La didactique du français à l’université : choix théoriques et méthodologiques pour un enseignement des genres acadÉmiques

Par Marie-Christine POLLET
Publication en ligne le 17 septembre 2018

Texte intégral

1La recherche dont il sera question relève de la didactique du français dans l’enseignement supérieur. Plus précisément, elle s’inscrit dans le cadre de la demande concernant la préparation des étudiants à l’Université. Au vu des difficultés traditionnellement diagnostiquées, une tendance importante va vers le développement de compétences méthodologique et linguistiques. En ce qui nous concerne, pour échapper au flou qui entoure l’expression méthodes universitaires et pour éviter les risques de dérapages normatifs, notre choix est de favoriser l’adaptation des étudiants à un système de communication nouveau, en les aidant à construire des clés d’accès à différents modes d’élaboration et de communication du savoir à l’Université. Dans cette optique, c’est la maitrise des enjeux de la communication qui sera visée. On se référera ici aux recherches d’Élisabeth Bautier, selon qui le rôle déterminant dans les processus de compréhension-interprétation est tenu par l’activité langagière : la manière dont les locuteurs se représentent la situation de communication, les enjeux qu’ils y voient, l’interprétation de la tâche langagière elle-même dans son rôle d’apprentissage1.

2On tentera donc de construire une didactique de l’écrit à l’Université, telle que la conçoivent les centres de recherche Théodile (université de Lille 3) et Lidilem (université de Grenoble 3)2,et telle qu’elle est envisagée par Michel Dabène dans le cadre de la :

« nécessité pour tous les étudiants, quel que soit leur passé scolaire, d’un travail continué sur la langue et les discours, oraux et écrits, propres aux diverses disciplines universitaires et vecteurs de l’acquisition de savoirs spécialisés ».3

3L’objectif étant de rencontrer les besoins des étudiants dans diverses situations réelles de communication universitaire, l’approche des discours sera fondamentalement pragmatique. Cette dimension, combinée à la théorie du continuum de Jacobi4, permet de proposer le concept de genres académiques, comme reflets des modes de communication dans lesquels doivent se mouvoir les étudiants à l’Université. Ces genres, extrêmement variés dans leurs spécificités discursives, linguistiques, énonciatives, lexicales et même visuelles, selon le type de relations entretenues entre les interlocuteurs et le type de rapport au savoir, ont en commun une caractérisation portant sur le milieu de vie dans lequel ils se réalisent : tous circulent dans un univers de communication dont au moins l’émetteur appartient à la communauté universitaire, et l’objet du discours participe d’un savoir enseigné ou construit à l’Université. On y intègrera des discours aux degrés divers de scientificité : les discours scientifiques, les discours scientifiques de diffusion, les discours didactiques universitaires, et aussi les productions d’étudiants.

4Cette hétérogénéité rend inimaginable un enseignement homogène des genres académiques, d’autant moins encore que, selon la discipline et selon la tâche de lecture-écriture à effectuer (prise de notes, fiche de lecture, recherche d’un renseignement ponctuel, synthèse, production personnelle, …), des caractéristiques spécifiques surgiront encore dans la formalisation et la codification des savoirs : spécificités liées notamment à la nature des savoirs transmis et aux formes d’exercice de la connaissance5.

5Il s’agit au contraire de former les étudiants à la diversité des genres académiques, à la variété de leurs caractéristiques pragmatiques, énonciatives, textuelles et linguistiques. Il s’agit aussi de mettre en évidence, si possible, un lien entre cette diversité et un élément transversal qui, par des mécanismes différenciés de réalisation, la génèrerait. Cet élément transversal permettrait de constituer un angle d’attaque privilégié pour didactiser l’univers de communication des étudiants (différents discours à comprendre ou à produire, différentes tâches à réaliser).

6En Histoire, par exemple, l’analyse de différents genres académiques permet de déceler une transversalité explicative, même si ses manifesta­tions sont diverses. À ce sujet, ce sont les apports de la sémiologie dite de Neuchâtel (concept de conduite explicative6) et de la linguistique textuelle (concepts de cohésion/cohérence, de typologies textuelle et séquentielle) qui peuvent aider à voir clair dans cette transversalité. Selon la naissance pragmatique de la problématique envisagée, selon son mode d’intro­duction discursive, selon le mode de résolution privilégié, selon l’inten­tion et la démarche dominantes dans chacun des genres académiques, l’explicatif se réalise différemment : dans sa forme séquentielle, dans ses propriétés linguistiques, dans sa fonction discursive, dans son rôle communicationnel, dans son processus d’inscription textuelle.

7Ainsi, de grandes tendances peuvent être observées. Lorsque la démarche privilégie la didacticité ou la vulgarisation, la problématisation est d’ordre cognitif et porte sur un objet précis de savoir. Elle est explicitement exprimée par un pourquoi, un comment ou par un titre contenant le mot causes et/ou conséquences et annonce une explication au sens scolaire du terme. Le locuteur expose alors une série de faits participant d’un savoir présenté comme vrai, faisant office d’explications admises, déjà constituées. Dans ce cas, le discours se déroule selon un schéma séquentiel explicatif minimal : problématisation-résolution. La résolution comporte des séquences descriptives et/ou narratives, dans lesquelles la démarche didactique amène l’auteur à expliciter certaines notions par des développements, des définitions, des exemples, des reformulations… Les manifestations de l’explicatif portent sur des objets clairement définis et sont d’ordre cognitif : il s’agit de faire connaitre quelque chose le plus clairement possible. Sur le plan textuel, elles consistent en séquences, au sens où l’entend J.-M. Adam7, et, sur le plan communicationnel, en boucles, telles que les a définies J.-F. Halté8. Sur le plan discursif, l’explicatif se manifeste dans sa dimension cognitive d’expliciter et dans sa dimension interactionnelle de communiquer et d’enseigner.

8Par ailleurs, la problématisation peut être d’ordre scientifique et la démarche de l’auteur bascule vers la scientificité. Dans ce cas, expliquer consiste à (essayer de) résoudre un problème de conception du savoir. Le discours, en respectant une méthodologie spécifique à la discipline, consiste à construire un savoir nouveau et obéit à une intention dominante argumentative ou démonstrative. Dans ce cas, l’explicatif intervient essentiellement sur le plan discursif dans sa dimension interactionnelle de justifier, comme moyen pour convaincre du bien-fondé d’une thèse, et dans sa dimension cognitive de rendre compte.

9Cet exemple concernant les discours historiques ouvre à la possibilité d’un enseignement des genres académiques en Histoire par le biais de la transversalité explicative. Celui-ci, visant les enjeux de la communication universitaire, s’appuie sur les apports théoriques de la sémiologie, de la linguistique des textes et des discours et sur les recherches en didactique du français. Le travail d’analyse et de didactisation est bien sûr à adapter selon les différentes disciplines. L’objectif est de contextualiser une intervention didactique qui, sans cela, n’aurait sans doute pas grand sens auprès des étudiants, en acculturant ceux-ci, en quelque sorte, à l’écrit universitaire dans leur discipline.

Notes

1 É. Bautier, Pratiques langagières, pratiques sociales. De la sociolinguistique à la sociologie du langage, Paris, L’Harmattan, 1995, p. 197-200.

2 Voir : Lidil, 17 : « Pratiques de l’écrit et modes d’accès au savoir dans l’enseignement supérieur », Grenoble, 1998, et C. Fintz et al., La didactique du français dans l’enseignement supérieur : bricolage ou rénovation ?, Paris, L’Harmattan, 1998.

3 M. Dabène, « Préface », La didactique du français dans l’enseignement supérieur : bricolage ou rénovation ?, L’Harmattan, 1998, p. 8.

4 D. Jacobi, « Sémiotique du discours de vulgarisation scientifique », dans : Diffu­sion et vulgarisation. Itinéraires du texte scientifique, Annales littéraires de l’université de Besançon, Belles-Lettres, 1986, p. 15-30.

5 À ce sujet : M. Millet, « Économie des savoirs et pratiques de lecture. L’analyse des formes de travail intellectuel étudiant en médecine et en sociologie », Éducation et Sociétés, n° 4, 1999, p. 57-74.

6 J.-B. Grize et M.-J. Borel. Voir : M.-J. Borel, « L’explication dans l’argumentation. Approche sémiologique », Langue française, n° 50, 1981, p. 20-38.

7 J.-M. Adam, Les textes. Types et prototypes, Nathan, 1992.

8 J.-F. Halté, « Trois points de vue pour enseigner les discours explicatifs », Pratiques, n° 58, 1988, p. 3-10.

Pour citer ce document

Par Marie-Christine POLLET, «La didactique du français à l’université : choix théoriques et méthodologiques pour un enseignement des genres acadÉmiques», Cahiers FoReLLIS - Formes et Représentations en Linguistique, Littérature et dans les arts de l'Image et de la Scène [En ligne], Revue papier (Archives 1993-2001), Questions d'épistémologie en didactique du français, DES EXEMPLES DE RECHERCHES CONTEMPORAINES : TEXTES DES COMMUNICATIONS PRÉSENTÉES SOUS FORME D’AFFICHE, mis à jour le : 17/09/2018, URL : https://cahiersforell.edel.univ-poitiers.fr:443/cahiersforell/index.php?id=649.

Quelques mots à propos de :  Marie-Christine POLLET

Docteure en philosophie et lettres, elle enseigne au Centre de méthodologie universitaire et de didactique du français de l’université libre de Bruxelles. Elle consacre son travail de recherche et ses activités pédagogiques aux pratiques de l’écrit à l’Université et à leur enseignement. Elle a notamment publié, « Les étudiants face aux discours universitaires : de la réception d’un savoir stabilisé à celle d’un savoir en construction », dans : « Pratiques de l’écrit et modes d’accès au savoir da ...