- Accueil
- > Revue papier (Archives 1993-2001)
- > Questions d'épistémologie en didactique du françai ...
- > DES EXEMPLES DE RECHERCHES CONTEMPORAINES : TEXTES ...
- > Analyse des pratiques : prolegomenes1
Analyse des pratiques : prolegomenes1
Par Marie-Françoise CHANFRAULT-DUCHET
Publication en ligne le 17 septembre 2018
Table des matières
Texte intégral
1C’est au travers de la réflexion menée dans le cadre de l’élaboration du projet de recherche intitulé « Analyse des pratiques enseignantes en Français »2que j’aborderai la problématique retenue pour ces journées. Les « prolégomènes », désignés dans le titre, renvoient ainsi au questionnement impulsé par le cahier des charges qui vient cadrer, à l’iufm d’Orléans-Tours, les projets de recherche. Inspiré des modèles du cnrs, ce dernier implique la référence à des disciplines dont la légitimité scientifique est ancienne, et qui donc possèdent des présupposés, des théories, des modèles et des méthodologies qui, reconnues, se sont ritualisées dans une tradition. La confrontation avec ces disciplines fait du même coup apparaitre les contours instables — parce qu’en émergence — de la didactique du français en tant que discipline de recherche. Dans l’espace restreint qui m’est ici imparti, je me contenterai de reprendre, en les organisant, les questions que j’ai été amenée à me poser et qui renvoient à la problématique épistémologique de ces journées. J’envisagerai ainsi le contexte français actuel de la dflm, puis les possibilités de reconfiguration de la discipline, enfin la spécificité de la recherche dans le cadre des iufm.
1. L’impasse du « didactiquement correct »
2La première question, qui surdétermine toutes les autres, concerne l’inscription du projet dans le contexte actuel de la discipline. Or, il faut le reconnaitre, la dflm a payé au prix fort son institutionnalisation en tant que discipline d’enseignement et de formation : les modélisations issues de la recherche se sont figées dans des démarches et des discours qui, très vite rattrapés par l’applicationnisme et le prescriptif, se sont constitués en doxa. Autrement dit, visant une reconnaissance universitaire, la discipline se trouve prise au piège de la logique descendante, et, visant à asseoir son autorité dans les sphères de l’enseignement et de la formation, elle reste tributaire des circuits de légitimation et de diffusion propres à ce système hyper-hiérarchisé que constitue l’École3. Les phénomènes en boucle, qui s’instaurent sur ces bases, tendent ainsi à enfermer la dflm dans ce que j’appellerai l’idéologie du didactiquement correct, qui va à l’encontre d’une part des principes fondateurs de la discipline, d’autre part de la double visée — descriptive et explicative — qui préside à toute démarche scientifique. D’où, face à cette impasse, la nécessité d’une remise à plat, d’une réflexion visant des réorientations, voire une refondation ; dynamique qui passe obligatoirement par la recherche, (re)définie dans son autonomie. Dans un tel contexte, les projets de recherche ne peuvent actuellement se construire que contre le didactiquement correct, sur la base de choix qui mettent l’accent sur les postures visant la « production de savoirs sur », garante de scientificité.
2. Vers de nouveaux cadrages
3Sur ces bases, le questionnement porte alors sur le pôle à privilégier dans le triangle hérité d’Houssaye. Pour sortir de l’impasse, il convient d’intégrer le pôle des savoirs, pour le dépasser, puis de faire basculer l’ancrage sur l’un des deux autres pôles, voire sur les deux. Certains collègues ont sauté le pas, se fixant sur le pôle « élève » (Bernié, Bucheton), ou sur l’interaction (Halté, Nonnon). J’opte ici, quant à moi, pour le pôle « enseignant ». Ceci pour trois raisons : 1) le projet s’inscrit dans le cadre d’un iufm, dimension qui implique de focaliser les travaux sur l’enseignant, 2) l’activité enseignante demeure, en dflm, un objet d’analyse à construire4, 3) ce pôle implique, en premier lieu, une posture strictement descriptive. Désigné par le terme consacré — pratiques —, conservé pour des raisons de visibilité, l’objet de recherche concerne ici les gestes professionnels de l’enseignant, définition qui vise à dépasser la vaine opposition théorie/pratique, à échapper à la logique descendante et prescriptive, et, par là, à sortir de l’idéologie du didactiquement correct. Il s’agit donc ici d’envisager les gestes professionnels, dans la discipline scolaire, au lycée, domaine encore peu exploré. Dans le cadre délimité par ces redéfinitions, les prescriptions institutionnelles, les modélisations didactiques et l’impact de la formation, qui sont en interrelation au sein des réseaux qui portent la doxa, redeviennent de simples paramètres ; dimension qui restaure les conditions d’une démarche scientifique.
4Impliquant des changements de paradigmes, ces choix amènent à reconsidérer la configuration de la discipline, pour ménager des ouvertures. La perspective retenue conduit à quitter le champ de la transposition pour celui du didactique5, et donc à dépasser le cadre des didactiques des disciplines, pour ouvrir la dflm aux disciplines voisines : sciences de l’éducation, mais aussi sociologie, psychologie et, descriptif oblige, ethnographie. Si l’ancrage principal reste alors la dimension didactique, i.e. la construction de savoirs sur l’enseignement du français, les emprunts aux disciplines connexes viennent ici témoigner, dans la transdisciplinarité, de la complexité des faits à étudier ; complexité dont la dimension didactique ne saurait, à elle seule, rendre compte. La reconfiguration ainsi opérée amène alors à poser la question des références dans le contexte actuel de la dflm. On s’accordera à reconnaitre que ces dernières demeurent principalement centrées sur le domaine francophone voire francofrançais. D’où l’option retenue ici, dans un autre souci d’ouverture, de prendre appui, dans un premier temps, sur le courant anglais de l’ethnographie de l’école6 et sur les positions récentes de Bernstein7, en attendant d’accéder, pour les exploiter, aux travaux menés sur les pratiques enseignantes, en matière de langue maternelle, dans les ex-pays de l’Est, et plus particulièrement en Deutsche Demokratische Republik (rda)8. Sur ces bases, le recueil des données empiriques doit permettre de valider l’hypothèse de travail, qui met ici en relation les modes de déclinaison de l’identité professionnelle (induite par la discipline scolaire) avec une logique de terrain9 prise dans les mutations. Au plan méthodologique, la démarche s’inscrit dans la perspective qualitative, en s’appuyant sur les pratiques de recherche en sciences de l’éducation, centrées ici sur l’ethnographie de l’école10. Mais, dans la mesure où le domaine étudié n’est pas encore balisé, des données chiffrées vont rapidement s’imposer, et il faudra recourir, à partir de nouvelles collaborations, à la perspective quantitative.
3. Le contexte des IUFM
5L’inscription du projet dans le cadre de l’iufm vient spécifier la problématique. Le cahier des charges impose ainsi la constitution d’équipes pluricatégorielles, intégrant des formateurs (par ailleurs enseignants de terrain11), et des enseignants-chercheurs des universités de rattachement ; clause qui soulève une série de questions liées à la place de la recherche dans les réseaux porteurs de la doxa. L’option retenue ici vise à repositionner la recherche au sein de l’École en tant qu’institution. Cette orientation repose sur l’implication, dans l’équipe, d’un collègue qui se situe à l’interface entre la recherche universitaire et l’Inspection générale. La spécificité de l’équipe vise ainsi à permettre de confronter des données de terrain d’origine institutionnelle, avec celles de l’enquête, et, par le biais des collaborations croisées, de modifier les rapports de place et, par là, les positions dans le système. Et si le cahier des charges de l’iufm traduit la rubrique « Applications » du cnrs par « Retombées en formation », le projet, tel que défini dans ses orientations, ne saurait représenter la réponse à une demande émanant de la formation et visant l’élaboration de « remédiations » à destination des enseignants. À ce niveau, le projet se donne deux objectifs : former à et par la recherche les formateurs impliqués12, et constituer, à partir des matériaux empiriques recueillis dans le cadre de l’enquête, une banque de « données de terrain » exploitable en formation13. Ces précisions amènent du même coup à envisager la question des destinataires de cette recherche. Ces derniers ne doivent pas se limiter à la communauté des chercheurs en dflm, mais intégrer les formateurs des iufm, les corps d’inspection, les concepteurs de programmes14 et, plus largement, les enseignants de terrain eux-mêmes. Situation encore virtuelle, puisqu’elle suppose que l’École, en tant qu’institution, vienne légitimer l’autonomie de la recherche en didactique.
6Le contexte et la spécificité du projet amènent ici à s’en tenir au cadre ethnographique, i.e. à en rester à la phase descriptive, reportant à plus tard la phase explicative, et donc l’élaboration théorique. Dans cette perspective, il s’agit, en l’état actuel des travaux sur la question en dflm, d’accepter de rester, modestement, dans le cadre des prémices (prémisses), i.e. des prolégomènes à une théorie des pratiques enseignantes dans la discipline scolaire.
Notes
1 Ce texte ne reproduit pas à la lettre l’affiche et l’exposé présentés lors des journées, il en explicite les grands axes.
2 Dont je suis responsable, à l’iufm d’Oléans-Tours, en collaboration avec Louis Baladier, Professeur associé à l’Université de Tours et Inspecteur général des Lettres.
3 L’espace me manque ici pour analyser 1) la traçabilité des modèles, démarches et discours véhiculés par la formation, 2) la place des revues (spécialisées/professionnelles) 3) le rôle des maisons d’édition, au marketing efficace, qui assurent la vulgarisation, 4) le poids respectif de ces relais que sont : les corps d’inspection, les membres des jurys de concours, les formateurs mafpen (récemment intégrés dans les iufm), les enseignants-chercheurs en didactique.
4 Voir, ici même, l’intervention de R. Goigoux.
5 Voir C. Raïsky et M. Caillot éds., Au-delà des didactiques, le didactique, De Boeck, 1996.
6 Voir en particulier P. Woods, Inside schools : Ethnography in educational research, London, Routledge & Kegan Paul, 1986.
7 B. Bernstein, Pedagogy, Symbolic control and identity : theory, research, critique, Washington D.C., Taylor & Francis, 1996.
8 La clôture, actuellement perceptible dans le champ de la dflm, et que j’ai dénoncée plus haut, réside également, me semble-t-il, dans l’absence de confrontation avec les travaux étrangers portant sur la didactique des langues maternelles en général. On ne peut que s’étonner, à ce niveau, de la frilosité des chercheurs en dflm, dans une période où la mondialisation a aussi des effets positifs, ne serait-ce que dans les possibilités d’accès aux travaux de recherche étrangers, que nous offre actuellement le Web.
9 Voir mon intervention à la Rencontre des chercheurs en didactique de la littérature, université de Rennes, mars 2000. Actes à paraitre.
10 Observation participante, approche biographique, enregistrements de classes, analyse de documents, etc.
11 Voir sur ce point les objections, d’ordre épistémologique, formulées par M. Duru Bellat et A. Mingat, « Vérification et falsification dans la recherche en éducation », dans C. Hadji et J. Baillé éds., Recherche et éducation : vers une nouvelle alliance, De Boeck, 1998, p. 163.
12 Voir mon intervention aux journées dflm, Didactique du français et formation des enseignants, iufm de Bretagne,septembre 2000. Actes à paraitre.
13 Ce qui devrait permettre, en particulier, de constituer une « médiathèque » de données de terrain, et donc, dans l’analyse de situations concrètes, de sortir la formation de la logique prescriptive.
14 Si le Groupe Technique Disciplinaire (gtd) et l’Inspection avaient pu disposer de données fines portant sur les pratiques et les représentations des professeurs de français enseignant en lycée, on peut imaginer que ces deux instances, qui prônent, par ailleurs, l’étude du discours et donc le calcul interprétatif centré sur le destinataire, auraient pu éviter la levée de boucliers des enseignants de terrain, lors de l’élaboration des nouveaux programmes du second cycle en France.