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La didactique du français est-elle soluble dans la formation des enseignants ?
Par Jean-Pascal SIMON
Publication en ligne le 17 septembre 2018
Table des matières
Texte intégral
1Telle est la question que peut se poser tout formateur d’enseignants dans la mesure où, aujourd’hui, la didactique est un élément indispensable de la formation des enseignants. Cependant, la place de la didactique fait toujours l’objet de prises de position : certains la considèrent comme inévitable alors que d’autres estiment qu’il ne s’agit que de discours stériles et la stigmatisent ; les présupposés théoriques qui sous-tendent ces positions ne sont que très rarement explicités ou théorisés. Enfin, il est à craindre qu’il s’agisse souvent de questions de territoires : on s’empare de la didactique, on devient parfois didacticien quand il y a un enjeu de pouvoir à la clé. On est, en effet, frappé par l’évolution des positions prises par l’Inspection générale de lettres qui à la création des iufm s’est opposée à la professionnalisation du capes. Réticence qui se manifeste encore aujourd’hui lorsque le Ministère envisage de renforcer la dimension professionnelle des concours, alors que dans les rapports sur l’épreuve professionnelle le mot didactique est largement utilisé dans des acceptions variables au demeurant.
2Il importe donc de définir ce que l’on entend par didactique ; on a l’habitude maintenant de se demander, par exemple s’il existe une didactique générale, des sous-didactiques… mais qu’est-ce que la didactique pourla formation des maitres ? Cette question accompagne mon travail de formateur depuis plusieurs années déjà. Elle revient sous différentes formes, parfois quasi-existentielles : qu’est-ce qu’être enseignant-chercheur dans un iufm ? Et s’il ne me restait qu’une heure pour dire l’essentiel à de futurs instituteurs, que leur dirais-je ? Quelles notions didactiques leur présenter ?
3Il faut ajouter à cela que ni la transmission, ni l’acquisition des savoirs ne sont quelque chose de simple. Il faut le plus souvent procéder à des transpositions didactiques des savoirs savants, mettre en relation les savoirs scolaires avec des pratiques sociales. Il faut faire de même avec les concepts, notions et modèles didactiques, pour que la didactique puisse être opérationnelle en formation d’enseignants. Il est aujourd’hui urgent de didactiser la didactique.
1. Un point de départ qui ressemble à une déconvenue
4Je prendrai comme point de départ les conclusions de travaux que j’ai menés sur l’usage des concepts didactiques par de jeunes enseignants1. Les résultats obtenus présentaient à la fois des raisons de se réjouir et d’être déçu. Les raisons de se réjouir tout d’abord : la lecture des travaux produits en formation montrent que les champs théoriques mobilisés sont riches et variés. Les objets étudiés, mêmes quand ils sont « pointus », sont souvent intégrés dans des perspectives larges : textuelles ou énonciatives. Ainsi, les outils fournis par la grammaire traditionnelle sont complétés par d’autres plus récents qui permettent une vision plus large des faits de la langue.
5Cependant, si les travaux de recherche en didactique semblent trouver un écho chez ces jeunes enseignants, les notions sont le plus souvent citées sans être réellement mobilisées ou mises en œuvre. Nombre de formulations montrent qu’elles sont le plus souvent comprises selon leur sens commun témoignant ainsi d’une non-compréhension de leur sens spécifique relatif au champ conceptuel de la didactique. Cela n’est pas une spécificité de la didactique du français : l’analyse des usages faits de la notion de contrat didactique (cf. Cl. Comiti 1998) dans des mémoires professionnels en mathématiques montre que l’usage de cette notion se situe sur un continuum allant de la simple référence, à sa réelle mise en œuvre à des fins professionnelles, pour interpréter des résultats. Dans d’autres cas, plus rares, elle sert à interpréter certains phénomènes d’apprentissage observés. Ceci témoigne d’une réelle disponibilité du concept.
6Une première conclusion nous amène à constater que les concepts ne sont bien souvent mobilisés que dans le cadre d’un jeu plus ou moins rhétorique (ce que note A.-M. Chartier 1998), davantage pour faire didactique que pour faire de la didactique et rarement pour développer des savoirs professionnels. En d’autres termes plus triviaux : les notions didactiques sont citées pour faire plaisir au formateur ou à l’évaluateur.
2. Séparer les choses pour peut-être mieux les réconcilier ensuite
7Les candidats aux concours, les stagiaires en formation et les enseignants en poste sont confrontés, la chose n’est pas nouvelle, à des discours tenus par des instances différentes : l’institution ; les Instituts de formation ; les Universités ; les enseignants dans les classes ;les usagers du système éducatif et la société dans son ensemble…
8Ces discours s’opposent le plus souvent sur le terrain de la légitimité. C’est une erreur de les opposer sur ce plan : tous ces discours sont légitimes si l’on prend en compte le point de vue d’où ils sont énoncés. Il faut donc voir les choses de façon différente et prendre le temps de répondre à ces quelques questions : quel est le statut social du locuteur ? quel est le but de son discours ? à qui est-il adressé ? dans quel contexte ?
9Ceci afin de prendre en compte et d’analyser les discours tenus à propos de l’enseignement, des apprentissages, de la didactique2...
10En effet, les systèmes de valeurs qui sous-tendent ces différents discours sont dépendants du contexte de leur énonciation et risquent en outre d’avoir des axiologisations incompatibles. Ainsi, on peut penser que les instances énonciatrices suivantes fondent leurs discours sur :
11— une vision politique du système éducatif qui est partie prenante dans un modèle de ce qu’est une « bonne » société particulière qui met en avant des valeurs de solidarité, d’égalité des chances, pour l’institution ;
12— l’efficacité pour la tâche de formation professionnelle qui leur est confiée, pour les instituts de formation ;
13— la question de vérité, des savoirs, pour les Universités ;
14— la pratique, jugeant les concepts, discours et démarches qui leur sont proposés en fonction de leur pertinence face aux problèmes qu’ils rencontrent dans les classes, pour les enseignants
15— les conditions de vie, un idéal collectif, pour la société…
16Il n’y a donc pas « un » mais « des » discours qui posent plus ou moins frontalement les questions qui intéressent la didactique. Il faut les considérer comme les parties d’un « macro-discours » englobant qui sera à la fois dialogal, dialogique, et nécessairement paradoxal par certains aspects. C’est pour cela qu’il serait vain de les opposer sur le champ de la légitimité, il faut réussir à faire, comme on dit en ancien français, une « conjointure ».
3. Les didactiques du français
17Je proposerai également d’envisager non pas une mais « des » didactiques non dans la perspective des « sous-didactiques » du français (orthographe, grammaire, lecture…) étant donné que la pratique d’une langue maternelle est une activité holistique mais qui envisage différents domaines d’intervention. Il y a au moins trois domaines où la didactique est convoquée : le monde de la recherche, celui de la formation universitaire, et celui de la formation professionnelle des enseignants. La didactique du français existe donc sous trois formes : la recherche, l’enseignement dans la mesure où les savoirs construits par cette recherche peuvent être des objets d’enseignement, et la formation, car elle est de par la nature de ses objets un outil pour la formation des enseignants. Nous verrons plus loin que ce découpage peut être discuté, et que ces catégories ne sont pas étanches les unes aux autres.
18La didactique comme discipline de recherche peut se donner comme objet d’étude les procédures d’enseignement ou d’apprentissage dans une perspective descriptive, elle produira alors des savoirs nouveaux sur les mécanismes d’enseignement / apprentissage. Elle est davantage prescriptive quand il s’agit de recherches visant à établir quelles sont les démarches d’enseignement les plus pertinentes et efficaces. Comme dans toute recherche, le chercheur en didactique doit faire des choix entre les diverses méthodes de recherche : si par exemple, on choisit une démarche expérimentale, se posera alors la question de la reproductibilité des conditions dans le contexte scolaire ; si on choisit une démarche inductive, il faudra alors se demander comment on pourra déterminer les causes des effets observés…
19Des finalités socialement inscrites comme la lutte contre l’échec scolaire et l’implication des chercheurs par rapport au terrain ont conduit à développer ce qu’il est convenu d’appeler aujourd’hui la recherche-action et la recherche-développement... Il ne s’agit là que de quelques éléments illustrant ce que peut recouvrir la didactique envisagée comme un domaine de recherche (Chiss, David & Reuter 1995).
20La didactique comme discipline d’enseignement est une réalité puisqu’elle est devenue3 depuis une dizaine d’années l’objet d’unités de valeurs dans les cursus de deug et de Licence. Elle est enseignée aujourd’hui aux étudiants qui se destinent à l’enseignement. Il serait intéressant de faire une enquête pour déterminer la nature des savoirs convoqués, il y a fort à parier qu’ils sont fortement empreints des matrices disciplinaires d’origine. Ainsi, dans une faculté de littérature, on peut penser que les modèles d’analyse littéraire sont devenus peu ou prou des objets didactiques, et que dans les facultés de linguistique ce sont les théories linguistiques qui ont été l’objet d’une même appropriation. Les manuels scolaires, les guides pédagogiques, témoignent de ce fait puisqu’ils relaient ces pratiques de didactisation de savoirs. On peut donc se demander s’il existe des concepts « propres » à la dflm comme cela s’est passé en didactique des disciplines scientifiques. La didactique du français comme discipline d’enseignement reste donc largement à définir, en termes d’objets de savoirs à enseigner, objectifs, et démarches.
21La didactique comme outil de formation professionnelle est un élément indispensable dans tout bon plan de formation. Cependant, s’il est souhaitable que l’enseignant se fasse didacticien, et fasse de la didactique comme le conseillait J.-F. Halté (1992 : 123), il faut aussi qu’il sache où et quand cela peut se faire. En effet, il serait dangereux d’oublier que les enseignant sont dans leurs classes pour enseigner et quand ils font cours dans leur salle de classe, ils ne sont pas didacticiens. Les futurs enseignants sont dans les Instituts pour se former au métier d’enseignant, non pour devenir des chercheurs en didactique.
22Je pense qu’il faut reposer très nettement ces deux affirmations, faute de quoi, on mélangera les genres. Une fois ces affirmations posées, il faut définir les modalités selon lesquelles la didactique peut être un outil de formation professionnelle.
4. Une formation professionnelle nourrie de DFLM
23On ne mobilise pas de la même façon des concepts de didactique quand il s’agit de faire des recherches ou de la formation. Certes, on s’accorde à penser que faire de la recherche en didactique permet le développement de compétences professionnelles. C’est en cela que le découpage que je propose de la didactique comme domaine de recherche, discipline d’enseignement et outil pour la formation a ses limites. En effet, la recherche ou, pour être plus modeste, une initiation à un certain type4 de recherche didactique, peut être une modalité de formation. Par ailleurs, autre limite à cette partition : « recherche / discipline / outil », la didactique peut être un objet enseigné en formation initiale.
24Il faut hiérarchiser les buts. Le but premier d’une formation d’enseignant n’est pas de conduire les étudiants, puis les stagiaires vers le chemin de la thèse en didactique ni de les initier aux métiers de la recherche. Une formation d’enseignant développe d’abord des compétences qui permettent d’assurer une fonction socialement définie : le professorat. Les enseignants qui font de la recherche et même dont le statut est d’en faire, sont les seuls enseignants-chercheurs des établissements de l’enseignement supérieur. Si cela devait être la règle, il faudrait favoriser l’initiation aux méthodes et démarches de la recherche en faire un critère d’évaluation et de recrutement. Actuellement, la recherche est pour beaucoup d’institutions de formation une modalité qui permet la professionnalisation, il serait toutefois ambitieux, risqué… de mélanger les choses. En formation il faut donc se demander à qui et à quoi servent les concepts, démarches, modèles que l’onévoque. C’est souvent là que les choses ne sont pas, à mon avis, très claires.
4.1 Les gestes professionnels
25En France, les enseignants du premier degré ont, dans le cadre de leur formation professionnelle, plusieurs fois l’occasion de produire des mémoires professionnels : en formation initiale, et pour devenir maitres formateurs. J’ai expliqué (Simon, 1998) que c’était là l’occasion pour eux de mobiliser des savoirs didactiques théoriques et combien on pouvait être déçu de l’usage qui en était fait.
26L’objectif est de travailler au développement de compétences professionnelles que j’ai définies en termes de « gestes » de l’enseignant. On peut classer ces « gestes » en fonction de critères : dans / hors de la classe, avant ou après une séance d’enseignement, « en situation » comme la gestion et conduite de la classe. Il en est d’autres « hors situation » comme l’évaluation des travaux d’élèves ; il est des gestes où l’enseignant est fortement impliqué, comme quand il guide la résolution collective d’un problème, d’autres encore où il est plus faiblement impliqué comme quand il observe les processus de résolution de problèmes d’un groupe d’élèves... Il me semble que les concepts linguistiques, didactiques… peuvent trouver un sens et une pertinence en formation s’ils permettent de mieux effectuer ces « gestes professionnels ».
27Pour ne donner qu’un exemple5, on peut mobiliser des savoirs qui aideront à mieux comprendre ce qui se joue dans les échanges oraux en classe, ils ne seront pas mobilisés pour eux-mêmes mais devront prendre en compte les spécificités des échanges langagiers de la classe qui, comme le rappellent D. Brixhe et A. Specogna (1999 : 9), ne sont pas simplement des actes de dire ou de vouloir dire, mais des formes spécifiques d’interactions sociales. La sélection de concepts dans un champ théorique se fera selon des critères de pertinence qui lui sont externes, leur mobilisation a pour objectif de mieux comprendre les processus d’enseignement / apprentissage plus que les phénomènes d’échanges langagiers. La connaissance de ces outils, leur mise en fonctionnement dans des situations de classes, vécues, recueillies au moyen d’enregistrements vidéo, analysés, développeront les compétences de l’enseignant dans la gestion des échanges langagiers en classe et leur utilisation à des fins d’enseignement / apprentissage.
4.2 Des savoirs qui sont « partageables »
28Après avoir proposé de sélectionner les concepts en fonction de leur pertinence par rapport aux développements des compétences professionnelles, on peut se demander quelles sont les notions « partagées » et partageables avec les élèves ? S’il est entendu que l’enseignant ne transmet pas « tout » son savoir à l’élève, il me semble que l’on aurait intérêt à « partager » les savoirs qui renvoient à des savoirs-faire et/ou des savoirs procéduraux sur le langage comme les modélisations de la production écrite. Ces savoirs ouvrent des espaces d’échanges et d’expériences communes au maitre et aux élèves et aident ces derniers dans leurs apprentissages de la production d’actes langagiers. En écriture par exemple, où le maitre, comme ses élèves, pourrait produire une rédaction, non pas pour donner un modèle de produit fini mais pour offrir un exemple de processus de production : il s’agit alors de montrer « comment on peut faire » non pas « ce que l’on doit faire ». Les modèles de la production ont droit de cité dans la classe pour peu que ce soit à partir d’une action pour aller peut-être vers une théorisation et une mise en mots des stratégies d’action.
5. Quelques pistes pour la formation des enseignants
29La dflm ne doit pas exister uniquement pour la formation des maitres, ce serait la réduire et l’instrumentaliser à l’excès, elle doit se développer comme un champ de recherche à part entière et dans une certaine autonomie par rapport aux institutions. La didactique doit également être pensée comme une discipline d’enseignement et de formation dans ce domaine. Elle ne doit pas être confondue avec la didactique domaine de recherche, elle y puisera des concepts qui permettent le développement des compétences et des gestes professionnels de l’enseignant dans deux domaines : d’une part les gestes quotidiens de et dans la classe ; et d’autre part des gestes moins ordinaires qui caractérisent l’enseignement réflexif, c’est-à-dire qui permettent de prendre du recul, d’expliquer, de théoriser sa pratique. Elle retiendra également les modèles et les concepts qui permettent de rendre partageables, dans la classe, les expériences des pratiques langagières.
Notes
1 Cf. Simon (1996b) et la communication : « Enseigner la langue, théorie(s) et pratique(s) des professeurs stagiaires » faite au colloque de Saint-Lô qui avait pour thème Enseigner avec ou sans manuel à l’école et au collège (septembre 1996).
2 On aura reconnu une référence au modèle « speaking » de D. Hymes, on pourrait aller plus loin et étudier aussi les rites qui règlent la vie sociale de la dflm.
3 Ceci est valable pour la France, je n’oserai pas extrapoler.
4 Sans développer, ni argumenter, je dirais simplement que les recherches de type expérimental ne me semblent pas proposer des modalités pertinentes en formation initiale.
5 Les travaux actuels en ergonomie-cognitive et cognition socialement située offrent des pistes intéressantes.