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La recherche en didactique du français en communauté française de Belgique : quels acteurs ? quelle diffusion ?
Par Olivier DEZUTTER
Publication en ligne le 17 septembre 2018
Table des matières
Texte intégral
« Peut-on être chercheur sans être formateur ou formateur sans être chercheur ? L’imbrication étroite de ces tâches est peut-être l’une des spécificités du champ de la didactique des disciplines... »
(M. Dabène, La Lettre de la DFLM, n° 21, 1997-2)
1Conformémement au portrait du didacticien bicéphale brossé par Michel Dabène, à cette étape de ma carrière, j’interviens, dans le champ de la didactique du français, à la fois en tant que chercheur et que formateur, tant en formation initiale qu’en formation continuée. À ces deux rôles actuels, il faut ajouter une expérience acquise sur le terrain scolaire en tant qu’enseignant de français langue maternelle et étrangère. Enseignant, formateur, chercheur : trois métiers, trois types de rapport à la recherche et à l’action, trois rôles qui sont sans doute, comme le suggère Dominique Bucheton, à concevoir idéalement non pas comme complémentaires mais bien plutôt comme interactifs, « la complexité de l’objet didactique nécessitant l’interaction de modes d’action et de théorisation hétérogènes »1.
2Enseignant, formateur, chercheur, c’est en fonction de cette triple expérience et en partant des tensions qui animent les lieux d’insertion qui sont les miens : une École supérieure pédagogique, un Institut universitaire de formation en sciences de l’éducation et un Centre universitaire d’études en didactique des langues et littératures romanes, que je voudrais, dans les lignes qui suivent, pointer quelques éléments saillants relatifs à la situation de la recherche en didactique du français en Communauté française de Belgique. J’envisagerai quelques aspects de la production et de la diffusion de la recherche, et, au départ des orientations actuelles, je m’interrogerai sur son avenir.
1. Les lieux de production de la recherche en didactique
3En Communauté française de Belgique, où nous ne disposons pas d’institutions du type inrp, les différentes Universités2 constituent de fait les seuls lieux véritables où se développent la plupart des recherches reconnues dans le domaine de la didactique du français. En principe, l’Université n’est pourtant pas le seul lieu officiellement institué comme producteur de recherches. Dans ce domaine, l’enseignement supérieur pédagogique a également son rôle à jouer. En effet, le décret ministériel daté de 1996, qui a totalement réorganisé l’enseignement supérieur non universitaire et institué trente Hautes écoles pluricatégorielles au sein desquelles ont trouvé place les anciennes Écoles normales3, assigne clairement une mission de recherche aux différentes entités des Hautes écoles, parallèlement aux missions d’enseignement et de formation continuée. La réalité est autre puisque ce regroupement de l’enseignement supérieur est allé de pair avec des restrictions budgétaires importantes, en particulier dans les départements pédagogiques, et que, dans ce contexte, il s’est avéré quasi impossible de mettre en place une véritable politique de recherche à ce niveau4. Il est d’ailleurs significatif de remarquer que, dans notre domaine, les quelques fonds ministériels de recherche sont à l’heure actuelle quasi totalement monopolisés par les Universités.
4Quelques très rares tentatives de recherche en synergie entre centres universitaires et Écoles normales existent5. Elles gagneraient à être mieux soutenues et amplifiées. Il me parait en effet essentiel de tenter de rejoindre la vision de Michel Dabène et d’envisager que les formateurs d’enseignants aient tous l’occasion, à tout le moins, d’être impliqués dans une dynamique de recherche. Dans cette perspective, les recherches portant sur l’observation des pratiques de classe et sur les capacités des élèves dans les différents domaines de l’enseignement du français, pointées parmi les recherches prioritaires dans le texte d’orientation de l’association dflm6, me semblent particulièrement propres à générer de fructueuses collaborations. Parallèlement à ce type de recherche, il conviendrait aussi de développer des réflexions communes centrées précisément sur ce qui, en Communauté française de Belgique, rassemble à la fois un bon nombre de didacticiens de l’Université et les enseignants des Hautes écoles, à savoir la didactique du français dans le supérieur7 et la formation des futurs enseignants de français8. C’est en ce sens que seront organisées en mai 2000 à Charleroi des journées d’étude régionales de la section belge de l’association dflm autour de la question « Comment former des maitres de lecture ? ».
2. Les lieux de diffusion de la recherche en didactique
5En matière de diffusion de la recherche, il y a lieu de distinguer deux voies principales de diffusion : la voie directe, écrite (au travers des revues et des collections spécialisées) et la voie « indirecte » de la transmission de savoirs au travers de la formation initiale ou continuée9.
6Si, jusqu’à présent, dans la tradition universitaire, seule la première voie était véritablement valorisée dans une carrière scientifique, les choses commencent semble-t-il à évoluer. Ainsi, à l’université catholique de Louvain, le projet-cadre relatif au développement de la formation continue prévoit la possibilité de faire reconnaitre officiellement au sein de la charge académique des enseignants de l’Université des missions de formation continue et de prendre en compte les compétences dans ce domaine pour certains profils d’engagement10. Il s’agit là d’un signe encourageant par lequel l’Université reconnait l’existence de « nouveaux » destinataires pour la recherche, autres que la traditionnelle communauté de chercheurs.
2.1 Les revues
7Dans son état des lieux du monde de la didactique du français langue première, Claude Simard, bien informé, recense, pour la Belgique francophone, deux revues centrées sur la didactique du français : la revue Enjeux, des Facultés universitaires Notre-dame de la Paix de Namur, dirigée par Georges Legros, et Français 2000, le bulletin trimestriel de la Société belge des professeurs de français. À ces deux revues spécialisées, il faut ajouter une revue de sciences de l’éducation telle Éducation et Formation, de l’université de Liège, Le langage et l’homme de l’Institut Marie Haps ou École 2000, une revue généraliste centrée sur l’enseignement primaire, qui accueillent régulièrement des articles sur la didactique du français.
8Les deux revues spécialisées précitées (Enjeux et Français 2000) ne touchent à l’évidence pas le même public. L’évolution du lectorat d’Enjeux parait particulièrement significative. Alors qu’aux dires de ceux qui l’ont portée sur les fonds baptismaux, la revue était initialement conçue principalement à destination des professeurs de français, elle est devenue, à travers le temps, une revue qui intéresse et mobilise en priorité les chercheurs et les formateurs. Ses abonnés, au départ surtout belges et privés, sont aujourd’hui pour la plupart des instituts de formation et de centres de recherche étrangers. Une telle évolution confirme les résultats d’une enquête inrp montrant que, en France, chercheurs et enseignants ne se lisent pas mutuellement ; les chercheurs lisent les chercheurs, les enseignants cherchent un peu d’aide dans les revues pédagogiques ou les publications des crdp11.
2.2 Les collections spécialisées
9Dans les milieux des chercheurs, la maison belge De Boeck-Duculot est bien connue pour son fonds d’ouvrages à orientation didactique et pour sa collection « Formation continuée » dirigée par Ch. Cherdon,
A. Fossion et J.-P. Laurent. Le titre choisi pour cette collection indiquait clairement l’ambition d’offrir aux enseignants, par l’autoformation, une occasion de renouveler et d’approfondir leur pratique d’enseignement du français. Depuis peu, sous la direction de K. Canvat et de J.-L. Dufays, une nouvelle collection a vu le jour, qui s’inscrit dans la droite ligne de la précédente. Présentée par ses responsables comme destinée à la fois aux étudiants en formation, aux enseignants, aux formateurs, aux inspecteurs, aux chercheurs et aux amateurs éclairés, la collection « Savoirs en pratique » entend faire le point sur les questions contemporaines de l’enseignement du français en intégrant les acquis récents de la recherche en didactique, en linguistique et dans le domaine des études littéraires.
2.3 Les manuels scolaires
10Depuis quelques années maintenant, ainsi que le remarquait Jacques David dans sa contribution à l’état de notre discipline paru chez Nathan en 1995, les didacticiens n’ont pas hésité à s’engager également dans la conception de séries de manuels scolaires intégrant les avancées des recherches en didactique de la lecture, de l’écriture et de la littérature. Les didacticiens belges ont participé et participent encore à ce phénomène, en particulier à destination de l’enseignement secondaire. Citons la collection « Séquences » dirigée par Pierre Yerlès chez Didier-Hatier ou les collections « Lectures pour toi » et « Écrire pour les autres » dirigées par Jean-Louis Dumortier chez Labor12.
2.4 La formation continuée
11Cl. Simard n’hésite pas à affirmer que « le moyen le plus puissant qui s’offre à la didactique du français pour parvenir à orienter les pratiques scolaires consiste sans aucun doute à exercer une action déterminante sur la formation initiale et continuée des enseignants »13. L’impact réel de la formation initiale ou continuée sur les pratiques effectives des enseignants reste difficile à déterminer, il n’en reste pas moins que ces formations représentent de fait un lieu important, si ce n’est le plus important de diffusion des recherches.
12En Communauté française de Belgique, la formation continuée est assurée à la fois par des équipes de didacticiens universitaires, par des enseignants des Hautes écoles et par des animateurs pédagogiques. Des tensions existent quant à la part à prendre dans ce domaine par chacun de ces acteurs, lesquels gagneraient à proposer encore plus que ce n’est le cas aujourd’hui des programmes de formation concertés au sein desquels chacun pourrait trouver sa place et apporter sa juste contribution.
13Ces dernières années, on a pu observer le développement, sous l’influence des instances décisionnelles, de nouvelles formes de formations continuées ayant pour objectif avoué la diffusion et l’appropriation d’Instructions officielles et de nouveaux programmes d’enseignement par les professeurs concernés. Durant de telles formations, prises en charge surtout par des animateurs pédagogiques et des enseignants des Hautes écoles, les enseignants sont amenés à produire des séquences didactiques conformes aux nouvelles instructions. Des universitaires ont été sollicités afin d’éclairer le cadre conceptuel sous-jacent à ces nouvelles options. Si ces formations rendent sans conteste de réels services à la fois à l’institution et aux enseignants, il serait toutefois dangereux de limiter la formation continuée à cet unique aspect.
14Dans notre Université, une forme originale de formation continuée a été mise en place par Luc Collès depuis une dizaine d’années pour les enseignants de fles. Il s’agit d’un séminaire ouvert qui rassemble une fois par mois durant une après-midi des étudiants en formation, des doctorants, des enseignants et des chercheurs, autour d’un thème général ; les séances sont animées par les uns ou les autres en fonction de recherches en cours ou d’expériences acquises en rapport avec le sujet traité14. Ce séminaire constitue un véritable lieu d’échange, de partage et de réflexion sur la pratique et enrichit l’ensemble de ses acteurs grâce à des interactions fécondes. La formule mérite d’être mieux connue et étendue.
2.5 La formation initiale
15Dans les cursus de formation initiale des enseignants, l’étudiant est en principe mis en contact avec les travaux des chercheurs par l’intermédiaire des cours qu’il reçoit. Par ailleurs, les divers travaux exigés et en particulier le travail de fin d’études ou le mémoire de maitrise l’amènent à s’approprier personnellement certains travaux de recherche et à adopter lui-même une position de chercheur. Pour préparer l’étudiant à cette tâche et à cette « posture », des séminaires ou cours d’initiation à la recherche en didactique sont organisés aussi bien dans les universités que dans les Hautes écoles. Dans ce cadre, la recherche est à concevoir avant tout, selon Philippe Perrenoud, comme une « pratique cognitive » qui induit un mode actif de rapport au savoir et est susceptible de transformer les savoir-faire15.
16Même si les recherches effectuées par les étudiants dans le cadre de leur formation initiale n’ont pas pour objectif premier d’être diffusées, elles représentent un vivier intéressant qui mérite d’être connu. C’est à cette fin que Daniel Rousselet, didacticien de la biologie aux facultés de Namur, a pris l’initiative de créer, en 1993, le Fichier des travaux didactiques (ftd) ou recueil informatisé de travaux relatifs à l’éducation et à la formation réalisés en Belgique francophone16. Aujourd’hui disponible sur cdrom, cet annuaire a pour objectif déclaré de favoriser les contacts et la collaboration entre professeurs, appelés à s’engager dans une problématique de recherche en éducation, qu’ils enseignent dans les établissements d’enseignement supérieur ou dans les services universitaires. Cet annuaire se révèle également un outil précieux permettant de dégager l’évolution des tendances dans les recherches en didactique menées en différents lieux et dans les différents secteurs concernés.
17Le rapide survol dressé ici des lieux de production et de diffusion de la recherche en didactique du français en Communauté française de Belgique n’a pas cherché à gommer les tensions qui existent entre les différents acteurs de ce champ. Il apparait ainsi que, faute d’attention et de réflexion concertée sur les types de recherche à privilégier, sur la manière de les mener et de les faire connaitre, ainsi que sur la meilleure façon d’initier à la recherche dès la formation initiale, le risque existe de creuser ou d’approfondir un fossé entre enseignants, formateurs et chercheurs. Il y va de l’intérêt de tous et surtout des différents élèves qui peuplent les classes de français et qui devraient être, en définitive, les principaux bénéficiaires de nos recherches.
Notes
1 . D. Bucheton, « Au carrefour des métiers d’enseignant, de formateur, de chercheur », dans Didactique du français, État d’une discipline, Nathan, 1995, p. 238.
2 . Signalons à ce propos que l’insertion facultaire des Centres d’études en didactique du français ou des chercheurs qui travaillent dans ce domaine varie d’une institution à l’autre. Ainsi, alors qu’à Louvain-la-Neuve et à Namur, les centres de recherche sont insérés dans la faculté de Philosophie et Lettres, à Liège par exemple des recherches en didactique du français s’effectuent aussi dans le Laboratoire de pédagogie expérimentale. À l’université de Mons, le Service de didactique des langues fait partie de la faculté de Psychologie et des Sciences de l’éducation. À l’université libre de Bruxelles, le Centre de méthodologie universitaire, qui développe des recherches en didactique du français, jouit d’une relative autonomie et est au service de l’ensemble des facultés.
3 . En Communauté française de Belgique, les instituteurs et les professeurs de collège sont formés au sein des écoles normales alors que les professeurs de lycée sont formés à l’Université.
4 . Les difficiles conditions budgétaires ne sont sans doute pas les seules en cause. Il importe de signaler que les Instituts supérieurs pédagogiques n’avaient pas développé jusque-là de véritable tradition de recherche à ce niveau.
5 . C’est le cas par exemple pour quelques recherches effectuées en collaboration entre l’Institut supérieur pédagogique de Theux et le Service de pédagogie expérimentale de l’université de Liège ou pour la recherche foreo initiée par le cedill de l’ucl, à laquelle a été associée la Haute école catholique Charleroi-Europe.
6 . Voir La Lettre de la dflm, n° 23, 1998-2.
7 . Il s’agit là d’un champ de recherche qui émerge véritablement ces derniers temps. Voir à ce sujet le n° 125 du Français aujourd’hui et le volume coordonné par C. Fintz, La didactique du français dans l’enseignement supérieur : bricolage ou rénovation ?, L’Harmattan, 1998.
8 . Voir à ce propos les actes à venir des journées d’étude de Rennes, 14-15 septembre 2000, « Didactique du français et formation des enseignants », DFLM-IUFM de Bretagne.
9 . Il faudrait ajouter ici la voie des colloques et des journées d’étude, dont nous ne parlerons pas, faute de place.
10 . La formation continue à l’ucl, Projet-cadre de développement, université catholique de Louvain, Institut de formation continue, 1999.
11 . Enquête citée par D. Bucheton, op. cit., p. 221-241. Il faut saluer ici la ténacité de J. Bradfer, responsable de l’édition de la revue Langue maternelle : documents pédagogiques, constituée pour l’essentiel de récits d’expériences rédigés par des enseignants du secondaire. Cette revue est aujourd’hui consultable sur le net, à l’adresse suivante : http :/www.ping.be.be/lmdp/
12 . Pour le domaine du fles, citons également la collection « Stratégies » dirigée par L. Collès et M. Deneyer chez De Boeck-Duculot.
13 . C. Simard, Éléments pour une didactique du français langue première, Montréal, Éditions du renouveau pédagogique, 1997, p. 106-107.
14 . Les collègues de l’université de Liège ont emboité le pas depuis quelques années, sous l’impulsion de J.-M. Defays.
15 . Voir, à ce sujet J. Dolz, « Formation par la recherche, initiation à la recherche » et O. Dezutter, « Former de futurs enseignants-chercheurs ? », dans La Lettre de la dflm,
n° 21, 1997-2.
16 . Adresse de contact : D. Rousselet, Unité de méthodologie et de didactique, Facultés universitaires Notre-Dame de la Paix, (fundp), rue de Bruxelles, 61, 5000 Namur.