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Le manuel de langue : un objet de recherche pertinent pour la didactique ?
Par Corinne CORDIER-GAUTHIER
Publication en ligne le 17 septembre 2018
Table des matières
Texte intégral
1. Problématique
1Le manuel de langue peut-il être considéré comme un objet de recherche scientifique et alimenter la réflexion épistémologique sur la didactique ? Est-il possible, en l’occurrence, à partir d’un ensemble relativement hétérogène de manuels, d’en caractériser le discours (de type à la fois iconique et linguistique) et de dégager de cet ensemble, un certain nombre de constantes ? Autrement dit, le manuel est-il constitué d’un nombre limité d’éléments fondamentaux qui pourraient être considérés comme des invariants et, une telle constatation peut-elle nous faire avancer dans notre connaissance de la didactique ?
2. Méthodologie
2Pour répondre à ces interrogations, nous avons observé de façon empirique un vaste corpus de manuels de langue (Essai de caractérisation du discours du manuel de français langue seconde et étrangère. Parcours à travers les manuels utilisés au Canada (1970-1995), repérage et description de leurs éléments constitutifs, thèse de doctorat, université Paul Valéry, Montpellier, 1999).
3Nous avons été amenée à créer nos propres outils d’analyse, qui ont été élaborés au fur et à mesure de l’observation des manuels à la lumière de concepts tirés de la sémiotique et de la typographie. Le manuel de langue s’est ainsi avéré être un objet de recherche particulièrement fécond de par son statut d’objet médiateur entre la théorie et la pratique et sa place privilégiée au confluent des trois pôles du triangle didactique.
3. Résultats
4Nous avançons que le manuel de langue est constitué d’éléments qui peuvent être considérés comme des invariants, c’est-à-dire des éléments qui restent constants par opposition à certaines variables, dont il est possible d’étudier les diverses valeurs. L’étendue de la période considérée ainsi que la diversité des publics auxquels s’adressent les manuels ont permis de fournir les variables nécessaires et suffisantes pour l’étude de ces éléments.
5Le manuel de langue est constitué à la fois d’un élément iconique et d’unélément textuel ; ce dernier peut se décomposer en quatre grands types principaux de textes — que nous proposons de dénommer les organisateurs structurels, les textes exemplificateurs, les textes analytiques et les textes déclencheurs — qui forment un ensemble d’éléments dont le trait commun est qu’ils sont rassemblés au sein du manuel pour remplir un certain “ contrat didactique ”.
3.1 L’élément iconique
6L’élément iconique occupe, en moyenne, le tiers des pages du manuel. Son importance en termes d’occupation des pages n’a cessé d’augmenter et son rôle comme outil pédagogique de se diversifier depuis les années soixante-dix. Les points observés et analysés sont :
3.1.1 La place de l’image dans le manuel
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Proportion d’occupation de l’image dans la bi-dimensionalité (page) ;
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Proportion d’occupation de l’image dans la tri-dimensionalité (volume) ;
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Type de répartition : en blocs uniformes, éparse, foisonnante.
3.1.2 Les types d’images et leurs caractéristiques
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Le dessin, la photographie, le collage ;
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La couleur, la taille, les traits et le tracé du dessin ;
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L’origine interne (réalisées pour le manuel) ou externe (empruntées ailleurs).
73.1.3 Le rôle de l’image dans le manuel
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L’image en relation d’équivalence avec le texte ;
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L’image en relation de complémentarité avec le texte ;
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L’image comme outil pédagogique .
3. 2 L’élément textuel
8Il peut être décomposé en quatre types de textes qui sont les suivants :
3.2.1 Les organisateurs structurels
9Ce sont les titres et les sous-titres (substantifs, courtes phrases nominales ou verbales) qui organisent et structurent les divers éléments du manuel. Grâce à l’utilisation des techniques typographiques, ils sont d’une très grande lisibilité. Ils jouent plusieurs rôles :
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repÈres indiciels : ils indiquent l’organisation du manuel en unités didactiques et la structuration interne des unités.
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marqueurs de l’organisation mÉthodologique : ils identifient les moments de la leçon, leur ordre et regroupements et désignent les types d’activité (exercice, réflexion).
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organisateurs du contenu de l’enseignement : ils identifient les différents textes (dialogues, textes, grammaire) et ils désignent le contenu (la sélection et la mise en forme des éléments à enseigner/apprendre).
3.2.2 Les textes exemplificateurs
10Ce sont les textes qui “ exemplifient ” la langue à enseigner/ apprendre et la présentent de façon globale (non analytique). Ils peuvent être caractérisés par leur longueur et leur origine, soit interne (textes faits expressément pour le manuel), soit externe (textes empruntés). On peut les regrouper ainsi :
LES TEXTES EXEMPLIFICATEURS COURTS : il s’agit des énoncés-modèles (exemplificateurs de la langue et éléments linguistiques à enseigner/apprendre) et des documents sociaux (manchettes, annonces, légendes, etc.).
LES TEXTES EXEMPLIFICATEURS LONGS : leur classement s’est opéré en fonction d’un premier niveau de hiérarchie, selon leur ancrage énonciatif, puis en sous-niveaux, selon les types de discours et/ou les genres de textes.
– L’échange “ dialogal ” : le dialogue-retranscription, le dialogue-narration, le dialogue-information, le dialogue enchâssé dans un récit ;
– L’échange “ monologal ” : textes de type narratif, descriptif et informatif et documents sociaux : textes de divers genres (ou les imitant) et de divers types discursifs.
3.2.3 Les textes analytiques
11Ce sont les textes qui décomposent la langue en ses éléments constitutifs et qui font intervenir des concepts et des opérations métalinguistiques. Ils se répartissent en deux types principaux :
LES TEXTES-METALANGAGE : ce sont les termes désignant les catégories grammaticales, les formulations de règles et les explications.
LES TEXTES ANALYTIQUES INTERMEDIAIRES : ce sont les énoncés décomposés en leurs différents constituants (par le jeu de la présentation typographique), des paradigmes déclinés ou des formes fléchies, des listes de mots ou des expressions (regroupement par classe de mot ou par thème). On peut les regrouper en trois types :
– Les textes intermédiaires de type grammatical : les flexions des verbes, des mots grammaticaux et les structures ;
– Les textes intermédiaires de type lexical : le vocabulaire présenté hors contexte sous forme de liste alphabétique ou thématique ;
– Les textes intermédiaires “ mixtes ” : les segments de discours organisés et présentés selon les actes de parole.
3.2.4 Les textes déclencheurs
12Ce sont les textes dont la fonction explicite est de “ déclencher ” une activité langagière impliquant de façon directe l’apprenant. C’est l’ensemble des exercices, activités ou tâches consignés dans le manuel. Ils ont un degré de contrainte variable.
13Ils se composent des éléments fondamentaux suivants :
LA CONSIGNE : elle peut comporter une seule ou plusieurs instructions, être présentée sous forme de question, ou ne pas être formulée
LE CORPS DE L’EXERCICE :
– le modèle : placé directement sous la consigne (peut être absent ou multiplié) ;
– le parcours : suite généralement numérotée marquant les étapes de l’exercice ;
– les données : les éléments ressources donnés pour accomplir l’exercice.
4. Interdépendance des éléments du manuel
14Tous les éléments (iconique et textuels) s’articulent les uns aux autres dans un rapport d’interdépendance qui varie en fonction à la fois de l’époque et du public.
15Les organisateurs structurels permettent de structurer les images et les différents types de textes et de mettre en forme l’unité didactique de façon linéaire (l’ordre d’apparition des différents éléments) et hiérarchique (leur mode d’articulation des uns par rapport aux autres). Ils lui donnent son rythme, marquent son ouverture et sa clôture.
16Les textes exemplificateurs (te), les textes analytiques (ta) et les textes déclencheurs (td) sont agencés au sein de chaque unité didactique selon un ordre et des regroupements extrêmement variables. Sans tenir compte ici de l’élément iconique, l’unité didactique (ud) peut être symbolisée ainsi :
ud = te + ta + td ou ud = td + ta + te ou ud = ta + te + td (etc.)
Au lieu d’une succession de blocs homogènes, on peut avoir, au sein de la même unité, plusieurs regroupements formant de petits ensembles qui s’articulent autrement, par exemple :
ud = (te+ta+td) + (te+ta+td) + (te+ta+td) ou
ud = (te+td) + (te+td) + (ta+td+td) ou encore
ud = td +ta +te + td + ta + te + ta + te + td, etc.
17Les différents types de textes se succèdent par juxtaposition, emboitement ou enchâssement selon le cheminement préconisé par le manuel. L’organisation interne de chaque unité revêt ainsi un caractère cyclique et redondant qui, en donnant un caractère prévisible aux éléments, contribue à une meilleure lisibilité du manuel.
5. Conclusion
18Il ressort donc de cette étude que les manuels de langue, sous la multiplicité apparente des formes qu’ils ont pu avoir depuis une trentaine d’années et malgré la diversité des méthodologies ou des approches qu’ils préconisent ou dont ils s’inspirent et celle des publics auxquels ils s’adressent, ont une forme et une nature spécifiques. L’analyse de ce large corpus de manuels d’origine française et canadienne a permis de dégager ce que nous avons appelé les éléments constitutifs du manuel de langue, qui se présentent avec une relative constance, même s’ils varient dans leurs réalisations concrètes selon un certain nombre de données telles que les conditions socioculturelles, l’évolution des sciences humaines, les nouveaux courants de la didactique des langues et les progrès des techniques liées à la communication