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Repères ou la question de la diffusion de la recherche
Par Catherine TAUVERON
Publication en ligne le 17 septembre 2018
Texte intégral
1La revue Repères est à ce jour la seule revue sur le marché qui se donne pour objectif exclusif la diffusion des résultats de recherches en cours portant sur la didactique du français langue maternelle 1er degré ou la concernant. La situation de monopole, loin de lui assurer le confort, exige de sa part une attention constante aux tensions, diverses, qui la traversent et peuvent faire obstacle à cette diffusion.
2Une tension tout d’abord, entre les exigences de scientificité, qui limitent de fait le lectorat, et la nécessité qu’il y a pourtant d’acheminer les résultats des recherches jusqu’au terrain des classes. Quand Repères n’était encore que l’espace d’expression privé des équipes de recherche de l’Institut national de la recherche pédagogique (inrp), on y trouvait, au voisinage d’articles théoriques, des descriptions de pratiques innovantes pouvant parler aussi bien au formateur-chercheur qu’au maitre-formateur non impliqué dans une recherche. En devenant lieu de débat scientifique, la revue, difficile d’accès, peu exemplifiante, tout en gagnant un surcroit de légitimité universitaire, a perdu son lectorat de base d’origine. Pour autant, si elle vise directement un lectorat constitué de chercheurs ou de formateurs d’iufm intéressés par la recherche, elle espère être aussi un vecteur d’auto-formation à la recherche pour tous les autres formateurs et de formation par la recherche pour les professeurs des écoles stagiaires. La revue a une faible diffusion : elle tire à 800 exemplaires et possède 480 abonnés. Mais précisément ses abonnés sont pour l’essentiel des abonnés institutionnels parmi lesquels figurent en bonne place tous les iufm. C’est dire qu’elle touche en théorie un public beaucoup plus large et, précisément, le public des étudiants en formation. Une enquête empirique montre que si les articles de la revue ne sont guère lisibles sans une médiation du formateur, ils alimentent pour une part non négligeable les problématiques des mémoires professionnels, tout comme les sujets de concours, par le biais de la note de synthèse, un élément dont les effets en retour ne sont sans doute pas insignifiants, même s’ils ne sont pas quantifiables. Reste que la revue ne peut négliger la question du nécessaire traitement didactique des résultats des recherches en formation, donc du nécessaire traitement didactique de son contenu même et au-delà, de la stratégie discursive la plus efficace à privilégier pour que le produit de la recherche ait des chances de devenir outil de formation. Elle a symboliquement ouvert sa “ nouvelle série ” sur un numéro intitulé “ Contenus, démarche de formation des maitres et recherche ” (1990). On y trouve exprimé, sous la plume d’Hélène Romian, un certain nombre de conditions auxquelles devrait répondre la présentation des recherches, celle-ci notamment :
“ La lisibilité d’un produit de recherche en didactique ne signifie pas que celui-ci ait à se lire facilement, sans travail d’analyse, de réflexion, mais qu’il donne une idée suffisamment explicite des pratiques de classe et de leur présupposés théoriques […]. Il apparait bien que l’arbre de la lisibilité des productions de recherche cache la forêt de problèmes autrement complexes qui tiennent à leur stratégie discursive. Leurs propriétés heuristiques en matière de formation tiendraient à l’explicitation des problématiques de recherche, des principes épistémologiques, méthodologiques et des cheminements de la construction des modélisations et des outils descriptifs, à l’explicitation de l’interprétation des résultats, beaucoup plus qu’aux résultats qu’elles exposent. Ce qui fait qu’une recherche est utilisable en formation, c’est qu’elle affiche les conditions de production et des règles de lecture de ses résultats. Aux formateurs d’en construire les modes d’emploi. En somme, le traitement didactique des recherches dans la formation des maitres implique certes un travail spécifique des formateurs en aval de celle-ci, mais la faisabilité de ce travail est en partie fonction d’un travail spécifique des chercheurs en amont de la formation ”.
3Repères connait une deuxième tension entre la nécessité de maintenir son ancrage institutionnel (elle est une revue de l’inrp et comme telle la vitrine privilégiée et obligée des recherches menées en son sein) et celle de s’ouvrir sur l’extérieur, tout en gardant équilibre et cohérence. Dans certains numéros, les contributions des équipes inrp sont minoritaires ou symboliques ; dans d’autres, centrés sur une problématique de recherche en cours, elles se font plus présentes ; en tout état de cause, elles restent en moyenne inférieures au tiers de l’espace disponible. C’est dire assez que Repères est une revue théoriquement ouverte mais, dans la pratique, elle opère des choix parmi les contributions potentielles venues d’horizons disciplinaires, épistémologiques et méthodologiques différents, de façon à préserver et afficher sa philosophie de la didactique et de la recherche en didactique. Cette philosophie, s’exprime, plus ou moins tacitement, en relation étroite avec les principes défendus et opérationnalisés par les travaux des équipes inrp. Son modèle de référence est celui d’une recherche qui vise avant tout une transformation conceptualisée et rationalisée des pratiques, c’est-à-dire dont les innovations sont régulées selon des hypothèses de travail didactique inscrites dans un cadre théorique construit progressivement à partir d’une recomposition et d’une articulation de référents diversifiés empruntés à plusieurs champs de connaissance et synthétisés de manière inédite. Une recherche qui, dans une logique double, logique d’action et logique de connaissance (produire du savoir nouveau sur les classes et leur fonctionnement, construire de nouveaux concepts et de nouveaux objets d’enseignement, de nouvelles démarches pour aborder ces objets, évaluer les effets induits) tient toujours en main, pour les tresser, les trois fils que sont les contenus, les démarches du maitres pour faire acquérir ces contenus et l’activité des élèves dans l’appropriation de ces contenus, auxquels s’ajoute, pour mieux comprendre démarches et activités, le fil des représentations des objets travaillés et des finalités de l’activité, chez les uns et les autres. En ce sens, Repères valorise les recherches pluriorientées et pluriréférencées. Ces recherches, qui revendiquent le droit et le devoir de remodeler à leur propre compte les emprunts qu’elles font aux disciplines connexes, ont évidemment des “ effets en retour sur le théorique ” (Chiss et Puech, 1999). Tout en se nourrissant de savoirs déjà constitués hors du champ de la didactique, du lieu où elles se trouvent, avec leur questionnement spécifique, elles construisent leurs propres descriptions de la langue et des processus cognitifs à l’œuvre dans les activités langagières (voir par exemple, dans Repères 19, la modélisation dynamique de la compréhension et de l’interprétation proposée par la recherche inrp en cours sur la lecture littéraire ou, dans Repères 4 “ Savoir écrire, évaluer, réécrire en classe ” et Repères 10 “ Écrire, réécrire ”, celle du savoir écrire et du savoir réviser, avancée par les recherches eva et rev à partir de la synthèse et de la recomposition d’emprunts à la psycho-linguistique, à la socio-linguistique, à la génétique textuelle, aux théories du texte). En ce sens, ces recherches didactiques de référence, tout en satisfaisant à leurs propres besoins, font avancer la connaissance, y compris dans les territoires extérieurs mais frontaliers où elles puisent une partie de leur substance.
4Repères accueille donc en priorité des recherches en dflm répondant plus ou moins fortement aux critères précédemment définis et, parallèlement, des recherches en didactique d’autres disciplines dès lors que les unes et les autres sont confrontées à des problèmes langagiers communs et peuvent échanger, confronter, articuler leurs solutions ou propositions de solutions. Sont aussi accueillies des recherches menées hors du champ de la didactique quand elles se donnent pour objet des problèmes qui la concernent et apportent des éclairages pouvant générer de nouvelles hypothèses didactiques. Ces dernières recherches, dont le choix est toujours délicat, appellent un éventuel traitement didactique de premier niveau plus complexe que le traitement didactique de second niveau réclamé par les recherches proprement didactiques. Par ailleurs, il arrive parfois que les circonstances conduisent à publier des articles (issus notamment de la psychologie-cognitive expérimentaliste) dont les options épistémologiques et méthodologiques sont à bien des égards irrecevables pour des didacticiens. Dans ces conditions, le lecteur occasionnel non chercheur qu’est le professeur des écoles en formation doit parvenir à faire la part, dans ce que présente la revue, entre le déjà didactisé (mais à rendre opératoire dans la pratique), le didactisable et le non-didactisable. Il ne peut de toute évidence accomplir seul et sans risques l’opération.
5Parmi toutes les disciplines de référence possibles, les travaux menés en psycho-linguistique et en psychologie cognitive, sont nettement sur-représentés par rapport aux contributions issues, par exemple, de la sociolinguistique ou de la linguistique. Le fait n’est sans doute pas anodin et mérite d’être interrogé. Si l’on considère attentivement le titrage des numéros, il apparait que l’entrée privilégiée de la revue n’est pas le contenu d’enseignement – l’éclairage n’est jamais mis sur le langage et les formes discursives en tant que telles – mais les compétences langagières et les activités qui les manifestent : non point “ Le lexique ” mais “ Pour une didactique des activités lexicales ” (Repères 8), non point “ L’écriture ” mais “ Savoir écrire, évaluer, réécrire ” (Repères 4), non point “ L’orthographe, la grammaire… ” mais “ Activités métalinguistiques à l’école ” (Repères 9). Les thématiques retenues, en mettant en lumière des objets d’enseignement qui ne sont pas des contenus mais autant de savoir-faire complexes (l’écriture, l’évaluation des écrits, la révision des écrits, les activités métalinguistiques), placent en arrière-plan les savoirs multiples (sur les textes, sur la langue, sur les processus mêmes à mettre en œuvre) au service de ces savoir-faire. En conséquence, pourrait-on dire, Repères, qui a accueilli et accueille encore largement les contributions des psychologues parce qu’elles peuvent éclairer le processus cognitif en jeu dans l’activité langagière étudiée, plus modestement les contributions des sociolinguistes en ce qu’elles décrivent les pratiques langagières de référence, n’a que peu réfléchi à la didactisation des contenus proprement disciplinaires. Elle n’a pratiquement jamais fait appel à des linguistes ou à des théoriciens du texte pour nourrir un dossier. D’autres revues se sont chargées en lieu et place de Repères de didactiser les contenus disciplinaires. C’est le cas de Pratiques, dont les titres (“ Le personnage ”, “ La description ”, “ La ponctuation ”, “ Cohésion textuelle ”, “ Les textes explicatifs ”…) montrent assez que l’axe privilégié est celui qui relie le savoir et l’enseignant. Pour autant, il ne s’agit pas là simplement d’une répartition à l’amiable des territoires. Les deux revues ne sont pas exactement complémentaires dans la mesure où le traitement didactique des savoirs disciplinaires pour le secondaire, auquel se consacre Pratiques, ne saurait être parfaitement adéquat aux besoins du primaire. Il s’en suit que, dans les recherches que présente Repères, des savoirs disciplinaires sont convoqués sans être explicitement interrogés et retravaillés, ou sans que l’interrogation et le travail dont ils ont pu faire l’objet soit exposé. En quelque sorte, Repères, en dépit de son titre, perd parfois le nord du triangle didactique. Les recherches didactiques pour l’école qui ont porté sur l’écriture (il en va tout autrement des recherches dans le secondaire) ont exploré les représentations que les maitres se font d’un texte réussi, les démarches qu’ils mettent en place pour faire acquérir des compétences scripturales et les savoirs qui les nourrissent, autrement dit leur médiation dans la relation du savoir et de l’élève. Elles ont aussi exploré les représentations de l’écriture et de la réécriture chez les élèves, les aspects psychocognitifs et aujourd’hui interactionnistes de la construction des savoirs sur les textes, la manière dont se manifestent les compétences d’écriture. En bref, les trois côtés du triangle didactique ont bien été parcourus, avec arrêt exploratoire sur deux des angles : le maitre, les élèves. Ce faisant, quel que soit l’itinéraire choisi, l’angle du savoir notionnel est traité comme un angle mort, comme si — effet d’une connivence culturelle — il n’y avait là rien à regarder qu’on ne sache déjà. Pourtant, comme le remarque Jean-François Halté (1999), la sélection, le traitement didactique et l’articulation des savoirs est une opération particulièrement délicate en Français, tant les disciplines de référence offrent pour une même question des options différentes et souvent incompatibles. Elle est rendue plus difficile encore si, en écriture, on se penche sur le cas du récit, type textuel complexe, polymorphe et changeant, incarné en une multitude de genres, où l’effet littéraire, si l’on veut bien la subversion dans la conformité, est toujours possible de surcroit. Les recherches dont Repères s’est fait le vecteur, ont désigné pour le récit des objets de savoir, quand ce ne sont pas seulement des domaines de savoir (la description, le dialogue, la narration…) mais elles n’ont que très peu, dans leur discours explicite, à partir des difficultés circonscrites rencontrées par les élèves, exploré les sources savantes disponibles, pesé la pertinence opératoire de chacune d’entre elles prises isolément comme leur potentialité agrégative, traité cette présélection et déterminé des contenus d’enseignement précis et utiles. On peut sans doute voir dans cette mise entre parenthèse, ou dans ce refus de la publicité des choix sous-jacents, une sorte de méfiance à l’égard de ce qui, de près ou de loin, peut ressembler à de la linguistique appliquée, travers auquel n’ont pas échappé les recherches inrp des années 70. Pour autant, il y a là, du point de vue de la formation et des retombées potentielles des recherches, un paradoxe sur lequel la revue aurait sans doute intérêt à réfléchir : les recherches que présentent Repères sont des recherches issues de la formation pour la formation, elles s’adressent en bout de chaine à des maitres polyvalents et donc, pour la plupart, peu familiarisés avec les contenus propres à la discipline. Les maitres en auto-formation, qui ne disposent que des ouvrages de vulgarisation issus de la recherche, quand ils existent, ne peuvent de toute évidence avoir accès aux traitements didactiques des sources savantes et encore moins aux sources savantes elles-mêmes. Quels contenus d’enseignement mettre alors dans l’objet ou le domaine de savoirs désigné ? Les instructions officielles (io) empruntent aux recherches l’entrée par les compétences. Or, il se trouve que les io n’identifient pas nettement le (les) savoir(s) enseignable(s) correspondant à la compétence visée (Halté, 1999). Reste les manuels qui, comme l’on sait, recourent à deux stratégies pour remplir les cases vides de chacun des domaines ciblés : si les cases vides sont de nouvelles cases jamais encore remplies, glaner des savoirs “ nouveaux ” de seconde ou troisième main, saisis à des niveaux très divers de reformulation et peu interrogés dans leur efficacité ; si les cases vides sont des cases en apparence familières, qui portent en tout cas des noms familiers (comme dialogue, description) renvoyant à une culture scolaire, les remplir avec le stock disponible non recyclé, c’est-à-dire, réintroduire dans le cadre nouveau les vieilles leçons qui semblent pouvoir s’y glisser pré-empaquetées (sur le “ passage du style direct au style indirect ”, sur le “ portrait ”, sur les “ pronoms ”). Les maitres en formation ont affaire à des formateurs médiateurs. Fabienne Calame-Gippet, dans Repères 16, consacré au “ français dans la formation des professeurs des écoles ”, s’intéresse au traitement didactique des recherches linguistiques et montre comment ces formateurs médiateurs ont le plus grand mal à opérer, sur un même contenu, une synthèse des sources possibles qui soit théoriquement satisfaisante et didactiquement opératoire. Sur treize formateurs interrogés, huit, donc bien plus de la moitié, pensent qu’il y a consensus, dans le champ théorique, sur les notions de point de vue, d’énonciation, de cohérence textuelle qui sont précisément les plus ouvertes au débat théorique. Il n’est sans doute pas indifférent de noter que ce sont des formateurs non chercheurs. L’auteur conclut sur un souhait : “ L’identification, la sélection, le traitement des théories linguistiques pertinentes pour la formation des formateurs polyvalents du premier degré doivent faire l’objet de recherches spécifiques ”. J’ajoute, parce que c’est mon objet de recherche, que la prise en compte de l’effet littéraire dans les productions des élèves, suppose que les maitres et leurs formateurs consentent à travailler dans le complexe, le mouvant, l’indécidable, le pluriel. Cela veut dire que les recherches en didactique doivent prendre en compte plus nettement qu’elles ne l’ont fait jusqu’alors la question de la didactisation des savoirs. De la même façon qu’elles ont interrogé et travaillé le rapport des élèves à l’écriture et aux savoirs nécessaires pour l’écriture, elles doivent aussi interroger et travailler le rapport du maitre (du formateur) au savoir. En d’autres termes, avant de pouvoir modifier le rapport au savoir des élèves, les maitres (les formateurs) devraient pouvoir modifier leur propre rapport au savoir.