus pertinente pour caractériser la didactique du français ?

5Enfin le troisième pôle s’articulera autour d’un panorama de recherches contemporaines en didactique. Sans prétendre dresser un état des lieux exhaustif, on discutera des recherches qui ont paru significatives. On abordera la question des savoirs cumulés dans le domaine, et des problèmes qui restent encore ouverts. À partir du contraste proposé par des études en cours en didactique des langues, on se centrera ensuite plus spécifiquement sur des travaux concernant le français dans sa dimension générique. Enfin cet atelier serait incomplet s’il ne s’interrogeait pas sur les questions de diffusion et d’appropriation des recherches : la recherche pour qui ? et quelle place au sein de la formation ?

6Ces pistes déterminent ainsi les axes de travail des trois ateliers dont les intitulés sont les suivants : Axe 1 : Conceptions de la didactique, définitions, théories et modèles ; Axe 2 : Rapports avec les disciplines connexes ; Axe 3 : Panorama des recherches contemporaines et tendances prospectives

Axe 1: conceptions de la didactique : dÉfinitions, thÉories et modÈles

Atelier 1.1 : Qu’est-ce que la didactique ? définitions et modèles

7Peut-on parler d’une spécificité de la didactique du français ? Comment définit-on la didactique du français ? La didactique est-elle une science, une discipline ? un domaine ? un champ ? À côté du triangle didactique si souvent repris, ne faut-il pas considérer (discuter / diffuser) aussi les autres modélisations de la didactique (parmi les modèles existants, on peut citer ceux de Besse, Candelier, Dabène, Galisson, Germain, Puren, Simon...) ? Doit-elle privilégier les contenus comme argumentent certains ou doit-elle mettre l’accent, comme le suggèrent d’autres, sur les relations (entre savoir et enseignant ou entre enseignant et apprenant) ?

Atelier 1.2 : Les concepts de la didactique

8De nombreux concepts circulent dans le champ : tâche, activité, transposition didactique (par exemple, en quoi, ce concept aujourd’hui en vogue se distingue-t-il de l’applicationnisme tant décrié des années soixante-dix ? compte tenu de la spécificité de la matière considérée qui est à la fois moyen et fin de l’apprentissage, ce concept est-il aussi opératoire en français que dans d’autres disciplines ?). Citons encore : régulation, évaluation formative, contrat didactique, médiation, tri de textes, métacognition, métalinguistique... D’où viennent ces concepts ? La didactique du français peut-elle / doit-elle élaborer son propre appareillage conceptuel ou peut-elle l’emprunter à des domaines proches ? À quelles conditions et à quels prix : quels sont les enrichissements ou les risques dès lors encourus ?

Atelier 1.3 : Mises en perspective historiques

9Quels jalons sont à noter dans une histoire de la didactique du français et des recherches qui y sont conduites ? Que nous apprend le long terme historique en matière de changements de l’enseignement ? Quelles modifications dans la discipline « français » (lecture, littérature, écriture...), peut-on retenir non seulement au cours de ces vingt dernières années, mais depuis la fin du siècle dernier ? Quelles évolutions de la discipline peut-on lire dans la succession des différentes Instructions officielles : quelles continuités et quelles ruptures ? Quels outils conceptuels nous fournit un « regard historique » pour interpréter et comprendre les Instructions officielles de l’an 2000 ? Peut-on estimer le rôle joué par les manuels ou par certaines revues professionnelles dans ces changements ? Quelles différences note-t-on du côté de la recherche : évolution des procédés d’investigation ? des sujets traités ? des objectifs ? In fine, quels repères pour l’avenir peut-on tirer d’un regard sur ce passé plus ou moins récent ?

Axe 2 : relations avec les disciplines connexes

Atelier 2.1 : Confrontation de techniques d’investigation et questions de validité pour la didactique

10Peut-on parler d’une méthodologie spécifique pour la didactique du français ou faut-il par exemple postuler une « autonomisation des objets et des méthodes d’investigation» ? Existerait-il des méthodologies plus recommandables que d’autres pour la didactique du français ? Les méthodologies développées dans des disciplines « proches» comme la psychologie, la linguistique ou l’ethnométhodologie sont-elles pertinentes telles quelles ou avec des aménagement pour une didactique du français ? La typologie des recherches établie lors de l’établissement de la banque de données (daf, Gagné, Lazure, Sprenger-Charolles et Ropé, 1989) est-elle toujours valide pour notre domaine ? Comment apprécier la validité et la pertinence des recherches en didactique du français ? Quelle pertinence sociale et quelle éthique pour la didactique du français ?

Atelier 2. 2 : Quels objets d’étude pour la recherche en didactique ?

11Ne faut-il pas distinguer des recherches en didactique et des recher­ches pour la didactique ou des recherches utiles à la didactique ? Quelles frontières, fondées sur quels critères ? Comment caractériser ou définir les « terrains» ou les « objets » didactiques ? Que retiendrait-on dans une liste comme celle qui suit : enseignement, apprentissage, acquisition, interactions, programmes, salles de classe, manuels, apprenants, élèves, enfants, adolescents, adultes, enseignants, administrateurs, formateurs, oral, écrit, production de textes, compréhension, expression, grammaire, orthographe, conjugaison, vocabulaire...

Atelier 2.3 : Quelles relations avec les référents théoriques des disciplines connexes (ou quelles relations avec les disciplines connexes) pour la didactique du français ?

12On souhaiterait dépasser le clivage autonomie / application (question déjà abordée dans l’atelier 1.2.) et explorer d’autres voies. On déclinera l’analyse des rapports avec les disciplines connexes à plusieurs niveaux. Par exemple, au niveau de la recherche, de quels outils conceptuels dispose-t-on (ou à quelles théories du texte se réfère-t-on) lorsque l’on analyse une production écrite d’élève ? Par ailleurs, si l’on s’intéresse aux processus d’écriture, convoquera-t-on les modèles proposés par les psychologues cognitivistes, ceux issus de la critique génétique, ou ceux issus d’approches sociologiques ? Autre niveau à considérer : celui des pratiques de classe (par exemple, à quelles descriptions / conceptions de la langue se réfère-t-on en tant qu’enseignant ?). Le type de question dont on souhaiterait débattre ici est non pas comment enseigner les typologies de textes en classe – ce qui serait de l’applicationnisme – mais les typologies de textes proposent-elles des descriptions plus pertinentes que la grammaire générative pour l’enseignement de l’écriture ? Ou encore, pour changer de domaine, à quel modèle éducatif ou à quel modèle discursif se réfère-t-on lorsqu’on analyse des pratiques de classe ?

Axe 3 : panorama des recherches contemporaines et tendances prospectives

Atelier 3.1 : Des recherches en didactique des langues

13La didactique d’une langue particulière peut-elle s’inscrire dans la didactique des langues en général ? Certains savoirs ou concepts développés en didactique des langues dans les recherches récentes ou en cours intéressent-ils la didactique du français ? Les théorisations sur la communication bilingue, les analyses des conduites d’étayage et de reformulation repérées dans les conversations exolingues peuvent-elles offrir des connaissances ou des perspectives fructueuses pour la didactique du français ? Qu’en est-il également des propositions pédagogiques issues de l’awareness of language qui ont pour but de développer la conscience (méta)linguistique ; Qu’en est-il enfin des travaux sur les questions de distance / proximité des langues et de leurs effets dans les situations d’apprentissage plurilingue ?

Atelier 3.2 : Des recherches en didactique du français

14Si l’on considère le français dans sa dimension générique (i.e. que l’on prend en considération les trois contextes que l’on a coutume de distinguer : flm, fls, fle) que nous apprennent, par exemple, les recher­ches sur les interactions entre enseignants et apprenants : quelles sont les modalités langagières utilisées pour faire accéder au sens, pour gérer la succession des activités, pour exemplifier lorsque le français est dans un contexte de langue étrangère ? En quoi le français langue seconde apporte-t-il une dimension spécifique aux activités réflexives de l’écriture ? Que peut-on retenir des recherches sur l’oral en langue maternelle ?

Atelier 3.3 : Diffusion et destinataires de la recherche

15Une recherche non connue est une recherche qui n’existe pas. La question de la diffusion et des moyens dont dispose la recherche est loin d’être un épiphénomène. Quels sont les lieux de diffusion de la recherche : les centres de formation initiale et continue des enseignants ? les revues ? les journées d’étude et les colloques ? Quelle « exploi­tabilité» pour les travaux réalisés en didactique du français ? Quelle est la place de cette recherche non seulement dans la formation des enseignants mais aussi dans les instances institutionnelles (administrateurs, décideurs de programmes, etc.) ? Comment les destinataires s’approprient-ils les modèles et les concepts, et n’y-t-il pas des choix différents (voire contradictoires) qui sont faits dans les premier et deuxième degrés ?

Pour citer ce document

Par Martine MARQUILLÓ LARRUY (pour le comité scientifique), «TEXTE SOUMIS À LA RÉFLEXION DES COMMUNICANTS», Cahiers FoReLLIS - Formes et Représentations en Linguistique, Littérature et dans les arts de l'Image et de la Scène [En ligne], Questions d'épistémologie en didactique du français, Revue papier (Archives 1993-2001), mis à jour le : 13/09/2018, URL : https://cahiersforell.edel.univ-poitiers.fr:443/cahiersforell/index.php?id=545.